Modérateur
Inscrit: 03/05/2012 10:18
De Corse
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En fait, le cauchemar d'une journée vécue pose le problème du choix du cauchemar. Qui peut se vanter de n'avoir connu, dans sa vie, qu'une seule journée abominable qul'il préfèrerait pouvoir oublier ? Pour ma part, le cauchemar le plus horrible que j'ai vécu a duré trois jours, avec une intensité allant crescendo et une finale en apothéose inattendue.
Début décembre 1960 : Après notre année de formation, dans la spécialité electricien d'aéro, nous venions de recevoir notre diplôme de technicien et avions pû choisir nos futures affectations. Bizarrement, la base de l'ile du Levant n'avait été choisie par personne, je me demande toujours pourquoi. J'avais, quant à moi, opté pour le dépaysement et choisi la base d'Agadir, au Maroc. Notre débarquement ( les marins, même d'une caserne, débarquent...) était prévu dans trois jours, avec, au préalable, une permission avant notre affectation, après noël. La rituelle dernière sortie, tous ensemble, était prévue pour le soir-même. Nous venions de toucher tout notre solde de pécule, nos primes diverses et nos frais de voyage, ce qui faisait que chacun de nous disposait d'un petit magot assez conséquent.
Je me dois de faire une petite parenthèse pour que mon histoire soit compréhensible Comme bien des jeunes gens de mon âge, la possession d'un couteau à cran d'arrêt n'avait rien de surprenant, si l'on veut bien admettre que, pour beaucoup, dont moi, seul le petit mécanisme de déclenchement de la lame présentait un intérèt. J'ajouterais que toute représentation imagée d'une lame de couteau ou d'un rasoir entaillant la peau m'est insupportable; je ne peux absolument pas, aujourd'hui encore, voir ce genre de scène sur écran. Je tourne la tête en fermant les yeux et j'ai les doigts de pieds qui se tétanisent ! c'est vous dire que je ne possédais pas un cran d'arrêt pour m'en servir. J'en possédais donc un, sans penser aux inconvénients de l'avoir.
Le soir donc, nous étions dans les rues de Rochefort, bien décidés à nous en payer une bonne tranche. A cet âge, trop d'argent est nuisible: nous nous sommes retrouvés fin ronds en peu de temps et nous continuions à écumer les bars. Nous avons eu la mauvaise idée de chercher noises à une bande d'aviateurs. La bagarre se déroulait joyeusement quand une armée de policiers fit irruption. La fête était finie. Nous avons continué de rigoler dans le panier à salade, jusqu'au poste de police . Arrivés là , même les policiers rigolaient avec nous jusqu'à la fouille . J'aurais eu tout le temps de me débarrasser de mon couteau, si j'y avais pensé. Le policier qui a mis la main dessus a poussé un rugissement de satisfaction. Tout le monde a perdu le sourire.
Enfournés dans des cellules, nous attendions un dénouement. Il arriva deux heures plus tard : un second-maître est venu nous chercher, plutôt rigolard. Sauf pour moi. -" Toi, me dit-il, attends-toi à avoir de sacrés emmerdemements.. " Et ce fut dans une cellule de notre caserne que j'attendis le petit matin... Mon cauchemar n'avait fait que commmencer . Après les couleurs, auxquelles je n'assistais pas, bien entendu, le ' bidel ' ( celui qui assure la dicipline ) est venu me trouver et m'a parlé très durement, mais c'était son boulot. Il m'a informé que , dès le lendemain matin, je devrai me mettre en grande tenue car je passerai au rapport devant le commandant de la Marine de Rochefort, à la base principale. Il a ajouté que, compte tenu du motif, j'encourais un emprisonnement en forteresse, à Toulon et qu'il n'y avait toujours une peine maximum lorsque c'était le commandant qui décidait de la sanction. Tout s'écroulait autour de moi...pas de perm, plus d'affectation et de longs mois de peine et de honte devant moi. La journée a été horrible, dans ma cellule.
Le lendemain matin, en tenue impeccable et la trouille au ventre, deux gendarmes maritimes sont venus me chercher et m'ont emmené à la base principale. Attente devant le bâtiment commandement...Peu après, on vient informer les gendarmes que le commandant s'était rendu à ma caserne . Retour à la caserne où nous apprenons que le commandant était retourné à la base. On a beaucoup discuté et téléphoné à mon sujet et, dans l'après-midi, une décision avait été prise: Le commandant n'ayant pas de temps à me consacrer, j'appris que ce serait l'officier de Marine ...X... qui me passerait au rapport. Mon sang se figea . Il s'agissait d'un canonnier, promu officier de Marine pour ses hauts faits d'arme alors que le grade le plus élevé, dans cette spécialité, était Maitre principal. C'était un vieux militaire qui avait eu quelques soucis du côté de la tête et qui avait, paraissait-il, d'étranges réactions et des comportements inattendus.Il n'avait aucune fonction particulière et déambulait dans les enceintes militaires en se parlant parfois en agitant les bras. Comment allait-il arranger mon avenir ?
Le lendemain, j'étais de nouveau dans la chambrée pour me mettre en tenue. Mes camarades de promotion étaient en train de préparer leurs sacs pour leur départ vers la gare. A les entendre, ils avaient tous entendu des bruits de conversations à mon sujet et selon eux, mon avenir ne serait pas rose. Merci les copains, j'avais bien besoin de votre soutien.
L' officier me fit appeler dans un bureau de ma caserne. C'était le grand moment . Je peux vous assurer que je sais maintenant comment on peut faire un litre d'huile avec une olive entre les fesses. Quand j'entrai, je vis d'abord son crâne lisse et brillant penché sur un dossier qu'il lisait. Mon couteau était posé devant lui. Il est resté un long moment à lire, sans me jeter un coup d'oeil, puis il leva la tête et me regarda un instant, sans rien dire, semblant réfléchir. - " Alors c'est vous l'énergumène qui se balade avec un couteau dans la poche ? " - " Oui Monsieur l'Officier. " Il prit alors le couteau dans ses mains et se mit à le faire fonctionner plusieurs fois. - " Evidemment, je comprends que l'on puisse avoir envie d'en posséder un . Je vois bien, mes enfants, quand ils s'arrêtent devant une vitrine où on peut en voir. Ils regardent les couteaux " Il continuait à faire jaillir la lame. -" Mais qu'est-ce que vous voulez, c'est interdit ..." Brusquement, il se passa quelque chose de totalement inattendu !
L'officier bondit brusquement de sa chaise, le couteau à la main, en s'écriant : - " Parce qu'un cran d'arrêt, ce sont les hommes du milieu qui s'en servent ! " Et il se mit à zébrer l'air devant lui en faisant de grands moulinets : -" Zou ...! Zou...! Zou...! " Puis il se calma brusquement et se rassit. - " Et oui..on n'a pas le droit d'en posséder." Et il semblait le regretter. Puis je le vis réfléchir longuement. - " Je crois que vous deviez partir en affectaction ? - " Oui Monsieur L'Officier ." - "Ecoutez....Vous ètes jeune , je ne voudrais pas briser votre avenir pour une bétise. Je vous donne donc un simple avertissement.N'y revenez plus " Puis il se leva, me tendit la main et me dit d'une voix ferme : - " Allez ! Bon voyage, bon noël et bonne affectation ! Il me serra la main . Je le saluais, fis claquer mes talons, exécutais un demi-tour et me dirigeais vers la sortie ! J'étais totalement assommé par la surprise,ahuri par ce qui venait de se passer, envahi par un soulagement et un bonheur qui m'arrivait comme une vague. Tout venait de basculer en une minute !
Aussitôt, je fonçais au BSI pour les informer que je pouvais partir pour la gare. Pendant qu'ils contrôlaient l'information, je fonçais dans la chambrée pour plier mon hamac,. Je courus à la voilerie pour le rendre,retournais à la chambrée prendre mes affaires et repassais au BSI retirer tous mes papiers de départ, en demandant qu'on m'appelle un taxi.
Quelques minutes plus tard, j'étais à l'aubette. Mon taxi arriva aussitôt, m'embarqua, traversa Rochefort er me déposa devant la gare. Quand j'arrivais sur le quai, mon train était là , en attente de départ. Tous mes copains étaient aux fenêtres et se sont mis à hurler quand ils m'ont vu arriver.Ils avaient déjà mis à sac la buvette du quai. Je pris le temps d'acheter un poulet rôti et je pris mon train. Je n'avais pas encore vraiment eu le temps de réaliser ce qui venait de m'arriver et ce fut en le racontant aux copains que je pris la juste mesure de ma chance inouie.
J'ai voulu partager ma joie avec Raymond Devos, qui occupait tout un compartiment de première. Je lui ai offert une bière, on s'est dit quelques mots et je l'ai laissé. Je suis repassé très souvent devant son compartiment, en faisant de multiples voyages vers la buvette. Il n'avait pas touché à sa bière !
Posté le : 26/08/2013 14:44
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