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#241 Histoire du cinéma
Loriane Posté le : 05/10/2013 18:58
Histoire du cinéma

La première projection du cinématographe Lumière a lieu le 28 décembre 1895, au Grand Café, boulevard des Capucines à Paris.
Le nouvel art puisera abondamment dans le trésor dramatique aussi bien théâtral que romanesque, du XIXe siècle finissant. Il lui empruntera sa puissance d'évocation liée à l'appétit de conquête d'une société industrielle en plein essor.
Il prolongera sa vocation à l'universel.

Ni Dickens, ni Dumas père, morts en 1870, ni Dostoïevski, mort en 1881, ni Herman Melville, mort en 1891, ni Dumas fils, mort en 1893, n'ont pu soupçonner les immenses virtualités cinématographiques de leurs œuvres.
Au cours de ces mêmes années naissent D. W. Griffith en 1875, Carl Dreyeren 1889, Fritz Lang en 1890, Jean Renoir en 1894, John Ford en 1895 et S. M. Eisenstein en 1898.
À l'aube du XXe siècle, au moment où tous les arts se découvrent dans une impasse et doivent se soumettre à des mutations, le jeune cinéma voit s'ouvrir devant lui le plus vaste et le plus neuf des champs d'investigation.
En France, Louis Lumière se contente de cinématographier, comme il a toujours photographié, avec une science discrète de la composition.
Il filme la sortie de ses usines, l'entrée d'un train en gare, une baignade en mer, une partie d'écarté, un bocal de poissons rouges. Il envoie ses opérateurs à travers le monde filmer Venise ou le couronnement du tsar Nicolas II.
Le cinéma permet désormais d'enregistrer un évènement, du plus mince au plus considérable, dans sa durée propre. Il donne corps à la fugacité même.
Le cinéma ne reproduit pas seulement le réel, il fixe à raison de 16, puis de 24 images par seconde des moments d'attention pure, exacte, singulière. Jusqu'à Lumière, la réalité n'était que le modèle proposé à l'artiste.
Dès ses premiers films, elle change radicalement de fonction en devenant une matière, aussi digne que le marbre du sculpteur, la couleur du peintre, les mots de l'écrivain.
"Écrire pour le cinéma, écrire des films, dira plus tard Alexandre Astruc, c'est écrire avec le vocabulaire le plus riche qu'aucun artiste ait eu jusqu'ici à sa disposition, c'est écrire avec la pâte du monde.

Le spectacle et le récit

Parallèlement, Georges Méliès poursuit par d'autres voies son métier d'illusionniste. Il se sert du même appareil pour saper les vérités irréfutables établies par Lumière. Les personnages apparaissent, disparaissent, se substituent les uns aux autres, voyagent à travers l'impossible.
L'automaboulof, dans ce film tourné en 1904, emporte ses passagers dans le Soleil, puis retombe sur la Terre et s'enfonce dans l'océan, mais une explosion le ramène à la surface.
La seule magie de la réalité découverte par Lumière ne suffit plus.
Il s'agit, comme dit Guillaume Apollinaire, rendant visite à Méliès, d' enchanter la vulgaire réalité.
La poésie du Voyage dans la Lune (1902), de L'Homme à la tête de caoutchouc (1901) ou des Quatre Cents Farces du diable (1906) est d'autant plus sensible, aujourd'hui, qu'elle ne se donne pas d'abord comme poésie.
La fantaisie et la fièvre hallucinatoire qui emportent les films de Méliès visent avant tout à l'effet de surprise ou d'émerveillement, à l'effet de spectacle.
La caméra de Lumière nous éveille au monde.
Méliès tend derrière ses personnages les toiles peintes de l'inconscient collectif. Avec les cinéastes anglais de l'école de Brighton, le cinéma découvre sa troisième fonction, celle du récit visuel.
Anciens photographes de plage, Williamson et Smith seront les premiers à faire valoir l'utilisation du découpage et des différentes échelles de plans.
Dans La Loupe de grand-mère, réalisé en 1900 par G. A. Smith, des gros plans de détail s'insèrent dans le tableau principal. La loupe du garçonnet isole successivement une montre, un canari, l'œil de grand-mère ou la tête du chat.

Thèmes et tensions

Avant la guerre de 1914, le cinéma explore les voies où il s'engagera dans les cinquante années suivantes. L'appât du gain aidant, l'art se confond très vite avec la fabrication et le commerce de pellicule impressionnée. En France, Charles Pathé et Léon Gaumont bâtissent leur empire.
Aux États-Unis, William Fox, Louis B. Mayer, Adolph Zukor, les frères Warner s'emparent du marché de l' exploitation avant de conquérir les instruments de production.
Le cinéma international est une gigantesque foire d'empoigne, où la propriété artistique se débite au mètre, où l'on s'attaque allégrement aux plus grands thèmes de la culture universelle. En 1904, Ferdinand Zecca tourne La Passion en s'inspirant de tableaux célèbres, dont La Cène de Vinci.
Or c'est déjà la troisième vie du Christ portée à l'écran, sans compter Le Christ marchant sur les eaux (1899) de Méliès.
Le cinéma exploite tous les thèmes existants avant de donner un éclat jusqu'alors inconnu à certains d'entre eux, qui apparaîtront bientôt comme les siens propres : l' érotisme, le grand spectacle, le réalisme, le suspense, la tarte à la crème, le western.
Déjà les premières tensions apparaissent.
La projection de sujets grivois, dans les nickel odeons permanents à 5 cents américains, suscite une première levée de boucliers des ligues de vertu, qui imposent la création d'une censure, ou plutôt de quarante-huit censures différentes, correspondant à chacun des États américains.
Mais l'érotisme reparaît au Danemark, qui invente la vamp avec Asta Nielsen et filme le baiser prolongé.
À la veille de la guerre, les cinéastes danois Urban Gad L'Abîme, Le Vertige et Holger Madsen Les Morphinomanes, L'Amitié mystique se sont acquis une réputation internationale.

L'Italie invente le peplum, c'est-à-dire l'épopée historico-légendaire à grand spectacle.
Les cinéastes italiens bénéficient du soleil, des décors et d'une figuration à bon marché.
On construit les remparts de Troie, on déploie les légions romaines, on jette les chrétiens aux lions. Gabriele d'Annunzio signe le scénario de Cabiria 1914, mais c'est Giovanni Pastrone qui l'écrit et le réalise. Ce film marque l'apogée du genre.
Cependant, la tradition réaliste se maintient face à l'épopée et au drame mondain.
Zola inspire Les Victimes de l'alcoolisme (1902) de Zecca, Germinal (1913) de Capellani, la série de films de La Vie telle qu'elle est (1911-1913) de Louis Feuillade, ainsi qu'une Thérèse Raquin italienne réalisée par Nino Martoglio (1915).
La contradiction du réalisme et de la fiction apparaît féconde, comme en témoigne la série des Fantomas, réalisée en 1913 par Feuillade, qui lançait trois ans plus tôt le manifeste de La Vie telle qu'elle est
"Ces scènes, écrivait-il, veulent être et sont des tranches de vie. Elles s'interdisent toute fantaisie et représentent les choses et les gens tels qu'ils sont et non tels qu'ils devraient être".
La poésie de Fantomas et des Vampires (1915) s'inscrira tout naturellement dans la réalité du paysage parisien.
En 1908, le film d'art se propose d'élever le niveau de la production cinématographique.
Cette contradiction entre l'esthétique et le spectacle populaire est assez grave, dans la mesure où elle demeure théorique et par conséquent promise à un bel avenir de malentendus.
On ouvre donc les portes du cinéma aux gloires de la littérature et de la Comédie-Française.
L'Assassinat du duc de Guise scénario de Lavedan, musique de Saint-Saëns, réalisation de Le Barge, connaît un grand succès mondain.
Les ambitions académiques du film d'art s'opposent à la fraîcheur d'invention des bandes comiques de l'époque, André Deed, Jean Durand, Max Linder, à la merveilleuse naïveté des films à épisodes et des mélodrames, à tout ce qui fait, précisément, le génie des primitifs.
"Ceux qui nous ont précédés avaient bien de la veine, dira Jean Renoir en 1948 : pellicule orthochromatique interdisant toute nuance et forçant l'opérateur le plus timide à accepter des contrastes violents ; pas de son, ce qui amenait l'acteur le moins imaginatif et le metteur en scène le plus vulgaire à l'emploi de moyens d'expression involontairement simplifiés."
"Heureux les potiers étrusques qui, pour la décoration de leurs vases, ne connaissaient que deux couleurs... / "Heureux les faiseurs de films qui se croyaient encore des forains."

L'ère du muet. La souveraineté américaine

En 1914, l'entrée en guerre inaugure une période lourde de conséquences pour les différentes écoles européennes.
Elles chercheront des voies nouvelles, en marge de la suprématie tant matérielle qu'esthétique du cinéma américain.
En l'espace de deux ans, grâce à deux films réalisés par D. W. Griffith, le cinéma accède à la maturité. Naissance d'une nation, Birth of a Nation, 1915 et Intolérance (1916)concentrent tous les faisceaux jusqu'alors divergents du spectacle et de l'intimité, de l'épopée et du naturel, de la tension dramatique et de la contemplation.
Il n'est pas un cinéaste de la génération des Renoir, Vidor, Hitchcock, Gance, Hawks qui ne se réclame de Griffith. Intolérance porte l'avenir du cinéma mondial.
La partie babylonienne et la Passion du Christ demeurent des modèles de composition plastique, d'exaltation de l'espace. La partie contemporaine contient en puissance tout le cinéma social à venir. L'orchestration du suspense y est déjà parfaite.
Le montage alterné de quatre lignes dramatiques :
Chute de Babylone, Vie et Passion du Christ , Massacre de la Saint-Barthélemy , La Mère et la loi préfigure les recherches soviétiques.
Les frères Lumière avaient inventé le cinématographe.
On pourrait dire que D.W. Griffith, lui, invente le cinéma.
Goût de la démesure dans l'évocation historique, cadrages inédits, efficacité d'un récit qui tire le meilleur parti de formes telles que l'épopée ou le feuilleton.

Naissance d'une nation pourrait s'intituler Naissance du cinéma américain.
On y trouve cette ampleur, cette générosité et cette fièvre de l'invention, cette simplicité, enfin, qui imposeront les films d'Hollywood sous toutes les latitudes. La jeune Amérique a trouvé dans le cinéma son moyen d'expression privilégié.
À la guerre civile désastreuse que se livrent les pays de la vieille Europe, elle oppose l'exemple de son unité continentale durement gagnée à l'issue de la guerre de Sécession.
L'intervention des États-Unis dans la guerre va leur conférer une responsabilité mondiale, qui était celle des puissances coloniales européennes à la fin du XIXe siècle.
"Certitude de l'espace, de l'accroissement, de la liberté, du futur ", écrivait Walt Whitman cinquante ans plus tôt. La conquête de l'Ouest est à peine achevée lorsque, dans les studios de Hollywood hâtivement bâtis sur les lieux mêmes de la Terre promise californienne, l'Amérique se donne un miroir à sa mesure, à la fois précis et déformant.
Rien de plus échevelé que les films poursuites que dirige alors Mack Sennett. Ils révèlent pourtant la fièvre d'action et la fabuleuse dépense d'énergie qui caractérisent le bond en avant de la civilisation industrielle.
Le goût de l'efficacité, de la préparation méthodique, de l'expression juste, directe, se retrouve dans le découpage technique des westerns de Thomas Ince : Pour sauver sa race, The Aryan, 1916, Carmen du Klondyke (1918).
Douglas Fairbanks incarne la magnifique santé d'un peuple, sa bonne conscience et son humour : Robin des bois (Robin Hood, 1922) ; Le Signe de Zorro, The Mark of Zorro, 1920 ; Le Voleur de Bagdad, The Thief of Bagdad, 1924.
Ses exploits acrobatiques ne sont pas seulement des performances sportives. Ils apparaissent sur l'écran comme des raccourcis saisissants, des figures de liberté.
"L'art américain, en cette période, écrit Henri Langlois, est surtout caractérisé par une concision extrême, une simplicité totale, la pureté du style. Tout y est dit en quelques instants et l'on passe aussitôt à ce qui va suivre. L'image est à la fois concise, pleine et aérienne."
Mais déjà dans L'Émigrant, The Immigrant, 1917, le personnage de Charlot attaque de sa verve corrosive les belles certitudes américaines. Il montre la misère réelle sous la générosité officielle, la férocité dissimulée par le dynamisme.
Déjà, le Viennois Stroheim se prépare à opérer la révolution du concret : Folies de femmes, Foolish Wives, 1919.
"J'ai voulu, disait-il, et je veux toujours montrer au cinéma la vraie vie avec sa crasse, sa noirceur, sa violence, sa sensualité et – singulier contraste –, au milieu de cette fange, la pureté."
Hollywood accueille les apports étrangers et les naturalise sans rien leur ôter de leur accent propre. L'unité du cinéma américain est faite de mille contributions diverses et contradictoires.
Là comme ailleurs n'est-ce pas le signe de la puissance et de l'originalité américaines que de tout fondre en un creuset, un melting-pot ? En 1920, le cinéma européen renaît de ses cendres.
En France, en Suède, en Allemagne, en Union soviétique, de nouvelles écoles naissent. Des cinéastes de génie s'imposent. Beaucoup d'entre eux s'accompliront à Hollywood.

La France, de la Belle Époque aux années folles : l'avant-garde

On peut s'étonner en constatant que ce n'est ni à Rome, ni à Londres, ni à New York, ni à Stockholm, ni à Moscou, mais à Paris que s'est formé, entre 1909 et 1919, l'art des temps modernes.
Il est surprenant que ces années où la France est plongée dans la plus terrible des guerres voient fleurir un art nouveau, complètement étranger au grand massacre.
Un art qui n'est pas fonction de l'homme comme celui d'Apollinaire et de Barbusse, mais qui a besoin pour s'épanouir d'une technique toute-puissante et de la fièvre des studios.
Cette avant-garde française semble s'inscrire en marge de tous les courants du cinéma mondial.
Elle rompt aussi bien avec le film d'art qu'avec le cinéma populaire de Feuillade.
Elle s'éloigne délibérément du grand cinéma américain, celui de Griffith et de Ince.
Elle a son critique, Louis Delluc. Et son poète, Abel Gance. À ce dernier, un peu trop oublié aujourd'hui, Henri Langlois a rendu justice :
"Plus que Louis Delluc, plus que Germaine Dulac, Abel Gance est le véritable père de l'avant-garde française ; elle aurait existé sans eux, elle n'aurait jamais existé sans lui. Comme elle n'aurait jamais existé sans les films de Chaplin et de la Triangle " la Triangle était la société formée par Mack Sennett, Griffith et Ince
Gance était déjà prêt en 1915 ; il portait son œuvre en lui ; elle avait commencé à mûrir bien avant celle de Delluc et de Dulac, dès avant la guerre.
Il savait déjà que le temps du cinéma était venu, il en entrevoyait la lumière et c'est pourquoi, dès 1917, il donnera La Dixième Symphonie, premier chef-d'œuvre de l'avant-garde française.
La Folie du docteur Tube (1911), son premier film, n'avait pas été compris. Sa véritable carrière commence en 1919 avec J'accuse, ce cri de révolte contre la guerre, qui fut entendu jusqu'à New York.
En 1938, il tournera un second J'accuse pour s'élever contre la nouvelle guerre menaçante. Mais c'est surtout La Roue (1922) qui, par ses recherches techniques, montage accéléré, fera la célébrité de Gance, avant son Napoléon (1927) qui confirme son génie épique.
À l'opposé de Gance, véritable grand primitif du cinéma français, Marcel L'Herbier, aristocrate, raffiné, est hanté par cette rage de l'expression que l'on retrouve aujourd'hui chez Godard.
Un film de Gance est un éclair, un cri ; un film de L'Herbier est déjà un langage.
En cela, il a une place à part dans cette avant-garde française dite impressionniste. Il est du côté des grands expressionnistes, du côté d'Eisenstein, des Russes.
Il veut faire parler le muet, L'Homme du large, 1920 ; Eldorado, 1921 ; L'Argent, 1928.
Louis Delluc et Jean Epstein ne furent pas seulement les deux grands théoriciens de cette école. Delluc (1890-1934), bien qu'il soit mort très jeune, laisse deux œuvres marquantes : Fièvre (1921), La Femme de nulle part (1922).
Peintre, sensible plus que tout autre à l'atmosphère, il est un pur impressionniste. Il annonce le cinéma de Vigo et de Renoir, qui s'affirmera dix ans plus tard.
Quant à Jean Epstein (1899-1953), l'importance de son œuvre critique se vérifie de jour en jour. Lui aussi est un peintre qui veut faire de chaque plan un univers de sensations.
Cœur fidèle (1923), La Glace à trois faces et Finis terrae (1928), L'Or des mers (1931), Le Tempestaire (1947) sont les grandes étapes d'un ensemble qui doit être redécouvert.
En revanche, Jacques Feyder et René Clair sont aujourd'hui les deux cinéastes qui émergent curieusement de cette époque.
Feyder (1888-1948) avait su tirer profit des recherches de quelques pionniers, exactement comme Lelouch a su aller au succès en exploitant les trouvailles du jeune cinéma.
C'est une recette toujours payante. Et les générations bourgeoises qui n'avaient rien compris aux romans de Zola purent s'extasier en toute bonne conscience sur la Thérèse Raquin (1928) de Feyder.
À cette époque, René Clair donne Paris qui dort (1924), Entracte (1924), Un chapeau de paille d'Italie (1927), qui sont sans aucun doute, avec ses premiers films parlants, ce qu'il a fait de meilleur.
La course-poursuite , héritée de l'école burlesque d'avant la guerre, devient la cellule mère d'un cinéma où l'accélération est la règle, réduisant les personnages à des marionnettes.
Rien de très neuf, sinon peut-être cette nostalgie du passé que René Clair exprimera plus tard dans un de ses films les plus personnels : Le silence est d'or (1947).
Pris dans la ronde de ces années folles, le cinéma français, à la veille du parlant, n'a pas pu constituer une école, comme son émule soviétique. Pourtant, l'avant-garde française – la première vague –, incomprise et vite endiguée, aura une influence souterraine inestimable.

Sagas nordiques et démons germaniques


Au moment où les cinéastes américains captent la lumière crue du soleil californien, les réalisateurs suédois découvrent à leur tour la magie du paysage naturel.
À propos du Trésor d'Arne (1919), où Mauritz Stiller montrait un cortège funèbre cheminant sur les glaces qui enserrent la coque d'un navire, Léon Moussinac écrivait :
"Avec quelle puissance singulière le décor ainsi utilisé accuse le caractère d'une scène, explique et complète un geste ou une expression, révèle la psychologie du drame."
Victor Sjöström, avec Les Proscrits, Berg-Ejving och Hans Huslru, 1918, La Charrette fantôme (Körkarleu, 1920), s'affirme comme un réalisateur puissant et âpre. Mauritz Stiller se montre plus sensible, vulnérable, indécis :
Dans les remous, Sangen on den Eldreda Blömman, 1918, Le Trésor d'Arne (1919).
Inspirés l'un et l'autre par les romans de Selma Lagerlöf, ils tentent de rendre visibles sur l'écran les vieilles hantises nordiques, le charme mystérieux des sagas.
Au même moment en Allemagne, tout un peuple sombre dans une crise économique et politique sans précédent. Une société s'écroule. Une nation voit son destin lui échapper.
Paradoxalement, une industrie cinématographique florissante permet l'éclosion de très grandes œuvres.
À l'heure de Caligari (Robert Wiene, 1920) et de Mabuse ( Fritz Lang, 1922), l'écran démoniaque se fait l'asile d'un peuple de somnambules.
Les cinéastes germaniques découvrent le pouvoir de la fascination et de l'hypnose. À l'intérieur de chaque cadre, les angles vifs du décor, la pantomime crispée des comédiens expriment une menace latente, la présence aiguë du désastre.
Ni les créatures asservies du Docteur Caligari et du Docteur Mabuse, ni les ouvriers esclaves de Metropolis, Lang, 1926, ni les victimes de La Mort lasse, c'est la traduction exacte du titre original des Trois Lumières, 1921, de Fritz Lang : Der müde Tod et de Nosferatu, le vampire, Friedrich Murnau, 1922, ni le portier d'hôtel possédé par son uniforme rutilant dans Le Dernier des hommes, Der letzte Mann, Murnau, 1924 ne peuvent se libérer de l'étreinte maléfique. La lumière même devient, selon Lotte Eisner, "Une sorte de cri d'angoisse que les ombres déchirent, telles des bouches avides" .
Fritz Lang et Friedrich Murnau dominent de très haut cette période.
Le premier impose sa marque : fermeté du dessin, tension architecturale, rigueur esthétique, exigence morale, également obstinées.
L'importance de Friedrich Murnau (1889-1931) n'a cessé depuis sa mort de croître dans l'esprit des cinéphiles. Toute son œuvre répond à la question de Hölderlin : L'ombre est-elle la partie de notre âme ? osferatu (1922), Le Dernier des hommes (1924), Tartuffe (1925), Faust (1926) portent l'art germanique à son degré extrême de pureté et de raffinement.
"Tout ici, écrit Alexandre Astruc, est marqué au sceau du pressentiment, toute tranquillité est menacée par avance, sa destruction inscrite dans les lignes de ces cadrages si clairs faits pour le bonheur et l'apaisement. Et voici, je crois, la clé de toute l'œuvre de Murnau, cette fatalité cachée derrière les éléments les plus anodins du cadre : cette présence diffuse d'un irrémédiable qui va ronger et corrompre chaque image comme elle va sourdre derrière chacune des phrases d'un Kafka."
Après Lubitsch, avant Lang, Murnau ira poursuivre à Hollywood sa fulgurante carrière. Il réalise L'Aurore (Sunrise) en 1927. C'est le point d'orgue de l'art du silence.
Le cinéma muet tend vers la perfection. Il est à présent un mode d'expression maîtrisé, fluide, qui transmet la vision intime des créateurs : Griffith, Chaplin, Stroheim, Keaton, Harry Langdon, auxquels sont venus se joindre Sternberg, Vidor, Hawks, alors débutants. Jamais les gags de la comédie burlesque n'ont été aussi précis : Le Cirque, The Circus, Chaplin, 1928, Le Cameraman, The Cameraman, Keaton, 1928.
Stroheim, Sternberg, Cecil B. De Mille déploient chacun une poésie à fleur de chair, où la réalité s'enveloppe d'une somptueuse lumière : La Marche nuptiale, The Wedding March, Stroheim, 1927, Les Nuits de Chicago, Underworld, Sternberg, 1927.
King Vidor trouve des accents d'épopée pour traduire le désarroi contemporain : La Grande Parade, The Big Parade, 1925, La Foule, Show People, 1928
Cet envoûtement qui tenait du sommeil... :
la formule d'Henri Langlois définit admirablement le sentiment qui nous attache à l'âge d'or du cinéma muet. En 1930, la révolution du parlant remet tout en question.

La vague soviétique

Le cinéma avait été en Russie, avant la révolution de 1917, ce qu'il était partout : un divertissement. Lui aussi avait eu ses vedettes, ses stars, mais non ses créateurs.
Il demeurait sagement à la remorque des cinémas américain et scandinave. Particulièrement théâtral, il n'avait pas toujours la chance d'être entre les mains d'un Stanislavsky.
Florissant pendant la guerre de 1914-1918, parce que celle-ci avait réduit l'importation des films étrangers, il ne léguait à la postérité qu'un nom d' acteur : Mosjoukine.
Encore celui-ci est-il associé dans nos mémoires au nom d'un réalisateur qui fut l'un des premiers théoriciens du cinéma soviétique : Koulechov.
L'expérience Koulechov-Mosjoukine est l'exemple le plus fameux de l'efficacité du montage, que les Soviétiques découvrent et développent dans les années 1920.
On sait que Koulechov avait emprunté à un vieux film un gros plan de l'acteur Ivan Mosjoukine qui s'y montrait impassible.
On avait monté ce plan successivement après une image d'une table bien garnie, puis après celle d'un cadavre, puis après celle d'un enfant.
Chaque fois le public crut que l'acteur avait un jeu différent, exprimant tour à tour son appétit, sa peur ou sa faiblesse. Cette expérience, devenue légendaire, est révélatrice du véritable esprit révolutionnaire de l'époque. Par elle, Koulechov veut démystifier l'acteur qui a fait les beaux soirs du cinéma tsariste. Le cinéma de montage succédera au cinéma d'acteur, comme le marxisme a renversé la bourgeoisie décadente.
Mais Koulechov avoue ainsi l'énorme influence de Griffith sur le cinéma soviétique naissant. Il est un lien précieux entre l'épopée américaine et l'épopée russe naissante.
Koulechov demeure un théoricien, incapable de réaliser dans des œuvres ce qu'il a pressenti. Après avoir démystifié l'acteur, il dirige les interprètes de ses propres films en les poussant à la grandiloquence et à une gesticulation forcenée.
Eisenstein, lui aussi admirateur passionné du cinéma américain, bouleversé par les films de Griffith, retiendra la leçon.
Il se voue au cinéma avec la fougue de sa jeunesse. Quand il tourne La Grève (1924), il n'a que vingt-cinq ans.
C'est à vingt-six ans qu'il improvise Le Cuirassé Potemkine, tourné en quelques semaines, dans une fièvre créatrice qui emporte toutes les idées, toutes les consignes, toutes les contraintes d'un cinéma encore pauvre, mais gonflé d'une immense ferveur.
À l'opposé de l'avant-garde française, à l'opposé de ses contemporains, Delluc et Epstein, Eisenstein n'a pas au départ d'idées sur le cinéma.
Il a avoué que son intuition de l'importance primordiale du montage lui était venue de sa connaissance des langues orientales, de leur logique différente.
C'est avec la même passion qu'il découvre l'âme asiatique, le théâtre révolutionnaire et le cinéma. Son œuvre est celle d'un passionné avant d'être celle d'une prodigieuse intelligence.
La Grève, Le Cuirassé Potemkine, Octobre, 1928 témoignent d'un extraordinaire tempérament lyrique, avant de laisser transparaître une rigueur de composition qu'Eisenstein se plaira lui-même à analyser avec son sens critique précis, impitoyable.
Il a éclipsé tous ses compatriotes. Pourtant, autour de lui, d'autres grands cinéastes s'imposent dans l'élan de la révolution. Poudovkine (1893-1953) est de ceux-là.
On connaît la boutade célèbre de Léon Moussinac :
"Un film d'Eisenstein est un cri. Un film de Poudovkine est un chant modulé et prenant".
Par là, Poudovkine est le plus russe des cinéastes soviétiques. Et peut-être aussi le plus spontanément communiste.
Ce qui fait la beauté d'un film d'Eisenstein, c'est la tension déchirante entre un individualisme forcené et le sens des masses. Eisenstein est un aristocrate, un seigneur qui découvre le peuple. Poudovkine, lui, a des affinités naturelles, évidentes avec ce peuple. Il n'a pas besoin de hausser le ton pour lui parler sa langue de tous les jours.
Les images gonflées de tendresse qui donnent à ses films une résonance cosmique – ces champs frissonnant au vent, ces fleuves qui font éclater leur prison de glace – sont celles qui se pressent tout naturellement sous la plume des grands poètes russes.
Les métaphores d'Eisenstein se justifiaient par leur efficacité, celles de Poudovkine par leur vérité. Ce scientifique, ingénieur comme Eisenstein, ne cherche pas la rigueur que celui-ci poursuit de film en film avec une rage crispée.
La Mère 1926, La Fin de Saint-Pétersbourg 1927 et Tempête sur l'Asie 1928 sont les œuvres d'un grand conteur et d'un grand poète.
Plus enraciné encore dans la terre russe apparaît Dovjenko (1894-1956).
Ce paysan ukrainien, obligé de venir travailler à Moscou, réussira cette chose rarissime : un cinéma de paysan. Il sait s'arrêter pour faire participer à tout ce qu'il aime.
Il n'utilise pas cette caméra fébrile, exaspérée, qui emporte les figures des films d'Eisenstein dans un tourbillon de formes frémissantes ; il est sensible à ce qui dure, à la paix des moissons rentrées, à l'angoisse de l'automne, bref aux grands rythmes de la nature.
Chez lui, le tragique naît toujours d'une rupture de cet ordre qu'il faut coûte que coûte retrouver. La Terre (1930) est son chef-d'œuvre.
À l'écart de ces trois grands du jeune cinéma soviétique, et à l'origine de celui-ci, on trouve un cinéaste qui a dû attendre les années 1960 pour que son héritage soit recueilli : Dziga Vertov (1897-1954), le créateur du Kino Pravda, cinéma-vérité.
Ses films pris sur le vif, dans la rue, veulent être des documents. Mais, pour ne pas troubler le sujet, il est obligé de se cacher et ses prises de vues au téléobjectif deviennent du voyeurisme.
Pour donner ensuite quelque intérêt à ses documents, il doit faire appel à toutes les ressources du montage. Par là, il altère le sens originel de ce qu'il a saisi.
C'est en reposant courageusement ces problèmes éludés par Vertov que Jean Rouch fera sortir le cinéma-vérité de l'impasse, quarante ans plus tard.

Le parlant : les années 1930. En Amérique

Le règne des producers
Le cinéma muet avait su compenser son infirmité foncière par un surcroît de sensibilité et d'invention. Mais il ne pouvait se passer plus longtemps de la parole et du son.
La mise au point technique du parlant ne fut pas déterminante, puisque les premiers essais concluants du synchronisme entre l'image et le son avaient été réalisés en 1919.
À l'époque, les producteurs et les distributeurs d'un cinéma muet florissant avaient purement et simplement négligé l'invention.
Guettés par la faillite en 1927, les frères Warner jouèrent cette dernière carte.
Ce fut Le Chanteur de jazz, dont le succès bouleversa de fond en comble l'industrie et l'art cinématographiques.
Toute résistance s'avéra bientôt inutile. Les cinéastes qui avaient porté l'art muet à son apogée durent se plier à la technique sonore, ou se retirer.
La loi d'airain du succès entraîna de bien cruelles déchéances : la retraite de D. W. Griffith, l'élimination progressive de Buster Keaton et de Harry Langdon, le départ d'Eric von Stroheim pour l'Europe, où il devait poursuivre sa carrière de comédien.
Mais déjà, à Hollywood, la formidable machine industrielle s'organisait en vue de nouvelles conquêtes. L'invention du doublage permettait à nouveau l'exportation des films. Les grandes sociétés affirmaient leur emprise sur la production, la distribution, l' exploitation, concentration verticale.
"Les pionniers bottés ont fait place aux financiers à lunettes, écrira plus tard René Clair. C'est par une sorte de superstition que l'on continue de nommer les réalisateurs et les écrivains d'un film américain. À quelques exceptions près, leurs signatures ne signifient guère rien de plus que celles qui figurent sur les billets de banque."
Une telle sévérité ne résiste pas à la vision des films.
Lorsque les exceptions se nomment Ernst Lubitsch, Josef von Sternberg, Howard Hawks, King Vidor, Leo Mac Carey, George Cukor, Fritz Lang, pour ne citer que les plus grands, on ne peut qu'admirer une fois de plus la puissance créatrice d'Hollywood.
Certes, le cinéma parlant a grandement contribué à établir le producer, gardien de l'efficacité et des conventions, dans ses prérogatives contraignantes.
Mais on oublie que cet intermédiaire entre l'art et l'argent, entre le réalisateur, director et la hiérarchie financière de la compagnie, est souvent un homme de goût, voire de talent : Joseph L. Mankiewicz, par exemple, le futur réalisateur de Chaînes conjugales, A Letter to Three Wives, 1948, et de La Comtesse aux pieds nus, The Barefoot Contessa, 1954, restera huit ans producer à la Metro-Goldwyn-Mayer ; c'est lui qui produira en 1936 le premier film américain de Fritz Lang, Furie.
D'une manière générale, les grands studios imposent aux réalisateurs et aux auteurs un contrat strict, mais honnête : celui d'un spectacle à réussir. Il s'agit d'abord de plaire et de toucher. Le public, roi, jouit alors d'un très grand respect.

Malice et gravité. Lubitsch et Sternberg

La nécessité commerciale n'est nullement avilissante, comme en témoignent les comédies de Lubitsch et les mélodrames de Josef von Sternberg.
Lubitsch (1892-1947) a réalisé ses premiers films en Allemagne dès 1915, puis il s'est expatrié en Amérique en 1922.
Très vite, il s'est imposé comme un réalisateur à succès. Il produit ses propres films : L'Éventail de Lady Windermere, Lady Windermere's Fan, 1925 ; Le Prince étudiant, The Student Prince in Old Heidelberg, 1927.
Né à Vienne, Sternberg débute à Hollywood en 1925. Il est un des maîtres de l'art muet : Les Nuits de Chicago (1927) ; Les Damnés de l'océan, The Docks of New York, 1928.
Il se rend à Berlin en 1930 pour y réaliser le film qui lui conférera la célébrité, L'Ange bleu, Der blaue Engel, avec Marlene Dietrich.
Comme Murnau et Lang, comme Stroheim le Viennois, Lubitsch et Sternberg illustrent la synthèse entre la très vieille culture judéo-germanique et l'esprit d'efficacité de la jeune Amérique.
Entre 1929 et 1948, Lubitsch donnera au cinéma américain plus de dix chefs-d'œuvre où brillent une invention sans pareille, un goût anxieux de la fête, une lucidité sans défaillance.
Ce sont : Haute Pègre, Trouble in Paradise, 1932 ; La Veuve joyeuse, The Merry Widow, 1934 ; Ange (Angel, 1937) ; Ninotchka (1939) ; Jeux dangereux, To Be or Not To Be, 1942 ; Le ciel peut attendre (Heaven Can Wait, 1943). En France, cette œuvre a suscité des appréciations diverses.
Dans son Histoire du cinéma, Georges Sadoul exécute Lubitsch en quelques lignes :
"Le roublard Lubitsch ... Sa vulgarité, sa lourdeur l'empêchèrent d'être le roi de la comédie légère."
Plus tard, François Truffaut l'a réhabilité en un vibrant hommage :
"Si vous me dites : „Je viens de voir un Lubitsch dans lequel il y avait un plan inutile“, je vous traite de menteur. Ce cinéma-là, le contraire du vague, de l'imprécis, de l'informulé, ne comporte aucun plan décoratif, rien qui soit là „pour faire bien“, non, on est dans l'essentiel jusqu'au cou".
La malice de Lubitsch, la gravité de Sternberg sont également profondes sous des apparences de pure séduction. Dans Cœurs brûlés (Morocco, 1930), X 27 (1931), L'Impératrice rouge (The Scarlet Empress, 1934), où il trouva en Marlene Dietrich l'idéale Galatée du Pygmalion tyrannique qu'il était, mais aussi dans Une tragédie américaine (1931), Josef von Sternberg impose sa vision hautaine et raffinée, inquiète et splendide. Il est le grand cinéaste baudelairien, exprimant mieux que tout autre
l'horreur de la vie et l'extase de la vie .

L'Amérique humaniste

Le cinéma américain ne manque pas de personnalités de premier plan. King Vidor signe en 1929 Halleluyah ; en 1934, Notre Pain quotidien (Our Daily Bread) ; en 1939, Le Grand Passage (Northwest Passage). C'est à lui que revient l'héritage de Griffith.
Il se fait le chantre d'une Amérique en gestation, dont il exorcise les démons et fait valoir les élans de manière purement lyrique.
Un autre poète s'affirme, l'Irlandais John Ford, qui bénéficie lui aussi d'une longue expérience de cinéaste du muet. Il réalise en 1934 La Patrouille perdue, The Lost Patrol et en 1935 Le Mouchard, The Informer, ses films les plus célèbres, mais qui ne doivent pas faire oublier Je n'ai pas tué Lincoln, The Prisoner of Shark Island, 1936 et Le Jeune Monsieur Lincoln, Young Mister Lincoln, 1939.
À lui seul, Ford incarne l'esprit des années 1930 dans une Amérique qui se veut forte et tolérante, aventureuse et paisible, généreuse et lucide. Le souvenir du président Lincoln plane sur les États-Unis, qui viennent d'élire le démocrate humaniste Franklin D. Roosevelt.
C'est l'Amérique de La Chevauchée fantastique, Stagecoach, 1939 et des Raisins de la colère, The Grapes of Wrath, 1940, celle aussi des Lumières de la ville (City Lights, 1931) et des Temps modernes (1936)de Chaplin.
De cette période, on retiendra surtout des visages : le masque buriné et pathétique de Victor Mac Laglen dans Le Mouchard, la trogne irradiée de Thomas Mitchell, le médecin ivrogne de La Chevauchée fantastique, la délicieuse vivacité de Paulette Godard, fiancée à Charlot dans Les Temps modernes, l'assurance familière de Walter Huston dans le personnage d'Abraham Lincoln, dernier film de Griffith, en 1930, ou de Henry Fonda dans Le Jeune Monsieur Lincoln, de John Ford, en 1939.
La comédie même se veut sociale, humanitaire. C'est le sens de l'œuvre de Frank Capra. Dans l'autocar qui la mène de New York à Miami, New York-Miami (It Happened One Night, 1934), Claudette Colbert, la riche et insupportable héritière, partage les joies saines de ses compagnons de route plébéiens. Elle se laisse séduire par Clark Gable, un journaliste aux manières frustes. Gary Cooper, dans L'Extravagant Monsieur Deeds (Mr. Deeds Goes to Town, 1936), distribue sa fortune aux chômeurs. Le milliardaire acariâtre de Vous ne l'emporterez pas avec vous (You Can't Take It With You, 1938) est conquis à la liberté d'esprit qui règne dans une famille modeste.

Le cinéma américain classique

Mais le registre de Capra demeure limité. Howard Hawks et Leo Mac Carey, qui sont ses rivaux en matière de comédie, ont un projet bien plus vaste. Pour l'un et l'autre, la comédie représente simplement le terme privilégié d'une alternative personnelle. L'œuvre de Hawks oscille entre le burlesque, L'Impossible Monsieur Bébé Bringing Up Baby, 1938 et le tragique, Scarface Scarface Shame of the Nation, 1932, celle de Leo Mac Carey entre l'observation bouffonne des mœurs, L'Extravagant Monsieur Ruggles, 1935 et le pathétique intime,Place aux jeunes, 1936.
Ils couvrent ainsi l'essentiel du domaine américain.
Hawks se place à hauteur d'homme, il déclare ne s'intéresser qu'à des personnages normaux. Mac Carey, qui dirigea avant 1930 les meilleures comédies muettes de Laurel et Hardy, est un peintre moins distant, mais tout aussi précis. Leurs films sont d'autant plus riches qu'ils apparaissent plus simples. Peut-on définir autrement le classicisme ?
En 1940, dix ans à peine après l'introduction du parlant, le cinéma américain dans son ensemble tend vers un classicisme. Chaque genre est parvenu à un point de perfection. John Ford condense tout l'esprit du western dans La Chevauchée fantastique.
Lubitsch anime Greta Garbo et la lance dans le tourbillon enivrant de Ninotchka. George Cukor, venu du théâtre, et qui s'est affirmé comme le plus sensible directeur de comédiens du cinéma américain – Sylvia Scarlett (1935) ; Camille, Le Roman de Marguerite Gautier, 1936–, réalise avec Indiscrétions, The Philadelphia Story, 1941 la plus brillante des comédies américaines.
Katharine Hepburn, James Stewart et Cary Grant y donnent toute leur mesure. La même année, Howard Hawks signe Seuls les anges ont des ailes, Only Angels Have Wings, un film d'une rare noblesse sur les pionniers de l'aviation.
C'est l'année aussi où William Wyler réalise Les Hauts de Hurlevent, Wuthering Heights, d'une perfection plus académique que classique, et où Victor Fleming adapte Autant en emporte le vent, Gone With the Wind, chef-d'œuvre en son genre de l'esprit romanesque américain, succès populaire encore inégalé.

En Allemagne

En 1930, en Allemagne, sortent L'Ange bleu, Quatre de l'infanterie (Westfront 18), réalisé par G. W. Pabst avant L'Opéra de quat' sous. Mais déjà les bandes hitlériennes parcourent les villes. Le nouveau réalisme du cinéma allemand, qui succède aux formes hallucinées de l'expressionnisme et aux lumières moites du cinéma de chambre (Kammerspiel), traduit une terrible angoisse.
Fritz Lang résiste avec une force exemplaire. Il réalise coup sur coup M le Maudit (1932) et Le Testament du docteur Mabuse (1933).
Cette histoire d'un bandit fou, qui dirige son gang depuis la cellule de l'asile où il est enfermé, sera interdite par le docteur Goebbels, qui propose cependant à Lang de diriger le nouveau cinéma allemand. Les nazis ont besoin d'un Potemkine qui chantera selon eux l'idéologie nationale-socialiste.
Le soir même de cette flatteuse proposition, Lang s'exile définitivement.
Il avait maudit par avance la sombre fascination à laquelle cède soudain un grand peuple. La tragédie de M le Maudit est celle d'une culpabilité qui gagne implacablement toutes les couches d'une société.
Les délibérations de la pègre et de la police sont réunies dans un montage d'une lucidité prophétique.
C'est encore Lang qui parle de Mabuse en ces termes :
" Le docteur Mabuse qui dit de lui-même : „Je suis la loi“, est le criminel parfait, le grand montreur de marionnettes... Il est le grand joueur qui joue en Bourse avec l'argent, avec l'amour et avec le destin des hommes, mais qui ne laisse rien au hasard. Son arme favorite est l'hypnose."
Après le départ de Lang, le cinéma allemand s'enfonce dans la nuit. Certes les talents ne lui manquent pas, Leni Riefenstahl, Le Triomphe de la volonté, Hans Steinhoff, La Lutte héroïque ou Veit Harlan, Le Juif Süss.

Le réalisme français (1930-1940)Le cinéma, art populaire

Lorsque les premières démonstrations de cinéma sonore ont lieu à Paris, en 1927 et 1928, l'avant-garde appartient déjà au passé.
Les hommes qui vont faire le cinéma de demain sont peu ou pas du tout connus. Ils vont aborder le parlant sans préjugés. Ils s'appellent Luis Buñuel, Jean Vigo, Jean Cocteau, Jean Renoir.
Eisenstein vient faire des conférences à Paris en 1930 et apporte toute son autorité au service de l'avènement du parlant.
Pendant que l'élite pleure le cinéma muet, le grand art disparu, le cinéma trouve en France sa seconde chance d'être ce qu'il fut à son origine : un art populaire.
Dans cette période de 1930 à 1936, où la conscience populaire s'éveille, le cinéma français – pour la seule fois de son histoire – va être l'écho et le miroir fidèle de cet élan.
Tout commence par un cri silencieux de révolte.
Le Chien andalou (1928), film muet de Buñuel, est peut-être le premier film de cette période. Avec L'Âge d'or (1930), Buñuel répète le scandale.
Mais il ne le cultivera pas et, au lieu de devenir la bonne conscience d'une société déchirée, retournera en Espagne, son pays natal, tourner Terre sans pain, Las Hurdes, 1934, le premier document cinématographique sur la misère.
Buñuel a donné le ton. Le cinéma français appartiendra aux poètes.
Avec Zéro de conduite (1932) et L'Atalante (1934), Jean Vigo (1905-1934), avant de mourir prématurément, donne au cinéma français deux joyaux dont personne, à l'époque, n'est capable d'estimer la valeur. À peu près seul, Élie Faure salue l'auteur de L'Atalante, en qui il a reconnu le grand peintre du cinéma.
Il faudra quinze ans pour que Vigo soit enfin réhabilité par les siens. Pendant ces quinze ans, comme il arrive toujours, des médiocres tenteront vainement de forcer son secret.
Chaque film de Carné est un hommage indirect à Vigo.
De Quai des brumes (1938) aux Portes de la nuit (1946), le trop fameux « réalisme poétique » français se révèle aujourd'hui l'héritage mal compris de la poésie fulgurante et inimitable de L'Atalante. Mais Carné a du succès parce que ses images sont chargées des signes de la poésie.
Chez Vigo, la poésie n'est que ce qu'elle doit être : le réel mis à nu, troublant, angoissant, merveilleux ou sordide.
On ne peut pas récupérer ces images, les réduire à une technique.
Elles nous mettent face à face avec le monde. C'est pourquoi, d'abord, elles font peur.

Dans une société au bord de l'abîme

Pendant les années bouillonnantes du muet, un autre cinéaste avait travaillé discrètement, indifférent aux grands courants de la mode.
À travers le naturalisme de Delluc, d'Epstein et de L'Herbier, il était allé chercher son inspiration dans la peinture impressionniste, dont il était l'héritier : il était le fils d'Auguste Renoir.
"Je me mis à regarder autour de moi et, émerveillé, je découvris des quantités d'éléments purement de chez nous, tout à fait transposables à l'écran. Je commençais à constater que le geste d'une laveuse de linge, d'une femme qui se peigne devant une glace, d'un marchand des quatre-saisons devant sa voiture avaient souvent ici une valeur plastique incomparable. Je repris une espèce d'étude du geste français à travers les tableaux de mon père et des peintres de sa génération .... Je sais que je suis français et que je dois travailler dans un sens absolument national. Je sais aussi que, ce faisant, et seulement comme cela, je puis toucher les gens des autres nations et faire œuvre d'internationalisme. "
C'est ainsi que jean Renoir se libéra de l'influence des maîtres américains, de Stroheim entre autres, et qu'il inventa un nouveau cinéma français.
C'est dans La Chienne (1931), La Nuit du carrefour et Boudu sauvé des eaux (1932) qu'il faut chercher la poésie de Paris et de sa banlieue, la magie inquiétante de la nuit, la fascination des quais.
La Grande Illusion (1937), La Bête humaine (1938), La Règle du jeu (1939) approfondissent l'analyse d'une société que Renoir sait au bord de l'abîme.
L'anarchisme de Prévert, qui est sans conséquence dans les films écrits pour Carné, prend chez Renoir une valeur prophétique, Le Crime de M. Lange, 1935, où sont exprimés tous les espoirs du Front populaire.

La caméra, appareil d'enregistrement

À l'autre bout du pays, à Marseille, un autre homme va s'opposer au concert de lamentations des cinéphiles du muet. Méprisé par les critiques, adoré par le grand public, il va, en même temps que Vigo et Renoir, inventer le cinéma parlant, libre, dégagé de toute volonté expressionniste.
Avec lui, la caméra redevient ce qu'elle fut pour Louis Lumière : un appareil d'enregistrement.
Ce méridional, homme de théâtre, professeur, mais qui a su garder le contact avec le pays où il vit et les gens qui l'habitent, c'est Marcel Pagnol.
En 1935, il invite Renoir à venir tourner en décors naturels, près de Marseille, un drame populaire : Toni. Avec une superbe audace, il ose faire une déclaration dont on n'est pas sûr qu'elle soit une évidence pour le public d'aujourd'hui, tant le mythe du cinéma muet a la vie dure. Il disait notamment :
"Le film muet va disparaître à jamais , ce film parlant doit parler, le film parlant peut servir tous les arts et toutes les sciences, mais il n'a découvert aucun des buts qu'il nous permet d'atteindre. Ce n'est qu'un admirable moyen d'expression" .

Néanmoins, Pagnol, qui s'était contenté au départ d'être le scénariste de ses films, Marius fut réalisé par Alexandre Korda, Fanny par Yves Allégret, devient avec César (1936) réalisateur.
Il faudra attendre 1950 pour que les néo-réalistes italiens lui rendent justice et se reconnaissent ses héritiers.
Les jeunes cinéastes français des années 1960 retrouveront sa liberté de mise en scène.

Cinéma et théâtre

Pagnol, en tout cas, n'est pas le seul homme de théâtre français qui s'intéresse au cinéma. Avec lui, Sacha Guitry travaille sous les quolibets des esthètes, mais avec la confiance du grand public. Son cinéma, comme celui de Pagnol, est un cinéma d'acteurs et, de même, sa caméra enregistre d'un point de vue documentaire un drame qui existe sans elle.
Curieusement, c'est vers Guitry que Renoir évoluera plus tard, ses films devenant des documents sur un univers théâtral, La Règle du jeu est le premier pas dans cette voie.
On mesure ici combien il serait vain d'opposer cinéma réaliste et théâtre filmé. Une telle opposition ne se concevait qu'au niveau du contenu.
En vérité, par leurs méthodes, Renoir, Pagnol et Guitry sont tous réalistes ; plus que Carné, plus que Duvivier, Pépé le Moko, 1936, qui font réalistes avec les artifices les plus suspects : effets de lumière, pavés glissants, brumes et décors sordides, etc..
Enfin, Jean Grémillon inscrit son œuvre – discrète, sensible, attentive au contexte social de l'époque – dans ce grand courant du réalisme français : Gueule d'amour (1937), Remorques (1940).
Quant à René Clair, il avait su prolonger dans le parlant l'esthétique du muet.
Les poursuites du Million (1931) et de À nous la liberté (1932) sont justement célèbres. Il avait su, le premier, deviner les effets comiques du son et en tirer une multitude de gags. La poésie populiste de Paris était depuis longtemps son univers familier.
Néanmoins, il n'hésita pas à s'expatrier, dès 1935, en Angleterre, puis aux États-Unis.
Malgré la prodigieuse vitalité du cinéma français de cette époque, la fascination de l'Amérique était encore grande. La guerre venue, Renoir allait rejoindre, à son tour, Hollywood.
Les Soviétiques aussi ressentaient cet attrait : Eisenstein avait fait en 1930 son expérience américaine.

Les grands Soviétiques après 1930

À l'avènement du parlant, comment allaient réagir les grands cinéastes soviétiques, eux qui avaient fait du cinéma muet un authentique moyen d'expression ?
Il est frappant de voir que leur attitude fut à la fois réactionnaire, lucide et constructive. Dès 1930, Eisenstein, Poudovkine et Alexandrov publient un manifeste devenu célèbre, où ils prennent position :
"Le film sonore, écrivent-ils, est une arme à deux tranchants, et il est très probable qu'on l'utilisera selon la loi du moindre effort, c'est-à-dire pour satisfaire la curiosité du public .... Le son détruira l'art du montage, moyen fondamental du cinéma."
Pourtant cette méfiance s'accompagne d'une intuition profonde de la valeur du son et de l'infirmité du cinéma muet :
"Le son introduira inévitablement un moyen nouveau et extrêmement affectif d'exprimer et de résoudre les problèmes complexes auxquels nous nous sommes heurtés jusqu'à présent, et que nous n'avions pu résoudre en raison de l'impossibilité où l'on était de leur trouver une solution à l'aide des seuls éléments visuels. "
Déjà, ils entrevoyaient une technique où le son doit être utilisé en contrepoint de l'image.
Déjà, ils introduisaient la distinction fondamentale entre images-vision et images-sons.
Ils inventaient un langage audio-visuel. Malgré cela, le cinéma soviétique sera le dernier à s'équiper pour le parlant, en 1934, six ans après les États-Unis.
Eisenstein, dont le génie avait été immédiatement reconnu dans le monde entier, crut pouvoir commencer une carrière américaine.
Il troqua les contraintes idéologiques contre celles de l'argent, et ne gagna pas au change : ayant entrepris une vaste fresque sur le Mexique, il dut interrompre son travail par suite d'un désaccord avec ses producteurs.
Que Viva Mexico (1931-1932) est une grande œuvre inachevée.
Eisenstein revint à Moscou, retomba dans les tracasseries politiques. Le Pré de Béjine (1935) est son échec le plus cuisant. Le tournage fut interrompu, et l'esprit d'Eisenstein sévèrement critiqué.
À l'écart de la production jusqu'en 1937, il put au moins se consacrer entièrement à ses recherches théoriques.
Alexandre Newsky (1938) sera le fruit éclatant de cette longue et douloureuse maturation. Né de la collaboration amicale et féconde d'Eisenstein et de Prokofiev, Alexandre Newsky témoigne d'une maîtrise absolue de la matière audio-visuelle.
Le montage sonore y atteint une subtilité souveraine. Pourtant Eisenstein, jalousé par ses pairs, étranger dans son propre pays, solitaire et trop lucide, à l'image des grands personnages de ses films, donne, si on ne considère que lui, une image inexacte du cinéma soviétique d'avant guerre.
Tandis que le cinéma français découvrait une nouvelle forme de réalisme, les Soviétiques s'orientaient vers ce que Poudovkine a appelé le réalisme socialiste .
Le cinéma devait peindre les rapports de l'homme et de son travail ; par là, rendre sensibles les liens qui unissent l'individu à la nation tout entière.
Cette perspective, beaucoup plus imposée que ressentie, restera liée à l'image d'un cinéma stalinien où l'idée écrase le fait, où le montage reconstruit le réel au lieu de le faire apparaître. Là, Vertov triomphe, lui qui a toujours créé par le montage.
Trois Chants sur Lénine (1934) est une vibrante épopée du socialisme.
Mais les cinéastes qui, outre Eisenstein, ont marqué cette époque sont peut-être ceux qui œuvrent en marge du réalisme socialiste.
Nicolas Ekk tourne Le Chemin de la vie (1931). En 1937, un programme de production de films pour enfants va permettre à deux cinéastes de se révéler.
D'abord Legotchine, avec Au loin une voile (1937). Mais surtout Mark Donskoï, avec la célèbre trilogie des mémoires de Gorki : Enfance, En gagnant mon pain, Mes Universités (1938-1940), qui ont fait les beaux soirs de tous les ciné-clubs français après la guerre.
Donskoï tient une place à part dans le cinéma soviétique.
Cet homme de la première génération – il a un an de plus qu'Eisenstein – attendra la maturité pour donner le meilleur de lui-même.
Peu soucieux de recherches techniques, il crée avec un instinct sûr, une sensibilité révoltée qui l'apparente à Buñuel et qui est – comme chez ce dernier – le revers d'une immense tendresse pour les êtres désarmés devant la cruauté de la vie. Comme Dovjenko, Donskoï est le peintre des fleuves, des étendues frissonnantes, des ciels sanglants, des soleils noyés, des êtres perdus dans un monde où la force prime le droit, où l'argent a corrompu les sentiments les plus nobles.
Attaché à l'œuvre de Gorki, il est le chantre de la vieille Russie tsariste. Dans cette évocation du passé, il n'y a pas trace de complaisance, mais la recherche d'une vérité universelle, l'évidence d'une révolution toujours inachevée, toujours à recommencer.
Donskoï est le poète de l'intimité, du foyer, de l'humble maison où les êtres se déchirent, où les conflits de générations s'exaspèrent.
Avec une admirable simplicité, il va droit à l'essentiel : la noblesse d'un geste, d'un visage usé, d'une confidence difficile.
Ses derniers films n'ont rien à envier à sa trilogie. L'Arc-en-ciel (1944), La Mère (1956), Le Cheval qui pleure (1957), Thomas Gordeiev (1959) sont les jalons d'une œuvre profondément indépendante qui couvre vingt ans de cinéma soviétique.
D'Aerograd (1935) au Poème de la mer (1958), Dovjenko laisse une œuvre que sa veuve Solntzeva a continuée avec une admirable fidélité.
Au lendemain de la guerre, Eisenstein tourne Ivan le Terrible (Ivan Grozny, 1944-1945), diptyque inachevé qui restera son testament.
Le problème du cinéma soviétique sera, plus qu'ailleurs, celui de la relève par les jeunes cinéastes. Mais les conditions idéologiques de la période stalinienne retarderont la venue de cette nouvelle vague. C'est loin de Moscou, en Ukraine ou en Géorgie, que se dessine le renouveau du cinéma soviétique.
Plus que les films de Tchoukhraï, La Ballade du soldat, 1958 ou le mélodramatique Quand passent les cigognes (1957) de Kalatozov, La Chute des feuilles (1968) de Iosseliani apparaît comme le premier film du jeune cinéma soviétique.


Le cinéma mondial de la guerre à l'après-guerre. La France, de la poésie à la littérature

Sous l' Occupation, le cinéma français devient le cinéma des poètes. Les Allemands ont offert leurs capitaux pour maintenir une production française. Mais, pour la contrôler, ils ont créé aussi le Centre national du cinéma qui a survécu à l'Occupation, à la Libération, et par lequel le gouvernement continue à surveiller le cinéma français.
Pourtant, malgré de grandes difficultés, le cinéma français continue à vivre au mépris de la tutelle des occupants.
Rompant avec le réalisme d'avant guerre s'affirme une veine poétique avec Le Mariage de Chiffon (1942) et Douce (1943) de Claude Autant-Lara, et La Nuit fantastique (1942) de Marcel L'Herbier.
Elle s'épanouira au lendemain de la guerre dans les œuvres maîtresses de Cocteau : La Belle et la Bête (1946), Orphée (1950).
Parallèlement se manifeste une inspiration historique motivée par le même impératif d'évasion. Marcel Carné tourne Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du paradis (1943).
Pourtant, bien qu'il soit difficile d'envisager un cinéma en prise sur l'actualité, un courant réaliste reprend fidèlement la tradition du meilleur cinéma d'avant guerre.
Elle est représentée par celui qui fut l'assistant de Renoir et qui sera l'un des cinéastes les plus marquants de l'après-guerre : Jacques Becker (1906-1960).
Avec Goupi Mains-Rouges (1943), celui-ci entreprend cette ambitieuse Comédie humaine qui va, de film en film, tenter une peinture de la société française, de ses classes, de ses milieux, de ses générations.
Goupi Mains-Rouges nous plonge dans le monde paysan, Antoine et Antoinette (1947) dans le peuple de Paris ; Rendez-vous de juillet (1949) est le premier document juste sur la jeunesse de Saint-Germain-des-Prés ; Édouard et Caroline (1951) décrit, dans un style très proche de la comédie américaine, la grande bourgeoisie parisienne ; mais, surtout, Casque d'or (1952), sur les truands de la Belle Époque, reste le chef-d'œuvre de Becker et l'un des joyaux du cinéma français. Becker disparaîtra prématurément en 1960, alors qu'il achevait Le Trou, et que la nouvelle vague – qui lui devait tout – faisait son entrée en scène.
Jean Grémillon, Lumière d'été, 1942 ; Le ciel est à vous, 1943 est le second artisan de cette veine réaliste.
En marge de ces courants s'impose la figure de celui qui va être le plus grand cinéaste français de l'après-guerre : Robert Bresson.
Les Anges du péché (1943), Les Dames du bois de Boulogne (1945) étonnent avant de rencontrer, difficilement, leur public.
Cocteau et Becker se font les défenseurs ardents et lucides de Robert Bresson au début de sa carrière.
Après le départ des Allemands, la production américaine tente d'envahir le marché français.
Pour affronter cette concurrence, les producteurs français jouent la carte de la qualité et décident de conquérir le public bourgeois réfractaire aux westerns et aux films hollywoodiens en général.
C'est la grande ruée vers la littérature, l'âge d'or du cinéma d' adaptation dont le trio Aurenche - Bost - Autant-Lara se fera une spécialité.
Sacrifiant aux impératifs de cette mode, plusieurs cinéastes vont donner de grandes œuvres : Robert Bresson adapte Le Journal d'un curé de campagne de Bernanos (1950).
Max Ophüls(1902-1957), rentrant d'Amérique, adapte trois nouvelles de Maupassant, Le Plaisir, 1951 et une nouvelle de Louise de Vilmorin, Madame de..., 1953.
Mais son chef-d'œuvre, totalement incompris à l'époque, sera son dernier film : Lola Montès (1954)
En marge, comme Bresson, Jacques Tati invente un nouveau comique avec Jour de fête (1948) et Les Vacances de M. Hulot (1952).
Enfin, deux anciens critiques passent à la mise en scène : Roger Leenhardt avec Les Dernières Vacances (1947), un des films les plus justes, les plus subtils sur l'adolescence et la bourgeoisie, qui annonce la liberté de ton du jeune cinéma ; et Alexandre Astruc qui adapte Le Rideau cramoisi en 1953, première œuvre de ce qui deviendra la Nouvelle Vague.

Le néo-réalisme italien. Un essor considérable

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c'est en Italie que le cinéma prit un essor considérable. Le renouveau du cinéma italien peut s'expliquer par des raisons politiques, historiques, artistiques, et aussi de générations.
Politiquement, les cinéastes, comme les écrivains et tous les artistes italiens, sont sévèrement surveillés par le pouvoir fasciste.
Les hommes de talent, condamnés au silence et à la retraite, mettent à profit cette retraite pour réfléchir sur le cinéma.
Et cette réflexion va se révéler extrêmement féconde, comme le sera plus tard, à la veille des années 1960, celle des jeunes critiques français. Pendant cette période s'ébauchent les grands principes du mouvement néo-réaliste.
Historiquement, l'expérience de l'occupation, puis de la libération de l'Italie, est un évènement qui dépasse toute fiction.
Ce que l'on vient de vivre, cette actualité brûlante, déchirante, immédiate, c'est cela qu'il faut porter à l'écran. Les Italiens ont vu beaucoup de films français pendant la guerre. Ils ont découvert les films de Carné, de Renoir et, surtout, parce qu'il est latin, méditerranéen, de Pagnol.
Ils ont senti que ce réalisme français d'avant guerre correspondait aussi à leur goût, à leur tempérament. Il n'y aura pas de cassure profonde entre les films de Pagnol et ceux de Rossellini.
Par ailleurs, alors que les cinéastes d'âge mûr se compromettent en 1940 avec le régime de Mussolini, les jeunes critiques, les futurs auteurs passent à l'opposition.
Cette génération groupée au Centre expérimental du cinéma fera le cinéma à venir.
Le terme néo-réalisme se trouve employé pour la première fois par le critique Umberto Barbaro, dans la revue Film, le 5 juin 1943.
Il est révélateur que ce terme s'applique alors au cinéma français d'avant guerre.
Deux hommes vont représenter les deux tendances du néo-réalisme. Pour Luchino Visconti, qui est marxiste, le réalisme doit être une reconstitution, un choix, un essai d'explication sociale, un processus d'analyse conforme au matérialisme dialectique.
Ossessione (1942) apparaît ainsi comme le premier film néo-réaliste.
"Ce qui m'a conduit au cinéma, dira Visconti, c'est le devoir de raconter des histoires d'hommes vivants : des hommes qui vivent parmi les choses et non pas les choses pour elles-mêmes."
Avec La terre tremble (La terra trema, 1948), chronique des pêcheurs siciliens, tragédie moderne où un homme seul essaie de briser l'esclavage de la société capitaliste, Visconti a réalisé le premier chef-d'œuvre du néo-réalisme.
Pour Roberto Rossellini, le néo-réalisme doit se fonder, non pas sur une interprétation de l'histoire, mais sur une attention aux faits, une vision globale des événements, sans préjugé :
"Si vous avez une idée préconçue, dit-il, vous faites la démonstration d'une thèse. C'est la violation de la vérité." L'attitude de Rossellini correspond assez exactement à celle de la phénoménologie :
"Une histoire racontée peut signifier le monde avec autant de profondeur qu'un traité de philosophie" Merleau-Ponty).
En 1952, Rossellini donnait cette définition du néo-réalisme : "Ce n'est pas une doctrine. C'est un fait intérieur, un état d'âme, une représentation tout à fait humble du monde, un acte de courage, en somme, qui tend à accepter l'homme tel qu'il est, un effacement parfois difficile. À la base du néo-réalisme, il y a d'abord une attitude d'humilité chrétienne."
De Rome, ville ouverte, Roma, città aperta, 1945 à La Prise du pouvoir par Louis XIV (1966), conçu pour la télévision française, l'œuvre de Rossellini, prophète incompris dans son pays, est un témoignage, un constat.
C'est pourquoi plusieurs de ses films en prise sur l'actualité sont datés : Allemagne, année zéro, Germania, Anno Zero, Europe 51, India 58.
Mais le témoignage est toujours celui d'un homme passionné, lyrique.
Outre ces deux personnalités, le néo-réalisme s'est fait connaître à travers d'autres cinéastes : l'acteur Vittorio de Sica réalisa plusieurs films dont Zavattini fut le scénariste : Sciuscia (1946) ; Le Voleur de bicyclettes (Ladri di biciclette, 1948) ; Miracle à Milan, Miracolo a Milano, 1950 ; et surtout Umberto D (1952), qui restera sans doute son meilleur film.
C'est souvent à travers l'œuvre de De Sica qu'on a connu le néo-réalisme. Pourtant, inégale et mélodramatique, elle est loin d'égaler celles de Visconti et de Rossellini.

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#242 Histoire du cinéma suite
Loriane Posté le : 05/10/2013 18:53
Le renouvellement

Federico Fellini, assistant et scénariste de Rossellini, est un poète, un peintre baroque et un visionnaire. Il se soucie moins de témoigner de la réalité, sociale ou politique. Il porte un univers qu'il doit impérieusement exprimer. Ce qu'il voit n'est que le miroir de ses songes.
Ses personnages sont des créatures imaginaires, ses récits sont des fables. Il est le plus brillant conteur du cinéma européen.
Il est aussi, avec Bergman, le seul véritable homme de spectacle, fasciné par le cirque, les comédiens, les clowns et les feux de la rampe.
C'est La Strada, en 1954, qui l'a révélé au grand public. Mais déjà Les Vitelloni (1952) et plus tard Il Bidone (1955) sont des œuvres admirables, plus sincères que La Dolce Vita (1959).
En 1963, avec Huit et demi, Fellini a réalisé son film le plus beau, le plus personnel, le plus courageux.
En marge du néo-réalisme, Antonioni a commencé en 1950 une carrière d'auteur maudit. Cet ancien assistant de Carné, architecte passionné du cinéma, compose ses plans avec une nostalgie évidente de l'équilibre plastique, de l'harmonie des masses, de l'immobilité.
Chaque geste, chaque travelling bouleversent cet ordre comme une brise la surface d'un lac. Un film d'Antonioni est d'abord un conflit sévèrement organisé entre le mouvement et le repos, l'agitation fébrile de la vie et la pétrification fascinante, le spasme de la mort.
C'est à ce niveau d'abord que son cinéma peut paraître morbide. Le Cri, Il Grido, 1957, après Femmes entre elles, Le Amiche, 1955, lui vaudra un succès d'estime.
Mais c'est la révélation de L'Avventura en 1960 qui fera de lui le cinéaste dont on parle. Il a profité de ce snobisme pour réaliser La Nuit (La Notte, 1961) et L'Éclipse, L'Eclisse, 1962.
Dans Le Désert rouge, Il Deserto rosso, 1964, il a abordé la couleur avec une exigence admirable.
Tourné en Angleterre, Blow-up (1966) est à la fois une réflexion sur l'ambiguïté de l'image et un instantané des swinging sixties.
Dans ces mêmes années, Francesco Rosi, disciple de Visconti, Main basse sur la ville Le Mani sulla città, 1963, Ermanno Olmi, Les Fiancés, Fidanzati, 1962, et surtout Bertolucci, Prima della rivoluzione, 1963 ; Le Conformiste, 1971, enfin Marco Bellocchio, Les Poings dans les poches, 1965 ; Au nom du Père, 1971 démontrent l'étonnante diversité et l'indépendance du jeune cinéma italien.
Pier Paolo Pasolini, écrivain, poète, cinéaste, est sans doute le plus bel exemple de cette indépendance. Comme Godard en France, il s'ingénie à briser toutes les conventions du spectacle cinématographique. Dans ses films, toutes les formes des cultures les plus diverses, toutes les mythologies, toutes les musiques se rencontrent, se heurtent, se détruisent, s'éclairent d'une lumière éclatante.
Accatone (1961), L'Évangile selon saint Matthieu (1964), Œdipe-roi (1967) et Théorème (1968) bousculent nos habitudes de penser et de voir.
Pasolini, transfuge de la littérature, entre dans le cinéma avec un regard vierge. Son œuvre violemment critique et transgressive trouvera une manière d'accomplissement avec Saló, ou les Cent Vingt Journées de Sodome (1975).

Le nouvel essor américain. Welles et Bogart

Le coup de force de Citizen Kane (1941) sera aussi déterminant pour les vingt années à venir que celui, en son temps, de Naissance d'une nation.
En 1915 s'affirmait l'unité américaine ; en 1941, cette unité se brise en la personne d'un Américain exemplaire. Le journaliste qui enquête sur la personnalité fabuleuse du citoyen Kane ne réunit que des bribes, des cendres, le bric-à-brac hétéroclite d'une existence désintégrée.
Les formes héritées de Griffith n'ont pas résisté à l'irruption du doute. Avec Citizen Kane, le cinéma entre à son tour dans l' ère du soupçon .
Welles est le premier cinéaste moderne. C'est lui qui fournira à Chaplin l'idée maîtresse de Monsieur Verdoux (1947), le film qui scandalisera l'Amérique, en opérant la destruction la plus sereine des valeurs qu'elle croyait fondamentales. Charlot lève le masque et se venge.
À présent il tue pour gagner sa vie confortablement.
C'est Welles qui filme, dans La Splendeur des Amberson, The Magnificent Ambersons, 1942, la fin d'un monde, celui du XIXe siècle bourgeois, dont il contemple les fastes abolis avec une lucidité mêlée de nostalgie. Il confronte les redoutables requins de la finance contemporaine dans La Dame de Shanghai, The Lady from Shanghai, 1947, où il libère la puissance poétique contenue dans le film noir.
En 1941, précisément, Humphrey Bogart interprète un gangster qui sort de prison dans La Grande Évasion (High Sierra) de Raoul Walsh. Dès lors, il impose son personnage, puis son mythe.
Avec la complicité de ses amis Huston, Hawks et Walsh, il va donner au film noir ses lettres de noblesse :
Le Faucon maltais, The Maltese Falcon, 1941 ; Le Port de l'angoisse, To Have and Have Not, 1945 ; Le Grand Sommeil (The Big Sleep, 1946) ; Le Trésor de la Sierra Madre, The Treasure of Sierra Madre, 1948.
Soudain, l'Amérique se réveille, découvre ses plaies secrètes, que l'humour de Bogart met à vif. Dans le même temps, Hitchcock, L'Ombre d'un doute, Shadow of a Doubt, 1943, Fritz Lang, Le Secret derrière la porte Secret Beyond the Door, 1948 et Otto Preminger, le Mystérieux Docteur Kowo Whirlpool, 1949 ressuscitent le jeu d'ombres et de lumières de l'expressionnisme, qui agit comme un révélateur.
La psychanalyse, naïvement mise à contribution dans le récit policier, est plus profonde qu'il ne paraît.
Après cette jeunesse intempérante, entièrement vouée à l'action, qu'incarnaient si bien avant la guerre Erroll Flynn, Clark Gable, Gary Cooper, Cary Grant, le cinéma américain est entré dans son âge adulte.
Bogart a dû attendre sa quarantième année pour accéder au succès. Ce n'est pas un hasard. Désormais, les héros vieillissent, de film en film et d'année en année.
L'histoire du cinéma américain est un peu celle des rides de Gary Cooper et de son regard tourné de plus en plus intensément vers la réflexion.

Les années 1950. Un nouvel équilibre

En 1945, après Hiroshima, c'en est fini des illusions de Capra. L'Amérique devient le champ clos d'un combat qui oppose les libéraux épris de justice et de progrès aux réactionnaires qui établissent un rempart autour des valeurs nationales.
À Hollywood, les libéraux sont nombreux : Jules Dassin, Joseph Losey, Abraham Polonsky, Elia Kazan, qui s'attaquent courageusement aux fléaux de la société américaine, la volonté de puissance, la corruption, le racisme.
La commission des activités anti-américaines du sénateur Mac Carthy contraindra les uns au silence et à l'exil, les autres à la délation.
Mais les chasseurs de sorcières ne peuvent empêcher le cinéma de refléter très exactement les aspirations et les inquiétudes américaines.
Une nouvelle génération de cinéastes et d'acteurs s'impose au cours des années 1950, qui vont représenter pour le cinéma parlant ce que furent les années 1920 pour le cinéma muet. Richard Brooks, Anthony Mann, Nicholas Ray, Robert Aldrich, Samuel Fuller achèveront avec une violence nouvelle l'immense fresque à laquelle travaillent encore les grands anciens : Ford, Hawks, Walsh, Lang, Hitchcock, Vidor, Mankiewicz, Cukor. La génération de 1940, Preminger, Huston, Minnelli, Kazan assure la transition,
Montgomery Clift, James Dean.
Les années 1950 seront marquées par l'accomplissement de tous les genres traditionnels, western, film noir, policier psychologique, comédie, comédie musicale, qui trouvent chacun un nouvel équilibre entre la réalité et la fiction, l'invention et la convention.
Les progrès techniques de l'écran large et de la couleur sont très facilement assimilés. À Paris, des jeunes gens qui se nomment Truffaut, Chabrol, Rivette, Rohmer, Godard découvrent avec passion ce cinéma foncièrement créateur, à la fois romanesque et lucide, qui éveille leur vocation de cinéaste. Dans la seule année 1955, ils ont vu et admiré : En quatrième vitesse, Kiss Me Deadly d'Aldrich ; À l'Est d'Eden, East of Eden d'Elia Kazan ; L'Homme de la Plaine, The Man from Laramie d'Anthony Mann ; Fenêtre sur cour, Rear Window d'Hitchcock ; Graine de violence, The Blackboard Jungle de Brooks ; La Comtesse aux pieds nus de Mankiewicz ; Johnny Guitare de Nicholas Ray ; Désirs humains, Human Desire de Fritz Lang. Pour eux, comme pour Jean Renoir en 1920, le cinéma est américain.
Pourtant l'éclosion de la Nouvelle Vague correspond dans les années 1960 à un recul d'ensemble du cinéma hollywoodien. La concurrence de la télévision contraint les grandes compagnies à de vaines superproductions où se compromettent de nombreux talents.
Les genres eux-mêmes ne sont plus porteurs d'énergie créatrice. L'assassinat du président Kennedy, le déclenchement de la guerre au Vietnam contraignent l'intelligentsia américaine à un surcroît de lucidité – qui tourne souvent à la complaisance. Seuls les vrais créateurs, Hawks, Ford, Kazan, Jerry Lewismaintiennent la tradition.
D'autres cinéastes ouvrent de nouvelles voies, Arthur Penn, Stanley Kubrick.

Le cinéma japonais

À Venise, en 1951, le cinéma japonais fit une entrée triomphale sur la scène d'Occident, et il y tient depuis lors une bonne place.
Le film présenté cette année-là était une œuvre d'Akira Kurosawa, Rashomon.
Un peu plus tard, on découvrait à la Cinémathèque française le plus grand cinéaste japonais, et sans doute l'un des plus grands de tout le cinéma : Kenji Mizoguchi. Mizoguchi, (1898-1956), né la même année qu'Eisenstein, avait connu une enfance pauvre.
Sa culture était celle d'un autodidacte. C'est peut-être pour cela qu'il était si redouté de ses collaborateurs, si connu pour son intransigeance : il ne leur apprenait rien, ne leur commandait rien. Il leur laissait une liberté redoutable.
Il voulait que chacun créât, comme lui, par soi-même. Il les rendait à leur solitude. Ses actrices le craignaient parce qu'il était capable de les laisser longtemps chercher le sens d'une scène, d'un geste, d'un dialogue. Il ne dirigeait personne. Il attendait que chacun trouvât sa vérité.
Il était par-dessus tout, lui-même, un créateur.
Mais il avait peur de s'attacher à son œuvre. Celle-ci est déchirée entre un formidable élan et une implacable volonté de destruction. Nul n'a su mieux que lui mettre en présence les forces de la vie et celles de la mort, inséparables dans l'acte même de la création.
"Ce qu'on a créé, ce n'est que du vent, disait-il à son scénariste. Après m'être efforcé, avec beaucoup de peine, de produire quelque chose, cela ne m'intéresse plus. Il est détestable celui qui se satisfait à contempler ses propres excréments. "
Plus que tout autre aussi, il est sensible au miroitement des apparences. Si la prostitution est l'un de ses thèmes majeurs, c'est parce qu'il a compris que l'homme est prisonnier d'un rêve et qu'il poursuit ce rêve toute sa vie en se détruisant.
Un film de Mizoguchi est toujours un règlement de comptes, un piège qui se referme sur un personnage qui n'arrive pas à se détacher des apparences, à se dégriser, ou, comme il le disait lui-même, à " se laver les yeux entre chaque regard".
Chaque plan de ses films est un tout qui contient déjà tout le drame. Aussi les films de Mizoguchi nous donnent-ils un sentiment de cauchemar, celui d'une fuite sur place, d'un élan cent fois répété, condamné. Le temps ici ne veut pas être réaliste, il est illusoire, liturgique.
C'est le temps d'une mise à mort, d'un sacrifice.
De cette œuvre immense, plus de quatre-vingts films, dont certains sont détruits, on ne connaît en France que des bribes, mais elles sont éclatantes :
Les Sœurs de Gion (1935), La Vie de O. Haru (1951), Les Contes de la lune vague après la pluie (1952), Les Amants crucifiés, Chikamatsu monogatori, 1954, L'Impératrice Yang Kuei Fei, Yokihi, 1955, Le Héros sacrilège (1955).
Il a fallu attendre 1978 pour découvrir en France celui qui est avec Mizoguchi et Kurosawa le plus grand cinéaste japonais, Yasujiro Ozu, mort en 1963.
Parmi ses cinquante-trois films, nous en connaissons moins d'une dizaine : Gosses de Tōkyō (1932), Voyage à Tōkyō (1953), Fin d'automne (1960), Dernier Caprice (1961), Le Goût du saké (1962).
Son art est celui du dépouillement.
Son parti pris du plan fixe fait de l'écran un lien de passage.
Avant, après, à côté, il y a le vide, l'absence. Jamais austère, débordant d'humour tendre, Ozu regarde les familles – son sujet de prédilection – à hauteur d'enfant.
Toujours un peu seul, hors du jeu, complice amusé, il filme des êtres qui se perdent et qui ne le savent pas. Il leur offre un espace où ils se révèlent. Il est un des plus grands architectes du cinéma.

Le jeune cinéma des années 1960

La première génération du cinéma était née en même temps que le cinéma : un peu avant 1900. Il fallut attendre les années 1960 pour qu'elle cède le pas à la seconde génération, née, elle, en même temps que le cinéma parlant.
Ce qui surprend, c'est que ce renouvellement s'est produit dans tous les pays à la fois. Et souvent avec plus d'efficacité dans les pays où l'industrie cinématographique était peu développée, voire inexistante. En effet, des pays comme l'Inde, qui était en 1956 au deuxième rang de la production mondiale, ou comme l'Égypte, qui bénéficie de l'exportation de sa production dans le monde arabe, ne se distinguent guère par des œuvres de qualité – à quelques exceptions près :
Le Monde d'Apu, Apur Sensar, 1959 de Satyajit Ray, en Inde ; Gare centrale, Bab el-Hadid, 1958 de Youssef Chahine, en Égypte.
C'est en France que le mouvement de la Nouvelle Vague a ouvert la voie, prenant une signification exemplaire, devenant l'emblème d'une révolution à la fois critique et économique.
Pendant les années 1950, l'équipe des Cahiers du cinéma, réunie autour du critique André Bazin, fréquente assidûment la Cinémathèque et remet en question tous les jugements sur l'histoire du cinéma.
Le cinéma d'Hollywood est réhabilité autour de Hitchcock, Hawks, Lang, Lubitsch et quelques autres. Mais Renoir, Rossellini, Bresson viennent aussi au premier plan.
Par cette réflexion sur le cinéma, il s'agit de dégager la notion d'"auteur de films" .
Il faut faire la preuve qu'à travers les pires contraintes de l'industrie et du commerce un homme parvient à s'exprimer.
Cette révolution critique débouche sur une révolution économique.
Les jeunes critiques français, au lieu de suivre la filière réglementée de l'assistanat stérilisant, tournent des films par tous les moyens.
Ils parviennent à réaliser leurs premières œuvres avec des budgets dérisoires : Le Beau Serge de Chabrol (1958) ; Les 400 Coups de Truffaut (1959) ; À bout de souffle de Godard (1960) ; Lola de Demy (1960). Agnès Varda avait été la première à tourner un film à petit budget, en 1954 : La Pointe courte, qui avait été boycotté par les commerçants du cinéma.
Dans ces deux domaines, une insolente liberté s'affirmait.
Elle allait mettre en question toutes les routines professionnelles, hâter les progrès de la technique, précipiter l'avènement des caméras légères qui, avec leur synchrone, bouleversaient les conditions de tournage d'un film. Jean Rouch, ethnologue et cinéaste, que Rossellini devait saluer comme un frère, avait montré la voie en inventant, caméra de 16 mm au poing, sur les quais d'Abidjan ou dans la brousse du Niger, un cinéma dépourvu de toute contrainte, La Chasse au lion à l'arc, 1965.
À la même époque, Rossellini tournait India 58, à peu près dans les mêmes conditions. Rouch allait par la suite révéler au public des œuvres étonnantes qui eurent une influence décisive sur les jeunes Français : Les Maîtres fous (1957) ; Moi, un Noir (1958) ; La Pyramide humaine (1961).
L'influence de Rouch se fit sentir jusqu'au Canada, où des jeunes n'attendaient que cet exemple pour oser tourner des grands films en 16 mm.
Des aînés aussi se trouvaient enlisés dans les contraintes du film de commande, du court-métrage industriel. Alain Resnais et Georges Franju étaient prêts à apporter leur concours aux jeunes qui voulaient faire une entrée en force.
Au festival de Cannes 1959 furent révélés Hiroshima, mon amour, premier long-métrage de Resnais, et Les 400 Coups, premier film de Truffaut.
La maîtrise souveraine du premier, la liberté de ton, l'humour, la sensibilité du second suffirent à impressionner l'opinion mondiale. Le jeune cinéma avait conquis le droit à l'existence.
Alors, dans d'innombrables pays, de jeunes cinéastes purent tourner ou montrer leur premier film, tels, en France, Jacques Rozier (Adieu Philippine, 1960-1962), Jacques Rivette, Paris nous appartient, 1960, Éric Rohmer, Le Signe du lion, 1960...
En Pologne, grâce à une politique d'aide aux jeunes, ce mouvement a pu se dessiner en même temps qu'en France. Andrzej Wajda a tourné en 1958 Cendres et diamants, Popiōl i Diament, où jouait Roman Polanski qui réalisera son premier film en 1962, Le Couteau dans l'eau NōÝ w Wodzie avant de partir faire une brillante carrière en Angleterre et aux États-Unis (Répulsion, 1964 ; Cul-de-sac, 1966 ; Rosemary's Baby, 1968).
Ce sera le cas aussi de Jerzy Skolimowsky, autre acteur de Wajda, dans La Barrière, qui viendra travailler en Belgique, Le Départ, 1967.
Dans les autres pays de l'Est, le même mouvement se dessine : en Tchécoslovaquie, à partir de 1963, avec l'école de Prague : L'As de pique, Cerny Pets, 1963, Les Amours d'une blonde (1965), de Forman ; Quelque chose d'autre (1963), Les Petites Marguerites (1966), de Vera Chytilova ; Du courage pour chaque jour (1965), d'Ewald Schorm.
En Hongrie, avec Jancso, Les Sans-Espoirs, 1966 ; Rouges et blancs, 1967 ; Silence et cri, 1968, en Yougoslavie, avec Makavejev, Une affaire de cœur, 1967, c'est le même courant de liberté dans tous les domaines : politique, social, moral et esthétique.
Au Brésil, un cinema novo s'organise autour de Glauber Rocha, Le Dieu noir et le diable blond Deus eo Diablo na terra do Sol, 1964 et de Ruy Guerra, formé à Paris, Les Fusils Os Fuzis, 1964.
Le cinema novo s'efforce de renouer avec les sources profondes de l'art populaire. Il entend témoigner sur la misère et l'aliénation du peuple brésilien, bref, il veut être un véritable cinéma politique.
C'est aussi l'ambition du jeune cinéma tchèque et du cinéma hongrois, qui multiplient les références au stalinisme et les métaphores transparentes sur la faillite d'un certain communisme.
Au Canada, les cinéastes québécois se servent de la caméra comme d'une arme pour crier leur volonté d'indépendance, Le Chat dans le sac, 1964 ; ou Il ne faut pas mourir pour ça, 1967.
En Belgique, André Delvaux crée une œuvre solitaire et bouleversante, d'une poésie et d'une maîtrise extraordinaire : L'Homme au crâne rasé (1966) ; Un soir, un train (1968) ; Rendez-vous à Bray (1971).
On n'en finirait pas d'énumérer les noms et les pays.
Car le propre du jeune cinéma, parti de la notion bourgeoise d'auteur, est d'être arrivé aussitôt à une telle profusion d'œuvres et de talents qu'il faut renoncer à les classer.
Cet épanouissement prouve que le cinéma est devenu une écriture universelle et qu'il faudra bientôt renoncer au concept d'œuvre, en même temps qu'à celui d'auteur, et peut-être à celui d'art.
Proche de la télévision dans son inspiration spontanée, le jeune cinéma veut être la marque d'une époque qui se cherche.
C'est pourquoi, malgré la diversité des expressions nationales, il exprime la stupéfiante unité des préoccupations de la jeunesse. Pour elle, le cinéma est un cri.
Elle se sert du cinéma pour tuer le cinéma, détruire le langage, exhaler son angoisse.
Et la France aura vu disparaître en 1968 la belle unité de sa Nouvelle Vague sous la pression des événements et la contagion des jeunes cinémas étrangers : d'un côté Truffaut, Resnais, Chabrol, fidèles à la notion de spectacle, Baisers volés, 1968 ; Je t'aime, je t'aime, 1968 ; Les Biches, 1967.
De l'autre, Godard, Jean Eustache et le très jeune Philippe Garrel, La Concentration, 1968 ; La Cicatrice intérieure, 1970, qui jette sur l'écran un univers halluciné, et des images effrayantes où il faut reconnaître le miroir qu'une génération tend à ses pères.

Maturité et mondialisation. Fin du cinéma ?

Avec le recul d'un quart de siècle, on s'aperçoit que les années 1980 ont formé une période charnière, et à bien des égards fondamentale, dans l'histoire du cinéma.
Les décennies précédentes avaient marqué le recul inexorable d'une pratique sociale peu à peu remplacée par la télévision. Entre 1946 et 1963, trois fois moins de spectateurs allaient voir un film en salle pour les seuls États-Unis – et trois fois moins de films étaient produits.
L'année 1963, avec notamment la faillite de la maison de production américaine Fox, reste dans l'histoire celle de la crise : non seulement la fréquentation et la production connaissaient alors leur assiette la plus basse, mais le système des studios avait vécu.
Les grandes compagnies ne disparaissaient certes pas de la carte, mais l'instrument de travail – le studio – ne leur appartenait plus : il était tout simplement supprimé, transformé en parking ou en supermarché, ou bien encore cédé au vainqueur de la partie : la télévision. La période qui s'ouvrait conjuguait le dérisoire (adaptation de best-sellers, coups montés avec des stars, le funèbre (retraite imposée à de grands artistes) et le passionnant (invention de nouvelles formes, montée en puissance des « indépendants »). Par une série de contrecoups, comme toujours décalés dans le temps, cette crise allait inexorablement affecter le monde entier, en dépit de la résistance de grandes cinématographies : la France et l'Italie, d'ailleurs fortement soudées par un accord de coproduction, furent les emblèmes de la persistance d'un objet pourtant fort mal en point.
Le premier mouvement du cinéma au début des année 1980, du côté de certains grands auteurs, consista à mettre en évidence la prise de conscience de son éventuelle disparition.
Des cinéastes-cinéphiles comme Wim Wenders, L'État des choses, 1982 et Jean-Luc Godard, Passion, 1982, ou de vieux maîtres comme Federico Fellini, Intervista, 1987 s'attachaient à décrire la fin d'une liaison fatale ou désenchantée, après les films flamboyants des années 1970, Fellini-Roma, 1972 ; Amarcord, 1973.
Ce qui avait été aimé plus que tout, le grand cinéma, qui avait fait l'objet de luttes gigantomachiques pour la reconnaissance, était pensé, de fort hégélienne façon, comme une chose du passé, ce que confirmerait le début de la vogue du magnétoscope : désormais disponible hors de l'espace premier de la salle ou de sa diffusion dans le flux audiovisuel, le film pouvait être vu et étudié comme on lit un livre.
Mais ce qui peut s'interpréter comme un incontestable progrès, en parfaite synchronie avec la montée de l'individualisme comme nouvel horizon indépassable de notre temps, démontre à la fois le caractère inéluctable d'un déclin et la dimension mélancolique d'une relation où la mémoire du film n'est plus de même nature.
Baudelaire avait grandi adossé à une bibliothèque, le cinéphile vivra maintenant face à sa collection, ne visionnant qu'une part infime du trésor accumulé.

Naissance du blockbuster

Tel était l'état des choses dans les années 1980. Le cinéma avait eu lieu, sa survie ne pouvait être qu'artificielle à partir du moment où les conditions qui avaient fait son succès n'étaient plus réunies. Il ne s'agit pas de critiquer ici ce diagnostic historiciste largement partagé par les générations de la cinéphilie. Mais, si utile et juste soit-elle, cette vision ne peut qu'être nuancée, à partir du moment où l'on constate non seulement la survivance, mais surtout l'éclatante santé d'un certain champ de la production cinématographique.
La compréhension de la situation, et de l'écart entre le diagnostic mélancolique et la vigueur du patient, impose dès lors qu'on se reporte à la crise des années 1960-1970, aux réponses qui y furent apportées – et de traverser une nouvelle fois l'Atlantique.
Les années 1972-1975 avaient marqué un net frémissement. Le succès des deux premiers épisodes de la trilogie du Parrain (1972, 1974), de Francis Ford Coppola, et de L'Arnaque (1973), de George Roy Hill, préparait le terrain à un retour du spectaculaire, d'abord marqué par la vogue du film-catastrophe, L'Aventure du Poséidon, 1972, de Ronald Neame ; Tremblement de Terre, 1974, de Mark Robson, le retour du film d'horreur, L'Exorciste, 1973, de William Friedkin, qui battit les recettes du Parrain, mais surtout d'une forme nouvelle, mêlant horreur, aventure et critique sociopolitique, et dont Steven Spielberg fut l'inventeur avec Les Dents de la mer en 1975.
À partir de là, George Lucas fut à son tour capable de se lancer, dès 1977, dans l'aventure de la trilogie de La Guerre des étoiles, et la face du cinéma commercial changea radicalement. La rencontre avec un jeune (et moins jeune) public montra bien que la demande était à la hauteur de l'offre, si cette dernière savait afficher les signes de son renouveau.
La politique du blockbuster était née : grand spectacle, nouvelles techniques, croyance en l'art de la mise en scène évidente, affichée et d'autant plus maîtresse de ses effets ; mais aussi renouveau des salles, généralisation des multiplex, multiplication des copies pour asphyxier la concurrence. En quelques années, la physionomie de la programmation cinématographique changea du tout au tout.
Cette attitude conquérante permit au cinéma américain d'écraser une concurrence dont la faiblesse était devenue criante, compte tenu de la libéralisation des réseaux télévisuels : le cinéma italien offrit le plus triste exemple d'une production de grande qualité – à la fois artistique et commerciale – anéantie en quelques années de berlusconisme audiovisuel.
Inversement, quoi que l'on puisse penser de l'action de Jack Lang comme ministre de la Culture, il est incontestable que le soutien de l'État, appuyé sur la clé de voûte de l'avance sur recettes, permit au cinéma français de conserver une production digne de ce nom, et des parts de marché importantes. L'exception est notable, même si à la fin des années 1980, et pour la première fois de l'histoire, la part de marché du cinéma américain dépassa celle de son homologue français sur notre territoire.

Le Nouvel Hollywood

Il ne faudrait pas cependant se contenter d'une lecture purement économique. Le désir de fiction – le fait n'est pas nouveau – rencontre toujours sur son chemin la production américaine, et le blockbuster n'est pas nécessairement synonyme de navet. Des Aventuriers de l'Arche perdue (1981), de E.T. (1982) à La Liste de Schindler (1993), Il faut sauver le soldat Ryan (1998) et Munich (2005), Steven Spielberg, né en 1946, montre parfaitement que du pur divertissement aux grands sujets, la nouvelle matrice hollywoodienne peut engendrer une grande diversité de productions tout en maintenant une réelle exigence artistique. Il en va de même pour son compère George Lucas, né en 1944, dont l' audace wagnérienne dans La Guerre des étoiles. L'ultime séquence du dernier épisode, La Revanche des Sith, 2005 fait ainsi le lien entre les parties, quand Anakin Skywalker devient Dark Vador pour l'éternité...
L'esprit de suite est une qualité prise à la lettre par l'équipe de Steven Spielberg, comme en témoignent les trois épisodes de Retour vers le futur (1985, 1989 et 1990) de Robert Zemeckis, sur le thème du voyage dans le temps, et les deux Gremlins (1984 et 1990) où Joe Dante parvient à imposer son style inquiétant dans un paysage familier.
Dans ces cas, la relation spielbergienne à la réalité américaine – la narration partant d'une petite ville, à l'instar du film de Frank Capra La vie est belle (1946) – imprègne sincèrement un dispositif fondé sur l'identification de masse. Mais l'élaboration de sagas permet aussi, pour reprendre l'expression de Fritz Lang dans Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard, de finir ce que l'on a commencé.
Tel est le cas de Francis Ford Coppola qui offre une magnifique méditation sur le temps et la filiation dans Le Parrain III (1990), quinze ans après le second épisode. Les cinéastes italo-américains forment un groupe remarquablement stable : la carrière de Coppola, né en 1939, mais aussi celles de Brian De Palma, né en 1940, avec Phantom of the Paradise (1974), et de Martin Scorsese, né en 1942, avec Taxi Driver (1976), démontrent que, si l'esprit du Nouvel Hollywood des années 1970 s'est quelque peu dilué, les artistes d'importance font souvent mieux que de tirer leur épingle du jeu.
Le plus beau film américain de cette période, Il était une fois en Amérique (1984), fut d'ailleurs réalisé par Sergio Leone (1929-1989).
Le cas de Michael Cimino, né en 1939, est une exception : le désastre de La Porte du Paradis (1980), magnifique fresque sur l'Amérique et échec retentissant, contraignit son auteur au silence, puis à une carrière à éclipses, avant l'abandon définitif du cinéma pour la littérature.
Si l'Europe, dans les années 1950, inventa le « cinéma d'auteur », ce fut en référence à des réalisateurs hollywoodiens tels Howard Hawks, Joseph Mankiewicz ou encore Ernst Lubitsch.
La génération suivante allait s'appuyer sur ces classiques pour délivrer un cinéma d'une grande diversité, avec Arthur Penn (1922-2010), à qui l'on doit Missouri Breaks (1976), Sam Peckinpah (1925-1984) avec Les Chiens de paille (1971), Alan J. Pakula (1928-1998) avec Les Hommes du Président (1976), Sydney Pollack (1934-2008) avec Jeremiah Johnson (1972).
Cette lignée historique allait rester active très longtemps. John Frankenheimer (1930-2002) et Blake Edwards (1922-2010), firent mieux que se survivre, tandis que Robert Altman (1925-2005) et Stanley Kubrick (1928-1999) donnèrent certaines de leurs plus grandes œuvres à la fin du siècle avec Short Cuts (1993) et Eyes Wide Shut (1999).
Si l'on ne peut que déplorer la disparition prématurée de John Cassavetes (1929-1989), il faut remarquer l'étonnante vitalité de Woody Allen, né en 1935, dont la production – un film par an – fait alterner facilité et profondeur, maîtrise et prise de risque, Crimes et délits, 1989 ; Harry dans tous ses états, 1997 ; Match Point, 2005). Quant à Clint Eastwood, né en 1930, son œuvre récente a su gagner en ampleur tragique, Mystic River, 2003 ; Million Dollar Baby, 2004 sans jamais perdre de sa force de persuasion classique. On verra une forme d'aboutissement dans ce registre avec le diptyque consacré en 2006 à la bataille d'Iwo Jima, d'abord du point de vue américain, Mémoires de nos pères, puis japonais, Lettres d'Iwo Jima.
En restant dans cette perspective auteuriste, il faut aussi souligner la réalité du renouveau américain de ces vingt dernières années. Joel et Ethan Coen, nés respectivement en 1954 et 1957, Miller's Crossing, 1990 ; Barton Fink, 1991 ; The Big Lebowski, 1998 ; O Brother, 2000, Michael Mann, né en 1943, heat, 1995 ; Collateral, 2004, Spike Lee, né en 1957, Malcolm X, 1992, Quentin Tarantino, né en 1963, Reservoir Dogs, 1992 ; Pulp Fiction, 1994 ; Jackie Brown, 1997, et David Lynch, né en 1946, Sailor et Lula, 1990 ; Lost Highway, 1997 ; Mulholland Drive, 2001, sont sans conteste les individualités marquantes de la période.
L'imagination débridée et le nouvel élan insufflé à la narration s'allient pour produire une nouvelle image de l'Amérique qui renoue avec la tradition purement autochtone d'un Mark Twain ou d'un Preston Sturges, tout en la mêlant de culture populaire et d'art contemporain.
D'autres tentatives de description de l'âme américaine adoptent un registre plus grave. La grande surprise de la fin du XXe siècle dans ce domaine fut le retour au cinéma de Terrence Malick, né en 1943, près de vingt ans après la réalisation des Moissons du ciel (1978).
Avec La Ligne rouge (1998) et Le Nouveau Monde (2005), le cinéaste poursuit lui aussi sa quête de l'Amérique à partir de deux moments cruciaux de l'histoire, la bataille de Guadalcanal, la rencontre de John Smith et Pocahontas en développant sa méditation sur l'offense directe faite par l'homme à la nature. Digne héritier du transcendantalisme d'Emerson, Malick renouvelle son propre idiome : pluralité des points de vue, voix multiples qui ne se réduisent en aucune façon à la seule narration, vision cosmique où la musique marque une quête d'harmonie qui vise l'accord – toujours contrarié – de l'homme et du monde. L'ampleur esthétique et philosophique de son projet le place loin au-dessus de la production traditionnelle. En même temps, son statut à part dans le cinéma américain lui confère une aura telle que les plus grandes vedettes, George Clooney, John Travolta se bousculent pour apparaître, ne serait-ce que fugitivement, dans ses films qui ne ressemblent à rien de connu, aux États-Unis ou ailleurs.
Si Hollywood reste une terre de transfert culturel où de grands cinéastes européens, le Tchèque Milos Forman, né en 1932, le Hollandais Paul Verhoeven, né en 1938, l'Italien Bernardo Bertolucci, né en 1940, l'Anglais Stephen Frears, né en 1941 ou asiatiques, le Chinois John Woo, né en 1946, le Taïwanais Ang Lee, né en 1954 sont toujours appelés à travailler – comme ce fut le cas dans le passé pour F. W. Murnau, A. Hitchcock, F. Lang ou O. Preminger –, il faut cependant reconnaître que cet espace globalisé permet aussi l'émergence de talents nationaux souvent inspirés par la manière européenne. Tel est le cas de Steven Soderbergh, né en 1963, pilier du box-office depuis Sexe, mensonges et vidéo (1989) découvert au festival de Cannes, mais aussi de Tim Burton, Edward aux mains d'argent, 1990, Todd Haynes – qui se livre à un splendide hommage aux mélodrames de Douglas Sirk dans Loin du Paradis (2002).
Dans un registre moins délibérément artistique, on ne peut que louer l'intelligence cinématographique d'auteurs comme Oliver Stone, Spike Lee, Jonathan Demine, Rob Reiner et même des frères Farrely.
Il faut rappeler enfin que le renouveau du système hollywoodien – en quoi il ne diffère pas de l'ancien – est fondé sur la capacité toujours actualisée d'imposer de nouvelles stars.
La relation avec le public n'a guère changé en près de cent ans, et c'est toujours à une vedette qu'il revient de créer ce lien. Bruce Willis et George Clooney, Leonardo DiCaprio et Tom Cruise, Nicole Kidman, Julia Roberts et quelques autres du même acabit n'apparaissent donc pas, elles non plus, comme de simple créatures du système, mais bien plutôt comme l'un des points d'ancrage d'un processus appelé Hollywood. S'il faut craindre une quelconque dénaturation du spectacle cinématographique, elle réside surtout dans une médiatisation accrue où ce qui arrive aux stars dans la vie s'avère plus important que notre relation aux œuvres. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il est indéniable que sa généralisation ne laisse pas d'inquiéter.

Le cinéma européen. Le cinéma français

Dans l'espace occidental, il est le seul concurrent sérieux de son homologue américain. Le soutien étatique et le dynamisme de la production fondée sur la relation privilégiée avec la chaîne de télévision Canal Plus, qui s'est imposée comme le grand argentier du cinéma français n'expliquent cependant pas tout. Si dans d'autres domaines la France a fait valoir, à tort ou à raison, la prépondérance du politique sur l'économique, la dimension symbolique apparaît essentielle en ces matières. Le succès considérable – y compris à l'exportation – de films comme L'Ours (1988) de J.-J. Annaud, Le Grand Bleu (1988) de Luc Besson, Les Visiteurs (1993) de J.-M. Poiré, Astérix Mission Cléopâtre (2002) d'Alain Chabat ou Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain (2001) de J.-P. Jeunet confirme, certes, la réalité des prétentions commerciales. Et cela même si la France continue d'être à l'étranger le pays des frères Lumière, du festival de Cannes, de la Nouvelle Vague, des Cahiers du cinéma, de l'exception culturelle et du film d'auteur.
Aux yeux des amateurs britanniques et américains, la catégorie French Film représente un espace de liberté, déconnecté de la production standard, où tout peut se dire et se montrer. La force du cinéma national tient précisément dans la conjonction de l'économique et du symbolique.
La longévité des représentants de la Nouvelle Vague peut servir d'emblème à cette dimension originale du cinéma français. La disparition prématurée de François Truffaut en 1984, qui venait de donner La Chambre verte (1978) et La Femme d'à côté (1981), n'a pas sonné le glas d'une génération toujours très active. Après avoir achevé la série des Contes moraux (1962-1969), Éric Rohmer (1920-2010) se lance dans l'aventure des Comédies et proverbes qui vont scander au long des années 1980 la pérennité d'une inspiration – et rencontrer un public plus large, car étendu à de nouvelles générations.
La décennie suivante fut consacrée à un quatuor des saisons. Puis Éric Rohmer renouvela profondément son inspiration avec L'Anglaise et le duc (2001) consacré à la Révolution française, Triple Agent (2004) où est abordée la trouble période des années 1930, avant de réaliser un vieux rêve : l'adaptation, en 2007, de L'Astrée d'Honoré d'Urfé.
Jacques Rivette, né en 1928, qui construit une œuvre exigeante (Out One, 1971 ; Céline et Julie vont en bateau, 1974), poursuit son travail dans une direction plus secrète mais davantage à l'écoute des nouvelles générations d'actrices et de spectateurs : on retiendra en particulier La Belle Noiseuse (1991), avec Emmanuelle Béart, adaptation très personnelle du Chef-d'œuvre inconnu de Balzac ; Jeanne la Pucelle (1994), avec Sandrine Bonnaire, où l'amateur de Roberto Rossellini et d'Otto Preminger donne sa propre version du personnage de Jeanne d'Arc ; Haut, bas, fragile (1995), avec Marianne Denicourt – qui rejoint Juliet Berto et Bulle Ogier dans le panthéon des grandes actrices rivettiennes ; ou encore Ne touchez pas la hache (2007), d'après La Duchesse de Langeais de Balzac.
Claude Chabrol (1930-2010) est resté égal à lui-même, tant par la quantité de films réalisés (un par an depuis un demi-siècle) que par l'intérêt toujours actualisé de productions souvent liées au genre policier, de Poulet au vinaigre (1985) à La Demoiselle d'honneur (2004), en passant, entre autres, par La Cérémonie (1995) et Merci pour le chocolat (2000), deux films attestant de la relation privilégiée avec Isabelle Huppert, grande star française parfaitement à l'aise dans l'univers chabrolien.
Jean-Luc Godard, né en 1930, comparable au cinéaste précédent pour sa frénésie de production, a effectué son retour au cinéma au tout début des années 1980, après avoir réalisé un certain nombre de films militants.
De Passion (1982) à Allemagne 90 neuf zéro (1991), cette décennie a représenté le dernier grand investissement créatif dans le cinéma français d'un artiste hors norme. Comme à l'accoutumée, il fit alterner les œuvres plus confidentielles et les « coups » médiatiques, fondés sur la collaboration avec de grandes vedettes, Johnny Hallyday dans Détective, 1985 ; Alain Delon dans Nouvelle Vague, 1990 ; et jusqu'à Gérard Depardieu, en 1993, dans Hélas pour moi.
Mais la grande affaire de la période 1988-1998 fut pour Godard l'élaboration de sa monumentale Histoire(s) du cinéma, véritable œuvre d'art totale, en plusieurs épisodes, où l'historien-philosophe donne à sa manière, mélancolique s'il en est, la seule version possible de l'histoire du cinéma : celle qui s'écrit en images avec l'histoire du XXe siècle.
Alain Resnais, né en 1922, autre grand aîné moderniste (Providence, 1977 ; Mon Oncle d'Amérique, 1980), poursuit une aventure tout à fait originale, qui – au contraire de Godard – le voit se rapprocher d'un plus large public sans jamais céder pour autant sur le primat de la forme, ce qu'attestent de très grandes œuvres comme Mélo (1986), Smoking/No Smoking (1993) ou Cœurs (2006).
Parmi les autres grands anciens , Louis Malle (1932-1995) et Maurice Pialat (1925-2003) livrèrent certains de leurs plus beaux films jusqu'au milieu de la décennie 1990. Le premier retrouva les faveurs du grand public avec Au revoir les enfants (1987), qui réactivait un souvenir traumatique essentiel pour comprendre l'inspiration du cinéaste, celui de l'arrestation et du départ pour les camps de la mort de deux collégiens juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais on retiendra aussi les grands documentaires télévisés consacrés aux États-Unis, la seconde patrie de Malle (en particulier God's Country, 1985 ; et And the Pursuit of Happiness, 1986). Maurice Pialat restera l'atrabilaire que nous aimons tant ; il est aujourd'hui l'auteur qui manque le plus au cinéma français. De sa dernière période, on retiendra en particulier trois œuvres majeures réalisées coup sur coup : Police (1985) ; Sous le soleil de Satan (1987), d'après le roman de Georges Bernanos ; et Van Gogh (1990).
Pour en terminer avec une génération très active, il faut encore mentionner Bertrand Blier, Alain Cavalier, Jacques Doillon, Jean Eustache, La Maman et la putain, 1973, Luc Moullet et Jean-Pierre Mocky, Jean-Daniel Pollet, Jacques Rozier, Claude Sautet et Bertrand Tavernier, André Téchiné, Catherine Breillat, cinéastes essentiels, moins portés que d'autres à jouer les premiers rôles, mais qui, par la fantaisie de leur poésie, marchent souvent sur la ligne de crête de l'inspiration française.
Plus marginaux et en dépit de bien des résistances, Jean-Marie Straub (né en 1933) et Danielle Huillet (1936-2006) ont également réalisé certaines de leurs plus belles œuvres (La Mort d'Empédocle, 1987 ; Cézanne, 1989 ; Du jour au lendemain, 1997) au cours des deux dernières décennies. Pour la génération intermédiaire, Chantal Ackerman, née en 1950, et surtout Philippe Garrel, né en 1948, ont confirmé leur dimension d'artistes reconnus, en apportant à leur projet artistique une rare dimension autobiographique. C'est notamment le cas de Garrel depuis L'Enfant secret (1982) jusqu'aux Amants réguliers (2005), avec une mention particulière pour J'entends plus la guitare (1991), où le cinéaste revient sur sa relation avec la chanteuse Nico.
Parmi les nouveaux venus se détachent Olivier Assayas, né en 1955, et Arnaud Desplechin, né en 1960. Le premier, ancien critique aux Cahiers du cinéma, amateur de cinéma contemporain américain et de musique rock, épouse délibérément son époque au risque de tourner parfois à l'attitude branchée, mais en donnant des œuvres de plus en plus abouties – et qui sortent du franco-français.
La rupture dans sa filmographie apparaît avec sa belle adaptation des Destinées sentimentales (2000) de Jacques Chardonne, qui le conduit à abandonner l'évocation du petit monde parisien et à se consacrer à des formes nouvelles. Arnaud Desplechin, lui, s'est fait connaître avec le moyen-métrage La Vie des morts (1991), chronique familiale sensible et d'une grande inventivité formelle.
Cinéaste-philosophe, influencé comme Terrence Malick par l'œuvre de Stanley Cavell, Desplechin s'intéresse aux racines de notre propre expérience du monde en tâchant de répondre au scepticisme, qui est la basse continue de nos vies.
Réalisé en 1996, Comment je me suis disputé, ma vie sexuelle apparaît avec le recul comme le premier jalon d'une mise en forme de cette ambitieuse problématique.
Esther Kahn (2000) et Rois et reine (2004) ont marqué son authentique déploiement. Du côté du cinéma d'auteur, il convient de citer aussi Bruno Podalydès, Bruno Dumont, Pascale Ferran, Patricia Mazuy et le très original Emmanuel Mourret, digne successeur de Sacha Guitry dans la tradition des auteurs-acteurs. Somme toute un bilan assez riche, auquel il faut adjoindre quelques belles réussites d'un cinéma plus ouvert sur le grand public, mais qui n'abandonne pas le projet de trouver sa place dans le monde : tel est notamment le cas de Cédric Klapisch avec le diptyque que forment L'Auberge espagnole (2002) et Les Poupées russes (2005).

Les pays nordiques

La production européenne a été remarquable dans les pays nordiques, où la tradition cinématographique est séculaire. En Suède, Bille August, né en 1948, deux fois primé à Cannes (Pelle le conquérant, 1987, et Les Meilleures Intentions, 1992), a confirmé son talent.
Au Danemark, Lars Von Trier, né en 1956, a puissamment influencé le cinéma contemporain, par son talent propre, mais aussi en fédérant autour de lui – par l'entremise du mouvement Dogma 95 – les énergies rebelles à la production standard et en revitalisant les acquis du néo-réalisme. Une telle recherche de la vérité est perceptible dans ses propres réalisations (Les Idiots, 1998).
Mais les œuvres récentes les plus précieuses sont celles où l'auteur parvient à les intégrer au style du mélodrame – tel est le cas notamment de Breaking the Waves (1996) et surtout de Dancer in the Dark (2000), autre production nordique récompensée au festival de Cannes.
La cinématographie finlandaise fit quant à elle une entrée remarquable dans le cercle international, avec notamment l'œuvre tragi-comique d'Aki Kaurismaki (Leningrad Cowboys go to America, 1989 ; J'ai engagé un tueur, 1990).

Le cinéma anglais

Le cinéma britannique a connu une renaissance au début des années 1980, à l'époque où la fresque olympique de Hugh Hudson, Les Chariots de feu (1981), remportait l'oscar du meilleur film étranger. Ce succès était ambigu, car il consacrait certaines qualités, reconstitution historique, photographie impeccable, beauté et talent des acteurs qui ont souvent été utilisées – au moins depuis François Truffaut – pour faire du cinéma britannique un monument d'académisme.
Il est indéniable que certains attributs stylistiques et de production typent très nettement les productions d'outre-Manche. Il n'y a d'ailleurs aucune raison de se plaindre de cette anglicité.
D'autant que l'étonnante diversité de la production britannique infirme le verdict truffaldien :
"l'expression cinéma anglais est une contradiction dans les termes ".
En laissant délibérément de côté les films américains de Tony Richardson, John Schlesinger et autres Ridley Scott ou Mike Figgis, et sans même mentionner l'inoxydable série des James Bond, il faut souligner que le cinéma anglais a produit certains des grands succès des vingt dernières années.
L'un des plus réjouissants est le fait d'un vétéran du studio Ealing, Charles Chrichton (1910-1999), qui signa en 1988 une comédie mémorable : Un poisson nommé Wanda. Révélé en 1985 par l'insolite Dance with a Stranger, Mike Newell, né en 1942, réalisa l'autre blockbuster planétaire de la comédie britannique avec 4 Mariages et un enterrement (1994).
La période confirma le grand talent d'auteurs comme John Boorman, né en 1933 (Hope and Glory, 1987 ; The General, 1998), ou Ken Loach, né en 1936 (Regards et sourires, 1981 ; Raining Stones, 1993 ; Sweet Sixteen, 2002), autant de cinéastes dont les préoccupations politiques et sociales permirent de porter un regard toujours plus acéré sur la réalité qui vit Tony Blair suivre le chemin de Margaret Thatcher. Ce type de cinéma fit un émule avec Mike Leigh, né en 1943, l'auteur de High Hopes (1988) et Secrets et mensonges (1996).
Quant à Stephen Frears, né en 1941, ancien assistant de Lyndsay Anderson et Karel Reisz, prolifique réalisateur de télévision, il est devenu l'une des valeurs sûres du cinéma international (My Beautiful Laundrette, 1985 ; The Snapper, 1993 ; Mary Reilly, 1996 ; The Queen, 2006).
On découvrit aussi de très attachantes personnalités. L'acteur Kenneth Branagh, né en 1960, s'imposa au cinéma comme un grand shakespearien, héritier de Laurence Olivier, Beaucoup de bruit pour rien, 1993 ; Hamlet, 1996.
Mais il se livra aussi à de passionnantes lectures d'autres classiques, en particulier avec son Frankenstein (1994), meilleure adaptation du chef-d'œuvre de Mary Shelley.
Dans un tout autre registre, qui fait rimer cinéma, tableau vivant et chanson populaire, Terence Davies, né en 1945, a réalisé l'un des films les plus enthousiasmants de l'histoire du cinéma, en racontant l'histoire de sa propre famille à Liverpool dans les années 1950 : Distant Voices, Still Lives (1988) reste totalement singulier – car le cinéaste devait tout de même passer à autre chose, parler de son homosexualité, The Long Day Closes, 1992 ou adapter Edith Warthon, Chez les heureux du monde, 2000.
En laissant de côté Peter Greenaway, qui s'est révélé une fausse valeur, il faut saluer la mémoire de Derek Jarman (1942-1994), auteur de Wittgenstein (1993), et rappeler que, s'il est américain, James Ivory, né en 1928, a bien réalisé certains films qui demeurent les fleurons de l' anglicité au cinéma, depuis Chambre avec vue (1985) et Maurice (1987), jusqu'à La Coupe d'or (2000) et Le Divorce (2003).

Le cinéma espagnol

Pedro Almodóvar, né en 1949, est l'auteur phare du cinéma espagnol, affirmation que nul ne songerait à contester aujourd'hui, mais qui ne manque pas d'ironie rétrospective quand on songe aux débuts de l'auteur-acteur-chanteur au temps de la movida madrilène.
Jusqu'à Femmes au bord de la crise de nerfs (1988), son septième film qui marque le début de son époque classique, Almodóvar était un vrai punk du cinéma, imposant de manière très trash un univers composé de junkies, de transsexuels et de paumés qui composaient une étonnante comédie humaine.
S'il est resté fidèle à ce monde et à ce personnel dramatique, le cinéaste leur a imposé peu à peu une forme, d'abord celle de la comédie américaine héritée d'un Preston Sturges ou d'un Billy Wilder – c'est le moment de Femmes... – puis du grand mélodrame international, hollywoodien, allemand, italien, français, espagnol, sud-américain.
Ses films ont pris alors une force inédite et, lestés de leurs scories provocatrices, sont devenus des œuvres d'une grande humanité, où les femmes occupent le premier plan.
Le tournant a lieu avec Talons aiguilles (1991).
Mais l'œuvre connaît son acmé avec la trilogie formée par En chair et en os (1997), Tout sur ma mère (1999) et Parle avec elle (2002). Parmi ses compatriotes, si l'on peut regretter que Carlos Saura, né en 1932, aime vraiment trop le tango pour se consacrer au cinéma, on saluera l'inspiration d'un Fernando Trueba, né en 1955, dans le très réussi Belle Époque (1992).

Le cinéma allemand

Contrairement à l'Espagne, le cinéma allemand connaîtra une éclipse, les années 1980-1990 ne tenant pas les promesses des décennies précédentes, en dépit de cinéastes tels que Werner Herzog, Wim Wenders, Werner Schroeter, Hans-Jürgen Syberberg, Volker Schlöndorff, Margarethe von Trotta.
Il est vrai que la carrière des anciens jeunes cinéastes allemands a eu tendance, pour une part d'entre eux, soit à se tourner vers la vidéo ou la mise en scène d'opéra, soit à se dérouler hors des frontières de la R.F.A. ou de l'Allemagne réunifiée.
La mort de R. W. Fassbinder, en 1982, a renvoyé le pays à son propre vide. Le poids de l'histoire permit cependant à l'Allemagne de se réconcilier avec son cinéma, ce qu'un Wim Wenders, né en 1945 – par ailleurs la grande déception de la période –, a su percevoir avec beaucoup de lucidité dans Les Ailes du désir (1987), deux ans avant la chute du Mur de Berlin et le début de la réunification.
Les essais de Harun Farocki, la fresque Heimat (1984-2006), d'une durée de 15 h 40 min, de Edgar Reitz, et les œuvres de Rudolf Thome, Le Microscope, 1988 ; Le Philosophe, 1989 sont d'évidence à découvrir.
On notera enfin au début du XXIe siècle un authentique regain de la production allemande, il est vrai toujours portée par l'histoire, avec deux œuvres emblématiques : Good Bye Lenin ! (2003), de Wolfgang Becker, et La Vie des autres (2006), de F. Henckel von Donnersmarck.

Le cinéma italien

Les exemples tirés de l'histoire récente du cinéma en Europe sont beaucoup moins probants, et se limitent souvent à l'œuvre d'un grand artiste éclipsant la médiocrité nationale : Emir Kusturica, né en 1954 en Yougoslavie ; Krzysztof Zanussi et Krzysztof Kieslowski, nés respectivement en 1939 et 1941 en Pologne ; Béla Tarr, né en 1955 en Hongrie ; le Grec Theo Angelopoulos (1935-2012) ; les Russes Andrei Tarkovski (1932-1986) et Alexandre Sokourov, né en 1951 ; le Géorgien Tenguiz Abouladzé (1924-1994).
Il est beaucoup plus inquiétant que ce type de constat affecte une patrie non négligeable du cinéma italien. En truffant d'antennes de télévision ses derniers films, Ginger et Fred, 1986 ; La Voce della Luna, 1990, Federico Fellini (1920-1993) avait clairement désigné l'ennemi d'un cinéma qui non seulement reflète mais requiert pour condition la sociabilité italienne.
Le genre de la comédie italienne ne semble être repris qu'épisodiquement. Quant aux grandes fresques historiques telles que Senso (1954), Le Guépard (1963), Les Damnés (1969), Ludwig II (1972), où un savoir-faire hérité de la mise en scène d'opéra s'alliait à une profonde culture littéraire, il semble bien que leur possibilité ait disparu avec leur auteur, Luchino Visconti (1906-1976).
L'œuvre de Nanni Moretti, né en 1953, a permis aux amateurs de ce cinéma d'entamer un travail de deuil d'autant plus pénible que le cinéaste-acteur, loin de panser leurs plaies, prend un plaisir masochiste – et bien sûr narcissique – à les rouvrir. Après ses critiques ouvertes des mondes télévisuel, Sogni d'oro, 1981 et politique, Palombella rossa, 1989, Moretti a d'abord observé le chemin parcouru avec un certain recul, Journal intime, 1993) avant d'attaquer de nouveau avec une rage sourde un pays qu'il dépeint sous emprise, Le Caïman, 2006. Mais en dépit d'un nouveau volontarisme dont il convient de prendre acte, et de belles tentatives comme Nos Meilleures Années, 2003, de Marco Tullio Giordana, il ne semble pas que le cinéma puisse vraiment reprendre ses droits dans un pays largement sous influence télévisuelle.

Vers une cinéphilie globalisée

La situation italienne se révèle être le meilleur point de vue pour observer et comprendre la profonde modification du marché mondial du cinéma.
Elle montre par l'exemple qu'une partie du monde qui se « contente » de la télévision laisse la part trop belle aux pays affamés de cinéma. Et si les cinéphiles adoubent les pays « émergents » dans les festivals, il va de soi que l'offre cinématographique pivote sur son axe et bascule clairement vers l'Est.
L'Iran dévoilé par Abbas Kiarostami, né en 1940, apparaît ainsi comme une terre du cinéma moderne, où la quête du sens par l'esthétique cinématographique héritée du néo-réalisme trouve une forme de nouvel espace. Mais c'est surtout en Extrême-Orient que le désir de cinéma a trouvé ses conditions les plus viables.
Les cinémas du Japon, de Corée, de Hong Kong, Taïwan et de Chine, fondés sur de solides traditions artisanales, ont su réactiver leur production à partir de genres traditionnels, des films de combat au mélodrame et engendrer des artistes singuliers, vedettes ou en position d'outsiders dans leur propre pays, mais qui n'ont pas tardé à être reconnus par les critiques, les cinéphiles et le public d'Occident. Tel fut le cas notamment de Hong Kar-wai, né en 1958, Chunking Express, 1994 ; In the Mood for Love, 2000, et de Johnie To, né en 1955, The Mission, 1999 ; Election, 2005, à Hong Kong ; de Hou Hsiao-hsien, né en 1947 (Les Fleurs de Shanghai, 1998 ; Millenium Mambo, 2001), et de Tsai Ming Liang, né en 1957, Vive l'amour, 1994 ; I Don't Want to Sleep Alone, 2006, à Taïwan ; de Bong Joon-ho, né en 1969, Memories of Murder, 2003 ; The Host, 2006, et de Kim Ki-duk, né en 1960, Printemps, été, automne, hiver... et printemps, 2003, en Corée du Sud ; de Jiu Zhang Ke, né en 1970, Still Life, 2006, en Chine ; de Takeshi Kitano, né en 1947, Sonatine, 1993 ; Hana-bi, 1997 ; Dolls, 2002, ou de Kiyoshi Kurosawa, né en 1955, Cure, 1997 ; Kairo, 2001, au Japon.
Si l'astre du cinéma s'est bien levé à l'Est pendant une bonne décennie, il n'est cependant pas sûr que cette position soit définitivement acquise.
La grande leçon du cinéma asiatique a en effet consisté à renouveler puissamment les vieilles grammaires cinématographiques, qui ne sont plus adaptées pour simplement expliquer les processus de narration – et leur exportation.
Il ne serait guère étonnant que le réveil des cinématographies d'Amérique centrale, le Mexique, avec par exemple Bataille dans le ciel, de Carlos Reygadas, 2005 et d'Amérique du Sud, l'Argentine, avec La Ciénaga, de Lucrecia Martel, 2001 vienne perturber le bal d'une cinéphilie globalisée où la bourse de valeurs n'a plus rien d'éternel. Il n'est pas certain qu'un tel constat soit plaisant.
On peut se consoler par l'examen de la réelle richesse d'une offre qui mérite certes mieux que le dédain écœuré du vieil amateur – qui a pourtant bien des raisons de ne pas vouloir mourir...


#243 "Le chanteur de Jazz"premier film parlant
Loriane Posté le : 05/10/2013 18:51
6 octobre 1927 Sortie du premier film parlant

Le 6 octobre 1927 sort aux États-Unis le film Jazz singer ; "Le chanteur de jazz", réalisé par Alan Crosland.

Il s'agit du premier film parlant, chantant et musical, avec en vedette le comédien Al Jolson. L'acteur, un juif originaire de Russie, apparaît grimé en blackface, en Noir.

Le film exploite un procédé de sonorisation appelé Vitaphone. La bande sonore comporte tout juste 354 mots !
Mais le succès est immédiat et permet aux producteurs, les frères Warner, d'échapper à une faillite.
Les autres professionnels du cinéma restent réservés... Ils s'inquiètent de l'impossibilité d'exploiter les films parlants hors des pays anglophones (le doublage est encore inconnu).
Plusieurs vedettes du muet seront incapables de s'adapter au parlant. C'est le cas de Buster Keaton. D'autres, comme Charlie Chaplin, se reconvertiront non sans difficulté.
L'avènement du parlant consacrera aussi de nouveaux réalisateurs comme Howard Hawks aux États-Unis et, en France, Marcel Pagnol ou Sacha Guitry.

Le film :

Un vieux chantre juif dans une synagogue (Rabinowitz) espère voir son fils lui succéder. Mais le jeune Jackie préfère courir les bars à la mode et chanter du jazz. Chassé du toit paternel, il commence une brillante carrière de chanteur profane, maquillé en Noir. Il est remarqué par une actrice (Mary Dale) qui se propose de l'aider dans sa carrière. Grâce à elle, il devient une vedette sous le nom de Jack Robin. Son père tombe malade. À l'appel de la mère, le fils accourt pour lui demander pardon. Jackie apaise les derniers instants de son père en chantant à sa place à la synagogue le Kol Nidre . Sa passion pour le music-hall sera la plus forte : il remonte sur les planches où il remporte un triomphe. Il dédie à sa mère la chanson Mamma

À la charnière du muet et du parlant

Le Chanteur de jazz, adapté d'une pièce de théâtre qui oppose le folklore yiddish à la musique moderne et profane représentée par le jazz, obtint un succès phénoménal lors de son exploitation en octobre 1927 aux États-Unis. Il marque le triomphe du film sonore, chantant et parlant, bien que les dialogues synchrones y soient réduits à deux minutes et que le film comporte encore de très nombreux intertitres écrits.
La pièce eut elle-même un très gros succès en 1925.
Elle reprend un thème très voisin, développé dans un film allemand de 1923 réalisé par Ewald A. Dupont, Das alte Gesetz, connu sous le titre de Baruch.
L'acteur qui incarnait le rôle au théâtre refusa de le faire pour le film et la Warner fit appel à Al Jolson, dynamique acteur et animateur des spectacles de Broadway alors très célèbre.
Al Jolson, lui-même juif, était concerné par le rôle du jeune Jack Robin. Mais il devait initialement se contenter de chanter cinq chansons et des chants religieux, et éviter le langage parlé, à l'exception d'une incise en début de numéro :
"Attendez un peu, vous n'avez encore rien entendu ! You ain't heard nothin'yet !",
réplique demeurée fort célèbre puisqu'elle inaugure véritablement le parlant.
C'est au cours d'une chanson accompagnée au piano, Blue Skies, thème célèbre d'Irving Berlin, que l'acteur, tout à coup s'adressant à sa mère, improvise un véritable dialogue pendant 1 minute 20 secondes : Ça t'a plu, maman ? Oui. J'en suis ravi, car plus qu'à n'importe qui, c'est à toi que j'aime faire plaisir… La mère ne répond que par monosyllabes et reste enfermée dans l'univers de la représentation aphone, celle du cinéma muet. La spontanéité pathétique et quotidienne eut un effet de conviction décisif sur le public, subjugué par ce dialogue de piété filiale.
Paradoxalement, Warner utilise dans ce film le procédé Vitaphone, fondé sur le synchronisme avec disques, qui va rapidement disparaître au profit du son optique, procédés Fox Movietone, Western Electric, etc.


Le cinéma Parlant


Le terme, conservé par l'usage, de cinéma parlant n'est pas complètement adéquat pour désigner un genre où les bruits et la musique jouent un rôle essentiel. C'est de cinéma sonore qu'il faudrait parler.
D'ailleurs, l'expression a été employée pour caractériser les films antiparlants, qui, refusant le dialogue synchrone, ne faisaient entendre qu'une musique d'accompagnement et quelques effets sonores (Les Lumières de la ville, de Chaplin). Ce courant lui-même confirme, a contrario, la place centrale de la voix et du dialogue dans le genre cinématographique, ce qu'on peut appeler son vococentrisme ; un vococentrisme qui est aussi un fait humain universel.
Rupture ou continuité ?

Ce qu'il y a de plus visible dans l'histoire du cinéma, c'est qu'elle se trouve coupée en deux parties par une rupture visible à l'œil nu et datable : celle que représente le passage du muet au parlant, qui se situe entre 1927 (année du Jazz Singer) et le début des années 1930.
Personne ne s'attend à voir le cinéma vivre une deuxième rupture de même importance : les hologrammes, la vidéo, le 3-D mettent en jeu des technologies nettement différentes, qui bouleversent tellement la nature du simulacre cinématographique qu'on se retrouve face à quelque chose de radicalement autre.
Quant aux apports techniques intervenus après la naissance du parlant – essentiellement la couleur, l'écran large et le son stéréophonique –, ils se sont introduits progressivement et sont loin d'avoir représenté une rupture analogue à celle du parlant. On sait d'autre part que l' enregistrement sonore a existé avant la reproduction des images animées.
Pour créer le parlant, il suffisait donc de superposer l'un et l'autre en les gardant synchronisés, ce qui était encore délicat avec le disque, les tout premiers films parlants utilisèrent pourtant le sound-on-disc, mais n'a plus posé de problème avec l'emploi du son optique, c'est-à-dire du son transformé en variations lumineuses inscrites sur une pellicule perforée formant une étroite bande le long de la pellicule image.


Diaporama. Du muet au parlant

Avant l'avènement du cinéma parlant des années 1930, différents stratagèmes avaient été imaginés pour rendre le cinéma sonore. Les bonimenteurs, pianistes, orchestres, acteurs cachés derrière les écrans ou bruiteurs assurent la bande son des films en commentant les actions ou interprètent, en distribuant un procédé dû à Léon Gaumont, le procédé Gaumont

Animation Le son optique

Dès le début du XXe siècle, les techniciens du cinéma, parmi lesquels le Français Eugène Lauste et l'Américain Lee De Forest, cherchent à fixer image et son sur un même support, des films 35.mm à cette époque. De nombreuses expérimentations ont lieu avant l'avènement du son dit parlant…
À quelques aménagements près l'invention de l'amplification électrique, le cinéma parlant était donc techniquement possible dès le début du XXe siècle.
On le rencontra même assez tôt, dès 1906, à titre d'attraction ou de tentative isolée, comme plus tard le cinéma en relief. De multiples documents et témoignages, et bien sûr des bobines conservées, attestent différentes expériences de parlant, soit avec du doublage vivant par des comédiens situés dans la salle, le célèbre Frégoli l'a pratiqué, soit avec un phonographe plus ou moins couplé au projecteur.


Photographie. Cinéma parlant: premières tentatives

Dès le début du XXe siècle, de nombreuses techniques de sonorisation sont expérimentées pour permettre le couplage de l'image et du son. Parmi les procédés mis en place, celui où le son est capté au moyen d'un phonographe, simultanément à l'enregistrement de l'image par une caméra.
On peut donc dire que le cinéma s'est offert, avec le muet, un temps de répit, de mise au point d'une expression visuelle. Seulement, loin de dissimuler son mutisme en inventant un art de pure pantomime, le cinéma muet s'est ingénié à le mettre en évidence, puisqu'il adaptait souvent des pièces de théâtre et des opéras, et faisait parler d'abondance les personnages, donnant le texte de leurs répliques sur des cartons.
L'étonnant dans la révolution du parlant n'est donc pas tant la rupture évidente qu'il a introduite dans le langage cinématographique, mais bien que, tout compte fait, il se soit greffé sans trop de mal sur le cinéma tel qu'il s'était déjà constitué.
C'est pourquoi l'adaptation au parlant s'est globalement faite assez vite, si l'on tient compte des données culturelles et économiques qui ont ralenti son implantation dans un certain nombre de pays, dont la France.
La thèse centrale de l'étude faite par un chercheur américain, David Bordwell, sur l'introduction du son dans le cinéma est que celle-ci est loin d'avoir modifié autant qu'on aurait pu le croire le style des films.
Le cinéma parlant, même s'il a bouleversé un temps les méthodes de tournage, aurait été selon lui absorbé par le modèle cinématographique classique, en même temps qu'il contribuait à le changer : ainsi pour le montage et le découpage, dont le parlant risquait de remettre en cause la souplesse en assujettissant les images au déroulement d'un dialogue continu.
Étant donné le rôle central du montage dans le modèle classique, la venue du son représentait une menace .... D'où, d'emblée, l'adoption de la technique de tournage à plusieurs caméras (2 à 9) qui fut prédominante entre 1929 et 1931.Le tournage multicaméra, repris par la suite par certains réalisateurs comme Kurosawa, Renoir, avant d'être banalisé par la télévision, permettait en effet de fragmenter le découpage visuel et de répondre au besoin de mouvement que ressent le spectateur moyen.

Les apports du cinéma parlant

On a dit et redit ce que le parlant avait fait disparaître en ses débuts : la pureté du genre, la suggestion, le mystère, la magie liés à l'absence de son, l'ambiguïté des situations, la liberté dans l'enchaînement des plans, la stylisation de la réalité, la liberté de tournage en extérieur, le parlant imposait au début l'insonorisation, donc le studio, etc. Toutes choses qu'il a dû lentement reconquérir avec ses moyens propres.
"Chaque fois, écrivait Benjamin Fondane, défendant en cela une thèse que partageaient largement les réalisateurs russes Eisenstein ou Poudovkine, que la parole s'empare du réel ..., par l'acte même de son existence, elle affirme ; aucun doute n'est possible sur ce qu'elle veut, sur les valeurs qu'elle tend à nous imposer .... Tout malentendu est supprimé ..., ce malentendu qui faisait la force du cinéma muet. "
Selon Fondane, la parole venait également enchaîner la caméra à un point de vue à hauteur d'homme, la prise de vue ne pouvant plus s'élever sur les praticables en alpiniste visuel .
"La liberté du montage [...] s'est vue menacer ruine..., le dialogue est là, inamovible, irréductible, il tient l'image en suspens."
Ce qui prouve la justesse de ces remarques écrites en 1932, c'est le fait que nombre des acquisitions ultérieures du parlant seront celles-là même qui réintroduiront dans le cinéma les valeurs qu'il avait commencé par lui ôter, comme – pour citer celles qu'évoque Fondane – la possibilité du malentendu, par l'utilisation d'un dialogue semi-intelligible, d'une voix off énigmatique, ou d'une langue étrangère non traduite – possibilité qu'exploite l'Anatahan de Sternberg et la liberté de placer la caméra, que le parlant retrouvera en décrochant le point d'écoute sonore u point de vue visuel parti pris d'une voix systématiquement en gros plan, même quand les personnages sont vus d'avion.
En 1929, Chaplin accuse :
"Le film parlant s'attaque aux traditions de la pantomime que nous avons essayé d'établir avec tant de peine à l'écran, et sur quoi l'art cinématographique doit être jugé."
Il reproche aussi au parlant d'amener la vulgarité, la promiscuité. Il rejoint par là les griefs de René Clair, déplorant que le parlant nous plonge dans la trivialité et nous ramène au théâtre : c'est pourquoi, dans son premier film parlant, Sous les toits de Paris, le réalisateur français va chercher à réduire au minimum la part du dialogue par toutes sortes d'artifices.
On a pu donc dire que le cinéma parlant interrompait prématurément le développement d'un art qui n'avait pas encore épuisé ses ressources.
Ce qui n'est pas faux, mais en rester là serait oublier que certains films muets appelaient le son de toutes leurs forces.
Enfin, on ne peut nier que le parlant a amené de nouvelles possibilités, dont certaines ont contribué au développement de l'art cinématographique.

Augmentation du pouvoir narratif

Le pouvoir narratif de l'image animée seule, sans le secours d'un texte, est faible. Il a fallu beaucoup d'efforts et de très grands artistes comme Murnau pour parvenir, dans un film comme Le Dernier des hommes, à faire raconter une histoire par des images privées de tout secours d'un texte, qu'il soit écrit, intertitres ou oral, le bonimenteur qui officiait dans les salles des débuts du cinéma muet et qui dans certains pays, notamment au Japon, continua de jouer un rôle majeur à travers toute l'histoire du muet.
En général, les intertitres venaient donc appuyer les images par un texte forcément limité.
Le jeu des acteurs était alourdi, parfois outré, par la nécessité de faire comprendre en gestes certaines paroles, certains sentiments et certaines décisions.
Le parlant représenta donc un progrès quantitatif et qualitatif considérable dans la narration, non seulement par la quantité de dialogue et de texte bien plus grande qu'il apportait, sans laquelle le scénario subtil d'une œuvre pourtant très visuelle comme La Mort aux trousses, de Hitchcock, serait absolument incompréhensible, mais aussi par les nuances de la voix, avec ses émotions, ses nuances psychologiques, ses informations physiques, par le procédé de la voix off, par le langage des bruits, etc. – tout cela pouvant se superposer, le son du cinéma est polyphonique, alors que l'image ne l'est que rarement....
Et enfin, tout simplement, parce que l'apport du parlant se résume, au départ, à une piste sonore en plus, donc à un quasi-doublement de la quantité d'informations et de sensations données au spectateur.
Dans le même sens, le parlant donne un champ beaucoup plus grand et varié à l'art de l' acteur, puisqu'il lui permet de se servir de sa voix et, en outre, le délivre de la contrainte d'avoir à signifier un contenu verbal ou émotionnel par des gestes très démonstratifs : le parlant libère le corps de l'acteur et, bien évidemment, fait de la voix un élément de la présence physique.
Le cinéma parlant français, entre autres, a imposé des acteurs aux voix et aux intonations très caractérisées, comme Arletty, Raimu, Jouvet ou Michel Simon.
Le parlant amène également des possibilités de parallélisme : le son peut démentir l'image, et réciproquement. Possibilités dont il n'a pas toujours usé, mais dont on trouve des exemples fréquents chez Hitchcock, lorsque les personnages, pris dans une scène pleine de danger et de tension, parlent de choses anodines, tout en jetant des regards anxieux sur des objets ou sur des présences qui les inquiètent.


Temps réel, naturalisme, présence du monde concret

D'une manière générale, l'avènement du son a commencé – ne serait-ce que parce qu'il apporte la pièce manquante au puzzle audiovisuel conçu comme simulacre – par tirer le cinéma du côté du concret, du quotidien, du réel. En premier lieu, il a contribué puissamment à linéariser le temps du film et à en faire un temps concret. Ce qui veut dire que deux plans successifs dans un film muet peuvent encore correspondre à deux aspects simultanés d'un même phénomène, notamment pour les scènes d'ensemble ou de groupe, tandis que, s'ils sont accompagnés d'un son synchrone émettant paroles et bruits, leur enchaînement dans le déroulement du film implique automatiquement une succession dans le temps diégétique.
Alors que l'absence de son synchrone permettait au film muet une certaine élasticité de la durée narrative, faire durer, voire figer, ou au contraire précipiter une action, la venue du son a commencé par ancrer les scènes dans un temps concret, linéaire et chronométré.
La preuve en est que, lorsque le réalisateur d'un film parlant veut retrouver cette élasticité primitive, il commence par couper le son synchrone en le remplaçant par de la musique non diégétique, ce que nous appelons musique de fosse , qui fonctionne ainsi comme un véritable appareil temps-espace permettant, comme dans l'opéra, de dilater, voire d'immobiliser le déroulement d'une action ou d'une situation.

Les bruits du monde

Dans un film classique, le nombre de bruits entendus est extrêmement pauvre, presque limité à ceux que ferait entendre un bruitage de théâtre. Les bruits du monde auraient pu envahir le cinéma, mais ils y ont été longtemps tenus à distance.
La raison en est partiellement technique : dans un cinéma de fiction construit sur une action dialoguée, la bande passante encore étroite du son optique ne permettait pas, étant donné les conditions techniques régnantes, de mélanger à la voix des bruits nombreux sans sacrifier plus ou moins l'intelligibilité du texte.
Un sacrifice qui ne fut fait qu'exceptionnellement par Renoir, dans Le Crime de M. Lange, ou par Godard dans certains de ses films où le vacarme urbain couvre la voix des personnages. Aujourd'hui, avec les perfectionnements techniques, il est possible de faire entendre simultanément des dialogues intelligibles et un riche orchestre de bruits .
Certains genres cinématographiques, notamment le film de guerre, le film d'arts martiaux et le cinéma fantastique et de science-fiction, reposent beaucoup sur le pouvoir de suggestion et d'évocation des bruits. En revanche, dans les genres cinématographiques de base tels que le policier, le drame sentimental et même la comédie, ils sont réduits la plupart du temps au strict minimum d'effets codés : la rumeur du monde, dans toute sa richesse, en est absente.
C'est parce que la musique, héritée du muet et de la nécessité de neutraliser le silence et de mobiliser l'attention du spectateur envers une image muette, ne s'est pas laissée déloger par le parlant au profit de la réalité sonore que, aujourd'hui encore, le cinéma est très rarement, sauf chez des isolés comme Bresson, un art des bruits.
Le bruit pose aussi la question du réalisme, sa présence étant souvent destinée à ajouter à l'action de la densité concrète, alors même qu'il ne correspond pas à la moindre réalité ; par exemple, dans les films de science-fiction, on entend, en plein vide spatial, où il n'y a par définition aucun son, rugir et gronder des astronefs qui, sans ce bruit totalement injustifié, se réduiraient peut-être à ce qu'ils sont : des maquettes.
Stanley Kubrick a voulu, dans son 2001, respecter la vérité scientifique, mais, pour faire admettre ses astronefs silencieux, il lui a fallu employer une idée musicale très forte, à savoir utiliser le thème du Beau Danube bleu.
Que la présence du son donne une impression accrue de réalité est donc une chose, et qu'il s'agisse là du bruit réel de la chose en est une autre.
Prenons l'exemple des scènes de combat et de bagarre, si fréquentes au cinéma : le choc des coups ou des détonations correspond rarement au son que l'on entendrait dans la situation réelle ; il est souvent exagéré, plus fort, plus intense, il obéit donc à des conventions

Redéfinition du rôle de la musique

Dans la première période du parlant, on avait cherché à ce que la musique entendue dans les films – par exemple dans La Chienne, de Renoir – trouve systématiquement sa cause matérielle justifiée par l'action : phonographe, orchestre, piano mécanique, chanteur de rue... Ainsi voulait-on la marquer, elle aussi, du sceau du réalisme.
C'est quand on revint au principe de l'accompagnement musical par un orchestre de fosse non justifié dans l'action, on parle aussi de musique non diégétique, que put réapparaître le romantisme dans le cinéma.
Il faudra un jour analyser les effets, sur le statut du son au cinéma, de ce retour imprévu de la musique dans la fosse d'orchestre dont l'avait initialement délogée la propension réaliste du parlant.

Création ou renouvellement de genres

On peut se demander si, dans un premier temps, le parlant n'a pas entraîné le cinéma vers certains genres particuliers en le détournant d'autres possibilités d'expression spécifiques du muet, telles que le mélodrame sentimental flamboyant. Là encore, on constate que tous les genres abandonnés avec le parlant ont été peu à peu reconquis par celui-ci, une fois qu'il a eu maîtrisé ses moyens.
Il était évident que le parlant en ses débuts amènerait une débauche de théâtre filmé, et c'est ce qui se produisit en effet. Seulement, on n'oubliera pas que le muet faisait déjà une grande consommation d'adaptations scéniques. Dans un premier temps, le parlant, par son effet naturaliste, voire trivial et quotidien, a pu favoriser certains genres plutôt que d'autres ; la comédie de boulevard, la fantaisie alerte ou amère, et le film d'action sec, comme Scarface, 1932, de Hawks au détriment des films plus romantiques, plus oniriques et plus lents. Au fond, le cynisme réaliste de La Chienne en1931 de Renoir ou de Sous les toits de Paris de René Clair en 1930 serait peut-être dû pour beaucoup à la nature d'un cinéma parlant qui ne permettait plus de rêver sur des images muettes.
Le parlant n'a pas seulement favorisé les genres bavards ou bruyants, tels que ceux qui sont cités plus haut. Il a aussi créé des genres qu'on pourrait appeler taciturnes – ceux qui font entendre les bruits du silence.
Comme beaucoup l'ont souligné, Robert Bresson, Béla Balázs, c'est le parlant qui a rendu le silence expressif.
L'absence totale de son synchrone, dans le muet, n'était qu'un postulat technique ; dans un film parlant, elle devient un élément expressif.
C'est ce qu'éprouvèrent vivement les spectateurs de l'Hallelujah de Vidor (1929) dans une séquence où deux hommes se poursuivent dans les marais, et où l'on n'entend que leurs halètements.

Le cinéma à l'ère de Babel. Le doublage

Dans le cinéma muet, les personnages et les évènements, à la faveur de la rareté du verbe et de l'absence de voix, pouvaient conserver un certain caractère de généralité, d'abstraction, demeurer des essences. Au générique et dans les intertitres, on lisait souvent non des noms propres comme Scarlett, Philip Marlowe ou le père Jules, mais la femme de la ville, le père, le Chinois.
Tout cela a changé avec le parlant qui, en donnant une voix, donc une langue, une identité ethnique et souvent un nom propre aux personnages, les immergeait dans une réalité plus quotidienne et davantage située. Le cinéma parlant a ainsi introduit dans le cinéma la division de Babel.
"La technique du parlant, signalait Fondane en 1931, a morcelé le cinéma en autant de productions que de pays"
Jusqu' à l'invention du doublage, survenue assez rapidement (vers 1931-1932), cela posa un réel problème pour la carrière internationale des films et des acteurs.
Un film muet pouvait rassembler les acteurs des nationalités les plus diverses. Pour diffuser le film dans le monde entier, il n'y avait qu'à changer les cartons des sous-titres ou, dans certains pays – en Orient notamment –, à les faire traduire par un bonimenteur.
Mais avec le parlant le problème de la langue et de l'accent devenait épineux. Dans son premier film parlant, Blackmail, Chantage, 1929, prévu à l'origine pour être muet, Hitchcock avait pour star une actrice allemande, Anny Ondra, qui ne parlait pas très bien l'anglais.
Il tourna la difficulté en la faisant doubler en direct sur le tournage par une actrice anglaise présente sur le plateau et placée hors champ.
Les solutions adoptées dans les premières années, pour la diffusion internationale des films, furent multiples et chaotiques, à l'image des films eux-mêmes dont la formule était souvent composite et variable : soit muets aux quatre cinquièmes avec deux ou trois scènes parlantes cas du premier parlant officiel, Le Chanteur de jazz, soit tournés en muet puis complètement postsynchronisés après coup en studio dans la langue du pays, cas du film français tourné par Louise Brooks, Prix de beauté, d'Augusto Genina, 1930, soit carrément bilingues, comme Allo Berlin ici Paris, de Julien Duvivier, 1931, tourné en une seule version, avec pour héros deux jeunes téléphonistes qui, à Paris et à Berlin, montrent qu'ils savent se faire comprendre dans leurs langues réciproques, soit enfin, solution fréquemment adoptée mais coûteuse, réalisés en deux ou plusieurs versions dans les mêmes décors avec des distributions différentes. Le Marius de Pagnol fut ainsi filmé, parallèlement à la version française d'Alexandre Korda que nous connaissons, dans une version suédoise avec des acteurs suédois qui succédaient aux interprètes français pour chaque plan !
Mais le doublage, mis au point par la suite, a ses inconvénients bien connus, le principal étant de plaquer sur le corps et sur le visage d'un acteur une voix et une langue qui sont étrangères à sa façon d'être et de bouger ; et, bien sûr, de mutiler son interprétation.
Sans compter, tout comme pour une œuvre littéraire, les problèmes de traduction et de fidélité à l'esprit. Le sous-titrage, qui est préféré par les cinéphiles, a d'autres inconvénients. Il abîme l'image et ne donne qu'une version extrêmement abrégée du texte, où les sous-entendus, les nuances d'expression sont forcément traduits et simplifiés.
Couplé à ce problème du doublage, celui du choix entre le son direct et la postsynchronisation est apparu avec le parlant. Il faut savoir que, dans la plus grande partie des films montrés aujourd'hui, le dialogue entendu dans la version originale n'est pas celui qui a été prononcé sur le tournage, c'est un dialogue ré-enregistré après coup et en studio par les interprètes.
Cela pour des raisons essentiellement pratiques : le tournage est ainsi libéré des problèmes de son, surtout aujourd'hui où l'on tourne fréquemment en extérieurs et en décors réels. Ceux qui allèguent, pour combattre cette habitude de postsynchroniser, l'exemple de la pratique coutumière du « son direct » dans les années trente oublient en effet qu'à l'époque on tournait largement en studio, ce qui supprimait le problème de l'intrusion de bruits extérieurs.
À décor faux, son vrai ; à décor vrai, son faux : cette équation n'est pas incontournable, mais si l'on ajoute que le monde extérieur actuel est beaucoup plus sillonné de sons que celui d'il y a trente ans, on accordera que tourner un dialogue intelligible en son direct et extérieur pose plus de problèmes aujourd'hui qu'autrefois.

La voix

La révélation, par le cinéma parlant, de la voix réelle de stars que le public ne connaissait que par leur image – ainsi Greta Garbo – a créé un choc dont on se souvient encore : l'un avait une voix trop perchée, l'autre un accent étranger, le ou la troisième un timbre trop caractéristique par rapport à ce que suggérait son physique. Il a fallu d'un jour à l'autre cesser de rêver à une harmonie a priori des corps avec leur voix naturelle.
De cette révélation, le principe du doublage, imposé par le parlant, a été la contre-épreuve : pour le public français populaire des années trente et quarante, la voix naturelle de Clark Gable était en réalité celle de son invisible doubleur Robert Dalban ; la langue naturelle de Laurel et Hardy, un français parlé avec l'accent anglais ; quant aux acteurs des films italiens, le doublage leur donnait fréquemment un accent du Midi.
Le cinéma parlant travaille donc sur l'être humain en séparant la voix du corps, et en recomposant l'ensemble soit fidèlement, soit tout à fait librement.
Il faut se rappeler que longtemps avant le parlant la voix humaine était déjà, par la radio, le téléphone, le disque, un objet d'enregistrement et de retransmission en soi, détaché de son support corporel et visible : une voix entendue en gros plan pour des nécessités d'intelligibilité et qui régnait puissamment, par la magie des mots proférés, sur l'imaginaire.
C'est cette voix que l'on retrouve assez vite dans le cinéma parlant, mais confrontée cette fois avec la possibilité de sa visualisation.
D'où un jeu de cache-cache où le propriétaire d'une voix qui est en même temps souvent un assassin, un criminel... hante l'écran un certain temps sans se laisser voir par le spectateur, jusqu'à ce qu'il soit éventuellement visualisé, et, par là, devienne vulnérable. Nous avons appelé acousmêtre, de acousmatique, que l'on entend sans en voir la cause ce type de personnage, qui dans certains films existe à part entière par sa voix hors champ. Qu'il s'agisse du criminel Mabuse donnant ses ordres dissimulé derrière un rideau dans Le Testament du docteur Mabuse de Fritz Lang, du Magicien d'Oz dans le film de Victor Fleming ou de la mère invisible et meurtrière du héros dans Psychose d'Alfred Hitchcock, cet acousmêtre souvent malfaisant se voit attribuer des pouvoirs d'omnivoyance et d'ubiquité qui en font le spectateur absolu des images du film – par opposition d'une part avec les personnages incarnés et visualisés qui évoluent sur l'écran et, d'autre part, avec les voix off sereinement désengagées, celles des documentaires, par exemple qui commentent ou suscitent des images après coup sans plus y risquer leur corps actuel.
Le cinéma parlant laisse donc plus ou moins flotter les voix hors des limites de leurs corps, et tire souvent sa magie de ces voix errantes qui tournent autour de l'image dans l'espoir de s'y fixer, comme si la voix, au cinéma, restait première, fondatrice par rapport à l'image qu'elle est pourtant, historiquement, venue rejoindre plus tard. Mais la voix est aussi le support du verbe, elle est parole, dialogue – ou bien, dans certains cas, lecture.
On peut distinguer, en ce sens, trois utilisations de la voix parlée au cinéma :
– L'utilisation la plus courante, et théâtrale : les personnages échangent des propos destinés à être entendus intégralement par le spectateur, qui sont toujours significatifs par rapport à l'action, en même temps qu'ils révèlent humainement, socialement, affectivement ceux qui les prononcent, ne serait-ce que par le biais du mensonge, du silence ou de la dissimulation.
– La deuxième utilisation est à la fois plus rare et d'autant plus marquante quand elle apparaît : c'est celle où le son de la parole a une valeur de texte en soi, capable, comme celui d'un roman, de mobiliser, par le simple énoncé d'un mot ou d'une phrase, les images de ce qu'il évoque. Ce niveau de texte est généralement réservé à des voix off de narration, mais il peut aussi arriver qu'il sorte de la bouche de personnages en action, principaux ou secondaires, par exemple certaines scènes clés des deux premiers films parlants de Fritz Lang : M le Maudit et Le Testament du docteur Mabuse.
– Une troisième utilisation existe, diamétralement opposée en apparence à la deuxième : c'est celle que nous appellerons la parole-émanation, quand le dialogue est comme une sécrétion des personnages, un aspect complémentaire de leur façon d'être ou un élément de leur silhouette, comme chez Tati, burlesque observateur, où les dialogues ne sont entendus que par bribes, mais aussi quand ce dialogue, même si son contenu est capital, n'est pas ce qui contribue à faire avancer le film, et que le découpage cinématographique évite d'en renforcer les divisions et les points forts, la succession des plans se produisant selon une logique extérieure aux articulations du discours tenu.
Ce n'est que chez des auteurs comme Fellini ou Tarkovski, ou encore dans des films isolés comme le 2001 de Stanley Kubrick, que l'on rencontre ce parti pris, plus rare qu'il n'y paraît.

Le contrepoint audiovisuel

"Le cinéma muet, rappelait Belá Balázs, recélait une contradiction entre l'image et la parole écrite. Car on était obligé d'interrompre l'image, le jeu visuel, pour intercaler des sous-titres."
Le parlant, en permettant un flux visuel continu et en déchargeant l'image de certaines contraintes de narration devait permettre, en principe, au cinéma d'être encore plus visuel.
Et il est vrai que certains tempéraments on ne peut plus visuels comme Fellini ou Hitchcock ont su pleinement s'épanouir avec le parlant... En même temps, le son a introduit comme un corps étranger, perturbateur, dans l'idée unie, absolue, que l'on se faisait du cinéma pur .
Finalement, pour les tenants du cinéma comme art, c'était en augmentant ses possibilités de simulacre – donc en le poussant plus loin dans le sens même de ce pour quoi il avait été inventé – que l'on compromettait son développement. À ceux-là, le cinéma parlant apparaissait d'abord victime de la redondance du synchronisme, c'est-à-dire du principe de filmer des talking heads, et la solution dite de l' a-synchronisme semblait être le moyen de libérer l'image des chaînes de la parole : ce qu'ils appelaient le contrepoint audiovisuel.
Pour Balázs, par exemple : Le libre maniement contrapuntique du son et de l'image libérera le cinéma parlant des chaînes de son naturalisme d'origine, et, ce stade atteint, il retrouvera la finesse perdue du cinéma muet. Tandis que pour le cinéaste expérimental allemand Walter Ruttman, cité dans Pour vous, Paris, 17 déc. 1929 :
"Le film sonore est ou devrait être la création visuelle d'une continuité dramatique “secondée” en contrepoint par une continuité acoustique. "
Qui aujourd'hui ne serait prêt à reprendre ces paroles, et à déplorer que ce programme n'ait pas encore été réalisé ? Mais quelques lignes plus loin, dans le même article, Ruttman donne des exemples du « contrepoint » auquel il pense, et nous nous apercevons que tous ces cas sont devenus monnaie courante :
"Vous entendez une explosion et vous voyez le visage effrayé d'une femme, ou vous voyez un match de boxe et vous entendez la foule qui hurle, ou vous entendez un air sentimental sur un violon et vous voyez une main qui en caresse une autre, ou vous entendez le mot et vous voyez l'expression de l'interlocuteur."
Ainsi, ce contrepoint audiovisuel que l'on continue de réclamer à cor et à cri, le cinéma le plus courant le mettrait sans arrêt en œuvre ? Exactement. Souvent, en effet, c'est du son que le spectateur reçoit des informations, des impressions, des sensations, des visions même, dont il attribue la cause à l'image, ou, pour être exact, dont il situe le lieu dans l'image.
Le contrepoint audiovisuel n'est repéré par lui que lorsque la piste sonore fait entendre quelque chose qui est non seulement complémentaire et parallèle à l'image, mais aussi qui semble être contradictoire avec elle : on voit un certain décor et on entend des sons qui ne s'y rattachent nullement ; un objet tombe et le bruit entendu nous choque comme contredisant le son attendu, par exemple, dans les films de Robbe-Grillet sonorisés par Michel Fano). Le problème se pose alors du statut diégétique – c'est-à-dire de la situation dans l'histoire – de ce son en contrepoint : correspond-il à la pensée ou à la perception déformée d'un personnage, son subjectif, à l'expression d'une idée par la mise en scène, contraste entre un monde et un autre ou suggestion d'une métaphore, comme le son d'un match de rugby dans la bagarre du Million, de René Clair ?
Cherche-t-il à faire exister un monde différent du nôtre ? S'agit-il encore d'une sorte de dédoublement de la scène filmique, l'image et le son nous transportant dans deux lieux différents ? Ou enfin ne serait-ce qu'une contradiction apparente, résolue à la fin de la scène, quand on découvre par exemple que la source du son « anormal » était un magnétophone ou un poste de radio ? C'est ce problème qu'il faut d'abord résoudre, et, de fait, c'est parce qu'il n'a pas été résolu par une convention aussi admise que celle de la « musique de fosse » que la question reste entière et que les tentatives de contrepoint audiovisuel radical sont assez rares, et souvent rhétoriques, intellectuelles et forcées.
En revanche, pour d'autres cinéastes que nous appellerons baziniens, en référence au grand critique André Bazin, qui a théorisé cette position, et qui sont par exemple Jean Renoir, Carl Dreyer, Roberto Rossellini, et aujourd'hui Eric Rohmer, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, les choses ne se présentent pas ainsi : le son est d'abord ce qui leur permet de traiter mieux et plus complètement leur sujet, qui est l'homme, la réalité. Le cinéma est parlant parce que l'homme est parlant, l'homme avec sa destinée, sa place dans la société, son histoire, ses sentiments.

Liens
http://youtu.be/j48T9BoKxlI extrait du film
http://youtu.be/y0Gqixif654 Olson story
http://www.youtube.com/watch?v=nAqnUP ... e&list=PLB794C3367FCE3610 Le cinéma parlant d'avant guerre

Histoire du cinéma suite -->
http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=3494#forumpost3494


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#244 Re: Le Caravage
Titi Posté le : 30/09/2013 11:29
Chère Lorianne, en voyage en Rome il y a de cela déjà, quelques années, nous avons, mon épouse et moi même, comme tout bon touriste lambda, visité la villa Borghèse, ignorant tout ou partie de ce que nous allions y rencontrer, nos connaissances sur les choses de l’art en général et de la peinture en particulier, n’étant pas des plus étendues, malgré mon entêtement à tenter de reproduire sur toiles, et de façon maladroite, moult paysages de ma campagne Tourangelle !!! . Pourtant, au cours cette visite, après avoir admiré la finesse des statues de Bernin, et peut être déjà conditionné par la beauté et le réalisme de celles-ci, la découverte des œuvres du Caravage, fut, sans nul doute, une de mes plus belles émotions jamais ressenties. Il y avait là, une telle lumière dans la noirceur de ses tableaux, une profondeur d’une incroyable intensité, une telle douleur profonde exprimée au travers de ces toiles, que sans même connaitre la vie chaotique de ce génie (carence vite gommée à la suite de cette visite inoubliable), nous sommes resté totalement scotché devant ces merveilles, au point d’en oublier le reste de cette exposition. Le temps à consacrer pour chaque visiteur étant limité en cas d’affluence, nous n’avons pas pu finir cette visite : nous avions passé trop de temps devant les toiles de ce génie tourmenté !!! Mais pourtant, pas de regret, ayant d’une part découvert le reste des richesses culturelles de ce remarquable endroit, dés le lendemain, mais ayant, d’autre part, acquis la conviction que notre regard ne serait plus jamais le même sur la perception et l’émotion que peuvent véhiculer de tels artistes. Dés lors à l’évocation des œuvres telles : « Le garçon à la corbeille de fruits, La madone des plafonniers, ou David portant la tête de Goliath, je ressens, bien des années après, ce merveilleux sentiment d’absolu, perçu lors de la découverte des œuvres du Caravage, doublé d’une indicible sensation de plaisir : j’ai vu, j’ai touché avec mes yeux et je suis entré dans la profondeur des tableaux d’un artiste que j’ai failli ne jamais découvrir !!! Aussi, Loriane, à la lecture du nom de Caravage dans la liste des artistes à découvrir cette semaine sur le site L’Orée des rêves, j’ai de nouveau ressenti, comme à chaque fois, ce petit frisson parcourant mon échine, signe avant coureur d’un bonheur tout proche, et d’une sensation d’absolu que me procure les œuvres de ce génie. Il y a là quelque chose d’inexplicable, d’irrationnelle, mais pourtant bien réelle dans cette peinture, ou tous les sentiments : de la violence à la douceur en passant par la compassion et la colère sont exprimés avec une telle force de conviction.
Merci Loriane d’avoir mis à l’affiche, cet artiste, pour les incultes de mon espèce, à qui tu vas permettre de découvrir, l’intensité de ses œuvres .


#245 Le Tintoret
Loriane Posté le : 28/09/2013 23:04
Le 29 septembre 1518 naît Jacopo Robusti, dit Tintoretto,

Dans la république de Venise, ce peintre Vénitien du mouvement artistique maniériste, à eu pour maître Le Titien, et pour éléves Marietta Robusti, Paolo Fiammingo, Ludovic Toeput, Martin de Vos, l’Aliense, il décéde le 31 Mai 1594
Bien qu’il fût vénitien de naissance, son surnom dérive de la profession de son père, Giovanni Battista, teinturier de tissus de soie et qu’il résidât toute sa vie à Venise


Tintoret est un peintre vénitien par sa naissance mais aussi parce qu'il a exalté dans son œuvre les forces qui constituaient le fondement de la puissance de sa cité : un solide pouvoir civil et une religiosité ardente qui favorisaient les arts.
Cette identification du peintre avec sa ville, avec une société qui, pendant la seconde moitié du XVIe siècle, sut conserver un profond sentiment de la liberté civile et religieuse, ne conduit pas à une limitation, mais à un approfondissement et à une caractérisation de son art.
La critique moderne a restitué à l'artiste son visage et sa grandeur, après l'incompréhension du XVIIIe siècle et les incertitudes du siècle suivant.
La sensibilité qui a créé la poétique expressionniste nous a aidés à comprendre le langage de Tintoret. Ce langage se forme au moment le plus dynamique de la culture maniériste et, bien que sensible aux voix des grands contemporains vénitiens – Titien et Véronèse –, élabore une forme d'expression très personnelle.
L'artiste fait éclater l'espace, la structure plastique, et fait appel surtout à la lumière pour traduire ses visions dramatiques.
Le Tintoret, de son vrai nom Jacopo Comin est né à Venise et doit son surnom le petit teinturier à son père, Battista Robusti, qui travaillait dans une teinturerie tintorìa en italien e, effety son surnom dérive de la profession de son père, Giovanni Battista, teinturier de tissus de soie.
Il résidât toute sa vie à Venise, seul un voyage à Mantoue en 1580 est documenté, dès ses débuts sa manière diffère tant, sous certains aspects, de la tradition lagunaire qu’on doit chercher son origine hors de Venise.
Élève de Titien, il est réputé pour avoir dépassé son professeur dans la maîtrise des couleurs et des ombres, du rendu de la matière, s’inscrivant ainsi parmi les grands du style vénitien.
Avant d’être admis à participer à une œuvre nouvelle, tout élève apprend le métier en copiant le travail du maître. Le garçon est-il trop impatient d’affirmer sa personnalité ? Ou bien le patron a-t-il surpris quelques dessins de lui et l’a-t-il renvoyé de crainte que de pareils débuts ne révèlent un concurrent potentiel ? Toujours est-il que Jacopo ne reste que quelques mois chez Titien, fait attesté par Ridolfi en 1648, cette formation fût précocement interrompue par la rivalité vite née entre le maître et son élève trop prometteur –,
Il s’intéresse aux courants maniéristes toscan, romain et émilien, diffusés à Venise par des artistes comme Sansovino, Salviati et Schiavone. Il avait une grande admiration pour Michel-Ange qui l’a influencé dans sa technique du dessin.
Le Tintoret avait une passion pour les effets de lumière : il réalisait des statues de cire de ses modèles et expérimentait l’orientation des sources de lumière avant de les peindre. En conséquence, certains visages réapparaissent dans différents travaux, sous différents angles et différents éclairages.
Les œuvres les plus connues de Tintoretto sont une série de peintures de scènes de la vie de Jésus et de la Vierge Marie dans la Scuola Grande di San Rocco, dont il est nommé décorateur officiel en 1564.
Dans ces œuvres de dimensions impressionnantes, le Tintoret réalise des compositions aux espaces vertigineux et dynamiques et aux torsions exacerbées où domine un clair-obscur fantomatique et dramatique .
La réduction de la couleur à des effets de clair-obscur correspond à l’atmosphère de miracle du Saint Roch guérissant les pestiférés, 1549, église S. Rocco et marque le premier pas accompli sur la voie des grandes conquêtes luministes

Le séquestré de Venise

La famille de Jacopo Robusti, dit le Tintoret, était originaire de Lucques en Toscane, mais le destin du peintre apparaît étroitement lié à la cité de la lagune.
Dans les églises et les Scuole il prodigue ses peintures, enrichit de fresques joyeuses les façades des palais qui se reflètent dans les canaux, offre des dessins aux mosaïstes qui achevaient les voûtes dorées de la basilique Saint-Marc.
Aucun document ne permet de préciser l'année de la naissance du peintre, mais d'après son acte de décès 31 mai 1594, qui le déclare âgé de soixante-quinze ans, on peut en déduire qu'il naquit en 1519. La date de sa naissance sera précisée, car retrouvée plus tard sur ses documents de baptème, comme ce fut le cas pour beaucoup de personnages de cette époque.
En 1539, dans un acte public, le peintre signait : Mistro Giacomo depentor. Il est certain que Tintoret fut un artiste précoce ; son père qui était teinturier,tintore dut l'envoyer très tôt chez quelque modeste artisan.
Sa petite taille lui valut le diminutif affectueux de Tintoretto petit teinturier, qu'il accepta et transmit à ses héritiers.
On ne possède pas de documents relatifs à la période où il fut l'élève de Titien, interrompue, si l'on se réfère aux sources, par la jalousie de son maître.
L'enseigne que, selon la tradition, le peintre plaça dans son atelier, Il disegno di Michelangelo, il colorito di Titiano peut être considérée comme une allusion à la diversité d'intérêts culturels et figuratifs qui le stimulèrent certainement dès sa bouillante jeunesse : la culture vénitienne – éclairée vers les années trente et quarante par l'art de Titien – et la culture maniériste composite de l'Italie centrale.

Succès

Tintoret commence à produire intensément au cours de la décennie 1540-1550, et pas seulement pour des particuliers ; en effet, en 1548, il obtient la commande d'un vaste tableau pour la Scuola di San Marco, œuvre qui, du fait de la nouveauté de son style, fut considérée comme provocatrice par le milieu conservateur des religieux qui la lui commandèrent, mais comme neuve et intéressante par des lettrés sensibles et dénués de préjugés comme l'Arétin.
Doué d'une grande force de travail et impatient de réaliser les ardentes visions que lui suggère son imagination, Tintoret s'assure une grande quantité de commandes, certaines officielles, faisant toujours preuve d'un remarquable manque d'intérêt pour le gain. il réalisait des statues de cire de ses modèles et expérimentait l’orientation des sources de lumière avant de les peindre.
En 1550, il épouse Faustina Episcopi, dont il eut huit enfants. Trois d'entre eux apprirent le métier de leur père. Tintoret habitait avec sa famille au bord de la lagune, près de l'église de la Madonna dell'Orto, pour laquelle il créa des œuvres célèbres et où il fut enterré.
Aucune source ancienne ne parle d'un voyage qu'il aurait fait à Rome ; c'est seulement en 1580 qu'il se rend à Mantoue, pour porter au duc la série des Fastes des Gonzague.
Au cours des quinze dernières années de sa vie, il possède encore une vitalité physique et intellectuelle hors du commun et, même si ce fut avec l'aide de ses enfants et de nombreux élèves, il mena à bon terme de vastes cycles à sujets historiques et religieux.
Après la disparition des autres grands protagonistes, les nouvelles générations de peintres vénitiens furent essentiellement dominées par les modes figuratifs de Tintoret, souvent réduits à de simples schémas dépouillés de la profonde imagination du maître et, surtout, ne correspondant pas à sa spiritualité complexe et anticonformiste.
De cette indépendance d'esprit, d'un Tintoret batailleur et agressif font foi quantité d'épisodes rapportés par les historiographes du XVIIe siècle, Boschini et Ridolfi.
Mais c'est surtout devant le problème religieux que la personnalité de Tintoret apparaît intéressante et originale.
Il est profondément croyant ; ancrée dans la réalité quotidienne des couches sociales les plus modestes, sa foi est enrichie par la méditation des textes religieux.
Il prend certainement part au mouvement spirituel de la Réforme catholique qui, à Venise, est marquée par la personnalité du cardinal Gaspare Contarini 1483-1542.
Il manifeste aussi cette indépendance que Venise sut toujours garder à l'égard des plus hautes autorités ecclésiastiques ; cette attitude se révèle chez l'artiste dans des iconographies insolites, où il ne tient pas compte des préceptes de la politique culturelle de la Contre-Réforme.

Un peintre maniériste

Le caractère essentiellement vénitien du peintre "le séquestré de Venise" , comme l'appela Sartre n'empêche cependant pas Tintoret de suivre les développements de la peinture italienne : celle-ci, à partir des centres de Florence et de Rome, exporte la nouvelle culture maniériste, aux manifestations multiformes, mais qui est marquée par une problématique spirituelle commune et par des modes figuratifs capables d'en exprimer la nature complexe et tourmentée.
Si l'influence du maniérisme se fait déjà sentir à Venise avec la génération de Lotto, de Pordenone, Pâris Bordone et Schiavone, si elle constitue un épisode dans l'évolution de Titien et de Véronèse, on peut affirmer qu'elle prédomine dans la constitution du langage de Tintoret.
Ce n'est pas seulement l'échange intense d'artistes entre la Vénétie et l'Italie centrale qui favorise la diffusion des idées nouvelles, mais aussi le fait que Pietro Aretino, l'Arétin se fixe à Venise à partir de 1527.
Le dialogue de Dolce sur la peinture, intitulé L'Aretino, consacre l'importance du Toscan, Vénitien d'élection, dans le climat agité de la culture artistique de la ville. Alors que l'historiographie ancienne situait les débuts de l'activité officielle de Tintoret en 1547-1548, les études modernes donnent cette date comme étant la fin de sa période de formation.
Dans la production de Madone et de Sacre Conversazioni des débuts, on note déjà combien l'artiste élabore avec une sensibilité plastique rigoureuse et un goût luministe neuf les thèmes empruntés de façon éclectique à Pordenone, Bonifacio et Schiavone.
Un plafond en quatorze caissons, conservé à la Galleria Estense de Modène, constitue un jaillissement soudain, où les structures plastiques sont violentées par des mouvements et des raccourcis sur lesquels jouent des lumières crues.
L'adhésion enthousiaste à une syntaxe maniériste – que Tintoret connaissait par des dessins et des gravures – confère à ces œuvres une couleur particulière : les exemples de Jules Romain à Mantoue constituèrent pour les peintres et les architectes vénitiens une source très importante d'inspiration.
La construction formelle si riche, le goût des raccourcis et des perspectives, qui implique une vive sensibilité de l'espace, offrent au jeune Tintoret les moyens de réaliser un style narratif vivant, violent, qui, dans le climat vénitien de la première moitié du XVIe siècle, n'avait de précédents que chez Pordenone.
C'est en ce sens que doivent être appréciées les diverses peintures de caissons illustrant des épisodes de la bible, celles du Kunsthistorisches Museum de Vienne, que l'on peut dater de 1544-1545, l'œuvre singulière "Jésus au milieu des docteurs au Museo del Duomo, Milan, lourde de significations culturelles, ou la Conversion de Saul National Gallery of Art, Washington, où des éléments formels empruntés à Pordenone et à Schiavone, ainsi que le souvenir de la Bataille de Titien du palais ducal, sont exaspérés par une vague de mouvements qui se propagent dans l'espace.
Mais des œuvres plus décoratives ne manquent pas, où les corps sont rendus avec une élégance raffinée, comme dans le plafond pour l'Arétin représentant Apollon et Marsyas 1545, ou les essais de composition de groupes échelonnés dans des salles aux architectures compliquées dont différentes versions de La Femme adultère : "Galleria nazionale de Rome", "château de Prague", "Rijksmuseum d'Amsterdam".
Deux tableaux datés de 1547, destinés à l'abside de l'église San Marcuola à Venise, sont déjà un exemple, pour ce qui est de la maturité du style, de l'univers formel et expressif de l'artiste : dans La Cène, in situ, la traditionnelle iconographie horizontale s'articule en un dramatique contraste de lumières et d'ombres, que souligne le rythme mouvementé des Apôtres se pressant autour du Christ ; dans Le Lavement des pieds, à présent au Prado, une autre version signée se trouvant à la cathédrale de Newcastle-upon-Tyne, les épisodes se déroulent dans une spatialité dilatée, créée par l'architecture monumentale de Serlio.
Dans ces deux tableaux, l'évocation du milieu est vigoureusement soutenue par une étude précise des personnages, humbles gens du peuple.
De tels essais préparent et annoncent le chef-d'œuvre qui fit tant de bruit, Le Miracle de saint Marc libérant l'esclave, Galleria dell'Accademia, Venise.
Cette toile se caractérise par la richesse des situations formelles des figures, la disposition théâtrale féconde en trouvailles, la puissance unificatrice de la lumière sur les zones de couleur qui maintiennent les tons particulièrement marqués, presque contrastants, selon un goût maniériste qui se différencie nettement de la tradition tonale inaugurée par Giorgione et renforcée par Titien.
Le Saint Roch guérissant les pestiférés à l'église San Rocco de Venise en de 1549, présente des valeurs stylistiques analogues ; son pendant de 1567, Saint Roch en prison, encore plus dramatique dans ses effets de clair-obscur, suscita intérêt et admiration, même de la part de Vasari.
En effet, le peintre-écrivain toscan ne pouvait manquer d'apprécier la disposition formelle dynamique, typiquement maniériste de Tintoret, dessinateur enragé de moulages de Michel-Ange et qui avait étudié les gravures de l'Italie centrale.
Mais Vasari était troublé par la nouveauté de la technique de Tintoret, visant à suggérer la forme par une rapidité d'exécution qui était la négation même de la traditionnelle application. En fait, la prise de position de Vasari a continué de peser sur les appréciations que reçut l'œuvre de Tintoret.
La critique du XVIIe siècle reprend l'éloge qu'il fait des structures du dessin qui mettent en valeur l'apport nouveau de la sensibilité luministe, M. Boschini, La Carta del navegar pitoresco, 1660.
Au lendemain de l'expressionnisme, la sensibilité moderne a tiré profit de toute la puissance suggestive de l'art de Tintoret, et aussi de ses gammes de couleurs particulières, retrouvées au cours de l'œuvre de restauration. De la vaste production de Tintoret, qui n'est pas exempte de répétitions et de reprises de schémas et d'idées de composition, on n'évoquera ici que quelques œuvres très importantes qui marquent l'évolution de son style.

Entre 1550 et 1555

On remarque une accentuation du titianisme, c'est-à-dire de la tendance à emprisonner la lumière dans la couleur afin de rendre sensible le paysage, Histoires de Genèse pour la Scuola della Trinità, à présent à la Galleria dell'Accademia ; en résultera la Suzanne de Vienne, admirable d'équilibre entre ligne et couleur, entre couleur et lumière.
Mais, déjà, dans les transparences cristallines du corps de Suzanne, on observe un rapprochement avec Caliari, un jeune peintre ayant bien plus d'affinités avec Tintoret que Titien, du fait de son expérience maniériste fondamentale, et qui, à partir de 1553, travaille au palais ducal.
L'admiration de Tintoret pour la poétique de Véronèse, pour le goût des liaisons décoratives entre les figures où il se complaît à de hardis raccourcis, s'exprime dans les amples scènes aux nombreux personnages et aux foules évanescentes, telles que Moïse faisant jaillir l'eau du rocher, Städelsches Kunstinstitut, Francfort-sur-le-Main), dans des compositions lyriques, où l'arabesque des figures s'insère dans l'espace construit par graduation de couleur et de lumière, comme La Délivrance d'Arsinoé, musée de Dresde ou Saint Georges et le dragon National Gallery, Londres.
En 1562, après plus de vingt ans, Tintoret reprend le cycle des histoires de saint Marc, réalisant avec l'épisode de l'Invention du corps de saint Marc à Brera, Milan une page magnifique, surtout par sa spatialité et sa dialectique luministe rigoureuse et structurée.

La maturité

Désormais, Tintoret, dans la plénitude de sa maturité, a atteint à une telle maîtrise de ses moyens d'expression qu'il peut affronter l'exécution des deux immenses toiles du chœur de la Madonna dell'Orto : Moïse recevant les tables de la Loi, motifs thématiques que le peintre rencontra au cours de ses méditations sur les textes sacrés.
Une comparaison avec le Jugement que Michel-Ange composa antérieurement apparaît inévitable, mais, si l'on peut affirmer que Tintoret a bien emprunté certains motifs comme la figure serpentinata, en revanche, l'intuition de la puissance du geste retenu, la spatialité multiple, qui attire le spectateur comme dans un tourbillon, sont fondamentalement différentes.
Au cours de ces années débute l'entreprise extraordinaire de la décoration de la Scuola di San Rocco.
Cette association laïque charitable avait été fondée pour l'assistance des malades durant les épidémies de peste ; elle devint un institut de charité au sens large, acquérant une importance sociale, et donc politique, surtout dans les moments de crises provoqués par les guerres ou les famines. Tintoret ne laissa pas échapper l'occasion d'une œuvre qui convenait si bien à son esprit religieux et à sa dévotion au saint.
S'étant assuré, en offrant un Saint Roch en gloire, la réalisation du premier groupe de décoration, salle de l'Albergo, 1564-1567 représentant des scènes de la Passion dominées par la dramatique Crucifixion, il poursuivra l'exécution de cet immense ex-voto en plusieurs étapes : décoration de la salle du premier étage, 1575-1581, avec des scènes de l'Ancien Testament sur le plafond et des épisodes de la vie du Christ sur les murs ; décoration, toujours sur de vastes toiles, du rez-de-chaussée, où les épisodes du Nouveau Testament se rattachent surtout à une exaltation de la Vierge, 1582-1587.
Le caractère essentiellement autographe de presque toute l'œuvre permet de suivre l'évolution de la fin de la maturité et de la féconde vieillesse de Jacopo.
Un programme réalisé au cours des ans fait de cet ensemble un document exceptionnel sur la conception religieuse du maître, qui exalte le rôle charitable de la Scuola et la consolation qu'apporte la foi aux misères physiques et morales.
Suivant les lignes directrices de la biblia pauperum, le poème biblique est narré avec une grande richesse de motifs stylistiques : les foules tumultueuses, saisies dans des attitudes désordonnées, modelées par des lumières rasantes, alternent avec des scènes solennelles de méditation ; les grands panneaux, où la foule anonyme est guidée par le sentiment de l'ensemble – que la musique contemporaine est en train de découvrir, Zarlino, Gabrieli –, contrastent avec les petits compartiments représentant quelques figures liées par une tension structurale ; la prédominance des scènes se déroulant en plein air, dans de vastes espaces, finit par dissoudre la présence humaine, comme dans les deux petites figures de saintes méditant, où la conception luministe et la réduction chromatique aboutissent à de mystérieuses vibrations qui incitent à évoquer Rembrandt.
Alors que l'atelier réalise les grands cycles célébrant les gloires de Venise au palais ducal, 1577-1590 et les Fastes des Gonzague pour le duc de Mantoue, 1578-1580 sous le contrôle constant du maître, l'imagination créatrice de Tintoret se déplace plus librement dans des œuvres comme La Cène de l'église San Giornio

Le Portraitiste

Il faut évoquer, enfin, l'abondante galerie de portraits que Tintoret a laissée et que la critique moderne a reconstituée dans son ampleur.
Ce sont des visages d'hommes, de la bourgeoisie et de la noblesse vénitiennes, pour la plupart inconnus, souvent rassemblés en groupes.
L'enquête psychologique du peintre est pénétrante, et parfois impitoyable ;
les portraits de vieillards surtout sont admirables, où Tintoret exalte la puissance d'une force intérieure en soulignant la fragilité de l'être physique.
Sa chaleur humaine, sa confiance en la capacité créatrice de l'artiste et de l'homme soutenu par la foi sont les composantes du contenu de son œuvre.
En effet cette période est marquée par une recrudescence de son activité de portraitiste, genre profondément senti par ce peintre visionnaire qui sait aussi saisir, dans toute leur valeur immanente, des aspects de la réalité brutale. Ce sont surtout des figures de vieillards, dignes et sensibles, vibrants de conscience humaine, portraits d’Alvise Cornaro, Florence, Pitti ; de Vincenzo Morosini, Londres, N. G. ; d’un Sénateur de Venise, Prado.
En 1576, Tintoret commence le deuxième cycle de la Scuola di S. Rocco pour la Sala Grande et le terminera en 1588, le Serpent d’airain, Moïse faisant jaillir l’eau du rocher, la Récolte de la manne et autres scènes de l’Ancien Testament au plafond ; Scènes de la vie du Christ sur les murs, réalisation qui marque l’apogée poétique de son art et où l’on peut reconnaître une des plus hautes pages du maniérisme.
La nature fantastique de l’éclairage, trait de génie du maître, engendre et souligne ces espaces vertigineux, ces renversements de perspective imprévus, ces mises en scène tumultueuses et unifie stylistiquement les distorsions formelles, à des figures de fort relief plastique, aux attitudes forcées, maniéristes, s’opposent en contrepoint les silhouettes filiformes, aux couleurs évanescentes, si caractéristiques de sa manière à ce moment.
Mais une âpre force morale contrôle l’illustration dramatique, visionnaire, de l’exégèse biblique, qui, mue par une impulsion héroïque tendant à dépasser les limites humaines, s’identifie avec la révélation « historique » de l’événement tel qu’il s’offre au regard.
La dernière période

Un maître qui ploie sous les commandes

À partir de 1580, bien que l’accumulation des commandes rend indispensable la collaboration de l’atelier, qui, dans la Sala Grande de la Scuola di S. Rocco, travaille sous la direction absolue du maître ; mais la plupart des autres œuvres contemporaines accusent une baisse de qualité due à l’intervention excessive des collaborateurs de Tintoret.
Les quatre Allégories à la gloire des doges de Venise, dans la Sala dell’Anticollegio au palais ducal, terminées en 1577, sont encore dues à Tintoret seul ;
Leur sérénité démontre bien la souplesse expressive du maître fervent et romantique de la Scuola di S. Rocco.
En revanche, dans les huit scènes des Fastes des Gonzague, commandées par Guglielmo Gonzaga peu avant 1579 et terminées en mai 1580, Munich, Alte Pin, la collaboration massive de l’atelier se fait sentir malgré l’intervention importante de Domenico, fils de Tintoret.
Il en va de même dans le vaste travail de décoration au palais ducal, toiles pour la Sala del Senato et la Sala del Maggior Consiglio, et c’est pourquoi le génie créateur de Tintoret est bien plus sensible dans le modello autographe de son Paradis, Louvre que dans l’immense version définitive, 1588.
Mais, dans la série de huit toiles exécutées de 1583 à 1587 dans la Sala Inferiore de la Scuola di S. Rocco, Tintoret retrouve sa veine inventive ; il rénove sa technique luministe et aboutit dans les Scènes de la vie de la Vierge à des résultats d’un expressionnisme raffiné ; dans la Sainte Marie-Madeleine lisant et dans la Sainte Marie l’Égyptienne, les figures se dématérialisent sous les jets imprévus de lumière, les reflets, les phosphorescences quasi surnaturelles et les filaments incandescents qui font vibrer les paysages fabuleux.
Tintoret peint inlassablement jusqu’à sa mort et laisse dans la Cène fantastique et grandiose de S. Giorgio Maggiore l’ultime message de sa vision poétique.
À cause de son immense popularité, Tintoretto dut souvent recourir à l’assistance de ses enfants, Domenico et Marietta Robusti, qui étaient tous deux des artistes confirmés, très influencés par le style de leur père. Dans son atelier ont aussi travaillé Paolo Fiammingo, Ludovic Toeput, Martin de Vos et l’Aliense.
Il meurt le 31 mai 1594 à Venise.

Succession.

Fils de Jacopo, il vécut et travailla toute sa vie à Venise, qu’il ne quitta que pour un bref séjour à Mantoue et à Ferrare. De 1581 à 1584, il collabora, dans l’atelier de son père, aux peintures du Palais ducal, salles du Scrutin et du Collège et, en 1588, à l’exécution définitive du Paradis pour la Sala del Maggior Consiglio ; cette même année, il poursuivit les travaux de Jacopo à la Scuola Grande di S. Marco.
De 1588 à 1590, sous la direction de Jacopo, il participa avec l’atelier à l’exécution des toiles des Fastes des Gonzague, Munich, Alte Pin..
n 1591, il travaille avec Aliense à la Scuola dei Mercanti et, de 1592 à 1594, en collaboration avec son père, il exécute quelques toiles pour l’église S. Giorgio Maggiore.
Des documents attestent son activité de mosaïste à Saint-Marc en 1595.
Peintre plutôt médiocre, Domenico n’aboutit guère qu’à une imitation prosaïque de l’art de Tintoret.
Quelques œuvres de jeunesse, la Résurrection, Venise, Accademia ; Saint Jérôme, Rome, G. N., Gal. Barberini tirent leur intérêt de certaines notations naturalistes puisées chez Leandro Bassano ou chez des peintres nordiques de l’atelier de Tintoret.
C’est seulement dans le portrait, superficiel et bourgeois, genre qu’il cultiva particulièrement, que Domenico se libère de l’influence paternelle et trouve un mode d’expression personnel.

Œuvres

L’œuvre du Tintoret est immense. En plus des tableaux il a laissé de nombreux dessins préparatoires. On peut citer les œuvres principales suivantes :
Le Siège de Asola (L'assedio di Asola), 1544-1545, huile sur toile, 197 × 467,5 cm, Poznań, Musée National (Fondation Barbare Piasecka Johnson).
La Vierge et l'Enfant avec sainte Catherine, saint Augustin, saint Marc et saint Jean-Baptiste, vers 1545-1546, huile sur toile, 193 × 314 cm, Musée des beaux-arts de Lyon.
Saint Marc sauvant l’esclave, 1548, Venise, Gallerie dell'Accademia.
Adam et Eva Martin, (v.1551), huile sur toile, 150 × 220 cm, Venise, Gallerie dell'Accademia.
Saint Roch guérissant les pestiférés, 1549, Venise, église San Rocco.
56 compositions pour la décoration de la Scuola Grande de San Rocco à Venise, 1546 à 1587, dont :
La Crucifixion, 1565 ;
Saint Georges et le Dragon, vers 1555-1558, huile sur toile, 157,5 × 100,3 cm, Londres, National Gallery.
Le Christ chez Marthe et Marie4, v. 1560, huile sur toile, 197 × 129 cm, Alte Pinakothek, Munich.
Mars et Vénus surpris par Vulcain, 1550, Alte Pinakothek, Munich.
La Descente de croix, 1556-1558, huile sur toile, 135 6 × 102, Caen, Musée des beaux-arts.
La Découverte du corps de Saint Marc, vers 1562, huile sur toile, 405 × 405 cm. Milan, Pinacoteca di Brera.
Esquisse pour le Paradis, 1564, modifié en 1582, huile sur toile, 148 × 362 cm, Paris, Musée du Louvre.
La Cène, 1564-1566, huile sur toile, 90 × 121 cm, Caen, Musée des beaux-arts.
Quatre Allégories à la gloire des doges de Venise, 1577, Venise, palais des Doges.
Danaé, vers 1570, huile sur toile, 142 × 182 cm, Lyon, Musée des beaux-arts.
La Déploration du Christ, vers 1580, Musée des beaux-arts de Nancy.
Autoportrait, Paris, 1588, 63 × 52 cm, Paris, Musée du Louvre.
Le Paradis, 1588, Venise, palais des Doges.
Portrait d’homme en buste, huile sur toile, 55 × 44,5 cm, Strasbourg, Musée des beaux-arts.
Ariane, Vénus et Bacchus, Venise, palais des Doges.
La Cène (Ultima cena), Basilique San Giorgio Maggiore de Venise.
Le Christ lavant les pieds des disciples, Madrid, musée du Prado.
Vierge à l’Enfant avec des saints, Narbonne, musée d'art et d'histoire.
Portrait de gentilhomme, Besançon, Musée des beaux-arts et d'archéologie.
L’Origine de la Voie lactée.
La Source du rocher.
Saints Marc, Jérôme et Bartholomé, (v.1550), Croatie, Korčula, Cathédrale Saint-Marc.
Galerie

Liens

http://youtu.be/eMTnFSggWXY
http://youtu.be/FAGy3-2kaOk restauration de la Cène du Tintoret
http://youtu.be/pbQ0G-NNcyY Conférence St Georges et le dragon du Tintoret
http://www.ina.fr/video/CAC98045258/p ... rtrait-balthus-video.html Balthus devant Le Tintoret



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#246 François Boucher
Loriane Posté le : 28/09/2013 22:24
Le 29 Septembre 1793 naît au royaume de France, François Boucher

Peintre du mouvement artistique rococo, il fut l'éléve de François Lemoyne, influencé par Carle Van loo il reçut le prix de l'académie royale en 1723, il fut agrée peintre d'histoire en 1731 et eut pour éléves Jean-Baptiste Deshays de Colleville et Antoine Babron, il influença Merdicine.

Phare de la peinture du XVIIIe siècle, artisan talentueux, incarnation de l'art rocaille, il est le peintre des Grâces, ces qualificatifs et d'autres qui évoquent la mièvrerie et la répétition, ont été appliqués à Boucher, à plus ou moins juste titre, sans réussir à définir l'artiste.
L'exposition qui lui avait été consacrée en 1986-1987, au Metropolitan Museum à New York et au Grand Palais à Paris, n'était pas non plus parvenue à établir la véritable stature de Boucher, ne fût-ce que parce qu'elle présupposait que le peintre devait être réhabilité, mais aussi parce qu'elle avait volontairement passé sous silence le fécond et prodigieux dessinateur ; de surcroît, les notices analytiques très fouillées du catalogue des peintures ne parvenaient pas à donner une image vraie d'un peintre qui avait incarné sous le règne de Louis XV tous les domaines de l'art.
Il est vrai qu'en dépit des artistes qui l'ont admiré et qui s'en sont inspiré, en dépit également des œuvres nombreuses accrochées aux cimaises des plus grands musées, justice ne lui a pas toujours été rendue, et il est encore de bon ton de faire une moue dédaigneuse quand le nom de Boucher est évoqué.
Pourtant Boucher est l'un des tout premiers artistes du XVIIIe siècle.



Entre Watteau et Fragonard

Situer Boucher entre Watteau et Fragonard aide à comprendre l'évolution du style, de la manière, des thèmes, et de leur transmission concernant un artiste qui, né et mort à Paris, n'a guère quitté cette ville.
Il est fils unique du peintre de l'Académie de Saint-Luc; Nicolas Boucher.
François Boucher reçoit ses premières leçons de son père.
Nous ne savons pas grand-chose des débuts comme peintre de cet élève de François Lemoine – si son Jugement de Suzanne, de 1720-1721, est récemment réapparu et entré en 1997 à la Galerie nationale du Canada, à Ottawa, en revanche Evilmerodach délivre des chaînes Joachim, avec lequel il remporte le premier prix de peinture à l'Académie en 1723, a disparu.
Sa formation de dessinateur, d'illustrateur et de graveur est mieux connue.
Boucher dessine des thèses pour le graveur Jean François Cars qui l'emploie, donne des dessins pour l'Histoire de France du père Gabriel Daniel, dont la publication est annoncée en 1727, et surtout grave, sans doute à partir de 1722, des dessins de Watteau pour les Figures de différents caractères dont Jean de Jullienne publiera les deux volumes en 1726 et 1728.
Sur les 351 planches, 119 sont vraisemblablement dues à Boucher, notamment les deux frontispices, tous les paysages, toutes les figures de Persans et de Savoyards, et bien entendu des comédiens et danseurs, des têtes et des bustes, des étoffes qu'il rend à merveille...
Il grave également quelques peintures de Watteau pour le Recueil Jullienne, en particulier 12 des 31 chinoiseries du château de La Muette. Ce travail, au départ alimentaire, est essentiel pour sa formation et son goût ; il montre son talent d'aquafortiste et est à l'origine de son inspiration et de certains de ses modèles : figures à l'espagnole, femmes vêtues de robes aux plis soyeux, personnages et ustensiles chinois, dont il se fera une spécialité, établissant la Chine comme province du rococo selon la formule des Goncourt, à travers ses dessins, ses peintures, ses cartons de tapisseries.
Il collectionne également des objets d'Extrême-Orient, suivant en cela – ou plutôt précédant – le goût du temps ; il fréquente La Pagode, la boutique de Gersaint qui fut l'ami et le collectionneur de Watteau, pour laquelle Boucher dessine une carte commerciale.
Vers 1740, il grave lui-même d'après ses dessins 12 Figures chinoises du Cabinet de Fr. Boucher Peintre du Roy.


En 1728, Boucher était arrivé à Rome – où il passera trois ans –, en compagnie des peintres Carle, Louis Michel et François Van Loo ; curieusement, il n'est pas pensionnaire de l'Académie de France.
Il rentre à Paris sans doute au début de 1731 ; cette même année, il est agréé à l'Académie en tant que peintre d'histoire.
Il y sera définitivement reçu en 1734 avec Renaud et Armide, musée du Louvre, Paris ; c'est en 1734 également que sont publiées les Œuvres de Molière avec 33 illustrations d'après des dessins de Boucher, et que Bernard Lépicié grave l'Amour moissonneur et l'Amour oiseleur d'après des peintures exécutées pour Derbais.
Cet avocat, premier client connu du peintre à partir de 1732, possédait au moins huit grands tableaux peints par Boucher à son retour d'Italie, qui résument pour l'essentiel l'inspiration et la thématique de l'artiste pour les années à venir.
Avec Vénus demande à Vulcain des armes pour Énée, première élaboration d'un thème sur lequel il reviendra tout au long de sa carrière, Louvre, Paris et son pendant Aurore et Céphale, musée des Beaux-Arts, Nancy, il crée une mythologie mettant en scène des nudités gracieuses.
Ces œuvres confèrent à leur auteur une rapide notoriété, qui se traduit sur le double plan de sa carrière académique et de sa clientèle : dès 1735, il est élu adjoint à professeur, professeur l'année suivante, il sera en 1752 adjoint à recteur, recteur en 1761, enfin en 1765 il devient directeur de l'Académie, en même temps qu'il est nommé premier peintre du roi.
Parallèlement, il reçoit dès 1735 sa première commande officielle, pour la chambre de la reine à Versailles, suivie, en 1736 et 1739, de la Chasse au tigre, ou au léopard et de la Chasse au crocodile pour la galerie des petits appartements du roi, et de Jeux d'enfants en 1738.
En 1756, on lui commandera encore des dessus de porte pour l'appartement du dauphin à Versailles. Pour les petits appartements du château de Fontainebleau, il exécute également quatre dessus de porte de divers sujets champêtres, et il peindra en 1753 le plafond du cabinet du Conseil.
Pour Mme de Pompadour, qui l'apprécie et le soutient, il peint de nombreux tableaux, sans compter les peintures d'emplacement qu'elle lui commande, à insérer dans les boiseries, pour le château de Bellevue Adoration des bergers – ou La Lumière du monde – de 1750, musée des Beaux-Arts, Lyon ou pour le château de Choisy, acheté par Louis XV en 1739, il décore l'appartement des bains ainsi que des cartons de tapisserie, Le Lever et Le Coucher du soleil, Wallace Collection, Londres.

Au cours des années 1740, il exécute de nombreux dessus de porte pour l'hôtel de Soubise à Paris, travaille pour la duchesse de Mazarin, pour le marquis de Beringhen, pour Crozat de Thugny, neveu du grand collectionneur Pierre Crozat.
Il envoie également des dessus de porte pour décorer le château de Christianborg au Danemark et surtout, grâce au comte Tessin, ambassadeur suédois à Paris entre 1739 et 1742, avec qui il se lie d'amitié et à qui il vend des peintures et des dessins, il obtient des commandes de Louise Ulrique de Suède, pour qui il peint notamment la Naissance de Vénus et la Marchande de modes, Nationalmuseum, Stockholm.
Plus tard, il exécute des pastels et des peintures pour la margravine de Bade.
Ces nombreux travaux n'empêchent pas Boucher de donner des modèles de tapisseries pour la manufacture de Beauvais où son ami Jean-Baptiste Oudry l'appelle dès 1734-1735, Fêtes italiennes, Histoire de Psyché, Tenture chinoise, Amours des dieux, La Noble Pastorale, Fragments d'opéra, et pour celle des Gobelins dont il est nommé inspecteur en 1755.
Pour cette dernière, où seront tissées les Tentures de Boucher, Mme de Pompadour lui commande des cartons : Le Lever du soleil, Le Coucher du soleil, et Le Génie des arts, musée des Beaux-Arts, Angers.
Il témoigne dans ces œuvres d'un remarquable brio, d'un talent unique pour assembler ses élégantes figures de bergers, de paysans ou de Chinois, ses nus mythologiques à la fois puissants et gracieux, ses éléments de paysages de fantaisie, de sorte qu'il invente et porte à sa perfection un chapitre capital des arts décoratifs au XVIIIe siècle.



Il ne faudrait pas pour autant passer sous silence ses activités liées à l'Opéra-Comique du théâtre de la Foire, que dirige son ami Charles Simon Favart, et à l'Opéra, auxquels il fournit des dessins de costumes et de décors dès 1737-1738. Pour l'Opéra-Comique ce seront Le Ballet des dindons en 1743, les Vendanges de Tempé de également de Favart en 1744. Pour l'Opéra le décor d'Issé de Houdart de La Motte en 1741, ceux des principaux opéras de Quinault et Lully : Persée en 1746, Atys en 1747, dont il fait le décor du premier acte, Renaud et Armide en 1762, mais aussi ceux de Castor et Pollux, de Gentil Bernard et Rameau en 1764, de Thésée en 1765. On rattache à ces créations des tableaux comme Apollon visitant Issé (musée des Beaux-Arts, Tours) ou encore Pensent-ils aux raisins ? (Nationalmuseum, Stockholm). Mais Boucher peint également le décor intérieur du théâtre de Monnet à la foire Saint-Laurent en 1752, ou les décors du ballet des Fêtes chinoises de Jean Georges Noverre en 1754. Pendant toutes ces années, Boucher ne cesse de dessiner, de peindre, d'exposer de nombreuses œuvres aux Salons. En 1765, bien que malade, il expose onze peintures au Salon. Et bien que sa santé, et peut-être sa vision, laissent à désirer, il donne des modèles pour la gravure ou la tapisserie, et peint de grandes toiles : deux Caravanes pour Bergeret en 1768 (Museum of Fine Arts, Boston), et l'année suivante six toiles mythologiques de très grand format (quatre à Fort Worth, au Kimbell Art Museum, deux à Malibu, au J. Paul Getty Museum). Il meurt le 30 mai 1770 dans son logement du Louvre où il demeurait depuis 1752.

Le Peintre des Grâces

Boucher crée ainsi un nouveau langage pictural, qui a donné sa tonalité au XVIIIe siècle français, voire européen, tout en assurant la transition entre la peinture de la fin du règne de Louis XIV et de la Régence et celle des années 1760-1770.
Les artistes de cette décennie ont tous été influencés par lui, qu'ils aient été ses élèves, comme Jean-Baptiste Deshays, Jean Honoré Fragonard, Jacques Philippe Joseph de Saint-Quentin, Louis Jacques Durameau, ou non comme Hugues Taraval ou Antoine François Callet.
Comment imaginer Les Progrès de l'amour dans le cœur des jeunes filles, les quatre peintures exécutées par Fragonard en 1772 pour Mme du Barry, Frick Collection, New York sans les bergers de La Noble Pastorale ?
Comment expliquer les sujets peints et dessinés par Jean-Baptiste Huet au début de sa carrière sans Boucher, dont il a transposé, voire pastiché les modèles ?
Comment comprendre, même, les œuvres de jeunesse de David, ses morceaux de concours pour les Prix, sans rappeler qu'il fut l'élève de Boucher, dont il devait remarquer plus tard avec admiration que, n'est pas Boucher qui veut.
Et pourtant c'est ce nouveau vocabulaire de mythologie galante, de bergeries précieuses, qui a transformé la peinture de son temps et qui a été diffusé dans toute l'Europe au moyen de tapisseries, de porcelaines, de peintures, et qu'on a reproché à Boucher dès la fin de sa vie, à l'époque néo-classique, au cours de la première moitié du XIXe siècle et encore aujourd'hui : nudités répétitives, amours joufflus, bergers de théâtre, paysages artificiels, manque d'expression.
On critique également le mélange des genres chez ce peintre d'histoire qui donne dans la joliesse et oublie le beau, dans la galanterie et la frivolité à la place du sérieux et de la morale.
C'est oublier le créateur d'un genre nouveau, la pastorale : ses bergers, certes, sont chaussés et vêtus en courtisans, mais c'est cela, justement, qu'on lui commande pour l'hôtel de Soubise, et les Charmes de la vie champêtre, Louvre, Paris, bien qu'exécuté pour un simple dessus de porte, est gravé deux fois par deux artistes différents.
Il en va de même des allégories, Libéralité, Charité, Piété, Prudence peintes en grisaille pour la chambre de la reine à Versailles, musée du Château, dont les jeunes femmes entourées de putti pourraient aussi bien représenter Vénus et Cupidon, l'Aurore ou la Nuit.
Ses rares peintures religieuses manquent de sacré, ses Vierges ont le même visage que les jeunes femmes qu'il surprend dans un boudoir ou dans une chambre à coucher.
Il n'est guère portraitiste, et l'on ne sait trop si ses Odalisques représentent Mme Boucher ou Mlle O'Murphy ; pourtant son grand Portrait de Madame de Pompadour, Alte Pinakothek, Munich n'est pas seulement un admirable hommage rendu à sa protectrice, mais un des chefs-d'œuvre de l'art du portrait au XVIIIe siècle.
D'une certaine façon, tout est interchangeable dans son œuvre, du décor d'opéra à la pastorale, du paysage peint comme toile de fond ou comme tableau de chevalet, d'Armide et de Vénus à Sylvie ou à la jeune femme qui reçoit la marchande de mode. C'est ce mélange même qui, en dépit de son artificialité, forge le style, la manière et l'invention de Boucher.

Un dessinateur exceptionnel

Boucher, enfin, est un dessinateur admirable. Lui-même estimait, à la fin de sa vie, avoir exécuté quelque dix mille dessins ; ce chiffre est peut-être exagéré, mais l'on sait aujourd'hui que dès ses débuts, il multipliait les vignettes à la plume et au lavis : sujets religieux ou historiques pour l'Histoire de France du père Gabriel Daniel, paysages d'Italie, frontispices pour les Figures de différents caractères, copies d'après Sebastiano Ricci ou d'après Abraham Bloemart, dont il gravera lui-même un certain nombre de dessins, et sans doute d'après Watteau.
Tout au long de sa carrière, pourtant bien remplie, Boucher donne des dessins d'illustrations à graver : pour les Satyres et autres œuvres de Nicolas Régnier en 1733, pour les Œuvres de Molière en 1734, pour le Spectacle de la nature de l'abbé Pluche en 1735, pour les Tombeaux des princes, des grands capitaines et autres hommes illustres de Owen McSwiny en 1736-1737, pour la Faunillane du comte Tessin en 1741, pour les Mœurs et usages des Turcs de Jean Antoine Guer en 1746, sans compter les planches isolées, les nombreux frontispices, ou des suites comme les Cris de Paris en 1737.

Mais on ne saurait réduire le dessinateur à l'illustrateur. Boucher prépare en effet ses peintures ou ses cartons de tapisserie par de nombreux dessins de détails : on en connaît six, et il dut y en avoir davantage, pour La Lumière du monde, plusieurs pour les tritons et naïades du Lever et du Coucher du soleil, mais aussi des dessins très finis de personnages du Déjeuner ou de la Femme attachant sa jarretière, ou des bergers de La Noble Pastorale.
Pour la première fois les études d'un artiste sont si poussées, leur technique si aboutie avec un admirable usage des crayons qui jouent souvent sur des fonds de papiers colorés, que certains des dessins préparatoires de Boucher deviennent des œuvres autonomes, voire des dessins de présentation.
Ils sont montés, mis sous verre, encadrés, accrochés au mur, ce qui était jusqu'alors inconcevable pour des dessins.
Avec eux naît la collection de dessins, non plus d'études partielles, d'ébauches, mais de feuilles abouties qu'on ne laisse plus dans des portefeuilles ou dans des boîtes, qu'on vend séparément et non plus en lots, et qui soutiennent la comparaison avec des peintures dont le prix est bien supérieur.
Leur succès correspond – à moins qu'il ne les détermine – aux découvertes qui permettent la mise au point de techniques de gravure en manière de crayon, puis en couleurs : Jean Charles François, Demarteau, Jean François Janinet, Louis Marin Bonnet rivalisent à qui imitera le mieux les dessins conservés chez les grands collectionneurs : Blondel d'Azaincourt, Blondel de Gagny, Bergeret, Randon de Boisset, Jullienne, le graveur Gabriel Huquier, et bien d'autres, avec des résultats tels que ces estampes sont, elles aussi, encadrées et accrochées, participant, à leur tour, de la diffusion du genre Boucher.

Les arts décoratifs au service d'un genre

Mais cette diffusion passe aussi par d'autres voies, et Boucher est sans doute, au XVIIIe siècle, le premier artiste, sinon le seul, à avoir connu de son vivant, et depuis ses débuts, une aussi prodigieuse diffusion de ses modèles et de ses inventions par la gravure de reproduction.
Dès 1733, Gérard Jean Baptiste Scotin grave la Naissance et la Mort d'Adonis, l'année suivante Bernard Lépicié présente à l'Académie deux des Jeux d'amours de la collection Derbais ; puis presque chaque année, la publication d'estampes d'après les peintures de Boucher est annoncée, tableaux mythologiques ou scènes de genre, les dernières en date concernant des Pastorales gravées par Jacques Firmin Beauvarlet en 1769.
Encore ne parle-t-on ni des illustrations, ni des dessins, qui représentent une part importante des quelque 1500 gravures d'après Boucher exécutées par environ 150 graveurs, parmi les meilleurs du temps, comme François Antoine Aveline, Laurent Cars, Charles Nicolas Cochin, Nicolas de Larmessin, Jacques Philippe Le Bas, mais aussi par des amateurs comme Mme de Pompadour.
L'exemple de Gabriel Huquier, qui grave et publie quatre-vingt-dix inventions de Boucher, est particulièrement éclairant, dans la mesure où cet artiste est le grand diffuseur du goût rocaille. On ne sera donc pas surpris de le voir entourer d'une arabesque des Pastorales de Boucher, graver et publier des Livres de fontaines, ou de cartouches, des Scènes de la vie chinoise, ou encore des Livres de sujets et pastorales, qui contiennent aussi des chinoiseries, et des couples de bergers destinés à servir de modèles aux décorateurs et aux artisans.
Il grave également avec son neveu six Chinoiseries, d'après les modèles donnés par Boucher à la manufacture de Beauvais en vue d'une suite chinoise. On touche là un autre moyen de diffusion des inventions de Boucher.
En effet, on lui commande en 1736 les premiers cartons des Fêtes italiennes, dont la suite sera tissée une trentaine de fois.
Elle sera suivie, à partir de 1741, des cinq pièces de la suite de Psyché, produite en une douzaine d'exemplaires.
Suivent des chinoiseries : six pièces, sur les dix esquisses peintes par Boucher, musée des Beaux-Arts, Besançon, tissées à partir de 1743 ; ce sont celles que Huquier a gravées, et qui trahissent l'engouement de Boucher et de son public pour une Chine certes plus théâtrale et pittoresque qu'anthropologique.
Boucher multiplie également les dessins préparatoires, les esquisses et les peintures pour Les Amours des dieux et La Noble Pastorale, dont le succès fit connaître à l'Europe entière – car les tapisseries servaient souvent de cadeaux diplomatiques – les personnages inventés par l'artiste.
Quant aux Tentures de Boucher, commandées à plusieurs reprises par des lords anglais, elles se trouvent encore dans des châteaux outre-Manche.
Sans oublier les Enfants Boucher, petits panneaux exécutés aux Gobelins pour garnir des coussins et des dossiers de sièges ; l'on sait qu'en 1760, Mme de Pompadour échange avec la manufacture les tapisseries du Lever et du Coucher du soleil contre une série de dessus-de-chaise représentant des Enfants jardiniers.

Ces sujets d'enfants nous introduisent à un autre mode de popularisation des créations de Boucher : il s'agit des modèles qu'il a donnés à la manufacture de Vincennes-Sèvres, le premier dessin, pour Le Petit Jardinier, remonte à 1749, qui ont influencé toute la production en ronde bosse et en décors peints entre 1752 et 1766 environ, et de là toute la production européenne, fortement marquée par la suprématie de Sèvres.
Des groupes émaillés blancs reproduisent des gravures, comme Le Berger galant ou le Chinois à la corbeille.
Puis ce sont d'autres enfants, qui moissonnent, mangent, cueillent, blanchissent, pour lesquels Boucher fournit des dessins, ou des gravures, et qui font l'objet de terres cuites avant d'être moulés.
De 1757 à 1766 Étienne Falconet, nommé chef de sculpture, produit un grand nombre de ce qu'on a appelé les enfants Falconet, tirés de dessins de Boucher.
Il produit également des biscuits qui reprennent les sujets de bergeries inspirées par l'opéra comique : les Mangeurs de raisins, le Baiser donné, le Baiser rendu.
Les mêmes modèles, enfants ou scènes de genre, sont utilisés pour les décors peints, d'abord par la manufacture royale de Vincennes en camaïeu, puis par Sèvres en polychromie. Rare est l'utilisation de paysages ou de chinoiseries, mais elle existe, et démontre une fois encore l'emprise de Boucher et de ses inventions sur les arts de son temps.

Le peintre des Grâces est un grand dessinateur, un beau coloriste.
Son univers est artificiel, certes, mais il correspond au goût du temps qu'il a d'ailleurs contribué à créer.
Peintre d'histoire il n'en joue pas moins un rôle déterminant dans les arts décoratifs ; peintre raffiné, il a brossé des décors éphémères.
Boucher incarne à la perfection l'artiste rocaille, et son art aux multiples facettes est bien le miroir de son temps.


Œuvres

Antoine et Cléopâtre (587 × 675), 1761, F. Boucher, collection privée - Paris
Le jugement de Suzanne (1720-1721), Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada ;
Rebecca recevant les présents d'Abraham (1725), Musée des beaux-arts de Strasbourg ;
Aurore et Céphale (1733), Musée des Beaux-Arts de Nancy ;
Tête de Jeune femme en coiffe de dentelle (1737), pierre noire et pastel ;
Le Déjeuner (1739), Musée du Louvre, Paris ;
La Forêt (1740), Musée du Louvre, Paris ;
Léda et le cygne (1741) ;
La toilette intime (1741), 52,5 × 66,5 cm, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid ;
Diane sortant du bain (1742), Musée du Louvre, Paris ;
Le repos des nymphes au retour de la chasse, dit aussi Le retour de Diane chasseresse (1745), huile sur toile, musée Cognacq-Jay, Paris ;
L'Odalisque (1746), Musée du Louvre, Paris ;
La marchande de mode (1746), huile sur toile, 64 × 34 cm, Nationalmuseum, Stockholm ;
Le Triomphe de Vénus, Nationalmuseum, Stockholm ;
Un Été pastoral (1749), Wallace Collection, Londres ;
Un automne pastoral (1749), Wallace Collection, Londres ;
La Lumière du monde (1750), huile sur toile, 175 × 130 cm, provient de la chapelle privée de Madame de Pompadour au château de Bellevue, Musée des beaux-arts de Lyon ;
Interrupted sleep (1750), huile sur toile, au Metropolitan museum of art ;
La Toilette de Vénus (1751), Metropolitan Museum of Art, New York ;
Le Moulin, (1751) ;
L'Odalisque blonde (it), également appelé Mademoiselle O'Murphy en référence à son modèle ou Jeune Fille couchée, 1751, huile sur toile, 59 × 73 cm, Alte Pinakothek,
L'Odalisque blonde, également appelé Mademoiselle O'Murphy en référence à son modèle ou Jeune Fille couchée, 1752, huile sur toile, 59,5 × 73,5 cm, Wallraf-Richartz Museum,
L'Odalisque brune, années 1740, huile sur toile, 53,5 × 64,5 cm, musée du Louvre11
Le lever du Soleil (1753)
La Naissance de Vénus ou Vénus (1754), Wallace Collection.
Madame de Pompadour (1756), National Gallery of Scotland, une version similaire au Alte Pinakothek de Munich ;
Les Forges de Vulcain (1757), Musée du Louvre, Paris ;
L'Assomption de la Vierge (vers 1758-1760) Musée des beaux-arts de Montréal
Rodogune (1761) [[Peint à la demande de Madame de Pompadour pour illustrer l'oeuvre de P. Corneille au château de Crécy en Eure-et-Loir. Collection Goncourt dispersée en 1897, réapparue sous le titre Antoine et Cléopâtre à la vente aux enchères Ivoire Chartres en 2009]];
Les Génies des arts (1761) Musée des beaux-arts d'Angers,
L'Offrande à la villageoise (1761) ; Grande-Bretagne; collection privée.
L'Aimable pastorale (1761) ; Grande-Bretagne; collection privée.
La Jardinière endormie (1762), Toile de 229 × 89 cm; Grande-Bretagne; collection privée.
Le Départ du courrier (1765; huile sur toile, 32.2 × 26,5 cm ;Metropolitan Museum of Art, New York
L'Arrivée du courrier (1765), œuvre disparue connue grâce à une gravure.
Le Divan ;
L'Enlèvement d'Europe ;
L'Été ;
Le Pont ;
Le Nid ;
Vénus consolant l'Amour ;
Charmes de la vie champêtre, Musée du Louvre, Paris ;
Annette et Lubin, Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome ;
Repas de chasse, esquisse, huile sur toile, 61 × 40 cm, Musée du Louvre, Paris.
Il a donné de nombreux cartons et modèles pour les manufactures royales de tapisserie et de porcelaine.

Liens

http://youtu.be/fp7Dop66nTE
http://youtu.be/8UHNWwW30cM



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#247 Le Caravage 1
Loriane Posté le : 28/09/2013 22:11
Le 29 Septembre 1571 naît Le Caravage.

Peintre Italien du mouvement baroque, son maître sera Michelangelo Merisi ou Merighi dit "il Caravaggio" est originaire de Caravaggio en Lombardie, est un peintre Ilatalien du mouvement artistique baroque, son maître sera Simone Peterzano (1540-1596), il a pour Mécène Francesco Maria del Monte, il est influencé par Peterzano, Savoldo, Antonio Campi, Vincenzo Campi… et il influencera Pierre Paul Rubens.

On pense aujourd'hui que Caravage est né vers 1571, le 29 Septembre, jour de la Saint Michel, ceci en raison de la coutume qui consistait à donner pour prénom le nom du Saint du jour.
Michelangelo Merisi tiendrait son surnom du village lombard de Caravaggio, d'où ses parents sont originaires et dans lequel il passe une partie de son enfance.
Il gagne ensuite Milan et, en 1584, entre en apprentissage auprès du peintre Simone Peterzano (vers 1540-1596), chez qui se perpétue la tradition du maniérisme.
C'est au cours de cette période que se joue le destin d'un artiste appelé à devenir révolutionnaire. Âgé d'une vingtaine d'années, il part tenter sa chance dans la Rome des papes et des mécènes. Il y connaît des débuts difficiles, partageant la vie du peuple auquel il empruntera ses modèles – notamment ceux de jeunes garçons qui invitent parfois à une lecture érotique de son œuvre. Accueilli dans l'atelier de Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d'Arpin, peintre décorateur également maniériste, il exécute des fleurs et des fruits. Il le quitte cependant et s'installe chez le cardinal Francesco dal Monte, protecteur des artistes.
Les débuts du peintre sont mystérieux. Quelle a été sa formation entre 1584 environ et 1590-1591 ? Quelles œuvres d'art a-t-il vues ? Quelles villes a-t-il traversées avant d'arriver à Rome ? Bien que Caravage ait souvent déclaré qu'il ne devait rien à personne, la nature, affirmait-il, l'avait suffisamment pourvu de maîtres, il est intéressant de comprendre, à la suite de R. Longhi, quelles influences il a subies. On voit apparaître au XVIe siècle les deux préoccupations majeures de Caravage, le jaillissement de la lumière dans la nuit et le réalisme populaire. Des éclairages nocturnes caractérisés sont attestés déjà chez Corrège, voir "La Nuit", 1530, "Gemäldegalerie", Dresde et Raphaël : "Délivrance de saint Pierre" en 1514, Vatican.
Ils deviennent fréquents et géométriquement stylisés chez le curieux Génois Luca Cambiaso (1527-1585) : "Madone à la chandelle" entre 1570-1575, au Palazzo Bianco, Gênes.
Le Siennois Domenico Beccafumi 1486-1551 aime aussi faire jaillir de petites figures des profondeurs nocturnes.
À Venise, depuis Giorgione (1477-1510) : L'Orage (1506-1508, Accademia, Venise), l'étude de la lumière retient la plupart des peintres.
Elle atteint à de grands effets de contrastes, avec des ombres immenses chez Tintoret (1512-1594).
Les artistes de la Lombardie et de la vallée du Pô sont souvent attirés par les jeux lumineux.
L'un des plus remarquables à cet égard est Savoldo, de Brescia (1480-1548), qui se plaît aux oppositions d'ombres denses et de grandes masses de lumière (L'Ange et Tobie, galerie Borghèse, Rome).

Quant au réalisme populaire, il est moins fréquent, mais plus nettement exclusif chez certains peintres, notamment aux Pays-Bas où Pieter Aertsen (1508-1573) se spécialisa dans les scènes de marché de grands formats.
Un artiste réunit déjà ces tendances, effets nocturnes et réalisme rustique, dans ses compositions religieuses : Jacopo Bassano (1518-1592).
Quant à Lorenzo Lotto (1480-1556), par l'unité dramatique de ses œuvres, le chromatisme froid, la lumière qu'il met dans la couleur, il préfigure les tableaux clairs de Caravage.
Le génie de celui-ci fut de faire la synthèse de toutes ces tendances, et surtout de leur donner une rigueur dans l'observation réaliste, dans la précision du dessin et de la composition, qui leur confère une puissance, un éclat, une perfection vraiment classiques.
En effet, si tout le XVIIe siècle garde l'empreinte des Bolonais : Carrache, Reni, Dominiquin, force nous est de reconnaître que les plus grands peintres de cette époque – à l'exception de Nicolas Poussin – bénéficient sous une forme ou sous une autre de l'exemple de Caravage : Velázquez et Zurbarán en Espagne, Rubens, Rembrandt et Vermeer dans le nord de l'Europe.
La vie de Caravage est rythmée par de nombreux épisodes douloureux. Karel van Mander (1548-1606), l'auteur de la Vie des peintres (1604), décrit l'existence dissolue de l'artiste et reconnaît que, malgré son talent, il est bien difficile de se faire un ami de cet homme.
Il ne se passe pas d'année sans que Caravage soit mêlé à quelque affaire équivoque ou sans qu'il ait une histoire grave avec la police.
En 1605, il purge une peine de prison ; à sa libération, il blesse un homme et pour échapper aux poursuites il se réfugie à Gênes. Mais cette vie de violence ne l'empêche pas de peindre de nombreux chefs-d'œuvre pour des églises ou pour des princes.
L'activité de Caravage peut être divisée en quatre périodes : la première se déroule à Milan où, vers 1584, l'élève de Simone Peterzano subit l'influence des peintres giorgionesques de la terra ferma, Savoldo, Moretto, Lotto, Romanino, Foppa, et aussi des peintres de Crémone, Giulio et Antonio Campi.
La deuxième période concerne les premières années romaines, de 1591-1592 environ à 1599 : tableaux de jeunesse, clairs, comportant rarement plus de trois demi-figures ; lma troisième de 1599 à 1606, date de son départ de Rome, Caravage peint de nombreux tableaux pour les églises de la Ville éternelle ou pour des collectionneurs privés ; La quatrième, les quatre dernières années de sa vie (1606-1610) se passent entre Naples, l'île de Malte et la Sicile.
L'œuvre de Caravage, réalisé en une vingtaine d'années à peine, a subi une évolution remarquable.
Initiateur d'une forme de réalisme populiste qui mit un terme à l'esprit de la Renaissance, le Caravage fut combattu par ceux que scandalisaient ses audaces. Considéré comme l'un des pères de la peinture moderne, il laissa en héritage le caravagisme, qui exerce toujours la même fascination.
Son œuvre puissante et novatrice révolutionne la peinture du XVIIe siècle par son caractère naturaliste, son réalisme parfois brutal, son érotisme troublant et l'emploi appuyé de la technique du clair-obscur allant jusqu'au ténébrisme. Il connaît un véritable succès de son vivant, et influence nombre de grands peintres après lui, comme en témoigne l'apparition du courant du caravagisme.
Après le succès foudroyant du début des années 1600, Caravage entre dans une période difficile. En 1606, après de nombreux démêlés avec la justice des États pontificaux, il blesse mortellement son adversaire au cours d'un duel. Ses peintures jusqu'en 1610, l'année de sa mort, sont en partie destinées à racheter cette faute. Par ailleurs certains éléments biographiques portant sur ses mœurs sont aujourd'hui revus, car des recherches historiques récentes remettent en cause le portrait peu flatteur qui a longtemps été répété d'après des sources anciennes du xviie siècle sur lesquelles on ne peut plus se fonder désormais.
Après une longue période d'oubli critique, il faut attendre le début du xxe siècle pour que le génie de Caravage soit pleinement reconnu, indépendamment de sa réputation sulfureuse. Son succès populaire donne lieu à une multitude de romans et de films, à côté des expositions et des innombrables publications scientifiques qui, depuis un siècle, en renouvellent complètement l'image. Il est actuellement représenté dans les plus grands musées, malgré le nombre limité des peintures qui ont survécu. Toutefois certains tableaux que l'on découvre depuis un siècle posent encore des questions d'attribution.
Il décéde le 18 Juillet 1610, à l'âge de 38 ans, à Porto Ercole, Grossetto

Biographie

Jeunesse et formation

Michelangelo naît à MilanN, probablement le 29 septembre 1571. Ses parents qui se sont mariés en janvier de la même année sont Fermo, Fermo Merixio et Lucia Aratori Lutia de Oratoribus, originaires de Caravaggio, une petite ville de la région de Bergame. Francesco Ier Sforza de Caravage, marquis de Caravaggio — alors sous domination espagnole — est le témoin du mariage de ses parents. Il est baptisé le lendemain de sa naissance à la basilique Saint Stéphane le Majeur dans le quartier milanais où réside le maître de la fabbrica del duomo où travaille probablement le père de Michelangelo. Son parrain, d'après l'acte de baptême est le patricien milanais Francesco Sessa.
Son père exerce des fonctions qui sont différemment définies selon les sources : contremaître, maçon ou architecte ; mais il a le titre de magister, c'est-à-dire qu'il est l'architecte décorateur de Francesco Sforza.
Son grand-père maternel est un arpenteur reconnu et estimé. Ses deux familles paternelle et maternelle sont entièrement originaires de Caravaggio, appartiennent à la classe moyenne et sont honorablement reconnues : la femme de Francesco Sforza, Costanza Colonna utilise les services de plusieurs femmes de la famille Merisi pour servir de nourrices à ses enfants ; c'est une protectrice sur laquelle Caravage pourra compter à plusieurs reprises.
Il a deux frères et une sœur.
Le plus jeune de ses frères, Jean-Baptiste, deviendra prêtre et sera parfaitement informé de la Réforme catholique initiée à Milan par l'archevêque Charles Borromée et à Rome par le fondateur des Oratoriens, Philippe Neri.
Caravage restera pendant toute sa période romaine en accord étroit avec cette société des Oratoriens.

Apprentissage à Milan

La peste frappe Milan entre 1575 et 1577, et la famille Merisi quitte alors Milan pour Caravaggio, afin de fuir l'épidémie qui tue cependant le père et l'oncle du peintre. En 1584, la veuve et ses quatre enfants sont de retour dans la capitale lombarde où Michelangelo, âgé de treize ans, intègre l'atelier de Simone Peterzano, peintre de bonne notoriété, maniériste tardif de l'école vénitienne : le contrat d'apprentissage est signé par sa mère le 6 avril 1584, pour un peu plus de quarante écus d'or.
L'apprentissage du jeune peintre dure au moins quatre ans auprès de son maître, au contact des écoles lombarde, vénitienne et bolonaise.
Il y étudie les théories picturales de son temps, le dessin, les techniques de la peinture à l'huile et de la fresque, mais s'intéresse surtout au portrait ainsi qu'à la nature morte.
Les années d'apprentissage de Caravage, en particulier les années entre la signature de son contrat avec Peterzano en 1584 et l'année de son déménagement à Rome vers 1591-1592 restent peu connues ; en conséquence, retrouver des influences sur sa peinture est difficile.
D'après certaines sources, le jeune peintre abandonne Milan après quelques années pour rejoindre Venise et découvrir les grands maîtres de la couleur : Giorgione, le Titien et le Tintoret.
Cette hypothèse vénitienne n'est toutefois pas solidement étayée ; il est en revanche acquis que son maître Peterzano, qui se revendiquait élève de Titien avait bien séjourné à Venise et s'inscrivait pleinement dans cette école.

Une hypothèse alternative est avancée par l'historien de l'art italien Roberto Longhi: d'après lui, le développement du style de Caravage aurait été la conséquence de réflexions sur certains maîtres lombards, et plus précisément de la zone de Brescia: Foppa, Bergognone, Savoldo, Moretto et Il Romanino, que Longhi qualifie de pré-caravagistes.
L'influence de ces maîtres, à laquelle on peut ajouter celle d'Ambrogio Figino, aurait donné les bases de l'art de Caravage. Savoldo ou encore les frères Campi utilisent ainsi des techniques de contraste entre ombres et lumière, peut-être inspirées de la fresque vaticane en clair-obscur de Raphaël représentant saint Pierre en prison ; cet effet de contraste deviendra un élément central de l’œuvre de Caravage.
D'après Longhi, le principal maître de cette école serait Vincenzo Foppa, à l'origine de la révolution de la lumière et du naturalisme — opposé à une certaine majesté de la Renaissance — qui sont les éléments centraux des peintures de Caravage.

La période Romaine

La mise en place d'un répertoire personnel.

Il quitte l'atelier de Simone Peterzano et retourne à Caravaggio vers 1589, année de la mort de sa mère.
Il y reste jusqu'au partage de l'héritage familial, puis il part vers 1590-1591 ou 1592 pour Rome, cherchant à y faire carrière comme beaucoup d'artistes alors.
Rome est à cette époque une ville pontificale dynamique, animée par le Concile de Trente et la réforme catholique. Les chantiers y fleurissent et il y souffle un esprit baroque. Le pape Clément VIII est élu le 30 janvier 1592, succédant à Sixte Quint qui a beaucoup transformé la ville.
Les premières années dans la grande cité sont chaotiques et mal connues : cette période a, ultérieurement et sur des faits mal interprétés, forgé sa réputation d'homme violent et querelleur, souvent obligé de fuir les conséquences judiciaires de ses rixes et duels.
Il vit d'abord dans le dénuement, hébergé par un ami de la famille[réf. nécessaire], puis chez Mgr Pandolfo Pucci, pour qui il copie des images de dévotion, dont on n'a plus trace aujourd'hui.
D'après Mancini, c'est de cette époque que datent ses trois premiers tableaux destinés à la vente, dont seulement deux nous sont parvenus : "Jeune garçon mordu par un lézard" et "Garçon pelant un fruit", seules des copies subsistent de ce dernier.
Il copie aussi des tableaux religieux, envoyés à Recanati par Mgr Pucci et perdus ensuite.
Caravage entame des relations plus ou moins solides avec divers peintres locaux, d'abord à l'atelier du peintre sicilien Lorenzo Carli dit" Lorenzo Siciliano", né à Naso, près de Messine, auteur d’œuvres destinées aux parties les plus modestes du marché.
Il s'installe près de la piazza del Popolo[réf. nécessaire] et rencontre le peintre Prospero Orsi, l'architecte Onorio Longhi et le peintre sicilien Mario Minniti qui deviendront des amis et qui l'accompagneront dans sa réussite. Il fait également la connaissance de Fillide Melandroni, qui deviendra une célèbre courtisane à Rome et lui servira de modèle à maintes reprises.
Il entre ensuite dans un atelier de meilleur niveau, celui d'Antiveduto Grammatica, près de l'église San Giacomo in Augusta où il continue à peindre des copies pour les amateurs peu fortunés jusqu'à trois par jour.
Puis il travaille, dès juin 1593 et durant quelques mois, chez Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d'Arpin, peintre attitré du pape et artiste en vue qui confie à son apprenti la tâche de peindre des fleurs et des fruits dans son atelier.
Durant cette période, il est probablement aussi employé comme décorateur d’œuvres plus complexes, mais il n'existe aucun témoignage fiable. Une hypothèse, non vérifiable dans la documentation connue, est que Caravage pourrait avoir réalisé les décorations des festons de la chapelle Olgiati, dans la basilique Santa Prassede à Rome, dont le cavalier d’Arpin peignit les fresques. Giuseppe Cesari est à peine plus âgé que Caravage bien que chargé de commandes et, ayant été anobli, il deviendra ensuite le Cavalier d'Arpin.
Caravage aurait pu apprendre à son contact comment vendre son art et comment, pour d'éventuels collectionneurs et amateurs d'antiquités, mettre en place son répertoire personnel en exploitant ses connaissances de l'art lombard et vénitien. C'est la période du Jeune Bacchus malade, du Garçon avec un panier de fruits et du Bacchus : des figures à l'antique qui cherchent à capter le regard du spectateur et où la nature-morte, depuis peu mise à l'honneur, témoigne du savoir-faire du peintre avec une extrême précision dans les détails. Semés de références à la littérature classique, ces premiers tableaux sont bientôt à la mode, comme en témoignent de nombreuses copies anciennes de grande qualité.
Plusieurs historiens évoquent un voyage à Venise pour expliquer certaines influences typiquement vénitiennes, notamment pour Le Repos pendant la fuite en Égypte, mais ceci n'a jamais été établi avec certitude. Il semble peu apprécier à cette époque la référence à l'art de Raphaël ou à l'Antiquité romaine, ce qui, pour les artistes du XVIIe siècle, renvoie essentiellement à la sculpture romaine mais il ne les ignore jamais.
Sa Madeleine repentante témoigne ainsi de la survivance d'une figure allégorique antique mais avec une vue en légère plongée qui renforce l'impression d'abaissement de la pécheresse. Ce serait la première figure entière du peintre.
À la suite d'une maladie ou d'une blessure, il est hospitalisé à l’hôpital de la Consolation. Sa collaboration avec Cesari prend fin brutalement, pour des raisons mal identifiées.
Pendant cette période le peintre Federigo Zuccaro, protégé du cardinal Frédéric Borromée, transforme la confrérie des peintres en une académie en 1593.
Ceci a pour but d'élever le niveau social des peintres en invoquant la valeur intellectuelle de leur travail. Caravage apparaît sur une liste des premiers participants
.
Les succès romains.

L'amitié avec le cardinal Del Monte.
Pour survivre, Caravage contacte des marchands afin de vendre ses tableaux. Il fait ainsi la connaissance de Constantino Spata dans sa boutique près de l'église Saint-Louis-des-Français.
Celui-ci le met en relation avec son ami Prospero Orsi.
Prospero Orsi, également connu sous le nom de Prospero delle Grottesche qui participe avec Caravage aux premières rencontres de l'académie de Saint-Luc à Rome devient donc son ami. Il l'aide à trouver un logement indépendant et lui fait rencontrer ses connaissances bien placées.
Son beau-frère commande trois peintures : Madeleine repentante, Le Repos pendant la fuite en Égypte et La Diseuse de bonne aventure, 1594, première version, musée du Louvre.
Ce dernier tableau soulève l'enthousiasme du cardinal Francesco Maria Del Monte, homme de très grande culture, passionné d'art et de musique qui, enchanté par cette peinture en commande bientôt une seconde version, celle de 159, à voir aux musées du Capitole.
Le cardinal avait auparavant commencé par une première acquisition : le tableau des Tricheurs. Le jeune lombard entre alors au service du cardinal pour presque trois ans dans le palais Madame à partir de 1597.
Le cardinal y a été installé par son grand ami Ferdinand Ier de Médicis en tant que diplomate au service du Grand-duché de Toscane auprès du pape. D'après Bellori, en 1672, Del Monte offre à l'artiste un très bon statut, allant jusqu'à lui donner une place honorable parmi les gentilshommes dans la maison.
Grâce aux commissions et aux conseils de l'influent prélat, Caravage change donc son style, abandonnant les toiles de petit format et les portraits individuels pour commencer une période de réalisations d’œuvres complexes avec des groupes de plusieurs personnages profondément impliqués dans une action, souvent à mi-corps mais aussi, parfois, en pied.
Le cardinal achète plusieurs peintures qui correspondent à ses propres goûts : Les Musiciens et Le Joueur de luth avec des scènes où s'accentue la proximité avec le spectateur, jusqu'à La Diseuse de bonne aventure et Les Tricheurs où le spectateur devient quasiment un complice de l'action représentée.
En quelques années, sa réputation grandit de manière phénoménale.
Caravage devient un modèle pour une génération entière de peintres qui vont s'inspirer de son style et de ses thèmes.
Le cardinal Del Monte, membre du collège des cardinaux qui surveille le chantier de Saint Pierre, suit aussi d'autres commandes semblables dans les églises romaines. Grâce à lui, Caravage se voit confier des commandes importantes à partir de 1599, notamment pour le clergé : La Vocation et Le Martyre de saint Matthieu pour la chapelle Contarelli de l'église Saint-Louis-des-Français, La Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas et Le Crucifiement de saint Pierre pour la chapelle Cerasi à Santa Maria del Popolo. Des sources anciennes font état de peintures refusées ; néanmoins, cette question a été récemment revue et corrigée, prouvant que les tableaux de Caravage rencontrent au contraire un réel succès.
Cela concerne la première version de La Conversion de saint Paul, Saint Matthieu et l'Ange (1602) ou plus tard la Mort de la Vierge (1606).
Ces tableaux trouvent de nombreux acquéreurs, et parmi les plus notables le marquis Vincenzo Giustiniani et le duc de Mantoue, riches amateurs d'art.
Les œuvres pour la chapelle Contarelli font sensation lors de leur dévoilement. Le style novateur de Caravaggio attire l'attention par sa manière de traiter les thèmes religieux et par extension ceux de la peinture d'histoire en s'aidant de modèles vivants.
Il transpose ses modèles lombards dans des compositions qui se mesurent aux grands noms du moment : Raphaël et Giuseppe Cesari, futur Cavalier d'Arpin.
Dans cette rupture, toute relative, avec les idéaux classiques de la Renaissance, et avec des références érudites prodiguées sans restriction par le cardinal Del Monte et son cercle, il humanise ainsi le divin et le rapproche du commun des croyants.
Il remporte un succès immédiat, dès la première version du Saint Matthieu et l'Ange et étend considérablement son influence auprès des autres peintres, surtout grâce à la scène de La Vocation de saint Matthieu.
Ce tableau génère ensuite une profusion d'imitations plus ou moins heureuses, toujours avec plusieurs personnages en train de boire et manger tandis que d'autres jouent de la musique, le tout dans une atmosphère ténébreuse entrecoupée de zones de lumière vives.
Les années qu'il passe à Rome sous la protection du cardinal ne sont toutefois pas exemptes de difficultés.
Il est toujours aussi bagarreur et violent et connaît plusieurs séjours en prison, comme un grand nombre de ses contemporains, les affaires d'honneur se réglant souvent au début du XVIIe siècle par un duel.
D'ailleurs il s'est fait plusieurs ennemis qui contestent sa manière de concevoir le métier d'artiste peintre, notamment le peintre Giovanni Baglione, virulent détracteur qui s'en prend souvent à lui, et qui contribue largement à ternir la réputation personnelle de l'artiste dans son ouvrage Le vite de' "pittori, scultori et architetti dal pontificato di Gregorio XIII del 1572 in fino a tempi di Papa Urbano VIII nel 1642".
Entre-temps, il peint une grande partie de ses tableaux les plus réputés et connaît un succès et une célébrité croissants à travers toute l'Italie : les commandes affluent, même si certaines toiles sont parfois refusées en raison de rumeurs médisantes, une prostituée aurait ainsi posé pour incarner Marie dans La Mort de la Vierge ou lorsque Scipion Borghese veut s'approprier un tableau :" La Madone des palefreniers".
Les œuvres sont nombreuses, il réalise plusieurs toiles par an et semble peindre directement sur la toile, d'un trait ferme et en modulant moins les passages. Néanmoins, il est maintenant probable qu'il ait réalisé des études, bien qu'aucun dessin n'ait été conservé.
En 1599, sa fameuse Tête de Méduse, peinte pour le cardinal del Monte est son premier travail sur le thème de la décapitation qui va se retrouver plusieurs fois dans son œuvre. Parmi les autres œuvres, on peut citer Sainte Catherine d'Alexandrie, Marthe et Marie-Madeleine, la Conversion de Marie-Madeleine et Judith décapitant Holopherne.
Son tableau La Mise au tombeau, peint vers 1603-1604 comme tableau d'autel pour l'église Santa Maria in Vallicella, entièrement reprise sous l'impulsion de Philippe Néri, constitue une de ses œuvres les plus abouties.
Elle est ultérieurement copiée par plusieurs peintres, dont Rubens lui-même.

Vincenzo Giustiniani et les autres commanditaires privés

Le très puissant banquier Vincenzo Giustiniani, voisin du cardinal del Monte, fait l'acquisition du Joueur de luth ; ce tableau rencontre un tel succès que le cardinal en demande une copie.
Par la suite, Giustiniani passe une série d’autres commandes pour embellir sa galerie de peintures et sculptures, ainsi que pour faire valoir sa culture savante.
C'est ainsi qu'est commandé le tableau représentant L'Amour victorieux, chargé de symboles discrètement imbriqués avec le minimum d'accessoires significatifs.
Un autre nu célèbre est destiné au collectionneur Ciriaco Mattei. Celui-ci, qui possède une fontaine ornée de jeunes garçons dans une position assise bien particulière, passe commande à Caravage d'un tableau inspiré de cette base, et qui devient le Jeune saint Jean-Baptiste au bélier. Ici le peintre se confronte aux ignudi du plafond de la chapelle Sixtine et à Annibal Carrache qui vient de peindre à Rome ce même sujet.


Le crime, et comment purger sa peine en peintre, 1606-1610

Les dernières années romaines

Pendant ses années romaines ce peintre, qui se sait artiste d'exception, voit son caractère évoluer, dans un milieu où le port de l'épée est signe d'ancienne noblesse et alors qu'il fait partie de cette noble maisonnée du cardinal Del Monte, le succès lui monte à la tête.
Cette épée que l'on voit dès 1600 dans La Vocation de saint Matthieu et dans Le Martyre de saint Matthieu, qui semble faire partie du décor naturel de cette époque, va faire de lui un de ces nombreux criminels, pour crime d'honneur, qui demandaient grâce au souverain pontife et souvent l'obtenaient.
Cela commence, en 1600, par des mots. Le 19 novembre 1600, il s'en prend à un étudiant, Girolamo Spampa, pour avoir critiqué ses œuvres.
Dans l'autre sens Giovanni Baglione, ennemi déclaré et rival de Caravage, le poursuit pour diffamation. En 1600 il est également plusieurs fois emprisonné pour avoir porté l'épée et il commet deux agressions — deux affaires classées sans suite.
Par contre, son ami et alter ego, Onorio Longhi, a subi des mois d'interrogatoires pour toute une série de délits et le premier biographe du peintre, Carel van Manda, semble avoir confondu les deux hommes, ce qui a eu ensuite pour conséquence de donner de Caravage l'image d'un homme qui provoque des troubles à l'ordre public partout où il se trouve.
En 1605, le pape Clément VIII meurt et son successeur Léon XI ne lui survit que de quelques semaines. Cette double vacance rallume les rivalités entre prélats francophiles et hispanophiles, dont les partisans s'affrontent de plus en plus ouvertement.
Le conclave frôle le schisme, grâce à une solution politique, avant d'élire le francophile Camillo Borghèse comme nouveau pape sous le nom de Paul V. Son neveu Scipion Borghèse est un bon client du Caravage et le nouveau pape commande son portrait au peintre, maintenant bien connu des plus hauts dignitaires de l'église.
La Caravage, qui vit tout près du Palais Borghèse dans un logement misérable de la ruelle dei Santi Cecilia e Biagio, aujourd'hui vicolo del Divino Amore, passe souvent ses soirées à traîner dans les tavernes avec ses compagnons tous des effrontés, des spadassins et des peintres.
Le plus grave se produit le 28 mai 1606, au cours des fêtes de rue, la veille de l'anniversaire de l'élection du pape Paul V. Ces fêtes sont l'occasion de nombreuses bagarres dans la ville. Dans l'une d'entre elles quatre hommes armés s'affrontent, Le Caravage a pour partenaire Onorio Longhi, il tue en duel Ranuccio Tomassoni, un chef de la milice arrogant et hispanophile qui, en vérité, semait la terreur dans son quartier.
Le Caravage avaient avec lui des rancunes politiques.

La fuite hors de Rome.

Ce meurtre d'un fils d'une puissante et violente famille, liée aux Farnèse de Parme, vaut au Caravage une condamnation à mort, et il est obligé de fuir Rome.
Commence ensuite un long périple de quatre années à travers l'Italie, Naples, Sicile, Syracuse, Messine jusqu'à Malte.
Cependant, Romain d'âme et de cœur, il s'efforcera d'y revenir tout le long de sa vie – mais sans succès de son vivant malgré un pardon pontifical que son travail de même que ses amis et protecteurs réussiront à obtenir.
Il se rend d'abord à Naples, une terre espagnole, où la famille Colonna l'héberge, dans la région du mont Albain. Il continue de peindre des tableaux qui lui rapportent de belles sommes d'argent, dont le retable Les Sept Œuvres de miséricorde, pour l'église de la congrégation du Pio Monte della Misericordia à Naples, et La Flagellation du Christ, qui aura un grand succès.
En juillet 1607, il quitte Naples, où il avait séjourné quelques mois, et s'installe à Malte, souhaitant être adoubé au sein de l'ordre des Chevaliers de Malte.
Il était courant d'être nommé chevalier après d'importantes commandes pour le pape. Et cet engagement militaire contre la menace turque pouvait remplacer une sanction pénale. Il est donc présenté au grand maître, Alof de Wignacourt, dont il peint le portrait.
Il produit également plusieurs tableaux, dont la Décollation de saint Jean-Baptiste, monumental tableau d'autel exceptionnellement horizontal, réalisé in situ dans la co-cathédrale Saint-Jean de La Valette et une nouvelle Flagellation, commandés par le clergé local.
En juillet 1608, il est fait Chevalier de grâce de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Mais sa consécration ne dure pas, dans la nuit du 19 août 1608, il est le protagoniste d'une nouvelle affaire de violence.
Au cours d'une rixe, Le Caravage se mêle à un groupe qui tente de pénétrer de force dans la maison de l'organiste de la cathédrale. Jeté en prison, il s'en échappe par une corde et quitte Malte. Il est en conséquence radié de l'ordre, mais aurait probablement bénéficié d'une forme de clémence s'il avait attendu, cependant en une année il avait accumulé de nombreuses et profondes rancœurs avec quelques familles maltaises qui étaient convaincues de son homosexualité ce qui à Malte était une faute punie de mort.
Caravage débarque alors à Syracuse, en Sicile. La présence de son ami Mario Minniti n'étant pas attestée, on suppose l'influence d'une autre connaissance du peintre, le mathématicien et humaniste Vincenzo Mirabella, dans la commande de L'Enterrement de sainte Lucie.
Caravage répond en effet à plusieurs commandes pour les grandes familles et pour le clergé, notamment deux retables, La Résurrection de Lazare et cet Enterrement de sainte Lucie où se retrouve chaque fois, avec la plus explicite détermination, l'effet spectaculaire d'un vaste espace de peinture laissé vide comme dans La décollation de saint Jean-Baptiste.
Ensuite un document signale sa présence le 10 juin 1609 à Messine et il peint alors L'Adoration des bergers et une Nativité avec saint Laurent et saint François. Ces tableaux ne sont nullement peints à la hâte, comme on l'a cru autrefois, mais avec une nouvelle facture plus fluide qu'auparavant, et là aussi avec de nouvelles solutions dans l'utilisation spectaculaire de l'espace pictural.
Avec l'appui de ses protecteurs et en peignant ces tableaux toujours inspirés par ses commanditaires profondément religieux et empreints d'une sincère humanité, il s'emploie à obtenir la grâce du pape et pouvoir rentrer à Rome.
En octobre 1609, il retourne à Naples, où il est grièvement blessé dès son arrivée dans une nouvelle bagarre, par plusieurs hommes qui l'attaquent et le laissent pour mort : la nouvelle de sa mort remonte jusqu'à Rome, mais il survit et peint encore, sur des commandes, plusieurs tableaux comme Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste, Le Reniement de saint Pierre, un nouveau Saint Jean-Baptiste, un David et Goliath particulièrement sombre — il se représente dans le visage de Goliath — et Le Martyre de sainte Ursule qui est sans doute sa toute dernière toile.
Une rumeur affirme néanmoins qu'il aurait achevé alors une série de trois œuvres[réf. nécessaire]. La première est la Méduse, la créature mythologique, peinte en 1598 sur un support de bois, un tondo et achevée en 1609 ; la seconde est un portrait sur toile de Marie-Madeleine (1598-1609) ; et la troisième une toile dont le nom même nous est inconnu, serait son " Grand-Œuvre".

Une fin énigmatique

À partir de là les évènements restent en grande partie énigmatiques. En juillet 1610, il apprend que le pape, grâce à l'entremise de Scipion Borghese, est enfin disposé à lui accorder sa grâce s'il demande son pardon. Voulant brusquer le destin et muni d'un sauf-conduit du cardinal Gonzague, il s'embarque alors pour se rapprocher de Rome, sur une felouque qui fait la liaison avec Porto Ercole, frazione de Monte Argentario, une enclave espagnole, emportant avec lui trois tableaux destinés au cardinal Borgheses dont la Méduse, un tableau qu'il tenait à restaurer.
Lors de l'escale à Palo — une petite baie naturelle hébergeant alors une garnison au sud de Civitavecchia —, descendu à terre, il est arrêté par erreur ou malveillance et jeté en prison pendant deux jours. Relâché, il ne trouva plus son bateau, qui ne l'a pas attendu, avec ses tableaux à bord.

Désespéré, il rejoint à pied Porto Ercole à cent kilomètres. La légende dit que, dépité, perdu et fiévreux, il marcha sur la plage en plein soleil où il finit par mourir quelques jours plus tard, le 18 juillet 1610, à l'âge de 38 ans.

En fait, son certificat de décès, retrouvé en 2001 dans le registre des décès de la paroisse de Saint-Érasme de Porto Ercole, signale qu'il est mort à l'hôpital de Sainte-Marie-Auxiliatrice, des suites d'une maladie, a priori le paludisme.
Il n'aura pas su que le pape Paul V, cédant à ses amis et protecteurs, avait finalement apposé son sceau sur l'acte de grâce.
La légende dit qu'il finit aussi misérable qu'il avait vécu et que personne ne songea à demander sa dépouille, ni ne lui fit élever un catafalque, comme cela se pratiquait pour certains artistes.
En 2010, les restes de Caravage ont, peut-être, été retrouvés dans l'ossuaire d'une église de Porto Ercole et identifiés grâce à des analyses au carbone 14 avec une probabilité de 85 %.
Atteint d'une intoxication chronique au plomb, le peintre serait mort d'un état de faiblesse général et d'un coup de chaleur.

L'Œuvre

La place des sujets qui évoquent la vanité des choses ou qui mettent en garde contre le mensonge des apparences, le grand nombre de peintures religieuses et leur intensité spirituelle, les références aux modèles antiques tout autant qu'à l'expérience du réel, sont bien visibles lorsqu'on a sous les yeux la liste des peintures de Caravage actuellement conservées, ce qui permet de mieux appréhender cet œuvre et son évolution dans le temps de la vie du peintre.

La rançon de la gloire

L'œuvre de Caravage soulève les passions dès son apparition. Elle est très rapidement recherchée par les meilleurs connaisseurs et collectionneurs.
La première version du Saint Matthieu et l'Ange est installée provisoirement en mai 1599 sur l'autel de Saint-Louis-des-Français, avant que Vincenzo Giustiniani ne l'intègre à sa collection.
Le tableau qui correspond parfaitement aux indications mentionnées dans le contrat fait aussi référence dans la figure androgyne de l'Ange à des œuvres lombardes qu'il connaissait et à un tableau du Giuseppe Cesari, Cavalier d'Arpin de 1597, que le milieu romain avait pu admirer deux ans auparavant. Le tableau remporte un succès immédiat. Il tient provisoirement la place d'une sculpture qui n'avait pas encore été réalisée.
Lorsque celle-ci prend enfin sa place sur l'autel de Saint-Louis-des-Français, elle ne plaît à personne. Elle est retirée et une partie de la somme retenue sur les honoraires du sculpteur sert à payer Caravage pour le tableau définitif. Dans le nouveau contrat, le peintre est qualifié de Magnificus Dominus, d'illustre maître
En revanche Giovanni Baglione, un des premiers biographes de Caravage mais aussi son ennemi déclaré, fait mine de confondre la sculpture et la peinture.
Il prétend que la peinture de la première version du Saint Matthieu et l'Ange a déplu à tout le monde. Or comme cette biographie a servi de référence pendant des siècles, elle fut d'une redoutable efficacité.
Des recherches approfondies menées au cours des dernières décennies ont mis au jour des documents qui ont fait éclater la vérité.
Les recherches poursuivies récemment par les plus grands spécialistes remettent en perspective les allégations tendant à disqualifier Caravage et sa peinture, selon une tradition qui remonte à ses contemporains et à son ennemi le plus direct au xviie siècle, Baglione. Ces textes anciens doivent être confrontés aux documents d'époque retrouvés dans les archives.
Arnauld Brejon de Lavergnée55 relève dans la méthode de Sybille Ebert-Schifferer l’analyse serrée des sources : Van Mander, Giulio Mancini, Baglione et Bellori. Et il poursuit en remarquant qu’une telle analyse met en question le cliché le plus répandu concernant Caravage. Celui-ci provient d'un texte de Van Mander, publié en 1604, qui fait du peintre un homme toujours prêt à se battre et à provoquer des troubles.
Or l'étude des rapports de police de l'époque laisse supposer que Van Mander a été mal informé et qu'il a pris pour Caravage ce qui était reproché à son ami et alter ego, Onorio Longhi, qui, à la fin de l'année 1600, a bien subi trois mois d'interrogatoires pour toute une série de délits.
Nous savons aujourd'hui que les deux plaintes dont Caravage a fait l'objet ont été classées sans suite. Le fait de porter l'épée lui a été reproché mais s'explique aujourd'hui en replaçant l'artiste dans son contexte social.
Les auteurs hollandais Van Mander et Van Dijck, qui relèvent le fait, s'en étonnent car ils sont étrangers. Mais l'œuvre a été aussi discréditée que le peintre, et curieusement en raison même de son succès.
La peinture la plus célèbre de Caravage au Louvre, La mort de la Vierge, en a fait les frais : le bruit continue de circuler que le tableau aurait déplu aux moines en raison des pieds nus et du corps trop humain de la Vierge.
Mais nous savons aujourd'hui que la réalité est tout autre.
Le tableau a bien été retiré, mais il a d'abord été accroché et apprécié pour de multiples raisons.
Le tableau a même été reçu par le commanditaire, payé par lui et est resté en place sur l'autel un certain temps. Il n'a donc pas déplu aux Carmes déchaussés comme cela a été dit et répété.
Ceux-ci ne voyaient rien à redire aux pieds nus et à la pauvreté des premiers chrétiens que l'on voit sur la toile. Ces moines cherchaient à imiter la vie de ces chrétiens qui leur servaient de modèles, comme ils cherchaient à imiter la vie de Jésus.
Ils avaient fait vœu d'aller pieds nus dans de simples sandales, suivant en cela l'esprit de la Réforme catholique. La Vierge apparait simplement vêtue dans le tableau, avec le corps d'une femme ordinaire, plus très jeune - ce qui est correct - ni plus très svelte, ce qui était acceptable. Et le tableau qui est admirablement peint se conforme, même dans le détail, aux indications de Charles Borromée pour le geste de Marie-Madeleine qui se cache le visage, avec un naturel profondément émouvant pour tout spectateur du tableau.
Or le bruit a couru à l’époque de l’accrochage que c'était une prostituée qui avait posé pour la Vierge. Celui ou ceux qui ont fait courir ce bruit avaient tout intérêt à ce qu'on retire le tableau de l'église.
Deux collectionneurs entreprenants se présentèrent alors pour acheter l'œuvre dès qu'elle fut décrochéeN. Cette manœuvre habile ne signifie donc pas que le tableau était scandaleux ou révolutionnaire ; elle souligne bien au contraire la nouveauté du travail de l'artiste.
Il était presque inévitable que Caravage, comme tout autre peintre à Rome, prît une courtisane comme modèle dans toutes les toiles présentant des figures féminines de manière naturaliste, car il était interdit aux Romaines honorables de poser.
La grande majorité des peintres du XVIe siècle qui pratiquaient l'imitation de la nature, avec une idéalisation plus ou moins prononcée, utilisaient des sculptures antiques comme modèles. Caravage se devait de typer le modèle naturel, comme l'avaient fait ses prédécesseurs, Antonio Campi, par exemple afin que celui-ci ne pût être identifié.

Une méthode à succès

À ses débuts, Caravage peint des scènes de genre avec des personnages ayant l’apparence du naturel, à mi-corps sur fond lumineux.
Cette solution sera reprise par une multitude de peintres, dont les caravagesques, en raison du succès des tableaux, des variantes réalisées ensuite pour les collectionneurs et en raison de leur prix, aussi.
Avec le temps, et surtout dès que les scènes religieuses deviennent très majoritaires, après les grandes toiles de Saint-Louis-des-Français les arrière-plans de ses tableaux s'assombrissent jusqu'à devenir une grande surface d'ombre qui contraste violemment avec les personnages touchés par la lumière. Dans la plupart des cas le rayon de lumière pénètre dans l'espace représenté sur un plan qui coïncide avec le plan du tableau, selon un axe oblique venant d'en haut depuis la gauche. Les personnages sont souvent mis en scène de manière inusitée pour l'époque : certains personnages regardent le spectateur, tandis que d'autres lui tournent le dos.
Ces pratiques accentuent l'impact dramatique du tableau et l'émotion qu'il suscite. En effet le projet d'intégrer le spectateur à la scène représentée ou de l'y faire participer permet de l'émouvoir de la manière la plus intense.
C'est cette cohérence de tous les moyens et des objectifs poursuivis dont le spectateur n'a pas nécessairement conscience qui font l'efficacité et la séduction des tableaux de Caravage. Chacune de ces solutions n’était pas une découverte, car Caravage se référait à ses sources lombardes.
Mais l’assemblage de toutes ces solutions n’avait jamais été vu.
Là encore les quelques proches de Caravage et les très nombreux suiveurs s’emparèrent de ce qu’ils parvenaient à percevoir et que l’on réduisit sous l’appellation de Manfrediana methodus, c'est-à-dire la méthode de Manfredi, un peintre dont la vie est peu documentée et qui a pu être le serviteur de Caravage pendant une partie de la période romaine.
Il faut attendre le début du xxe siècle pour que soient reconnues l'importance de l’œuvre de Caravage et l’étendue de son influence sur les arts visuels des siècles qui suivirent. De nombreux peintres comme La Tour, Vélasquez, Rubens ou Rembrandt, furent inspirés, de manière directe ou indirecte, par les peintures de Caravage.
Richelet se réclame aussi de lui pour certaines de ses œuvres provocantes à la sexualité exacerbée.
Aujourd'hui encore, la pratique du clair-obscur contrasté utilisée par Caravage est largement reprise dans l'art contemporain, notamment en photographie par des artistes comme Sally Mann, Robert Mapplethorpe, Joel-Peter Witkin et bien d’autres.

La Contre-Réforme et les milieux ecclésiastiques

Les biographes de Caravage évoquent toujours les rapports étroits entre le peintre et le mouvement de la Réforme catholique, réduite à une réaction par l'expression Contre-Réforme.
Le début de l'apprentissage du peintre coïncide ainsi avec la disparition d'une figure majeure de cette Réforme : Charles Borromée, qui, parallèlement au gouvernement espagnol, exerçait au nom de l'Église l'autorité juridique et morale sur la ville de Milan.
Le jeune artiste y découvrait le rôle essentiel des commanditaires, à l'initiative de presque toute peinture à cette époque, et le contrôle exercé par l'autorité religieuse sur le traitement des images à destination du public.
Cet archevêque de Milan avait été l'un des rédacteurs du Concile de Trente et il s'efforça de le mettre en pratique en ravivant l'action du clergé auprès des catholiques, en incitant les plus aisés à s'engager dans des confréries au secours des plus pauvres et des prostituées. Frédéric Borromée, cousin de Charles et archevêque de Milan depuis 1595, poursuivit cette œuvre et les liens étroits avec saint Philippe Neri, mort en 1595 et canonisé en 1622.
Fondateur de la Congrégation des Oratoriens, il souhaitait renouer avec la dévotion des premiers chrétiens, leur vie simple et il accordait un grand rôle à la musique. L'entourage de Caravage, ses frères et Costanza Colonna qui protégeait sa famille, pratiquaient leur foi dans l'esprit des Oratoriens et des Exercices spirituels d'Ignace de Loyola afin d'intégrer les mystères de la foi à leur vie quotidienne.
Les scènes religieuses de Caravage sont imprégnées de cette simplicité, mettant en scène des pauvres, avec leurs pieds sales, les apôtres allant pieds nus et la fusion des costumes antiques les plus modestes et des vêtements contemporains les plus simples participe de l'intégration de la foi à la vie quotidienne.
En l'année sainte 1600, les pèlerins vers la maison de la Vierge à Lorette arrivaient en loques et une grande partie de la noblesse s'était relayée pour les accueillir et leur laver les pieds ; leur pauvreté, conséquence de leur piété, étant considérée comme sacrée.
L'autre moment essentiel pour Caravage, à Rome de 1597 à janvier 1602, il a entre 26 et 31 ans, le place en tant que membre de la maison du cardinal Francesco Maria del Monte. Caravage est alors sous la protection du cardinal, tout en ayant droit de travailler pour d'autres commanditaires, avec l'assentiment de son protecteur et patron.
Cet homme pieux, membre de l'ancienne noblesse, était aussi modeste, portant des vêtements parfois usés, mais c'était l'une des personnalités les plus cultivées de Rome.
Il était passionné de musique, formait des artistes et effectuait lui-même des expériences scientifiques, en particulier en optique, avec son frère, Guidobaldo, qui publia en 1600 un ouvrage fondamental sur ce sujet.
Dans ce milieu Caravage trouvera les modèles de ses instruments de musique et les sujets de certains tableaux, avec les détails érudits qui en faisaient tout le charme pour les clients, il apprendra à jouer de la guitare baroque populaire et trouvera une stimulation intellectuelle pour porter son attention aux effets et au sens de la lumière et des ombres portées.
Le cardinal était coprotecteur de l'académie de Saint-Luc de Rome et membre de la Fabbrica di San Pietro, clé de toute commande pour Saint Pierre de Rome et de toutes les affaires liées à des commandes en souffrance. Del Monte, collectionneur des premières œuvres de Caravage, recommanda alors le jeune artiste, lui assurant une commande de ce type, l'ensemble de la chapelle Contarelli à Saint-Louis-des-Français.
Les us et coutumes de l'ancienne noblesse, comme l'autorisation de porter l'épée qui s'étendait à leur maisonnée, et, pour beaucoup, l'attachement aux codes de l'honneur permettant de faire usage de leur épée, leur dédain du faste mais aussi le goût pour les collections et la culture, jusqu'à l'usage de l'érudition en peinture, un réseau d'amitié dans ces cercles ecclésiastiques et leurs proches, le voisin de Del Monte était le banquier génois Vincenzo Giustiniani, commanditaire et collectionneur de Caravage : Caravage a hérité de tout cela lors de son passage dans la maison du cardinal.

La lumière et l’obscurité

L'une des caractéristiques de la peinture de Caravage, un peu avant 1600, est son usage très novateur du clair-obscur, chiaroscuro où les gradations attendues des parties éclairées jusqu'à l'ombre sont violemment contrastées.
Une grande partie du tableau étant plongée dans l'ombre, la question de la représentation en profondeur de l'architecture et du décor est évacuée au profit de l'irruption des figures dans un puissant effet de relief, volontairement quasi sculptural, qui semble surgir hors du plan du tableau, dans l'espace du spectateur.
Cet usage de la lumière et de l'ombre devenu un effet de style ultérieurement dans la peinture occidentale caractérise le ténébrisme.
Dans la plupart des tableaux de Caravage, les personnages principaux de ses scènes ou de ses portraits sont placés dans une pièce sombre, un extérieur nocturne ou simplement dans un noir d’encre sans décor.
Une lumière puissante et crue provenant d’un point surélevé au-dessus du tableau, ou venant de la gauche, et parfois sous forme de plusieurs sources naturelles et artificielles, à partir de 1606-1607 découpe les personnages à la manière d’un ou plusieurs projecteurs sur une scène de théâtre.
Le cœur de la scène est particulièrement éclairé, et les contrastes saisissants ainsi produits confèrent une atmosphère dramatique et souvent mystique au tableau.
Car la lumière dans le contexte culturel de la Contre-Réforme est à l'image de la Lumière divine, ce qui donne une valeur symbolique tant à la lumière, naturelle ou artificielle, qu'aux ténèbres.
Dans Le Martyre de saint Matthieu de 1599/1600, la lumière naturelle traverse le tableau pour se déverser à flot en son centre, sur le corps blanc de l’assassin et sur les tenues claires du saint martyr et du jeune garçon terrifié, contrastant avec les vêtements sombres des témoins disposés dans l’obscurité de ce qui semble être le chœur d’une église.
Le saint écarte les bras comme pour accueillir la lumière et le martyre ; ainsi l’exécuteur, ne portant qu’un voile blanc autour de la taille, semble un ange descendu du ciel dans la lumière divine pour accomplir le dessein de Dieu — plutôt qu’un assassin guidé par la main du démon.
Comme dans La Vocation de saint Matthieu, les protagonistes ne sont pas identifiables au premier coup d'œil, mais l'obscurité crée un espace indéterminé dans lequel le puissant effet de présence des corps violemment éclairés, peints à l'échelle naturelle avec pour certains des costumes contemporains, invite le spectateur à revivre émotionnellement le martyre du saint.
Ajoutés aux contrastes de lumière et d'ombre, la sensualité du corps de l’assassin et les mouvements dramatiques des témoins horrifiés donnent vie au tableau : on a le sentiment que le temps n’est suspendu qu’un instant, que la scène se passe devant nos yeux et que le temps d’un clignement d’œil tout se remettra en mouvement.

Ces contrastes de lumière et d'ombre omniprésents dans l’œuvre de Caravage seront souvent critiqués pour leur caractère extrême considéré comme abusif.
Stendhal les décrit en ces termes :
Le Caravage, poussé par son caractère querelleur et sombre, s'adonna à représenter les objets avec très peu de lumière en chargeant terriblement les ombres, il semble que les figures habitent dans une prison éclairée par peu de lumière qui vient d'en haut.
— Stendhal, Écoles italiennes de peinture, Le Divan 1923.
Malgré les critiques, les jeux de lumières puissamment contrastés, le ténébrisme, seront repris et adaptés par de nombreux peintres, comme Georges de La Tour, Rembrandt et beaucoup d’autres.
De nos jours, le ténébrisme est souvent utilisé dans le cinéma et la photographie, notamment en noir et blanc : citons des cinéastes comme Orson Welles ou des photographes comme Sally Mann ou Robert Mapplethorpe.
En osant jouer sur la lumière pour accentuer le sens d'un tableau au détriment d'un certain réalisme de situation et de certaines conventions lourdement implantées — tout en insistant sur le réalisme de l'exécution — l'œuvre de Caravage a donné une grande impulsion à la peinture.


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#248 Le Caravage
Loriane Posté le : 28/09/2013 21:59
Le Caravage suite

Le naturalisme

Pour de nombreux auteurs spécialistes de cette période, les deux termes de réalisme et de naturalisme peuvent être utilisés sans distinction pour qualifier la peinture de Caravage.
Mais en restant au plus près de l'usage de l'époque, « naturalisme » semble plus précis, et évite toute confusion avec le réalisme de certaines peintures du xixe siècle, telles celles de Courbet, qui possédaient une dimension politique et sociale affirmée.
Ainsi, dans sa préface au Dossier Caravage d'André Berne-Joffroy, Arnault Brejon de Lavergnée évoque le naturalisme de Caravage et il emploie cette phrase explicite à propos des premières peintures : Caravage traite certains sujets comme des tranches de vie.
Afin de préciser cette idée, il cite Mia Cinotti à propos du Jeune Bacchus malade 1593 qui a été perçu comme étant d'un réalisme intégral et direct ... une restitution cinématographique, par Roberto Longhi, et comme une réalité "autre", forme sensible d'une recherche spirituelle personnelle accordée aux courants spécifiques de la pensée et du savoir de l'époque, par Lionello Venturi.
L'art de Caravage repose autant sur l'étude de la nature que sur le travail des grands maîtres du passé.
Mina Gregori signale les références au Torse du Belvédère pour le Christ du Couronnement d'épines vers 1604-1605 et à une statue antique pour La Madone des pèlerins 1604-1605.
Bien qu'il pratique la restitution mimétique et détaillée des formes et des matières observables dans la nature, il ne manque pas de laisser des indices soulignant le caractère artificiel de ses tableaux.
Il le fait en introduisant des citations bien identifiées et des poses reconnaissables par les initiés. Dans les œuvres tardives, le travail du pinceau bien visible vient contrecarrer l'illusion mimétique.


Les figures juste derrière le plan du tableau

Dans le cas des tableaux de jeunesse Marie Madeleine repentante 1594 et Le Repos pendant la fuite en Égypte 1594, les figures sont situées légèrement à distance du plan de la toile.
Mais dans la plupart des cas, et dans tous les tableaux de la maturité, les figures sont dans un court espace situé contre le plan du tableau.
Toutes les figures, dans les toiles de la maturité de Caravage sont peintes à échelle un, ou très près de l'échelle un.
Quelques exceptions sont notables comme pour le bourreau de La Décollation de saint Jean-Baptiste, dont le surdimensionnement peut être distingué des figures repoussoirs qui apparaissent au tout premier plan du Martyre de saint Matthieu 1599-1600 et de L'Enterrement de sainte Lucie 1608.
Les figures repoussoirs ont pour fonction de représenter, de tenir la place des spectateurs dans le tableau. Les spectateurs de l'époque sont censés avoir la même attitude que ces figures qui les représentent, affectivement, émotionnellement sinon physiquement, comme les pèlerins en prière devant la Vierge.
Daniel Arasse signale que les pieds de ces pèlerins figurés à l'échelle un sur le tableau d'autel se trouvent ainsi placés à hauteur des yeux des fidèles.
Leur aspect devait au moins imposer le respect, sinon la dévotion.


L'espace non encombré d'effets architecturaux inutiles

Les peintures de Caravage se distinguent par l'absence de tout effet de perspective sur une quelconque architecture.
La Madone des pèlerins ou La Madone de Lorette de 1604-1605 est placée à l'entrée d'une porte indiquée au minimum par l'ouverture en pierre de taille et un fragment de mur décrépi.
Il s'agit de la porte de la maison de Lorette, qui faisait l'objet d'un pèlerinage, sa présence dans la toile s'imposait.
Des indications minimales de ce type se retrouvent aussi dans La Vocation de saint Matthieu 1600, La Madone du rosaire 1605-1606, Les Sept Œuvres de miséricorde 1606, L'Annonciation 1608, La Décollation de saint Jean-Baptiste 1608, L'Enterrement de sainte Lucie 1608, La Résurrection de Lazare 1609, L'Adoration des bergers 1609 et La Nativité avec saint François et saint Laurent 1609, tous ces tableaux d'autel nécessitaient l'indication d'un espace architectural.
La solution de la frontalité, qui place le spectateur face au mur percé d'une ou plusieurs ouvertures, permet d'inscrire dans le tableau des lignes horizontales et verticales qui répondent aux bords de la toile et participent à l'affirmation de la composition picturale dans le plan du mur.

Le minimum d'accessoires significatifs

Dans "L'Amour vainqueur" le jeune garçon nu foule en riant les instruments des arts et de la politique.
Il personnifie le vers de Virgile Omnia vincit amor L'Amour triomphe de tout, très connu à cette époque.
Le Cavalier d'Arpin avait exécuté une fresque sur ce thème, qui fut aussi traité par Annibal Carrache au plafond du Palais Farnèse.
En travaillant au niveau du détail l'imbrication des instruments, les cordes brisées, les partitions indéchiffrables, Caravage fait allusion aux instruments brisés aux pieds de la célèbre Sainte Cécile de Raphaël qui symbolisent la vanité de toute chose.
On en déduit que le jeune garçon est un Amour céleste qui se laisse glisser de son siège pour se dresser vers le spectateur et le défier.
L'homme ne pourra gagner à ce jeu.
D'ailleurs l'Amour tient le monde sous lui : le peintre a ajouté le détail d'un globe céleste aux étoiles d'or. Mais il n'a utilisé cette matière précieuse qu'exceptionnellement, probablement à la demande expresse de son commanditaire.
Il y a eu peut-être, à propos de ce globe peu perceptible, un lien plus direct avec le commanditaire.
Celui-ci, Vincenzo Giustiniani, avait pour pire ennemi la famille Aldobrandini — laquelle avait pour armes un globe étoilé — car sa dette envers Giustiniani était considérable. Ceci faisait perdre des sommes très importantes au banquier.
Giustiniani s'est ainsi vengé en présentant son Amour, méprisant les Aldobrandini symbolisés sous lui. Ce genre d'approche ironique était commun à l'époque. D'autre part, pour la satisfaction du collectionneur et aussi afin de rivaliser avec son presque homonyme, Michel-Ange, Michelange Merisi Caravage n'a pas manqué de faire allusion au Saint Barthélemy du Jugement dernier, et il a repris cette pose complexe aisément reconnaissable.
Le tableau avait un autre enjeu, celui de devoir s'intégrer à une collection particulière.
La jeunesse du corps de l'enfant allait correspondre, dans la collection de Giustiniani, à une sculpture antique représentant Éros, d'après Lysippe.
Caravage n'a donc pas multiplié les accessoires mais a condensé une grande quantité d'informations, de symboles et de sous-entendus, en fonction de la commande qui lui était faite et des volontés de son commanditaire.
À La Valette, dans le milieu culturel des Chevaliers de Malte, Caravage renoue avec les grands tableaux d'église qui avaient fait sa renommée.

La Résurrection de Lazare est d'une grande sobriété de décor et d'accessoires.
Tout est dans l'intensité des gestes qui rappellent La Vocation de saint Matthieu.
D'ailleurs le tableau se nourrit de ces références, et semble s'adresser à une élite cultivée, au courant de l'actualité d'alors.
Cependant, par rapport à La Vocation de saint Matthieu la scène, qui se passe toujours dans l'Antiquité, n'est plus transposée dans le monde actuel. Les fastueux costumes des agents de change de l'époque n'ont plus lieu d'être. Les premiers chrétiens sont dépeints dans les vêtements intemporels des pauvres, depuis l'Antiquité jusqu'au xviie siècle.
La lumière, réalité et symbole, est la même que dans La Vocation de saint Matthieu.
Le corps de Lazare tombe dans un geste semblable à celui du Christ dans La Mise au tombeau. Les drapés ont pour fonction de souligner les gestes théâtraux, par leur couleur rouge pour le Christ ou leur valeur tons bleu clair pour Lazare.
Les expressions vont aux extrêmes : l'extrême douleur à droite, bousculade à gauche avec l'entrée de la lumière, et au-dessus de la main du Christ, un homme est là qui prie intensément en se retournant vers la lumière de la Rédemption.
Il s'agit de Caravage lui-même, dans un autoportrait explicite.
Il n'y a aucun détail trivial, ni aucun accessoire inutile ; le crâne au sol évoque simplement la mort du corps. Le mur nu répond au mur réel contre lequel le tableau est dressé dans l'ombre de la chapelle des Porte-Croix, où il était initialement, à Messine.

Procédés avérés et secrets d'atelier

Une peinture sans dessin, ou avec des dessins disparus ?
Dès ses premiers tableaux, on a pensé que Caravage peignait simplement ce qu'il voyait. L'artiste contribua à conforter la conviction du public qu'il peignait d'après nature, sans passer par l'étape du dessin.
Comme on n'a retrouvé aucun dessin de sa main et que ceci est tout à fait inhabituel pour un peintre italien de cette époque, les historiens d'art ont fini par envisager récemment que Caravage passait bien par une phase de conception, mais cela reste problématique encore aujourd'hui.
Caravage a été arrêté, une nuit, en possession d'un compas.
Sybille Ebert-Schifferer rappelle que l'usage du compas était très commun dans la préparation des peintures. Il symbolisait le disegno, à la fois le dessin, comme première étape du tableau, et le projet intellectuel ou l'idée qui est dans le tableau. Le premier patron de Caravage à Rome, Giuseppe Cesari, futur Cavalier d'Arpin, quand il sera anobli, s'est représenté avec un de ces compas dans un dessin situable vers 1599.
Et dans L'Amour victorieux cet instrument est aussi représenté.
Les branches mesurent environ 40 cm de long. Caravage aurait pu s'en servir pour réaliser des constructions précises, certaines reposent clairement sur des constructions géométriques qui sont dans ses tableaux.
Mais comme on n'en retrouve aucune trace sur la toile, Ebert-Schifferer suppose que Caravage aurait réalisé des dessins, qui n'ont pas été retrouvés et qui ont peut-être été détruits par l'artiste. Caravage a d'ailleurs réalisé des études préparatoires qui lui ont été commandées dans trois circonstances documentées : pour la chapelle Cerasi à Santa Maria del Popolo, la commande perdue de De Sartis et La Mort de la Vierge.
Quoi qu'il en soit, Caravage pratiquait l’abozzo ou abbozzo, le dessin réalisé directement sur la toile, sous forme d'une ébauche au pinceau et avec, éventuellement, quelques couleurs.
Malheureusement on ne détecte l'abozzo par radiographie que lorsqu'il contient des métaux lourds comme le blanc de plomb, mais les autres pigments n'apparaissent pas. Le blanc de plomb était utilisé sur des toiles préparées en sombre. Caravage a utilisé des préparations verdâtres puis brunes.

Les incisions

Dans ces préparations, mais aussi sur la toile en cours de réalisation, Caravage a porté des incisions. Il l'a fait depuis Les Tricheurs et la première version de La Diseuse de bonne aventure jusqu'à ses toutes dernières toiles.
Elles restent perceptibles en lumière rasante avec beaucoup d'attention.
Très souvent, Caravage incise sa peinture pour la position des yeux, le segment d'un contour ou le point d'angle d'un membre.
Pour les chercheurs contemporains qui sont persuadés que Caravage improvisait directement sur le motif, ces incisions sont l'indice de marques servant à retrouver la pose à chaque séance ou pour caler les figures dans les tableaux à plusieurs personnages.
Toutefois Sybille Ebert-Schifferer précise que, en dehors des œuvres de jeunesse, les incisions indiquent des contours dans la pénombre ou bien servent à délimiter une zone éclairée sur un corps, à l'endroit où tombe la lumière.
Dans ces cas tout semble indiquer qu'elles servent à compléter l'ébauche esquissée au blanc sur le fond brun. Et pour les parties dans l'obscurité, à ne pas en perdre de vue les contours mangés par l'ombre au cours de la réalisation de la peinture.

Lumières et ombres en peinture

Très attentif aux effets lumineux et à l'impact d'une peinture sobre, Caravage réduit aussi ses moyens d'expression par la couleur. Il peint avec une palette restreinte, et plus encore dans ses derniers tableaux : essentiellement des terres, du blanc et du noir.
Les blancs sont fréquemment adoucis par un fin glacis de tons sombres rendus transparents.
Les rouges sont utilisés en larges plages de couleur.
Localement, des verts et des bleus sont atténués eux aussi par des glacis de noir.
Les glacis ont pour effet de renforcer l'éclat des parties qu'ils recouvrent tout en nuançant la couleur. Pour obtenir l'effet inverse, Caravage mêle du sable très fin à ses couleurs afin de rendre telle partie mate et opaque par contraste avec les zones brillantes.
Il semble que le peintre ait été stimulé par ces effets optiques durant son séjour chez le cardinal Del Monte.
La diseuse de bonne aventure des Musées du Capitole, destinée au cardinal, présente ainsi une fine couche d'un sable de quartz qui empêche les reflets indésirables. C'est peut-être aussi chez Del Monte que Caravage aurait eu accès à de nouveaux pigments.
aux effets phosphorescents, une pierre devenue célèbre en 1602 sous le nom de pierre de Bologne .
Il fait aussi attention à l'éclairage des tableaux commandés pour un lieu précis. C'est le cas pour la Madone des pèlerins et pour tous ces tableaux d'autel où Caravage prend en compte l'éclairage dont bénéficie l'autel selon le point de vue d'une personne qui entre dans l'église.
Dans le cas de la Madone des pèlerins, la lumière vient de la gauche et c'est ce qu'il a peint sur le tableau : la scène est ainsi inscrite dans l'espace que l'on perçoit.
Dans la Mise au tombeau la lumière semble venir du tambour de la coupole, percé de fenêtres hautes de la Chiesa Nuova, alors que dans les tableaux destinés au marché la lumière vient, par convention, de la gauche.


Peintures Liste de peintures du Caravage.

Comme aucun dessin n'a été retrouvé, toute l'œuvre de Caravage est constituée de peintures.
Si lors des premiers recensements, au XIXe siècle, et bien qu’un grand nombre ait été perdu ou détruit, on a compté jusqu'à 600 peintures attribuées au peintre, ce chiffre est tombé aujourd'hui autour de 80.
Dans ce groupe la plupart des peintures sont reconnues unanimement par la communauté des spécialistes de Caravage. Quelques-unes ont été proposées récemment à l'occasion d'une restauration qui a permis de retrouver le tableau originel sous les repeints, mais certaines une dizaine restent contestées.
Il pourrait alors s'agir, éventuellement, de copies anciennes, mais certaines peuvent être attribuées à d’autres artistes. Les peintures dont l’attribution est contestée sont indiquées par attribution.

Peintures reconnues ou contestées

Le classement numérique proposé n'est qu'indicatif, afin de se repérer dans cette liste. Il ne correspond pas à l'ordre chronologique des réalisations, mais s'en rapproche.
Comme la plupart des artistes de cette époque Caravage n'apposait aucune marque sur le tableau, ni date ni signature, à une exception près :
La décollation de saint Jean-Baptiste fut symboliquement signée avec la représentation du sang qui gicle dans le tableau.
Il peint les lettres fMichelAn : Frater : frèr Michelangelo qui est le signe de son adoubement en tant que chevalier dans l'Ordre de Malte.

Nota Bene : Les références de ce classement proviennent des dernières parutions.
Les dates proviennent pour les peintures non contestées de Sybille Ebert-Schifferer, 2009.
Pour les peintures contestées attribution les dates proviennent de Catherine Puglisi, 2007, sauf mention contraire.
En effet quelques peintures contestées sont commentées et une date a été proposée, dans Michel Hilaire et Axel Hémery, 2012, qui se réfère lui-même à Ebert-Schifferer et Schütze, 2009.

-Nature morte aux fleurs et fruits attribution 1590? - Huile sur toile, 105 × 184 cm - Galerie Borghese, Rome
-Garçon pelant un fruit (copie) (1592-1593) - Huile sur toile, 75,5 × 64,4 cm - Collection Roberto Longhi, Rome
-Le Jeune Bacchus malade (1593) - Huile sur toile, 67 × 53 cm - Galerie Borghese, Rome
-Garçon avec un panier de fruits (1593-1594) - Huile sur toile, 70 × 67 cm - Galerie Borghese, Rome
-Bacchus (1593-1594) - Huile sur toile, 95 × 85 cm - Galerie des Offices, Florence
-Garçon mordu par un lézard (1593-1594) - Huile sur toile, 66 × 49,5 cm - National Gallery, Londres
-Madeleine repentante, huile sur toile (1594) - Galerie Doria-Pamphilj, Rome
-Le Repos pendant la fuite en Égypte (1594) - Huile sur toile, 133,5 × 166,5 cm - Galerie Doria-Pamphilj, Rome
-La Diseuse de bonne aventure (1594) - Huile sur toile, 115 × 150 cm - Musées du Capitole, Rome
-L'Extase de saint François (1594) - Huile sur toile, 92,5 × 128,4 cm - Wadsworth Atheneum, Hartford
-Les Tricheurs ou Les Joueurs de cartes (1594-1595) - Huile sur toile, 94,3 × 131,1 cm - Kimbell Art Museum, Fort Worth
-Les Musiciens (1595) - Huile sur toile, 92 × 118,5 cm - Metropolitan Museum of Art, New York
-La Diseuse de bonne aventure (1595) - Huile sur toile, 99 × 131 cm - Musée du Louvre, Paris
-Le Joueur de luth (1595-1596) (Première version) - Huile sur toile, 94 × 119 cm - Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg
-Corbeille de fruits (1595-1596) - Huile sur toile, 46 × 64 cm - Pinacoteca Ambrosiana, Milan
-Le Joueur de luth (1595-1596) (Deuxième version) - Huile sur toile, 96 × 121 cm - Badminton House, Gloucestershire.
-Narcisse (attribution) (1597?) - Huile sur toile, 110 × 92 cm - Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome. Attribué à Spadarino (Papi, 1991) / Puglisi 2005.
-Le Joueur de luth (1596) - Huile sur toile, 100 × 126,5 cm - Metropolitan Museum of Art, New York
-Marthe et Marie-Madeleine (1597-1598) - Huile sur toile, 97.8 × 132,7 cm - Institute of Arts, Détroit
-Sainte Catherine d'Alexandrie (vers 1598) - Huile sur toile, 173 × 133 cm - Collection Thyssen-Bornemisza, Madrid
-Méduse (1597-1598) - Huile sur toile monté sur bois, 60 × 55 cm - Galerie des Offices, Florence
-Le Sacrifice d'Isaac (1597-1598) - Huile sur toile, 104 × 135 cm - Galerie des Offices, Florence
-Vocation de saint Pierre et saint André (attribution) (considéré comme une copie) (1597-1598) - Huile sur toile, 260 × 250 cm - Royal Collection, château de Hampton C-court, Londres
-Le Sacrifice d'Isaac (deuxième version) (attribution / Puglisi 2005 no 18) (vers 1597-1598) - Huile sur toile, 116 × 173 cm - Piasecka-Johnson Collection, Princeton
-David et Goliath (attribution) (1598-1599) - Huile sur toile, 110 × 91 cm - Musée du Prado, Madrid
-Judith décapitant Holopherne (1598-1599) - Huile sur toile, 145 × 195 cm - Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome
-Jupiter, Neptune et Pluton (1599) - Fresque au plafond, huile, 300 × 180 cm - Casino Boncompagni Ludovisi, Rome
-Saint Matthieu et l'Ange (1599) - Huile sur toile, 232 × 183 cm - Détruit en 1945
-Le Martyre de saint Matthieu (1599-1600) - Huile sur toile, 323 × 343 cm - Chapelle Contarelli, église Saint-Louis-des-Français, Rome
-La Vocation de saint Matthieu (1600) - Huile sur toile, 323 × 343 cm - Chapelle Contarelli, église Saint-Louis-des-Français, Rome
-David avec la tête de Goliath (1600-1601) - Huile sur bois, 90.5 × 116 cm - Kunsthistorisches Museum, Vienne
-La Conversion de saint Paul (1600-1601) - Huile sur bois de cyprès, 237 × 189 cm - Odescalchi Balbi Collection, Rome
-Le Souper à Emmaüs (1601) - Huile sur toile, 139 × 195 cm - National Gallery, Londres
-Portrait d'une courtisane ou Portrait de Fillide Melandroni (après 1601) - Huile sur toile, 66 × 53 cm - Conservé au Musée de Bode (Kaiser-Friedrich-Museum) de Berlin, disparu depuis 1945.
-L'Amour victorieux (1601-1602) - Huile sur toile, 156 × 113 cm - Staatliche Museen, Berlin
-Saint Matthieu et l'Ange (1602) - Huile sur toile, 292 × 186 cm - Chapelle Contarelli, église Saint-Louis-des-Français, Rome
-Le Jeune Saint Jean-Baptiste au bélier (1602) - Huile sur toile, 129 × 94 cm - Musées du Capitole, Rome
-La Capture du Christ (1602) - Huile sur toile, 133,5 × 169,5 cm - National Gallery of Ireland, Dublin
-Saint Jean-Baptiste dans le désert (1602-1603) - Huile sur toile, 172,5 × 104,5 cm - Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City
-Le Couronnement d'épines (1602-1603) - Huile sur toile, 165,5 × 127 cm - Kunsthistorisches Museum, Vienne
-Saint Jean-Baptiste (attribution très contestée) (1603-1604) - Huile sur toile, 94 × 131 cm - Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome
-L'Incrédulité de saint Thomas (vers 1603) - Huile sur toile, 107 × 146 cm - Sanssouci, Potsdam
-Portrait de Maffeo Barberini (1603?) - Huile sur toile, 124 × 99 cm - Collection privée, Florence
-Saint François en méditation (vers 1603?) - Huile sur toile, 125 × 93 cm - Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome
-La Mise au tombeau (Le Caravage) (1602-1603) - Huile sur toile, 300 × 203 cm - Pinacothèque, Vatican
-La Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas (vers 1604) - Huile sur toile, 230 × 175 cm - Chapelle Cerasi, église Santa Maria del Popolo, Rome
-Le Crucifiement de saint Pierre (vers 1604) - Huile sur toile, 230 × 175 cm - Chapelle Cerasi, Santa Maria del Popolo, Rome
-La Madone des pèlerins (1604-1605) - Huile sur toile, 260 × 150 cm - Basilique Sant'Agostino in Campo Marzio, Rome
-Le Couronnement d'épines (vers 1604-1605) - Huile sur toile, 125 × 178 cm - Cassa di Risparmi, Prato
-Le Christ au Jardin des Oliviers (attribution) (détruit ou disparu en 1945) (1604-1606) - Huile sur toile, 154 × 222 cm - Anciennement Kaiser Friedrich Museum Gemäldegalerie, Berlin
-La Madone du rosaire (1604-1605) - Huile sur toile, 364,5 × 249,5 cm - Kunsthistorisches Museum, Vienne
-La Mort de la Vierge (1605-1606) - Huile sur toile, 369 × 245 cm - Musée du Louvre, Paris
-Saint Jérôme en méditation (attribution) (1605-1606) - Huile sur toile, 118 × 81 cm - Monastère de Montserrat
-Marie-Madeleine en extase copie d'après l'original perdu de Caravage (1606 ? - Michel Hilaire 2012). Copie réalisée par Louis Finson (1578-1627) avant 1613 - Huile sur toile, 106 × 91 cm - Musée des Beaux-Arts, Marseille
-La Madone des palefreniers (1606) - Huile sur toile, 292 × 211 cm - Galerie Borghèse, Rome
-Saint Jérôme écrivant (1606) - Huile sur toile, 112 × 157 cm - Galerie Borghèse, Rome
-Saint François en méditation sur le crucifix (1606) - Huile sur toile, 190 × 130 cm - Museo Civico Ala Ponzone, Crémone
-Le Souper à Emmaüs (1606) - Huile sur toile, 141 × 175 cm - Pinacothèque de Brera, Milan
-Ecce Homo (attribution) (1605-1606 Papi, 2012) - Huile sur toile, 128 × 103 cm - Palazzo Bianco, Gênes
-Les Sept Œuvres de miséricorde (1607) - Huile sur toile, 390 × 260 cm - Église Pio Monte della Misericordia, Naples
-Le Christ à la colonne (1606-1607) - Huile sur toile, 134,5 × 175,5 cm - Musée des Beaux-Arts, Rouen
-Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (1606-1607) - Huile sur toile, 90,5 × 167 cm - National Gallery, Londres
-Marie-Madeleine en extase (attribution) (1606) - Huile sur toile, 106 × 91 cm - Collection privée, Rome
-Le Crucifiement de saint André (1606-1607) - Huile sur toile, 202,5 × 152,7 cm - Cleveland Museum of Art, Cleveland
-David avec la tête de Goliath (1606-1607) - Huile sur toile, 125 × 101 cm - Galleria Borghese, Rome
-La Flagellation du Christ (1607?) - Huile sur toile, 390 × 260 cm - Museo Nazionale di Capodimonte, Naples
-Portrait d'Alof de Wignacourt (1607) - Huile sur toile, 195 × 134 cm - Musée du Louvre, Paris
-Portrait d'Antonio Martelli (1607-1608) - Huile sur toile, 118,5 × 95,5 cm - Galerie Palatine (Palais Pitti), Florence
-Saint Jérôme écrivant (1607-1608) - Huile sur toile, 117 × 157 cm - Saint John Museum (Co-cathédrale Saint-Jean), La Valette
-Amour endormi (1608) - Huile sur toile, 71 × 105 cm - Galerie Palatine (Palais Pitti), Florence
-L'Arracheur de dents (attribution) (1608-1610) - Huile sur toile, 139,5 × 194,5 cm - Palais Pitti, Florence
-L'Annonciation (1608-1609) - Huile sur toile, 285 × 205 cm - Musée des Beaux-Arts, Nancy
-La Décollation de saint Jean-Baptiste (vers 1608) - Huile sur toile, 361 × 520 cm - Saint John Museum (Co-cathédrale Saint-Jean), La Valette
-L'Enterrement de sainte Lucie (1608) - Huile sur toile, 408 × 300 cm - Église Santa Lucia al Sepolcro, Syracuse
-La Résurrection de Lazare (1609) - Huile sur toile, 380 × 275 cm - Musée régional, Messine
-L'Adoration des bergers (1609) - Huile sur toile, 314 × 211 cm - Musée régional, Messine
-La Nativité avec saint François et saint Laurent (1609) - Huile sur toile, 268 × 197 cm - (volé en 1969)
-Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (attribution Catherine Puglisi 2005 no 84) (1609-1610?) - Huile sur toile, 116 × 140 cm - Palais royal, Madrid
-Le Reniement de saint Pierre (attribution) (en général admis comme autographe, opinion contestée par Ebert-Schifferer 2009) (1609-1610) - Huile sur toile, 94 × 125 cm Shickman Gallery, New York
-Saint Jean-Baptiste (1609-1610) - Huile sur toile, 159 × 124 cm - Galleria Borghese, Rome
-Le Martyre de sainte Ursule (1610) - Huile sur toile, 154 × 178 cm - Banca Intesa, Palazzo Zevallos, Naples
-Saint Jean-Baptiste à la fontaine (attribution) (1607-1608) - Huile sur toile, 100 × 73 cm - Collezione Bonello, Malte / mêmes dimensions (attribution) Collection particulière, Rome / (Copie ? Original inachevé ?) (1610) - Huile sur toile, 127 × 95 cm, Collection particulière, Londres.
-Œuvres ou copies attribuées par quelques spécialistes à Caravage, liste non exhaustive (non documentées dans les ouvrages de référence utilisées pour réaliser cette liste) :
-Le Sacrifice d'Isaac (1603) - Huile sur toile, 116 × 173 cm - Piasecka-Johnson Collection, Princeton
Saint Jean-Baptiste (attribué ?) aucune date proposée - Huile sur toile, 102,5 × 83 cm - Öffentliche Kunstsammlung, Bâle
Le 5 juillet 2012, une centaine de dessins et quelques peintures réalisés dans sa jeunesse auraient été retrouvés par des experts dans une collection à l'intérieur du château Sforzesco à Milan.
Cependant cette attribution reste sujette à caution, étant mise en doute par plusieurs spécialistes du peintre.

Polémique d'attribution.

Loches
Début 2006, une polémique eut lieu au sujet de deux tableaux retrouvés en 1999 dans l'église Saint-Antoine de Loches en France, dont l'authenticité, établie par quelques spécialistes, était contredite par beaucoup d'autres qui les considéraient comme de simples copies.
Il s'agit d'une version du Souper à Emmaüs et d'une version de L'Incrédulité de saint Thomas.
Il est à noter que Caravage exécutait souvent lui-même plusieurs versions d'un même tableau, allant jusqu'à en effectuer des quasi-copies comportant seulement quelques détails différents.

Royal Collection

Une nouvelle œuvre de Caravage a été authentifiée en novembre 2006.
Relégué dans les sous-sols de la collection royale de Buckingham Palace, un tableau intitulé la Vocation de saint Pierre et saint André et jusque-là considéré comme étant une copie, est attribué finalement au peintre et est exposé pour la première fois en mars 2007 dans une exposition consacrée à l'art italien.
La toile, qui mesure 140 cm de long sur 166 cm de haut, était recouverte d'une épaisse couche de poussière et de vernis, la faisant apparaître monochrome avec différentes ombres marron.
Le site de la Royal Collection indique toutefois qu'il s'agit d'une copie d'après Caravage, et propose également le titre alternatif de Pierre, Jacques et Jean

Liens

http://youtu.be/F7MPTnPG3j4 Le Caravage
http://youtu.be/0k6Vp8-2BDc Moi caravage
http://youtu.be/NbVs1pHWRAE Caravage, Michelangelo Merisi
http://www.ina.fr/video/VDD10025048/l ... enoise-oubliee-video.html Le repos de Caravage à Génes
http://www.ina.fr/video/VDD10009303/h ... ire-de-sa-mort-video.html Caravages 400éme anniversaire
http://www.ina.fr/video/CPC95009718/m ... egory-caravage-video.html Livre sur la vie de Caravage
http://youtu.be/Cb-1_mwztuw Caravaggio

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#249 Michelangelo Antonioni 1
Loriane Posté le : 28/09/2013 21:05
Le 29 septembre 1912 naît Michelangelo Antonioni

Réalisateur et scénariste du cinéma italien naît à Ferrare en Émilie-Romagne et mort à Rome le 30 juillet 2007.

Il a obtenu de nombreuses récompenses, dont l'Oscar pour l’ensemble de sa carrière en 1995 et le Lion d'or pour la carrière à Venise en 1997.

Il est le seul réalisateur, avec Henri-Georges Clouzot et Robert Altman, à avoir remporté les trois plus hautes récompenses des principaux festivals européens que sont Cannes, Berlin et Venise.
Il y a dans chaque culture nationale comme dans chaque moyen d'expression des moments ou des personnes qui semblent être des points de convergence.
Ainsi des œuvres incarnent et propulsent en même temps certains changements culturels collectifs, si bien que l'itinéraire de leur auteur tend peut-être injustement à décevoir après coup, lorsqu'il vient s'insérer dans un courant plus régulier. Au même titre que l'œuvre de Bergman ou de Resnais, celle de Michelangelo Antonioni est marquée par un tel cheminement intellectuel.
Né dans une famille populaire, sa mère, Elisabetta Roncagli, fut ouvrière, Michelangelo Antonioni se passionne très jeune pour la musique et le dessin.
Violoniste précoce, il donne son premier concert à neuf ans.
Toutefois, son besoin de création ne le prédispose guère au métier d'interprète des classiques. En revanche, la peinture et le dessin seront des activités qu'il continuera d'exercer tout au long de sa vie.
À Ferrare, il ne fréquente pas le liceo, dont les élèves, très souvent issus des classes aisées, se destinent à des études supérieures, mais un lycée technique.
Il pratique en outre le tennis, au club de Marfisa à Ferrare, où il côtoie la jeunesse dorée et, en particulier, son ami, le romancier Giorgio Bassani.
Après son baccalauréat, il s'inscrit à la faculté d'économie et de commerce de Bologne, où il obtient un diplôme.
Le complexe de ne jamais avoir suivi d'études littéraires m'est toujours resté, avouait Antonioni.

Les débuts de cinéma

Attiré par le théâtre, il devient ensuite un cinéphile passionné et pratique, entre 1936 et 1940, la critique de films dans un journal de Ferrare, Corriere padano. Il quitte alors sa ville natale pour Rome et participe, bientôt, à la rédaction de Cinema, dirigée par Vittorio Mussolini, le fils de Benito Mussolini.
-Au moment où Antonioni y débute, les germes du néoréalisme n'étaient pas encore éclos.
Les jeunes théoriciens de ce mouvement, parmi lesquels Giuseppe De Santis, Carlo Lizzani, Antonio Pietrangeli… ne devaient débarquer dans l'équipe de rédaction qu'entre 1941 et 1943.
À la suite d'un différend, il est contraint de quitter la revue et c'est, à ce moment-là, qu'il entame une brève formation de cinéaste en intégrant les cours du Centro Sperimentale di Cinematografia de Rome.
Là, il noue une solide amitié avec l'enseignant Francesco Maria Pasinetti, auteur de la première histoire du cinéma italien.
Il épouse d'ailleurs la belle-sœur de ce dernier, Letizia Balboni, alors étudiante au Centro sperimentale.
Appelé sous les drapeaux au service des transmissions entre 1942 et 1943, il collabore au scénario de Un pilota ritorna de Roberto Rossellini. Ensuite, mettant à profit deux permissions exceptionnelles, il devient assistant sur deux films, I due Foscari d'Enrico Fulchignoni et Les Visiteurs du soir de Marcel Carné.


Les premiers films

Antonioni entre dans la profession cinématographique, en 1942 comme assistant de Marcel Carné pour Les Visiteurs du soir ; jusqu'à 1950, il collabore à quelques scénarios et réalise des courts-métrages qui ne sont pas indifférents.
C'est l'époque où le cinéma italien connaît la flambée du néo-réalisme fortement marqué à gauche, et qui, prôné ou contredit, influencera profondément toute la vie culturelle italienne de l'époque.
Les deux premiers courts-métrages d'Antonioni, Gente del Pò, 1943-1947 et N.U. 1948, c'est-à-dire Nettezza urbana ; il s'agit d'un documentaire sur les éboueurs, s'inscrivent directement dans ce mouvement néo-réaliste tandis que La Villa dei mostri, 1950, documentaire sur le parc aux rochers sculptés de Bomarzo témoigne de son ouverture à un certain fantastique.

En 1950, la culture italienne a déjà entamé sa déprovincialisation.

Face au cinéma traditionnel, les mélos, les drames et les comédies, d'ailleurs nullement méprisable et fort populaire, le néo-réalisme, s'il ne remporte pas dans la péninsule de grands succès publics, apporte une vision plus ouverte au monde et contribue à faire connaître le cinéma italien à l'étranger.
Depuis déjà quelques années, les écrivains américains ont été publiés en Italie grâce à Pavese et à Vittorini, et l'emphase d'annunzienne ne paraît plus obligatoirement liée à l'expression écrite italienne.
C'est dans ce nouveau contexte qu'Antonioni produit en 1950 son premier long-métrage, Chronique d'un amour.
Comme il avait influencé le premier film de Visconti Ossessione, le film noir américain a certainement inspiré cette histoire – devenue traditionnelle depuis Thérèse Raquin et américanisée par James Cain avec Assurance sur la mort et Le facteur sonne toujours deux fois – d'une femme et d'un amant qui veulent supprimer le mari.
Stylistiquement, en revanche, on distingue l'admiration du débutant pour le Laura de Preminger et pour Les Dames du bois de Boulogne de Bresson.
La technique du plan-séquence triomphe en effet dans Chronique d'un amour.
Ce style, que certains voulurent théoriser, alors que ses plus grands utilisateurs, Welles comme Preminger, Bresson comme Antonioni, Mizogushi comme Hitchcock, ne s'y enfermèrent jamais, procure au récit une fluidité, une aisance plus romanesque, et permet aussi une plus grande pudeur, un understatement fort anglo-saxon.
Il nous est possible de distinguer avec l'éloignement combien est grande la postérité de Chronique d'un amour.
Si, en effet, Lucia Bosé, qui interprète l'héroïne du film, ne peut nier sa dette à l'égard de la Louise Brooks des films de Pabst, elle a, à son tour, inspiré l'héroïne de L'Année dernière à Marienbad, de Resnais et Robbe-Grillet.
Et il convient aussi de citer Bardem, Maselli et Kast au nombre des cinéastes les plus directement marqués par cette histoire policière.
Plus récemment, si le cinéaste Jia Zhanke, pour Still Life, Chine, 2006, s'inspire du peintre Liu Xiaodong, il serait étonnant que pour décrire le barrage des Trois Gorges ni le peintre ni le cinéaste n'aient connu les images déshumanisées de L'Éclipse ou du Désert rouge.
On oubliera miséricordieusement de nombreux cinéastes sans talent qui ont essayé de faire de l'Antonioni comme d'autres faisaient du Godard.
Tandis que I Vinti 1952, film à sketches, retrace le malaise de la jeunesse de l'époque mais son sketch inspiré du fait-divers notoire des J3 de Malnoue est alors interdit en France, La Signora senza camelie, 1953 est un portrait de la profession de cinéaste, en Italie, à ce moment-là, mais des conventions mélodramatiques, l'auteur, isolé et génial, face aux contraintes dégradantes du commerce affaiblissent le film.
Tourné pour un film collectif, L'Amore in città, 1953, l'épisode Tentato suicidio est plus intéressant : Antonioni y inaugure en effet une méthode de cinéma direct où le cinéaste se fait à la fois détective et psychiatre pour interroger des femmes qui ont essayé de se tuer.

Dans Le Amiche, Femmes entre elles, Antonioni adapte, en 1955, un récit de Pavese, Entre femmes seules, tiré du Bel Été. Tout en restant plus fidèle que jamais au plan-séquence, il réalise le film peut-être le plus parfait et le plus beau de son œuvre.
Dans cette structure des rapports amicaux et sentimentaux, des haines et des rivalités qui traversent un groupe de femmes de la bourgeoisie turinoise, Antonioni réalise, comme dans Chronique d'un amour, la synthèse des apports anglo-saxon et français tout en rendant un hommage sans flagornerie à Pavese, bien qu'il n'ait jamais éprouvé à l'égard de la femme les sentiments de panique et de fascination que ressentit, jusqu'au suicide, l'écrivain.
Pour Antonioni, la femme est en effet un être plus fort, plus intelligent, plus équilibré que l'homme, et non, comme pour Pavese, l'incarnation de l'ombre, de l'irrationnel, de l'inconnu.
Après ce film, intervient dans la vie du cinéaste un changement profond : sa femme, Letizia, le quitte.
Il Grido, 1957 peut être vu comme le plus déchirant des cris de douleur d'un artiste pourtant secret et avare de confidences.
Le film, qui présente l'errance d'un ouvrier, abandonné par celle qu'il aime, dans le décor de la grise plaine du Pô, est une œuvre étrange et forte, qui n'a pas le caractère de pure beauté classique du film précédent, mais dont la séduction austère demeurera.

Le vertige dans l'image

Aucun des films d'Antonioni n'a, jusqu'alors, connu de succès commercial, et il a dû, pour vivre, effectuer des travaux non signés, dirigeant par exemple la seconde équipe de nombreux péplums.
Après avoir rencontré Monica Vitti, il parvient néanmoins en 1959, malgré mille difficultés, à réaliser L'Avventura qui fera sensation au festival de Cannes cette année-là. Avec La Notte, 1960, L'Eclisse, 1962 et Il Deserto rosso, 1964, il va faire tourner Monica Vitti dans quatre œuvres qui lui vaudront une notoriété internationale.
Ces quatre films se caractérisent par un changement de style : Antonioni renonce au plan-séquence et n'hésite plus à recourir fréquemment aux gros plans et aux contrechamps ; le thème aussi est le même dans ces quatre œuvres : l'incommunicabilité et le désarroi de l'homme qui découvre que ses règles morales sont dépassées par l'évolution du monde. Les critiques cessent de citer perpétuellement Pavese, ce qui agaçait Antonioni et, plus justement, évoquent Fitzgerald, Adorno ou Musil.
Les films ont un souffle plus ample, le récit s'étend plus volontiers dans des digressions plastiques comme la séquence baroque sur la ville de Noto, en Sicile, dans L'Avventura, le finale de L'Éclipse, qui ne montre que des objets ou des lieux déserts, la référence picturale est ici Giorgio De Chirico, ou les paysages désolés de la zone industrielle de Ravenne dans Le Désert rouge, le désert rouge recevra le Lion d'or au Festival de Venise 1964.
Ces films lui valent une reconnaissance mondiale. Monica Vitti sera l'égérie de ces quatre films et sera d'ailleurs sa compagne pendant quelque temps..
Antonioni accède au rang de grand cinéaste international tandis que Monica Vitti entame, de son côté, une carrière de star comique.
Avec Blow-up, policier psychologique anglais 1966, Zabriskie Point, essai romancé sur la rage de vivre d'un jeune Américain, 1970, Chung Kuo, 1972 ; La Chine, reportage qui connaîtra quelques mécomptes en raison des vicissitudes de la révolution culturelle maoïste et Profession reporter, 1975, attachant portrait d'un perdant incarné par Jack Nicholson, Antonioni nous donne alors des films séduisants et personnels, où l'on retrouve de discrets rappels des thèmes des premières œuvres, mais qui ne jouent plus le rôle de catalyseur de la culture européenne
À noter toutefois qu'avec Il Mistero di Oberwald, 1980, tiré de L'Aigle à deux têtes, de Cocteau, il est parmi les premiers à réaliser un film de fiction, de long-métrage, en vidéo. Ensuite, pour l'exploitation en salle, l'image électronique sera recopiée sur pellicule.
Le résultat est plus curieux que convaincant. Avec Identificazione di una donna 1982, il revient au style classique, avec une belle histoire d'amour.

C'est alors qu'il rencontre celle qui sera sa dernière compagne, Enrica.

En 1985, un accident cérébral grave contraint Antonioni à l'inaction, jusqu'à ce qu'il puisse, malgré sa condition physique, revenir à la mise en scène, avec l'aide de Wim Wenders pour Par-delà les nuages, 1995, puis, en 1994, pour Eros, 2004, les autres épisodes étant signés Wong Kar-wai et Steven Soderbergh.
Que dire de ces derniers films ?
Antonioni semble reproduire ici les dernières années de Luchino Visconti, avec cet acharnement à travailler, infiniment respectable, et qui prolongea sans doute son existence ; une vision exhaustive de son œuvre ne pourra les supprimer, mais ils ne sont nullement indispensables à sa grandeur créatrice – alors que ses courts-métrages initiaux, moins connus, le sont.

Sa dernière apparition publique peut être datée de l'automne 2006, lorsqu'il assiste à l'exposition de ses tableaux en plein centre de Rome.
Le palazzo ancien qui abrite cette exposition, près du Panthéon, aujourd'hui utilisé comme musée, fut naguère affecté à la Bourse de Rome, et c'est là qu'Antonioni tourna plusieurs scènes de L'Éclipse 1962.

Il meurt le 30 juillet 2007.

Une œuvre aux multiples facettes

Comme plusieurs grands cinéastes, Antonioni, au moment de son décès, a fait l'objet d'études et d'hommages divers.
Les appréciations de son œuvre relèvent évidemment de la liberté critique, mais peut-être, objectivement, sont-elles trop influencées par la renommée : il est courant d'entendre dire que l'œuvre d'Antonioni ne commence vraiment qu'avec L'Avventura.
Ce qui est exact, c'est que ce fut là le début de sa célébrité internationale.
On a aussi tendance à montrer une certaine unanimité : c'est oublier que le cinéaste eut bien de la peine à réaliser les films qu'il désirait, que l'Avventura fut hué à Cannes, que des cinéastes éminents comme François Truffaut ou Orson Welles n'ont jamais caché leurs plus sévères réserves sur son œuvre.
On peut rappeler sa période de formation, ses documentaires, comme Gente del Po, par exemple : mais il faut mentionner que ce film a été considéré, au même titre que l'Ossessione de Visconti, comme une œuvre fondatrice de l'école néo-réaliste.
Là encore il est important de rappeler sa période de formation.
Antonioni a fait partie de ce groupe de jeunes gens fous de cinéma, influencés par le Parti communiste italien clandestin, qui se regroupaient autour de la revue Cinema dirigée par Vittorio Mussolini – ce dernier étant à la fois fasciné par leur potentiel de création, et désireux comme eux de faire un cinéma italien qui tienne tête aux autres productions nationales.
C'est de ce groupe où figuraient notamment Visconti, De Santis ... que naîtra le néo-réalisme.
Le jeune Antonioni ne fut pas uniquement influencé par ses collègues, il collabora aussi au scénario du film fasciste de Rossellini, Un pilota ritorna. Car bien des cinéastes italiens de cette époque ont vécu leurs années d'apprentissage sous le régime mussolinien... Ce fut le cas pour Fellini ou pour Risi, il serait vain de le leur reprocher aujourd'hui.
Ainsi, l'examen de l'œuvre d'Antonioni, avec ses multiples facettes, ne peut se borner à la partie la plus importante, celle des longs-métrages de fiction.
Il y a sa vision documentariste, ses débuts, mais aussi son film sur la Chine, ses travaux alimentaires, ce film de commande sur Soraya en 1965, Le Bout d'essai, épisode du film collectif Les Trois Visages, ou ses tâches de réalisateur de seconde équipe pour Lattuada ou Brignone.
Il y a ses apparitions dans de longs interviews télévisés – qui nous le montrent plein d'humour, comme dans le film de 1966 de Gianfranco Mingozzi, Michelangelo Antonioni, storia di un autore.
Il y a ses tableaux, ses quelques rares livres. Antonioni, dans sa complexité, dans son œuvre comme dans les rapports parfois épineux qu'il entretint avec la société qui l'entourait, reste l'un des grands inventeurs de forme du XXe siècle.


Postérité

Dans un entretien accordé à Serge Kaganski en 2004, Jean-Luc Godard juge à regrets qu'Antonioni est le cinéaste qui a le plus influencé le cinéma contemporain.
Il considère par exemple qu'un cinéaste comme Gus Van Sant fait du sous-Antonioni.

Filmographie

Réalisateur

Note : Michelangelo Antonioni était également scénariste des films qu'il a réalisés.

Courts métrages

Note : Les courts métrages de Michelangelo Antonioni sont tous des documentaires.
1943 : Gente del Po (Les Gens du Pô)
1948 : Roma-Montevideo
1948 : Oltre l'oblio (Plus loin, l'oubli)
1948 : Nettezza urbana (Nettoyage urbain)
1949 : Superstizione (Superstition)
1949 : Sette canne, un vestito (La Rayonne)
1949 : L'Amorosa menzogna (Mensonge amoureux)
1950 : La villa dei Mostri (La Villa des monstres)
1950 : La funivia del Faloria (Le Téléphérique du mont Faloria)
1989 : Kumbha Mela, court métrage sur l'Inde
1993 : Noto, Mandorli, Vulcano, Stromboli, Carnevale (Connu, amandiers, volcan, Stromboli, carnaval)
2004 : Lo sguardo di Michelangelo (Le Regard de Michelangelo)
Longs métrages[modifier | modifier le code]
1949 : Ragazze in bianco (Jeunes en blanc), documentaire
1949 : Bomarzo, documentaire
1950 : Chronique d'un amour (Cronaca di un amore)
1953 : La Dame sans camélia (La signora senza camelie)
1953 : Les Vaincus (I vinti)
1953 : L'Amour à la ville (L'Amore in città), segment J'essaye le suicide (Tentato suicidio)
1955 : Femmes entre elles (Le amiche)
1957 : Le Cri (Il grido)
1960 : L'aventura
1961 : La Nuit (La notte)
1962 : L'Éclipse (L'eclisse)
1964 : Le Désert rouge (Il deserto rosso)
1965 : Les Trois Visages (I tre volti), segment Il provino (Le Bout d'essai)
1966 : Blow-Up
1970 : Zabriskie Point
1972 : Chung Kuo, la Chine (Chung Kuo, Cina)
1975 : Profession : reporter (Professione : reporter)
1980 : Le Mystère d'Oberwald (Il mistero di Oberwald)
1982 : Identification d'une femme (Identificazione di una donna)
1989 : 12 registi per 12 città (Douze réalisateurs pour douze villes), coréalisation promotionnelle pour la Coupe du monde de football de 1990 en Italie, segment Roma
1995 : Par-delà les nuages (Al di là delle nuvole), coréalisé avec Wim Wenders
2000 : Destinazione Verna
2004 : Eros, segment Il filo pericoloso delle cose

Scénariste

1942 : Un pilote revient (Un pilota ritorna) de Roberto Rossellini
1942 : I due Foscari (Les Deux Foscari) d'Enrico Fulchignoni
1947 : Chasse tragique (Caccia tragica) de Giuseppe De Santis
1952 : Le Cheik blanc (Lo sceicco bianco) de Federico Fellini
Producteur[modifier | modifier le code]
1988 : Liv d'Edoardo Ponti (P)

Lui-même

Chambre 666 de Wim Wenders (interview sur l'« avenir du cinéma ») en 1982

Récompenses

1948 : Ruban d'argent du meilleur documentaire pour Nettezza urbana (Nettoyage urbain)
1950 : Ruban d'argent du meilleur documentaire pour L'Amorosa menzogna (Mensonge amoureux)
1951 : Ruban d'argent spécial pour les valeurs humaines et stylistiques pour Chronique d'un amour (Cronaca di un amore)
1955 : Lion d'argent à la Mostra de Venise pour Femmes entre elles (Le amiche)
1956 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour Femmes entre elles (Le amiche)
1957 : Léopard d'or au Festival international du film de Locarno pour Le Cri (Il grido)
1960 : Prix du Jury au Festival de Cannes pour L'avventura
1961 à la Berlinale :
Ours d'or du meilleur film pour La Nuit (La notte)
Prix FIPRESCI pour l'ensemble de son travail
1962 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour La Nuit (La notte)
1962 : Prix spécial du Jury au Festival de Cannes pour L'Éclipse (L'eclisse)
1964 à la Mostra de Venise :
Lion d'or pour Le Désert rouge (Il deserto rosso)
Prix FIPRESCI pour Le Désert rouge (Il deserto rosso)
1967 : Palme d'or au Festival de Cannes pour Blow-Up
1967 : NSFC Award du meilleur réalisateur pour Blow-Up
1968 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film étranger pour Blow-Up
1968 : Prix de la critique (Syndicat français de la critique de cinéma) du meilleur film étranger pour Blow-Up
1976 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour Profession : reporter (Professione : reporter)
1976 : Prix Luchino Visconti aux David di Donatello
1976 : Bodil du meilleur film européen pour Profession : reporter (Professione : reporter)
1982 : Prix du xxxve anniversaire au Festival de Cannes pour Identification d'une femme (Identificazione di una donna)
1983 : Lion d'or à la Mostra de Venise pour sa carrière
1991 : Prix François Truffaut au Festival du film de Giffoni
1993 : Prix pour sa performance aux Prix du cinéma européen
1995 : Prix FIPRESCI à la Mostra de Venise pour Par delà les nuages (Al di là delle nuvole)
1995 : Grand Prix spécial des Amériques au Festival des films du monde de Montréal à l'occasion du centenaire du cinéma, pour son exceptionnelle contribution à l'art cinématographique
1995 : Prix d'honneur aux Oscars du cinéma
1995 : Griffon d'or pour la carrière au Festival du film de Giffoni
1996 : Prix pour la carrière au Festival international du film d'Istanbul
1998 : Prix Pietro Bianchi du SNGCI à la Mostra de Venise
2000 : Prix pour la carrière au Festival du film Flaiano
2001 : NFSC Award spécial pour l'intelligence exemplaire, la créativité et l'intégrité de sa carrière longue d'un demi-siècle
2004 : Prix FIPRESCI du meilleur court métrage au Festival international du film de Valladolid pour Lo sguardo di Michelangelo (Le Regard de Michelangelo)

Distinctions

: Chevalier grand-croix de l'ordre du Mérite de la République italienne, le 18 novembre 19927.

Sur Antonioni

Ouvrages

Fabio Carpi, Antonioni, Parme, Guanda, 1958
Pierre Leprohon, Antonioni, Paris, Seghers, coll. Cinéma d'aujourd'hui , 1961
Roger Tailleur et Paul-Louis Thirard, Antonioni, Paris, Éditions universitaires, coll. Classiques du cinéma, 1963
Michelangelo Antonioni, Rien que des mensongeslieu=Paris, Lattèsn, 1985
Joëlle Mayet Giaume, Michelangelo Antonioni : le fil intérieur, Crisnée, Belgique, Yellow Now, 1990
René Prédal, Michelangelo Antonioni ou la vigilance du désir, Paris, Le Cerf, coll. 7e art, 1991
Céline Scemama, Antonioni : le désert figuré, Paris, L'Harmattan, 1998
José Moure, Michelangelo Antonioni, Cinéaste de l'évidement, Paris, Champs visuels, 2001
Alain Bonfand, Le cinéma de Michelangelo Antonioni, Paris, Images Modernes, 2003
Aldo Tassone (trad. Caecillia Pieri), Antonioni, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2007
Stig Björkman (trad. Anne-Marie Teinturier), Michelangelo Antonioni, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Grands cinéastes », 2007
Seymour Chatman et Paul Duncan, Michelangelo Antonioni - filmographie complète, Paris, Taschen, 2008

Article

Roland Barthes, Cher Antonioni, dans Cahiers du cinéma, no 311 (mai 1980)

Films

1966 : Michelangelo Antonioni storia di un autore (Antonioni : documents et témoignages), documentaire pour la télévision de Gianfranco Mingozzi
1982 : Chambre 666, documentaire pour la télévision de Wim Wenders avec Antonioni
1996 : Fare un film per me è vivere (Faire un film pour moi c'est vivre), documentaire pour la télévision d'Enrica Antonioni sur le tournage de Par delà les nuages
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INTERVIEW D'ANTONIONI par TELERAMA


Il sait tout faire : ses films sont des chefs-d'œuvre célèbres dans le monde entier. Il écrit des nouvelles qui sont autant de scénarios étonnants. Une exposition à Paris nous révèle des montagnes magiques, car il peint aussi. Ex¬ceptionnellement, il parle et raconte son obsession de l'avenir.
"Je ne m'intéresse qu'au futur"

Un ami qui le connaît m'avait dit : « Si tu veux faire parler Antonioni, un conseil: lance-le sur Platini ».
Je comptais faire ça. Mener l'entretien en stratège lucide, pas intimidé, en tâchant d'oublier que l'existence d'Antonioni sur terre est une des choses qui rendent la vie moins pesante - sans doute parce qu'il sait comme personne nous en restituer le poids. Et puis j'ai oublié, dès qu'il a ouvert la porte et que, presque avant de le voir lui, j'ai vu le ciel. Encadré par de grandes baies vitrées, « un espace vide entre deux immeubles, vide de tout sauf de vide », comme il l'écrit dans une de ses nouvelles (1).
Il habite au dernier étage d'une résidence cossue, sur la colline Fleming, à la périphérie de Rome - et Monica Vitti, depuis vingt-cinq ans, à l'étage en dessous. Quand on approche des fenêtres, qu'on se penche, on voit le fleuve, et cet étrange paysage, suburbain et chic, ni ville ni campagne, qu'il décrit dans une autre nouvelle, Un bowling sur le Tibre. Mais si on ne se penche pas, le ciel vide seulement, découpé .en immenses tableaux gris sur lesquels se détache la silhouette mince, élégante, très tennisman, de Michelangelo Antonioni, 73 ans, cinéaste, peintre et écrivain.
D'autres tableaux, les siens, s'empilent contre les murs, sous leurs housses de plastique : ils vont bientôt être expédiés à Paris, pour l'exposition (2). Pas vraiment des tableaux, en fait : des « blow-up ». Des agrandissements photographiques.
-J'ai commencé, il y a quelques années, à peindre de petites choses, explique-t-il dans un français impeccable. Et puis, en les regardant à la loupe, j'ai été fasciné parla matière, la face cachée de ce qu'on voit à l'œil nu. Alors, j’ai décidé de les photographier et de les agrandir. C'est cela qui m'intéresse : je ne suis pas vraiment un peintre. Et l'œuvre, c'est l'agrandissement, pas ça.
Il montre « ça », quand même : les originaux. Minuscules, entre la carte postale et le timbre-poste.
-Au début, si je les faisais très petits, c'est parce que je n'avais pas assez- de place chez moi et aussi que je n'aime pas peindre devant un chevalet. Mais en fait, cela m'amuse de travailler sur des formats de plus en plus réduits. Cela augmente la surprise à l'agrandissement. C'est un peu comme une céramique qu'on met au four : on ne sait jamais ce que cela va donner quand on l'en sortira. On entre vraiment ainsi dans la vie de la matière..
La vie de la matière, scrutée attentivement : je repense à Blow-up, bien sûr, mais aussi au montage d'objets quotidiens, pur poème de l'inanimé qui -conclut L'Éclipse. Sur le mur, derrière Antonioni, est encadrée une nature morte de Morandi des bouteilles, des ombres sur ces bouteilles, c'est tout. Juste le calme, la vibration des choses. Mais les « blow-up » actuels d'Antonioni ignorent les objets d'industrie humaine, ne représentent que des montagnes : éboulis volcaniques, ravines d'encre et d'aquarelle, un monde minéral. Montagnes enchantées, c'est le titre de l'exposition.
- Un jour, j'ai peint un visage imaginaire, je l'ai découpé en morceaux, remonté un peu au hasard c'était une montagne. Je suis un homme de la plaine, pourtant, et j'ai peint aussi des plaines magiques, que je préfère d'ailleurs à mes montagnes. (Il rit, tout à coup juvénile) : Mais je ne vais quand même pas exposer toutes mes périodes. Même si j'ai eu de meilleures critiques pour ces trucs là que pour mes films. Si ça marche, à Paris, puis à New York, je continuerai. Il faut bien prévoir sa retraite.
Plaisanterie : il songe à tout, sauf à sa retraite. Mais la peinture n'est pas pour lui un caprice, un bouche-trou. Ni une nouveauté. Il l'aime, la connaît bien. Enfant, adolescent, il dessinait et peignait sans relâche. Des architectures surtout.
- Mais c'est presque l'inverse. L'architecture suppose un projet, des techniques complexes qu'on met à son service. Alors que ces peintures, spontanément, me libèrent de l'obsession du sentiment, du psychologique.
Même démarche dans ses films, obsédés autrefois par l'habitat humain, le paysage industriel, et qui dérivent vers le désert de Zabriskie point, de Profession reporter, ou la Venise paradoxale d'Identification d'une femme : on n'y voit pas un bâtiment, rien que de l'eau et du brouillard. La ville la plus civilisée du monde se dilue dans les éléments premiers.
Derrière la baie vitrée, des oiseaux zèbrent le gris du ciel. Très japonais. .
« Je pense rarement à ma jeunesse », écrit Antonioni dans son récit « Report about myself ». Et c'est vrai qu'il n'aime pas parler du passé. Pourtant la plaine, l'architecture entraînent la conversation vers Ferrare, sa ville natale. « Une ville très belle, très mystérieuse. C'était la plus importante d'Europe au XV° siècle ». Et il va chercher un livre d'art, sur les fresques du palais Schifanoia (dont le nom signifie : dissiper l'ennui), s'amuse d'une reproduction : « C'est très païen, voyez-vous. Les chevaliers mettent les mains sous les jupes des dames, j'aime ça ». Un autre livre, sur la peinture métaphysique : « Chirico a découvert tout cela à Ferrare ».
Nous feuilletons. Places écrasées de soleil froid, menace diffuse des monuments, instants figés : Antonioni erre des yeux dans le territoire de son adolescence, sourit quand je lui rappelle une phrase d'une de ses nouvelles : « Seul quelqu'un de Ferrare peut comprendre qu'une liaison dure onze ans sans avoir jamais existé ».
Ferrare dans les années 30, secrète, brumeuse, renfermée derrière les murs ocres de ses palais. Les jardins aussi, les courts de tennis, le choc mat des balles frappées, les voix qu'assourdit la pelouse, comme dans le parc anglais de Blow-up, encore. Et la montée du fascisme, que décrit dans Le Jardin des Finzi-Contini le romancier Giorgio Bassani, son ami de jeunesse.
Il rit encore - c'est vrai qu'il rit souvent. « Bassani, à cette époque, écrivait très mal, une prose baroque, chargée. Comme j'étais responsable de la page littéraire du Courrier de Padoue, je devais toujours couper, reprendre ses papiers. J'étais partisan, moi, d'une écriture sèche, dépouillée, presque sans adjectifs ».
L'écriture qu'on retrouve aujourd'hui dans ses nouvelles. « Quel est votre but en les écrivant ? » lui a-t-on demandé lors de leur parution. Réponse pince-sans-rire : « De les écrire le mieux possible ». Il ne se présume pas plus écrivain que peintre, pourtant, et ses récits ne sont que des sujets de films couchés sur le papier, des exutoires nécessaires quand l'industrie du cinéma l'oblige à rester longtemps sans tourner.
« - Quand je ne tourne pas, je griffonne sans arrêt, je noircis des feuilles, j'efface, des nuits entières. Mais ja mais quand je tourne : je ne fais qu'une seule chose à la fois.
- Quand je ne sais pas quoi faire, écrit-il, je commence à regarder. Il y a des techniques pour cela. J'ai la mienne, qui consiste à remonter d'une série d'images à un état de choses. »
Quatre hommes en mer, par exemple, doit être le point de départ de The Crew qu'il tente vainement de monter depuis plusieurs années.
« - L'idée vient d'un fait divers que j'ai lu dans un journal australien. Et j'ai écrit le récit lors d'un voyage en voiture, entre Téhéran et Chiraz. Il y avait une tempête de neige dans le désert et moi j'écrivais cette histoire de mer. »
Un riche homme d'affaires, lors d'une croisière sur son yacht, est pris d'une lubie : il enferme dans la cale ses trois hommes d'équipage. Qui parviennent à sortir au bout de quelques heures et s'aperçoivent que leur patron s'est jeté à la mer. En fait, il se cache et épie leur comportement. Pourquoi ? « Question sans réponse, qui laisse comme un arrière-goût d'indignation jalouse ».
Ce récit doit beaucoup à Joseph Conrad, une des grandes passions littéraires d'Antonioni, avec Faulkner, Gide - « Mais cela m'est un peu passé, comme une sorte d'amour perdu » - ou son ami Roland Barthes, dont il a rêvé d'adapter les Fragments d'un discours amoureux.
« - C'était très difficile. Je voulais faire un film sans véritable intrigue, sur un personnage prenant conscience de tout ce qui se dit sur l'amour, confronté à l'expérience qu'on en a. J'y ai renoncé à la mort de Barthes, j'aurais eu besoin de lui pour le faire. Ce n'était pas seulement un essayiste, mais un poète. Je pense qu'il se retrouvera quelque chose de ce projet dans un film que je prépare, d'après une de mes nouvelles, Deux télégrammes. De toute façon, mon prochain film parlera encore de l'amour. »
Comme le dernier. Mais, à la fin d'Identification d'une femme, Niccolo, le cinéaste, projette de tourner un film de science-fiction. Qu'arrivera-t-il quand le soleil sera trop proche de la terre ? se demande-t-il. Et une nouvelle du recueil, Antarctique, fait écho à cette question en évoquant la progression du continent austral vers nos, régions tempérées...
« - Je vous l'ai dit, je ne m'intéresse qu'au futur. Et j'ai beaucoup de curiosité pour la science, ses incertitudes, l'obligation d'être toujours en mouvement, de trouver des questions. Je crois aussi que notre terre devient trop petite, et que nous 'n'avons guère qu'un choix : l'holocauste nucléaire ou bien l'émigration vers d'autres planètes. Je pense réaliser bientôt un film avec Carlo Ponti et Sophia Loren, d'après une nouvelle d'un écrivain de science-fiction américain, Jack Finley, qui s'appelle Destination Verna.
C'est l'histoire d'une femme qui n'attend plus rien de la vie et à qui on offre de partir ailleurs, sur une planète hors du système solaire, où l'on suppose que le bonheur existe. Et elle a peur de prendre sa décision. C'est un sentiment très courant. Si vous demandez à la plupart des gens de partir, d'aller au bout du monde, sur la lune ou sur Jupiter, très peu accepteront, ils préféreront rester chez eux, i dans leur désespoir. Et le sujet de mon film, c'est la dernière chance offerte ferle à cette femme, qu'elle perd ».
Mais lui, Antonioni, est bien décidé à ne laisser passer aucune chance. Il ne cesse de bouger, de courir le monde, d'imaginer telle histoire en Ouzbekistan, telle autre à Singapour, d'échafauder des projets qui capotent régulièrement faute d'argent, de confiance des producteurs. L'un des grands artistes du monde n'arrive pas à tourner, mais n'en tire aucune amertume-: seulement un surcroît de vitalité. Loin de se résigner, il se bat, parle avec confiance de ses prochains films, se tient au courant de l'astrophysique comme des nouvelles technologies de l'image, toujours sur la brèche pour les expérimenter le premier.
Il vient de tourner un vidéo-clip sur la rockeuse Gianna Nannini, Fotoromanzo, quatre minutes « intimistes » dans le climat des années trente (« Mais je n'en suis pas content : la production ne m'a pas aidé ») et rêve de pousser plus loin les recherches inaugurées par Le Mystère d'Oberwald, une adaptation vidéo de L'Aigle à deux têtes de Cocteau, jamais sortie en France.
« - Je ne comprends d'ailleurs pas que la France ne l'ait pas acheté, au moins la télé. Le résultat est loin d'être satisfaisant, mais enfin, sur la couleur, c'était une expérience intéressante. Je suis convaincu que l'électronique, c'est l'avenir, qu'elle supplantera le cinéma comme la couleur le noir et blanc et, que ce soit un bien ou un mal, je souhaite participer à cette évolution inévitable. Si je tourne, comme il est prévu, un saint François d'Assise, j'espère pouvoir le faire avec ces nouvelles techniques. »
Paradoxal : on imagine mal Antonioni tournant des films d'époque, en costumes, mais les deux fois où il y a songé, c'était pour tester des technologies de pointe.
« - C'est normal, vous savez. D'abord, l'histoire de saint François m'a été proposée par la télé, sur l'initiative d'un frère franciscain. J'avais besoin d'argent, c'était pour moi un projet très mercenaire. Je n'avais aucune curiosité pour cette histoire, je n'aime pas le personnage, je ne suis pas croyant, je trouve les Fioretti mièvres, douceâtres, et si je le fais, ce sera en mettant l'accent sur une réalité historique beaucoup plus dure : la corruption, la violence du Moyen-âge, la guerre entre Pérouse et Assise... Je n'aime pas non plus les films à costumes, mais quand je pense à en faire un, il devient mon futur. Donc, pour moi, c'est en quelque sorte de la science-fiction. (Rire). Vous voyez, je suis cohérent. » Partis des nouvelles et de la peinture, nous en sommes, depuis une heure, au quatrième projet de cinéma en chantier. « Chaque fois que je suis sur le point de commencer un film, il m'en vient un autre à l'esprit ».
Le téléphone sonne. Antonioni s'excuse, répond. Je regarde le ciel qui s'assombrit, l'eau-forte de Morandi, les rayonnages chargés de livres, les montagnes magiques sous leur plastique. Je le regarde lui, qui parle, à l'autre bout de la grande pièce, et je repense à une de ses nouvelles, lue dans l'avion.
Le narrateur observe sans l'entendre une jeune fille qui parle au téléphone. Il essaie mentalement de la doubler en adaptant au mouvement de ses lèvres une phrase d'un scénario en projet : « J'ai 24 ans, et derrière moi, il y a un rideau vert. Que veux-tu savoir d'autre ? »
« Que voulez-vous savoir d'autre ? » me demande Antonioni, le téléphone raccroché, signifiant poliment qu'il en a dit assez. Je remercie, prends congé. Je me rappelle dans l'ascenseur, trop tard : Platini.
Propos recueillis par EMMANUEL CARRERE – Télérama


HOMMAGE A MICHELANGELO ANTONIONI


TÉLÉRAMA 3005 115 AOÛT 2007

Par-delà le silence - Centrée sur l’absence de communication, attirée par le vide, l’œuvre de Michelangelo Antonioni fait aussi la part belle aux frémissements de la vie et à la sensualité.

Un blanc - Michelangelo Antonioni vient de disparaître. Un blanc avant l’éclipse, cette fois définitive. On en avait oublié son âge son âge (94 ans), on s’était fait à l'idée de son long sursis devenu renaissance après son attaque survenue en 1985. Un accident cérébral l'avait cloué sur place. Paralysie. Aphasie. Comme si le sort avait tenu à parachever l'« incommunicabilité » qui lui collait à la peau. Et puis l'artiste avait recouvré un peu de mobilité, la parole revenait par bribes, l'envie de cinéma aussi. L'attente dura onze ans, jusqu'à Pardelà les nuages (1995), tourné avec l'ami Wim Wenders. Un ratage magnifique, libre et vacillant, digest teinté d'ironie des thèmes antonioniens et consécration du corps de Sophie Marceau. L'érotisme, jadis symbolisé, s'incarnait. Antonioni récidiva dans sa contribution au film collectif Eros (2004). Et puis...
Celui qu'on a souvent désigné comme le maître d'oeuvre de la modernité a donc rejoint le néant, ce centre obscur ou radieux, allez savoir, autour duquel il gravitait depuis ses débuts, au lendemain de la guerre. L'absence, le vide, le silence, le désert, la dissolution du sens, il représentait tout cela mieux que quiconque avec une élégance formelle et morale qui lui interdisait tout pessimisme complaisant. Car ces obsessions, loin de nourrir une œuvre de la noirceur ou de la cruauté, s'expriment avec une telle ambivalence qu'inquiétude et volupté y paraissent indissociables, créant une sensation d'unité, de beauté. La vie d'Antonioni ? Une énigme de plus, pas si facile à résoudre. Aldo Tassone, célèbre critique italien et fidèle parmi les fidèles, en sait quelque chose, lui qui eut toutes les peines du monde à soutirer quelques rares souvenirs de l'intéressé, pour les besoins d'un livre resté incontournable. L'enfance ? « Très heureuse », selon lui. Des parents de classe moyenne, bienveillants et généreux, et un frère, avec lequel il fait les quatre cents coups dans la rue. Michelangelo grandit en montrant un talent précoce pour la musique et la peinture. Il aime aussi la littérature (Pirandello, Ibsen, Pavese), mais il s'inscrit en économie. En 1939, il s'établit à Rome, où il travaille comme journaliste et critique - vif et visionnaire - à la revue Cinéma. Pendant la guerre, il collabore à divers scénarios et devient assistant réalisateur, de Carné entre autres. Grâce à Tassone, on retient cette confession : « L'un de mes jeux favoris consistait à "organiser" des villes. Sans rien connaître en architecture, je bâtissais des immeubles et des rues entre lesquels je faisais évoluer des figurines. Je m'inventais des histoires. Ces happenings d'enfant -j'avais 11 ans - étaient un peu comme de petits films. »
Ces façades de maisons qu'il dessinait auront chez lui valeur de visages. Elles exprimeront, dissimuleront une histoire, un couple, un sentiment. Pas de plus claire symbolique pour signifier le passage de l'extérieur à l'intérieur, de la surface des choses à l'intériorité. La ville et le désert se confondent chez lui. Il aimait les matins blêmes, les avenues vides de juillet. Il reste de fait associé à la cité plane de son enfance, la bourgeoise Ferrare, qui s'étend sur le cours inférieur du Pô. Arcades de silence, dimanche éternel, vie engourdie - ce théâtre urbain immortalisé par les toiles de Chirico ou de Carlo Carrà. Antonioni est né là-bas, y a vécu vingt-sept ans. Il y reviendra tourner un épisode hivernal - le plus épuré - de Par-delà les nuages. Cette plaine du Pô sera le décor de ses premiers films, des documentaires précurseurs du néoréalisme, Les Gens du Pô (1943¬1947), de Chronique d'un amour (1950) ou du Cri (1957), dérive grise et poignante d'un ouvrier trompé qui tente en vain d'oublier sa femme. Un film à part dans l'oeuvre d'Antonioni, plus habitué à dépeindre la grande bourgeoisie. Plaine, îlot rocheux, route, crevasse, esplanade. Brouillard, vent, pluie, soleil rasant ou vertical. Impossible de penser le cinéma d'Antonioni autrement qu'en termes de géographie et de climat. Le relief, le décor et le temps qu'il fait comptent autant sinon plus que les scénarios, contre lesquels ils semblent même s'inscrire. L'action, l'attente devrait-on dire, tend vers un présent suspendu qui dément le déroulement d'une intrigue, l'existence d'un passé, l'emploi de flash-back. Créer des liens mystérieux, des vibrations infra-sensibles entre l'homme et le paysage, voilà la grande idée antonionienne. Pour creuser et exprimer différemment la grande question qui taraude aussi Bergman et Go¬dard : le couple, et ses corollaires, passion, solitude, désir, abandon. La trilogie L’Avventura (1960), La Nuit (1961) et L'Eclipse (1962), puis Le Désert rouge (1964) : Antonioni signe coup sur coup quatre chefs-d'œuvre, qui le placent au rang des plus grands mais aussi des mal-aimés. Autant Fellini, son rival amical de toujours, a su récolter les suffrages du public, autant Antonioni, lui, s'est heurté à pas mal d'incompréhension. Sa vraie carrière commence par un scandale, fameux : en 1960, à Cannes, son Avventura est copieusement sifflé, Monica Vitti sort de la projection en larmes.
Aujourd'hui, non seulement L'Avventura - coécrit avec Elio Bartolini et Tonino Guerra, le fidèle scénariste - n'a pas pris une ride, mais il a gardé son caractère scandaleux : une femme (Lea Massari), personnage central, disparaît, et cette disparition est purement et simplement effacée du récit, supplantée par un amour naissant entre son compagnon et une amie proche. Chez Antonioni, on oublie vite, et l'être aimé peut rapidement devenir un étranger. Tout s'évanouit, le bonheur comme le malheur. De là l'inquiétude, ce besoin de toucher les choses pour les retenir. Intensité foudroyante du sentiment amoureux, puis plus rien. Tout Antonioni palpite de ces intermittences du cœur, de l'alternance terrible de joie et de tristesse. Chaque film de la trilogie débute ou s'achève par une séparation. Un couple échappe in extremis au naufrage (la fin de L’Avventura), un autre est à l'agonie (La Nuit), un troisième passe à côté d'une grande (?) histoire (L'Éclipse et son casting de rêve, Vitti-Delon). La faute à l'incommunicabilité ? On aurait autant tort de ricaner que de ne jurer que par cette formule, qui vaut ce qu'elle vaut. Certains - Alain Robbe-Grillet, fin connaisseur - l'ont retournée pour dire combien ça communique à outrance chez Antonioni. D'autres ont insisté sur la difficulté de s'unir avec les mots. On tranchera en avançant l'hypothèse que ce n'est pas tant la communication qui est recherchée que son dépassement, son détachement. Dans la métaphore, la coïncidence, la correspondance, en un mot, dans la poésie.

Longtemps, une femme a compté.

Une égérie tremblante et vaillante qui portait en elle les questions du monde et pouvait pardonner la lâcheté des hommes. Monica Vitti, blonde rayonnante et amère, muse sensuelle. Un roman ne suffirait pas pour dire son visage, sa silhouette, sa voix cassée. Antonioni l'a révélée. Plus tard, d'autres femmes furent magnifiées - Maria Schneider, Da¬niela Silverio, Christine Boisson... Avant, il y eut la divine Lucia Bosé dans Chronique d'un amour (1950) et La Dame sans camélias (1953). Dans les années 60, Antonioni est le plus fin apologiste de la femme.
Et puis il part. Il quitte l'Italie comme on se sépare d'une compagne, défait et refait son cinéma ailleurs. La femme n'est plus le personnage en avant, il devient objet de quête, voire d'enquête. Comme si le personnage masculin ne supportait plus sa propre lâcheté et sa vulgarité, désormais il s'interroge et interroge. Antonioni se ressource d'abord dans un jardin anglais, où il développe un suspense très audacieux tout en enregistrant - en direct, s'il vous plaît ! - la déferlante du swinging London (Blow up, 1967). La jeunesse le fascine, le fascinera toujours. Çabouge aux Etats¬Unis ? Il file là-bas en pleine période hippie pour suivre l'échappée dans le désert d'un étudiant contestataire et d'une jeune secrétaire qui a tout largué. C'est Zabriskie Point (1970), road-movie d'un romantisme fou, peut-être le film le plus radical de ces années. Ensuite, c'est la Chine (Chung Kuo, la Chine, 1972). Puis l'Afrique noire et l'Europe, où il signe Profession: reporter (1975), errance parfaite, aboutissement magistral parce que naturel de son esthétique. Aux portes du désert, depuis une fenêtre béante, Anto¬nioni attend - sereinement? - que la mort advienne. Il pressentait les choses avant tout le monde, expérimentait la couleur - ce qu'il réalise dans LeDésert rouge (surtout saturé de bleu et de vert) est inouï -, la vidéo -Le Mystère d'Oberwald (1980), petite merveille, et retrouvailles avec Vitti. Inventeur de la modernité, Antonioni ? Vous rigolez ? De la postmodernité, oui ! Observez la photographie plasticienne, la danse contemporaine, l'art vidéo, ou bien encore la mode, et vous aurez de fortes chances d'apercevoir son ombre portée se profiler dans tous les domaines où le style est une vertu.
Sa postérité cinématographique (même diffuse) l'atteste. La puissance de fascination intemporelle de ses films les protège de fait de toute idée de vieillissement. Il res¬tera sans doute comme le plus exigeant compositeur de plans, avec Hitchcock, qu'il rejoint d'ailleurs sur bien d'autres aspects. Rigueur, abstraction géométrique, nudité architectonique.
Il n'a jamais oublié pour autant d'être profondément humain. Nul formalisme intégriste chez lui. Sa suprême élégance vient de là : c'est comme si la forme conduisait au fond. « Il va de l'abstraction vers l'humain », résume bien Olivier Assayas dans son commentaire sur le DVD de L’Avventura. Le voir en cinéaste froid est absurde. On pleure beaucoup dans les films d'Antonioni, on caresse aussi, on pose sa joue sur le corps de l'autre, la terre, les murs. Contact charnel, matériel et minéral, qui est à la mesure du vide, de l'extinction de la sensation.
Ces vibrations, ce rapport sensoriel, tactile, au monde mène tout naturellement à l'érotisme. Un érotisme manifeste et éclatant dans certaines séquences - l'impudente montée du plaisir de Daniela Silverio dans Identification d'une femme (1982). Ou plus allusif, ne serait-ce qu'à travers les décors chargés de métaphores sexuelles, phalliques ou en creux. Tout se passe comme si Antonioni avait toujours tendu vers un absolu d'unité, compact, irréductible. Quelque chose de réel, et qui toujours se dérobe. Reste l'attente, ce temps de cinéma indéterminé, ce brouillard, ce désir vague - de vivre ou de mourir ? De splendides pressentiments dépourvus du moindre ressentiment.
JACQUES MORICE

Antonioni d’hier et de demain par André S. Labarthe

Parmi les mille façons d’entendre la mise en scène, il en est une qui est peut-être plus propre qu’une autre à éclairer la démarche du cinéaste.C’est celle qui accorde à la mise en scène une fonction ordonnatrice particulièrement sensible chez Murnau et Lang, cette fonction, qui commande au créateur d’aller du désordre à l’ordre, se révèle à des degrés divers chez tous les cinéastes modernes. Ceux-ci semblent d’ailleurs en être plus ou moins conscients, alors que les anciens réalisateurs, partisans d’un style où le montage et le truquage étaient au premier plan de l’expression, l’ignoraient tout en luttant inconsciemment contre elle. Le cinéma moderne, résolument démystificateur, ne l’est réellement que parce que les cinéastes modernes ont pris conscience de cette évidence.
Le mythe du cinéma-oeil a fait long feu. La fameuse objectivité fondamentale du cinéma est en fait corrélative d’une aussi grande subjectivité du cinéaste. L’analyse phénoménologique de la perception tentée par Merleau-Ponty doit a fortiori s’appliquer à cet oeil mécanique qu’est l’objectif de la caméra. Ainsi, voir, ce n’est déjà plus tout à fait voir, filmer, ce n’est plus tout à fait enregistrer du réel sur pellicule.Que dire alors de la mise en scène, sinon qu’elle est en fin de compte une manière de juger (de Murnau à Astruc), d’interroger (de Rossellini à Chabrol), d’aimer ou de haïr (de Stroheim à Renoir) ? Sinon qu’elle propose toujours un certain ordre du monde ? Un plan de Welles, par exemple, est toujours une certaine façon d’ordonner l’espace, engage par conséquent toujours une certaine façon qu’a Welles de regarder le monde, de s’y insérer et d’y formuler son interrogation.
Pour toutes ces raisons, il n’est jamais alarmant qu’un auteur qui aborde la mise en scène nous donne un film désordonné, touffu, seulement balayé de brefs éclairs de génie. Tout porte à croire que ses films ultérieurs se définiront par une clarification - non pas une simplification - de son propos, une maîtrise croissante de son instrument, pour atteindre, peut-être, à la suprême souveraineté : une réconciliation de l’homme et de la nature, l’apaisement d’une lutte dans laquelle le désordre doit finir par rendre les armes.
La rétrospective Antonioni à la Cinémathèque française a mis justement l’accent sur cet itinéraire de la création. Un film tenu jusqu’ici pour un chef-d’oeuvre, Chronique d’un amour, apparaît, après L’Avventura, à la fois comme une esquisse et un brouillon : une oeuvre désordonnée, plus pleine qu’un oeuf mais imprécise, une oeuvre sans impact sur laquelle la mise en scène n’a pas encore inscrit sa suprématie. En regard, La Dame sans camélias, en dépit d’une erreur de distribution (voir plus bas) qui eût pu lui être fatale, prend une importance inattendue. Mais Chronique d’un amour comme La Dame sans camélias, malgré de réelles beautés, souffrent aujourd’hui d’être confrontés avec la perfection des derniers films.

Ce qu’on désigne par l’approfondissement d’une oeuvre n’est jamais qu’une prise plus nette de conscience.On va d’une oeuvre floue à une oeuvre limpide, d’un brouillon à une épure. Les étapes d’une carrière de cinéaste sont comparables aux états successifs d’un tableau. Par exemple, le personnage qui nous est montré dans Chronique d’un amour, on s’en aperçoit aujourd’hui, manque singulièrement de netteté : sa silhouette est épaisse, sa démarche incertaine. C’est qu’il est encore loin d’être « la somme de ses actes ». Mais qu’Antonioni le « reprenne », comme on « reprend » un tableau, et cette silhouette se précisera, cette masse d’ombre s’éclaircira, et Massimo Girotti laissera la place au Steve Cochran du Cri et celui-ci au Gabriele Ferzetti de Femmes entre elles et de L’Avventura. Il éclaircira si bien ses contours qu’il s’opposera finalement au décor et à l’histoire dont au début il restait confusément solidaire. Ceci n’est qu’un exemple, mais caractéristique : que ce personnage se précise, et c’est le décor, et c’est la fiction, et c’est la mise en scène elle-même qui gagnent en efficacité.
La véritable maîtrise d’Antonioni commence avec le sketch d’Amore in citta. Avec Tentato suicidio - tel est son titre - pour la première fois la couleur n’empiète pas sur le dessin. Le réalisateur survole sa matière et affirme déjà péremptoirement cette limpidité du style, et cette acuité du regard qui frapperont tant le spectateur de Femmes entre elles. La conception de la mise en scène qui se fait jour ici témoigne en effet d’un regard éminemment aigu - presque critique - posé sur certains aspects privilégiés du réel. En même temps qu’elle retient le spectateur au piège de sa seule beauté, elle rend compte de la position de l’auteur. Réaliser un film n’est pas pour Antonioni faire une parenthèse dans sa vie d’homme, mais tout au contraire continuer à vivre en s’interrogeant sur le sens de la vie, et peut-être par là apprendre à mieux vivre. Bref, le temps du film continue le temps réel,mais l’ordonne,mais le rend transparent à la conscience. La mise en scène a donc cette mission de résoudre ou d’aider à résoudre les problèmes et les difficultés qui assaillent un homme. Elle est une technique de la conscience de soi.
Qu’est-ce à dire ? Simplement ceci : un film sera d’autant meilleur, sa mise en scène d’autant plus remarquable que son auteur aura une conscience plus nette de sa place dans le monde et de son rapport au monde. Antonioni est une affirmation, criante de justesse, de la politique des auteurs.
L’ensemble présenté par la Cinémathèque n’était pas complet. Manquaient, outre L’Avventura, certains courts métrages réalisés entre 1943 et 1950. Mais cela du moins a-t-il suffi pour que cette oeuvre, entre toutes maudite (aucun film d’Antonioni n’a connu en France une exclusivité autre que confidentielle), nous apparaisse dans tout son déploiement. En voici une rapide analyse.

Documentaires
Nous avons vu trois documentaires : N.U. (Netezza urbana, 1948) film sur les éboueurs de Rome : Superstizione (1948), reportage sur les coutumes et croyances de certaines populations des Abruzzes ; Tentato suicidio, épisode de Amore in città (1953), enquête sur le suicide. Les deux premiers, strictement documentaires, surprennent d’emblée par l’écart qu’ils accusent avec la technique néoréaliste. Certes, Antonioni a tourné dans des lieux réels. Mais les angles de prises de vues, les cadrages et jusqu’à l’utilisation qui est faite de la bande sonore, opèrent à l’égard du document un recul qui deviendra plus tard la caractéristique d’un style.
À vrai dire, dans la suite, ces films, et probablement ceux qui leur sont contemporains, ne mériteraient guère que l’on en parlât. Mais, à voir et à revoir Tentato suicidio, réalisé après trois longs métrages, on comprend le chemin parcouru. Tentato suicidio est, à mon sens, l’un des trois chefs-d’oeuvre absolus d’Antonioni. Cette enquête sur le suicide, menée sans tricherie, où des rescapées du suicide viennent raconter ou mimer devant nous leur geste de désespoir, est traitée par Antonioni avec une élégance extraordinaire. Jamais le document ne verse dans la compassion, jamais la mise en scène ne rompt sa digue pour laisser le document envahir le spectateur. Chaque plan, généralement long et tourné à la grue, fait éclater le constat en même temps qu’il le juge.

Chronique d’un amour (1950)
Chronique d’un amour est intéressant pour deux raisons. La première est que c’est le premier film de son auteur, la seconde que, dès son premier film, Antonioni fait oeuvre d’auteur complet (ce n’était pas si courant en 1950 !).
À la lumière des films qui le suivront, Chronique d’un amour est la première mouture d’une situation qui se répétera jusqu’à L’Avventura. Chronique d’un amour est l’histoire d’une femme qui amène son amant (dont elle a naguère tué la fiancée) à assassiner son mari. Un accident rendra le meurtre inutile,mais la liaison des amants ne lui survivra pas. Première esquisse de l’univers d’Antonioni : Paola (Lucia Bosè) est une femme (fatale) qui n’arrive pas à triompher d’un certain destin malheureux. Exactement comme, plus tard, Clara (Lucia Bosè) dans La Dame sans camélias ou Claudia (Monica Vitti) dans L’Avventura.
Malgré toutes ses imperfections, Chronique d’un amour impose un authentique cinéaste. Il n’est que de comparer le film à Assurance sur la mort ou à Thérèse Raquin, dont les sujets sont voisins, pour se rendre compte de son originalité.

I vinti (1952)

Comme il arrive toujours, du seul fait qu’il y ait été interdit par la censure, ce film jouit en France d’un préjugé favorable. Comme si la censure était plus perspicace que la critique ! Il s’agit pourtant là, incontestablement, de l’oeuvre la plus inégale de Michelangelo Antonioni.
Le film est constitué de trois sketches qui ont respectivement pour cadre la France, l’Italie et l’Angleterre. Tous trois sont inspirés de faits divers réels. L’épisode français, qui est à l’origine de l’interdiction du film en France, évoque l’affaire Guyader. Affaire de J3 ou fait divers de blousons noirs avant la lettre, tout ce qui a trait directement à la géographie et au climat parisiens est insupportable : Paris ressemble comme un frère à un faubourg de Rome (on y voit un autobus quitter la ville pour la pleine campagne !). Seul intérêt du récit : les scènes d’extérieurs à la campagne où se manifeste le goût d’Antonioni pour les grands espaces, ponctués de personnages disposés en profondeur (l’espace selon Antonioni ressemble fort à un échiquier). L’épisode italien, qui relate les derniers instants d’un gang de la drogue, est meilleur,mais encore maladroit. Le meilleur sketch est paradoxalement l’anglais, plein d’humour, et d’humour anglais comme les Anglais eux-mêmes ne savent plus en faire depuis longtemps.

La Dame sans camélias (1953)
De l’aveu d’Antonioni lui-même, le sujet de La Dame sans camélias avait été conçu pour Gina Lollobrigida et le résultat s’en ressent. Que Lucia Bosè soit belle, personne n’en doute, mais comment croire entièrement au personnage, malgré les modifications apportées par l’auteur au rôle, quand celui-ci a été si manifestement écrit pour Gina ?
Singulière coïncidence. Il en est des sujets d’Antonioni comme de la plupart de ceux de Bergman.Réduits à leur argument, ce ne sont que romans de presse du coeur avec ce que cela comporte de fatalisme et de lendemains désenchantés. Ainsi réduit, celui de La Dame sans camélias vaut son pesant de guimauve : une jeune starlette, sur le point de conquérir la gloire, abandonne une carrière qui s’annonce fructueuse pour devenir une actrice sérieuse et conserver son amour. Mais elle finira par tout perdre.
Mais comme chez Bergman, le film vaut mieux que son argument. Il représente même, plus que Chronique d’un amour, une étape décisive dans l’oeuvre d’Antonioni en ce sens que la mise en scène se libère de l’emprise du sujet et tend déjà vers cet art « critique » qui définira demain le style propre d’Antonioni. La place des acteurs dans le cadre, ce souci majeur de l’esthétique d’Antonioni qui a pu parfois irriter, devient à la fois plus sûre et plus souple ; la composition de l’image, toujours soignée, sait s’effacer au fur et à mesure que le film se déroule : elle n’arrête plus le regard, elle le guide.

Femmes entre elles (1955)
Le second chef-d’oeuvre absolu d’Antonioni. Chef-d’oeuvre paradoxal : Femmes entre elles, l’un des deux films dont Antonioni n’ait pas conçu le sujet, nous en apprend plus sur son auteur que Chronique d’un amour ou Le Cri qu’il a signés intégralement ! C’est que la mise en scène investit toutes les significations du film. Antonioni peint un certain monde, mais c’est la mise en scène qui fait que cette peinture est aussi une critique, ce constat une vision du monde. Tous les éléments de la mise en scène, l’organisation de l’espace, les rapports des personnages dans le cadre, le rapport des personnages et du décor, concourent à la perfection. On sent constamment qu’ici Antonioni résout quelque chose, qu’il a trouvé, grâce à ce film, le lieu secret d’où le monde lui apparaît selon un certain ordre. Au comment de la technique répond, au quart de ton près, le comment d’un homme qui regarde. Dans la relation qui unit ces deux comment réside le secret d’un art.

Le Cri (1957)
Mieux accueilli, plus hautement loué, Le Cri ne renouvelle pas tout à fait la réussite de Femmes entre elles. Ce beau film émouvant n’est pas un chef-d’oeuvre. Il semble qu’ici Antonioni ne soit pas pleinement parvenu à prendre ses distances à l’égard de son sujet, que son oeil ait un peu perdu de cette acuité critique qui fait le prix de Femmes entre elles. Le film, sans aucun doute, tenait à coeur à son auteur. Mais sa beauté n’a pas cette évidence tranchante, un peu sèche, que l’on attendait. Il y manque le regard d’aigle.
Il faudra attendre L’Avventura pour que s’élève une nouvelle fois cet écho en retour du bonheur et du malheur d’un homme qui éveille ses semblables à un partage sans compassion.

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#250 Michelangelo Antonioni
Loriane Posté le : 28/09/2013 20:51
Suite
Il faut laisser au héros le temps de traverser la rue

Antonioni parle peu. Il vient d'avoir soixante-dix ans et il affirme, avec une indifférence d'aristocrate, qu'il n'aime pas ses films, qu'il ne les comprend pas et qu'il n'est pas heureux non lus quand il les tourne. Coquetterie d’intellectuel sur ses gardes. Peut-être. Mais sûrement lassitude de cinéaste fatigué de se battre : quand la télévision italienne lui propose, en 1979, de réaliser en vidéo une adaptation de L'Aigle à deux têtes de Cocteau (Le Mystère d'Oberwald), cela fait cinq ans, depuis Profession : reporter, qu'Antonioni n'a pas tourné. Scénarios refusés, projets avortés. Ne rêvait-il pas, depuis 1966, d'Identification d'une femme, son dernier-né ?
Michelangelo Antonioni paye encore le prix de sa dérangeante modernité, de sa volonté opiniâtre d'innover.
Issu d'un milieu bourgeois, il naît à Ferrare, en 1912. La ville Renaissance, aux architectures compactes et inquiétantes qui défient l'espace, ne devait pas manquer d'influencer le cinéaste. Dès l'âge de dix ans, il a la passion du dessin. Il imagine des plans de bâtiments absurdes, qui accusent et meublent le vide.
Antonioni toujours est resté peintre. Et ses films ressemblent, cinq siècles après, aux toiles de son maître Piero della Francesca. Posés en attente dans un univers géométrique remarquablement structuré, ses personnages cherchent aussi à faire corps avec le paysage, à s'inscrire dans un monde étranger qui ne leur ressemble pas.
Après des études de sciences économiques, il vient tardivement au cinéma. Il tourne d'abord des documentaires. Dès son premier long métrage, Chronique d'amour, en 1950, l'intrigue quasi-policière du scénario lui importe peu. Antonioni s'amuse à la détourner, à en pervertir le sens. Seuls comptent les personnages et les égarements de leurs sentiments. Mais sans dramatiser : Antonioni aime mieux scruter le silence que traquer l'action.
« - Dans la plupart des films, le temps est faux. Voyez le rythme des thrillers, sans aucun temps mort, comme si le héros ne traversait jamais la rue, ou ne prenait jamais l'ascenseur. Or ce sont, le plus souvent, pendant ces instants de transition que les motivations changent. Parce que le personnage, comme vous et moi, aura tout à coup aperçu un objet, un paysage qui aura modifié son humeur. Je ne crois pas au cinéma-vérité la vie est une chose, le cinéma une autre. Mais, par rigueur, j'ai toujours voulu montrer ces moments de respiration gui font vivre la vie et conditionnent 1’atmosphère. »
On ne remarque les temps morts qu'au milieu d'un environnement en effervescence. Antonioni a toujours soin de placer ses créatures dans un monde en crise. Mais elles échappent au bouillonnement ambiant par leur solitude ou leur ennui. Comme un savant isole un phénomène pour mieux réussir son expérience. Antonioni les condamne au désert.
Pire, ils les réduit à n'être que la résultante d'un faisceau d'influences. Fini le «personnage » autonome et maître de lui. Antonioni décape les traditions romanesques au cinéma avec le même esprit de déconstruction sournoise qu'avaient les écrivains du Nouveau Roman s'attaquant à la littérature. Les individus qu'il met en scène sont conditionnés par les objets qu'ils regardent. Du coup, la caméra s'accroche davantage à la description clinique des choses qu'à celles des êtres.

UNIVERS POLLUÉ POUR LA NÉVROSE DE GIULIANA

La fameuse tétralogie des années soixante (L'Avventura, La Notte, L'Éclipse, Le Désert rouge) raconte ainsi à peu près uniformément « l'histoire de sentiments qui meurent ou dont on aperçoit la fin au moment même où ils naissent ». Le seul élément qui change, c'est le décor qui modèle ces états d'âme. Roulis obsédant de vagues qui incite à l'Avventura; chic implacable des quartiers neufs milanais qui pousse à la fugue (La Notte); bric-à-brac d'objets oppressants pour suggérer l'individu dépersonnalisé (L'Éclipse); univers pollué aux couleurs fantomatiques pour expliquer la névrose de Giuliana (Le Désert rouge).
Mais admettre une telle influence du « décor » sur le psychisme, c'est avouer combien il est difficile de cerner le réel, d'agir sur lui. Dans Blow up, conte philosophique sur les malheurs d'un photographe de mode découvrant sur sa pellicule un crime qu'il avait capté sans même sans rendre compte, Antonioni exprime combien la réalité est insaisissable. Le journaliste de Profession : reporter, lassé de n'avoir pas prise sur le monde, tente de changer d'identité. Comme ses efforts restent vains, il abandonne sa vie au hasard.
Venu présenter Identification d'une femme à Paris, Michelangelo Antonioni avoue que Profession :reporter est celui d'entre ses films dont il se sent le plus proche.
Peut-être estime-t-il ne pas s'être suffisamment renouvelé avec Identification d'une femme, qui renoue si bien avec la tradition de ses portraits féminins, depuis Femmes entre elles, en 1955. « Les femmes sont au centre de mon œuvre parce qu'elles sont au centre de ma vie. Quand j'ai un personnage de femme entre les mains, j'en sais déjà tout. Un homme, je dois l'inventer. Pour avoir des relations sincères avec les hommes, il faut être bien plus amis avec eux qu'avec les femmes. »
Peut-être Antonioni renie-t-il aujourd'hui aussi la fin trop optimiste de son dernier filin. Mais n'avait pas le choix : « Actuellement, on n'a pas d'autre choix que l'optimisme, sinon on crève. Trop de yens sentent battre autour d'eux une vie qu'ils ne connaissent pas et ne souhaitent même pas connaître. Ils savent que ça ne résoudrait rien. »

« J'AI ENVISAGE CHAQUE PLAN COMME UN TABLEAU»

Si le cinéaste s'est ici forcé à être « positif », il préfère visiblement travailler à la marge, sur les frontières de l'être, là où tout encore est possible et flou. Tels les mathématiciens modernes, il préfère compter avec le hasard, plonger dans l'aléatoire. Du bout de sa caméra, Antonioni a toujours été à la pointe de son temps.
Depuis Le Désert rouge, où il a découvert la couleur, il n'hésite plus à colorier lui-même les paysages pour mieux les adapter à la situation. Antonioni est passionné par les découvertes du cinéma électronique. Ce n'est pas pour rien que feu John Kennedy lui avait promis qu'il serait le premier cinéaste à faire partie d'une expédition spatiale pour filmer les étoiles...
Il cherche à provoquer une « expérience » chez le spectateur : « Une perception physiologique plutôt qu'intellectuelle et morale ». Ainsi la seule chose qui l'enchante dans Identification d'une femme, c'est le montage très rapide, très libre, aux erreurs délibérées.
« - C'est mon film le plus concret. D'habitude, je faisais attention à lier le montage au contexte. Ici, j'ai envisagé chaque plan comme un tableau. J’ai pratiqué l'image pour l'image. J'espère que j’aurai la même liberté aux Etats-Unis où je pars tourner mon prochain film: un huis clos sur un bateau. »
Et pourtant le cinéaste avoue qu'il a peur de l'image, de ce qui se trouve par-delà, et qu'on ne saura jamais vraiment : « Pour lutter contre cette angoisse, je dois réaliser mes films dans la spontanéité, sans rien de précis en tête avant le tournage, seulement des motifs vagues. »
Fabienne Pascaud Télérama

Les courts Metrages : La rayonne et Nettoyage urbain,

Revenons aux années 40 et commençons par un petit rappel historique. Au lendemain de la seconde guerre mondiale apparaît un nouveau courant dans le cinéma italien : le néo-réalisme. De nouveaux cinéastes réalisent alors des films « différents » décrivant la classe laborieuse : des ouvriers, des paysans, des balayeurs, etc. Des films sans fioritures, tournés dans une certaine urgence afin de décrire au plus près une Italie alors en pleine reconstruction et surtout en plein doute.
A la fin des années 40, Antonioni se trouve en plein cœur du néoréalisme. En 1949, avec La rayonne, documentaire sur la fabrication de vêtements, il décrit les conditions de travail de paysans et d’ouvriers, avec l’aide d’une voix-off explicative. Un an plus tôt, avec Nettoyage urbain, documentaire sur les balayeurs romains, le cinéaste proposait également la description sociale de la classe défavorisée, et toujours avec l’aide d’une voix-off.
Et pourtant, dans ces deux films : Antonioni, déjà, ne fait pas tout à fait comme les autres et commence, même timidement, à se détacher du néoréalisme.
Nettoyage urbain en est sans doute le meilleur exemple. La voix-off du début disparaît rapidement et laisse la place à des images plus esthétiques et moins démonstratives. Antonioni le dira plus tard : « Pour Nettoyage urbain, je ressentais un certain agacement face aux documentaires de l’époque. C’est pourquoi j’ai tenté de réaliser un montage poétiquement libre, en recherchant des nuances expressives, par des plans isolés, par des scènes sans lien l’une avec l’autre ».
La dimension sociale du film d’Antonioni est donc amenée à s’effriter. D’ailleurs, dans Nettoyage urbain, l’humain ne trouve pas vraiment sa place. Les balayeurs sont filmés de loin, ils sont vus de dos, aperçus dans des reflets, ou encore à travers des vitres, bref, ils sont perçus comme des figures évanescentes et fantomatiques. La question centrale du film n’est plus : « dans quelles conditions vivent les balayeurs romains ? ». Elle est remplacée par d’autres questions plus abstraites, concernant la matière même : « où vont les déchets d’une ville ? que deviennent-ils » ?
Antonioni le dit lui-même : « Au moment d’imaginer Nettoyage urbain, Rome était alors inondée d’ordures, de tas de crasse colorés au coin des rues, c’était une orgie d’images abstraites, une violence figurative jamais vue ».
A la fin des années 40, Antonioni est donc déjà fasciné par l’abstraction, par une certaine forme d’indicible et il cherche déjà un nouveau langage cinématographique pour mieux l’approcher.
Avec son premier long métrage, Chronique d’un amour, qu’il réalise en 1950, Antonioni va achever sa mue amorcée par ses courts métrages. Son éloignement du néoréalisme devient définitif.
Pour le cinéaste, les inquiétudes et les angoisses de l’Italie des années 50 ne sont plus les mêmes qu’au lendemain de la guerre. Antonioni va désormais s’intéresser à ce que le néoréalisme a jusqu’ici fui comme la peste : la complexité des personnages, leurs sentiments, leurs tourments, leur intimité. Antonioni résume alors son nouveau programme de cinéma en une phrase : « il faut dorénavant étudier l’âme des personnages plutôt que leur vie dans la société ».
Le cinéma d’Antonioni va alors délaisser les balayeurs de Nettoyage urbain ou les ouvriers de La Rayonne pour décrire désormais les névroses de bourgeois milanais ou romains. En plan séquence, les personnages d’Antonioni seront alors littéralement scrutés, épiés, même dans les moments creux, même lorsqu’il ne se passe rien, a priori. Il s’agit alors de capter l’« essence » des personnages, leur « indicible », grâce à la durée.
Une comparaison d’images pour mieux comprendre. À la neuvième minute de Nettoyage urbain, Antonioni filmait de loin et furtivement un couple marchant au bord du fleuve. Le cinéaste restait alors à distance, sur le seuil. À la vingtième minute de Chronique d’un amour, Antonioni filme là aussi un couple au bord de l’eau, mais il a, cette fois-ci, franchi le seuil. Il filme désormais les visages, enregistre les voix et dévoile les correspondances secrètes.

Par-delà les nuages

Un court métrage de Michelangelo Antonioni
• Synopsis
Inspiré du roman de Michelangelo Antonioni (Quel bowling sul Tevere), Par-delà les nuages raconte en quatre épisodes tournés respectivement à Ferrare (la ville d’Antonioni), Portofino, Paris et Aix-en-Provence, quatre histoires d’amour, quatre étapes d’un voyage introspectif, quatre paraboles centrées autour d’une même question :l’ambiguïté du réel. Une interrogation sur la frontière entre réalité et fiction, vécu et imaginaire, corps et âme… incarnée par un réalisateur (fantôme – double d’Antonioni) errant en quête d’histoires à raconter.

Plusieurs films ont été tournés sur Antonioni où on le voit dans son propre rôle :
1966 : Michelangelo Antonioni storia di un autore (Antonioni : documents et témoignages), documentaire pour la télévision de Gianfranco Mingozzi,
1982 : Chambre 666, documentaire pour la télévision de Wim Wenders,
1996 : Fare un film per me è vivere (Faire un film pour moi c'est vivre), documentaire pour la télévision d'Enrica Antonioni sur le tournage de Par delà les nuages

A lire

« Écrits de Michelangelo Antonioni : écrits et entretiens de 1960 à 1985 » de Michelangelo Antonioni, Images Modernes, coll. « Inventeurs de formes », 2003.
« Essai sur le cinéma de Michelangelo Antonioni » de Alain Bonfand, Images Modernes, coll. « Inventeurs de formes », 2003.
« Michelangelo Antonioni ou la vigilance du désir » de René Prédal, Cerf, coll. « 7e art », 1991.
« Michelangelo Antonioni : cinéaste de l’évidemment » de José Moure, L’Harmattan, coll. « Champs visuel », 2001.
« Michelangelo Antonioni. Filmographie complète », de Seymour Chatman et Paul Duncan, édition Taschen, 2004.

Antonioni, le dernier des Modernes

Cinéaste du silence, de la douleur et de l’espace, Michelangelo Antonioni, un des maîtres du modernisme au cinéma, est mort lundi soir à l’âge de 94 ans. Il laisse derrière lui des chefs-d’œuvre comme «Blow-Up», «Désert Rouge», «Profession Reporter» ou «L’Avventura». Aux côtés de Federico Fellini, il a imposé sa propre signature au cinéma italien après le Néoréalisme de Rosselini en explorant avec une certaine radicalité formelle, les angoisses existentielles et l’aliénation du monde contemporain sur l’individu.

Controverse

De son premier film, «Chronique d'un amour» en 1950 jusqu’en 1957 avec «Le Cri», on ressent dans l’œuvre d’Antonioni la forte influence du Néoréalisme et du film noir américain avec déjà la présence de deux thèmes forts : l’errance dans l’architecture urbaine et le suicide. Ces films sont bien accueillis. Puis se produit le premier clash médiatique, événement fondateur et violent de la carrière d’Antonioni : la projection à Cannes de «L’Avventura» en 1960 va presque jusqu’au pugilat. Le film est encensé par la critique et hué par le public.
Roland Barthes explique bien ce phénomène de rejet dans son article sur Antonioni en 1980 dans Les Cahiers du Cinéma : « L’activité de l’artiste est suspecte parce qu’elle dérange le confort, la sécurité du monde établi, parce qu’elle est à la fois dispendieuse et gratuite, et parce que la société nouvelle qui se cherche… n’a pas encore décidé ce qu’elle doit penser. » De fait, même si son génie est vite reconnu, ses films susciteront toujours une vraie polémique avec des adorateurs et des détracteurs, tous passionnés.

Couple

La relation amour-haine sera elle-même au centre de l’œuvre d’Antonioni, qui s’est attaché film après film à disséquer le couple sous tous les angles, à tous les stades d’une relation. Par exemple, «L’Avventura» se déroule sur une île de Méditerranée où un groupe de mondains désœuvrés recherchent désespérément Anna, leur amie brusquement disparue ; dans le même temps, Sandro oublie Anna et tombe amoureux de Claudia. Sur cette trame ténue, avec peu de dialogues et dans un noir et blanc très graphique, Antonioni suggère l’angoisse et la perte de sens dans notre société. Il continue ensuite de fouiller les recoins de la rupture amoureuse et de l’isolement dans ce qui devient une trilogie : «La notte » (La nuit, 1961) et «L’eclisse» (L’éclipse, 1962). Ces trois chefs-d’œuvre mettent aussi en lumière une immense actrice : Monica Vitti, compagne et muse du réalisateur pendant une dizaine d’années.

Composition

Dans le cinéma d’Antonioni, chaque image est une œuvre en soi. Il explique en 1960 dans un entretien accordé aux Cahiers : « Une image n'est essentielle que si chaque centimètre carré de l'image est essentiel ». Néanmoins, ses déclarations dévoilent un réalisateur moins cérébral et plus instinctif qu’il n’y paraît dans ses déclarations : « Je ne suis pas un théoricien du cinéma. Si vous me demandez ce qu’est la mise en scène mon premier réflexe sera de répondre : « je ne sais pas », le deuxième : « toutes mes opinions sur le sujet sont dans mes films »… Quand je filme, je n’y pense pas, je le fais, c’est tout. »

Combat

Malgré (ou à cause de) cette approche sensitive, Antonioni ne connaîtra jamais de succès public à l’exception de «Blow-Up» en 1966 qui raconte l’enquête d’un photographe du Swinging London qui a immortalisé par accident un meurtre sur pellicule. Antonioni continue ensuite son voyage hors de l’Italie avec «Zabriskie Point» filmé dans la Vallée de la Mort en Californie, un échec retentissant pour la MGM et en Afrique pour «Profession Reporter» (tourné en Espagne). Il parle de ce combat perpétuel sans détour : « J’ai toujours dû me battre comme un fou pour faire du cinéma car mes films ont toujours été d’immenses échecs commerciaux. Les producteurs me considèrent comme un cinéaste froid, sophistiqué, intellectuel ». Un producteur italien formule en d’autres termes cette attaque : « Vous Antonioni vous êtes un grand réalisateur mais, nous devons vous abattre car vous êtes dangereux pour le cinéma : vos films sont trop pénibles à voir ». Malgré tout, son influence et son génie sont reconnus par la critique et une nouvelle génération de réalisateurs de Scorsese à Wenders.

Conclusion

En 1995, un Oscar pour l’ensemble de son œuvre lui est remis par Jack Nicholson qui jouait le premier rôle dans « Profession Reporter » mais, ironie du sort, la fameuse statuette lui échappe une dernière fois, volée lors d’un cambriolage avec plusieurs autres récompenses à son domicile en 1996. Physiquement diminué après une attaque cérébrale en 1985, il réalise encore « Par-delà les nuages » en 1995 avec l’aide de sa femme Enrica Fico et du réalisateur Wim Wenders et un segment du film « Eros » en 2004. Un titre parfait pour un dernier film, car, derrière ce mur d’angoisses et de solitude que semble construire son oeuvre c’est aussi l’amour qu’Antonioni a filmé, la pulsion de vie d’Eros et Thanatos, à travers les ruptures, le désir et la tourmente des sentiments.
Delphine Valloire

FILMOGRAPHIE


Courts métrages

Note : Les courts métrages de Michelangelo Antonioni sont tous des documentaires.
1943 - 1947 : Gente del Po (Les Gens du Pô) 35 mn
1948 : Nettezza Urbana (N. U. Nettoyage urbain) 9 mn
1948 : Superstizione (Superstition - Non ci credo !) 9 mn
1948 : Oltre l'oblio (Plus loin, l'oubli)
1948 : Roma-Montevideo
1949 : L'Amorosa menzogna (Mensonge amoureux) 10 mn
1949 : Sette canne, un vestito (La Rayonne) 9mn
1950 : La Villa dei Mostri (La Villa des monstres) 10 mn
1950 : La Funivia del Faloria (Le Téléphérique du mont Faloria) 10 mn
1950 : Uomini in piu
1950 : Vertige (Vertigine) – fragments du film La funivia del Faloria 4 min
1983 : Retour à Liscia Bianca (Ritorno a Liscia Bianca) 10 min
1989 : Kumbha Mela, court métrage sur l'Inde 18 mn
1992 : Noto, Mandorli, Vulcano, Stromboli, Carnevale (Connu, amandiers, volcan, Stromboli, carnaval) 10 mn
1997 : Sicilia 9 mn
2004 : Lo Sguardo di Michelangelo (Le Regard de Michelangelo) 15 mn

Réalisateur

1949 : Jeunes en blanc (Ragazze in bianco), documentaire
1949 : Bomarzo, documentaire
1950 : Chronique d'un amour (Cronaca di un amore)
1952 : La dame sans camélia (La signora senza camelie)
1952 : Les vaincus (I vinti)
1952 : L'amour à la ville, coréalisé par Michelangelo Antonioni, Federico Fellini, Alberto Lattuada, Francesco Maselli, Carlo Lizzani et Dino Risi (L'amore in città), segment J'essaye le suicide (Tentato suicidio)
1955 : Femmes entre elles (Le amiche)
1957 : Le cri (Il grido)
1960 : L'avventura
1961 : La nuit (La notte)
1962 : L'éclipse (L'eclisse)
1964 : Le désert rouge (Il deserto rosso)
1965 : Les trois visages (I tre volti), segment "Préface" ("Prefazione")
1967 : Blow-Up
1968 - 1970 : Zabriskie Point
1972 : Chung Kuo, La Chine (Chung Kuo Cina) - documentaire en 3 parties
1974 : Profession : reporter (Professione reporter)
1982 : Identification d'une femme (Identificazione di una donna)
1989 : Le mystère d'Oberwald (Il mistero di Oberwald)
1990 : 12 registi per 12 città (Douze réalisateurs pour douze villes), co-réalisation promotionnelle pour la Coupe du monde de football de 1990 en Italie, segment Roma
1995 : Par delà les nuages (Al di là delle nuvole), co-réalisé avec Wim Wenders
2000 : Tanto per stare insieme
2000 : Destinazione Verna
2003 : Eros - coréalisé par Michelangelo Antonioni, Wong Kar-wai et Steven Soderbergh, segment Il Filo pericoloso delle cose

Scénariste


1942 : Un pilote revient (Un Pilota ritorna) de Roberto Rossellini
1942 : I Due Foscari (Les Deux Foscari) d'Enrico Fulchignoni
1947 : Chasse tragique (Caccia tragica) de Giuseppe De Santis
1950 : Chronique d'un amour (Cronaca di un amore), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Daniele d'Anza, Silvio Giovaninetti, Francesco Maselli et Piero Tellini.
1952 : Le Cheik blanc (Lo Sceicco bianco) de Federico Fellini
1952 : La dame sans camélia (La signora senza camelie), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Suso Cecchi d'Amico, Francesco Maselli et P.M. Pasinetti.
1952 : Les vaincus (I vinti), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Suso Cecchi d’Amico, Giorgio Bassani, Diego Fabbri, Turi Vasile, Roger Nimier (segment français)
1955 : Femmes entre elles (Le amiche), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Suso Cecchi d'Amico, Alba de Cespedes, d'après la nouvelle « Entre femmes seules » du livre « Le bel été », de Cesar Pavese.
1957 : Le cri (Il grido), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Elio Bartolini et Ennio De Concini
1961 : La nuit (La notte), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Ennio Flaiano et Tonio Guerra
1962 : L'éclipse (L'eclisse), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Tonino Guerra, Elio Bartolini et Ottiero Ottieri
1964 : Le désert rouge (Il deserto rosso), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Tonino Guerra
1966 : Blow-Up, de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Tonino Guerra, d'après Julio Cortazar.
1970 : Zabriskie Point, de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Fred Gardner, Tonino Guerra, Sam Shepard et Clare Peploe.
1975 : Profession : reporter (Professione reporter), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Mark Peploe et Peter Wollen d'après une histoire de Mark Peploe.
1980 : Le mystère d'Oberwald (Il mistero di Oberwald), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Tonino Guerra d'après lapièce de Jean Cocteau
1981 : Identification d'une femme (Identificazione di una donna), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Gérard Brach, et la collaboration de Tonino Guerra.

Récompenses

1948 : Ruban d'argent du meilleur documentaire pour Nettezza Urbana (Nettoyage urbain)
1950 : Ruban d'argent du meilleur documentaire pour L'Amorosa menzogna (Mensonge amoureux)
1951 : Ruban d'argent spécial pour les valeurs humaines et stylistiques pour Chronique d'un amour (Cronaca di un amore)
1955 : Lion d'argent à la Mostra de Venise pour Femmes entre elles (Le Amiche)
1956 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour Femmes entre elles (Le Amiche)
1957 : Léopard d'or au Festival international du film de Locarno pour Le Cri (Il Grido)
1960 : Prix du Jury au Festival de Cannes pour L'Avventura
1961 à la Berlinale :
Ours d'or du meilleur film pour La Nuit (La Notte)
Prix FIPRESCI pour l'ensemble de son travail
1962 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour La Nuit (La Notte)
1962 : Prix spécial du Jury au Festival de Cannes pour L'Éclipse (L'Eclisse)
1964 à la Mostra de Venise :
Lion d'or pour Le Désert rouge (Il Deserto rosso)
Prix FIPRESCI pour Le Désert rouge (Il Deserto rosso)
1967 : Palme d'Or au Festival de Cannes pour Blow-Up
1967 : NFSC Award du meilleur réalisateur pour Blow-Up
1968 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film étranger pour Blow-Up
1968 : Prix de la critique (Syndicat française de la critique de cinéma) du meilleur film étranger pour Blow-Up
1976 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour Profession : reporter (Professione : reporter)
1976 : Prix Luchino Visconti aux David di Donatello
1976 : Bodil du meilleur film européen pour Profession : reporter (Professione : reporter)
1982 : Prix du XXXVe anniversaire au Festival de Cannes pour Identification d'une femme (Identificazione di una donna)
1983 : Lion d'or à la Mostra de Venise pour sa carrière
1991 : Prix François Truffaut au Festival du film de Giffoni
1993 : Prix pour sa performance aux Prix du cinéma européen
1995 : Prix FIPRESCI à la Mostra de Venise pour Par delà les nuages (Al di là delle nuvole)
1995 : Grand Prix spécial des Amériques au Festival des films du monde de Montréal à l'occasion du centenaire du cinéma, pour son exceptionnelle contribution à l'art cinématographique
1995 : Prix d'honneur aux Oscars du cinéma
1995 : Griffon d'or pour la carrière au Festival du film de Giffoni
1996 : Prix pour la carrière au Festival international du film d'Istanbul
1998 : Prix Pietro Bianchi du SNGCI à la Mostra de Venise
2000 : Prix pour la carrière au Festival du film Flaiano
2001 :
NFSC Award spécial pour l'intelligence exemplaire, la créativité et l'intégrité de sa carrière longue d'un demi-siècle 2004 :
Prix FIPRESCI du meilleur court métrage au Festival international du film de Valladolid pour Lo Sguardo di Michelangelo (Le Regard de Michelangelo)

Liens à regarder
http://youtu.be/GjHR8jgGPcE Monica Vitti en français
http://youtu.be/UaT46spgdwo Extrait le désert rouge
http://youtu.be/pMHNRfTPfQE Extrait le désert rouge
http://youtu.be/XY2Pk5_57t8 extrait l'éclisse Delon /Vitti
http://youtu.be/gSwBnbbwoww Zabriskie point (film entier)
http://www.ina.fr/video/CPF86601481/i ... ew-d-antonioni-video.html Interview de Antonioni
http://www.ina.fr/notice/voir/CAB8200713901 Interview
http://www.ina.fr/video/I00007295/mic ... ni-l-avventura-video.html L'avventura interview




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Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
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