| A + A -
Connexion     
 + Créer un compte ?
Rejoignez notre cercle de poetes et d'auteurs anonymes. Lisez ou publiez en ligne
Afficher/Cacher la colonne
Accueil >> newbb >> Les Forums - Tous les messages

 Bas   Précédent   Suivant

« 1 ... 728 729 730 (731) 732 733 734 ... 956 »


Le Tintoret
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57687
Hors Ligne
Le 29 septembre 1518 naît Jacopo Robusti, dit Tintoretto,

Dans la république de Venise, ce peintre Vénitien du mouvement artistique maniériste, à eu pour maître Le Titien, et pour éléves Marietta Robusti, Paolo Fiammingo, Ludovic Toeput, Martin de Vos, l’Aliense, il décéde le 31 Mai 1594
Bien qu’il fût vénitien de naissance, son surnom dérive de la profession de son père, Giovanni Battista, teinturier de tissus de soie et qu’il résidât toute sa vie à Venise


Tintoret est un peintre vénitien par sa naissance mais aussi parce qu'il a exalté dans son œuvre les forces qui constituaient le fondement de la puissance de sa cité : un solide pouvoir civil et une religiosité ardente qui favorisaient les arts.
Cette identification du peintre avec sa ville, avec une société qui, pendant la seconde moitié du XVIe siècle, sut conserver un profond sentiment de la liberté civile et religieuse, ne conduit pas à une limitation, mais à un approfondissement et à une caractérisation de son art.
La critique moderne a restitué à l'artiste son visage et sa grandeur, après l'incompréhension du XVIIIe siècle et les incertitudes du siècle suivant.
La sensibilité qui a créé la poétique expressionniste nous a aidés à comprendre le langage de Tintoret. Ce langage se forme au moment le plus dynamique de la culture maniériste et, bien que sensible aux voix des grands contemporains vénitiens – Titien et Véronèse –, élabore une forme d'expression très personnelle.
L'artiste fait éclater l'espace, la structure plastique, et fait appel surtout à la lumière pour traduire ses visions dramatiques.
Le Tintoret, de son vrai nom Jacopo Comin est né à Venise et doit son surnom le petit teinturier à son père, Battista Robusti, qui travaillait dans une teinturerie tintorìa en italien e, effety son surnom dérive de la profession de son père, Giovanni Battista, teinturier de tissus de soie.
Il résidât toute sa vie à Venise, seul un voyage à Mantoue en 1580 est documenté, dès ses débuts sa manière diffère tant, sous certains aspects, de la tradition lagunaire qu’on doit chercher son origine hors de Venise.
Élève de Titien, il est réputé pour avoir dépassé son professeur dans la maîtrise des couleurs et des ombres, du rendu de la matière, s’inscrivant ainsi parmi les grands du style vénitien.
Avant d’être admis à participer à une œuvre nouvelle, tout élève apprend le métier en copiant le travail du maître. Le garçon est-il trop impatient d’affirmer sa personnalité ? Ou bien le patron a-t-il surpris quelques dessins de lui et l’a-t-il renvoyé de crainte que de pareils débuts ne révèlent un concurrent potentiel ? Toujours est-il que Jacopo ne reste que quelques mois chez Titien, fait attesté par Ridolfi en 1648, cette formation fût précocement interrompue par la rivalité vite née entre le maître et son élève trop prometteur –,
Il s’intéresse aux courants maniéristes toscan, romain et émilien, diffusés à Venise par des artistes comme Sansovino, Salviati et Schiavone. Il avait une grande admiration pour Michel-Ange qui l’a influencé dans sa technique du dessin.
Le Tintoret avait une passion pour les effets de lumière : il réalisait des statues de cire de ses modèles et expérimentait l’orientation des sources de lumière avant de les peindre. En conséquence, certains visages réapparaissent dans différents travaux, sous différents angles et différents éclairages.
Les œuvres les plus connues de Tintoretto sont une série de peintures de scènes de la vie de Jésus et de la Vierge Marie dans la Scuola Grande di San Rocco, dont il est nommé décorateur officiel en 1564.
Dans ces œuvres de dimensions impressionnantes, le Tintoret réalise des compositions aux espaces vertigineux et dynamiques et aux torsions exacerbées où domine un clair-obscur fantomatique et dramatique .
La réduction de la couleur à des effets de clair-obscur correspond à l’atmosphère de miracle du Saint Roch guérissant les pestiférés, 1549, église S. Rocco et marque le premier pas accompli sur la voie des grandes conquêtes luministes

Le séquestré de Venise

La famille de Jacopo Robusti, dit le Tintoret, était originaire de Lucques en Toscane, mais le destin du peintre apparaît étroitement lié à la cité de la lagune.
Dans les églises et les Scuole il prodigue ses peintures, enrichit de fresques joyeuses les façades des palais qui se reflètent dans les canaux, offre des dessins aux mosaïstes qui achevaient les voûtes dorées de la basilique Saint-Marc.
Aucun document ne permet de préciser l'année de la naissance du peintre, mais d'après son acte de décès 31 mai 1594, qui le déclare âgé de soixante-quinze ans, on peut en déduire qu'il naquit en 1519. La date de sa naissance sera précisée, car retrouvée plus tard sur ses documents de baptème, comme ce fut le cas pour beaucoup de personnages de cette époque.
En 1539, dans un acte public, le peintre signait : Mistro Giacomo depentor. Il est certain que Tintoret fut un artiste précoce ; son père qui était teinturier,tintore dut l'envoyer très tôt chez quelque modeste artisan.
Sa petite taille lui valut le diminutif affectueux de Tintoretto petit teinturier, qu'il accepta et transmit à ses héritiers.
On ne possède pas de documents relatifs à la période où il fut l'élève de Titien, interrompue, si l'on se réfère aux sources, par la jalousie de son maître.
L'enseigne que, selon la tradition, le peintre plaça dans son atelier, Il disegno di Michelangelo, il colorito di Titiano peut être considérée comme une allusion à la diversité d'intérêts culturels et figuratifs qui le stimulèrent certainement dès sa bouillante jeunesse : la culture vénitienne – éclairée vers les années trente et quarante par l'art de Titien – et la culture maniériste composite de l'Italie centrale.

Succès

Tintoret commence à produire intensément au cours de la décennie 1540-1550, et pas seulement pour des particuliers ; en effet, en 1548, il obtient la commande d'un vaste tableau pour la Scuola di San Marco, œuvre qui, du fait de la nouveauté de son style, fut considérée comme provocatrice par le milieu conservateur des religieux qui la lui commandèrent, mais comme neuve et intéressante par des lettrés sensibles et dénués de préjugés comme l'Arétin.
Doué d'une grande force de travail et impatient de réaliser les ardentes visions que lui suggère son imagination, Tintoret s'assure une grande quantité de commandes, certaines officielles, faisant toujours preuve d'un remarquable manque d'intérêt pour le gain. il réalisait des statues de cire de ses modèles et expérimentait l’orientation des sources de lumière avant de les peindre.
En 1550, il épouse Faustina Episcopi, dont il eut huit enfants. Trois d'entre eux apprirent le métier de leur père. Tintoret habitait avec sa famille au bord de la lagune, près de l'église de la Madonna dell'Orto, pour laquelle il créa des œuvres célèbres et où il fut enterré.
Aucune source ancienne ne parle d'un voyage qu'il aurait fait à Rome ; c'est seulement en 1580 qu'il se rend à Mantoue, pour porter au duc la série des Fastes des Gonzague.
Au cours des quinze dernières années de sa vie, il possède encore une vitalité physique et intellectuelle hors du commun et, même si ce fut avec l'aide de ses enfants et de nombreux élèves, il mena à bon terme de vastes cycles à sujets historiques et religieux.
Après la disparition des autres grands protagonistes, les nouvelles générations de peintres vénitiens furent essentiellement dominées par les modes figuratifs de Tintoret, souvent réduits à de simples schémas dépouillés de la profonde imagination du maître et, surtout, ne correspondant pas à sa spiritualité complexe et anticonformiste.
De cette indépendance d'esprit, d'un Tintoret batailleur et agressif font foi quantité d'épisodes rapportés par les historiographes du XVIIe siècle, Boschini et Ridolfi.
Mais c'est surtout devant le problème religieux que la personnalité de Tintoret apparaît intéressante et originale.
Il est profondément croyant ; ancrée dans la réalité quotidienne des couches sociales les plus modestes, sa foi est enrichie par la méditation des textes religieux.
Il prend certainement part au mouvement spirituel de la Réforme catholique qui, à Venise, est marquée par la personnalité du cardinal Gaspare Contarini 1483-1542.
Il manifeste aussi cette indépendance que Venise sut toujours garder à l'égard des plus hautes autorités ecclésiastiques ; cette attitude se révèle chez l'artiste dans des iconographies insolites, où il ne tient pas compte des préceptes de la politique culturelle de la Contre-Réforme.

Un peintre maniériste

Le caractère essentiellement vénitien du peintre "le séquestré de Venise" , comme l'appela Sartre n'empêche cependant pas Tintoret de suivre les développements de la peinture italienne : celle-ci, à partir des centres de Florence et de Rome, exporte la nouvelle culture maniériste, aux manifestations multiformes, mais qui est marquée par une problématique spirituelle commune et par des modes figuratifs capables d'en exprimer la nature complexe et tourmentée.
Si l'influence du maniérisme se fait déjà sentir à Venise avec la génération de Lotto, de Pordenone, Pâris Bordone et Schiavone, si elle constitue un épisode dans l'évolution de Titien et de Véronèse, on peut affirmer qu'elle prédomine dans la constitution du langage de Tintoret.
Ce n'est pas seulement l'échange intense d'artistes entre la Vénétie et l'Italie centrale qui favorise la diffusion des idées nouvelles, mais aussi le fait que Pietro Aretino, l'Arétin se fixe à Venise à partir de 1527.
Le dialogue de Dolce sur la peinture, intitulé L'Aretino, consacre l'importance du Toscan, Vénitien d'élection, dans le climat agité de la culture artistique de la ville. Alors que l'historiographie ancienne situait les débuts de l'activité officielle de Tintoret en 1547-1548, les études modernes donnent cette date comme étant la fin de sa période de formation.
Dans la production de Madone et de Sacre Conversazioni des débuts, on note déjà combien l'artiste élabore avec une sensibilité plastique rigoureuse et un goût luministe neuf les thèmes empruntés de façon éclectique à Pordenone, Bonifacio et Schiavone.
Un plafond en quatorze caissons, conservé à la Galleria Estense de Modène, constitue un jaillissement soudain, où les structures plastiques sont violentées par des mouvements et des raccourcis sur lesquels jouent des lumières crues.
L'adhésion enthousiaste à une syntaxe maniériste – que Tintoret connaissait par des dessins et des gravures – confère à ces œuvres une couleur particulière : les exemples de Jules Romain à Mantoue constituèrent pour les peintres et les architectes vénitiens une source très importante d'inspiration.
La construction formelle si riche, le goût des raccourcis et des perspectives, qui implique une vive sensibilité de l'espace, offrent au jeune Tintoret les moyens de réaliser un style narratif vivant, violent, qui, dans le climat vénitien de la première moitié du XVIe siècle, n'avait de précédents que chez Pordenone.
C'est en ce sens que doivent être appréciées les diverses peintures de caissons illustrant des épisodes de la bible, celles du Kunsthistorisches Museum de Vienne, que l'on peut dater de 1544-1545, l'œuvre singulière "Jésus au milieu des docteurs au Museo del Duomo, Milan, lourde de significations culturelles, ou la Conversion de Saul National Gallery of Art, Washington, où des éléments formels empruntés à Pordenone et à Schiavone, ainsi que le souvenir de la Bataille de Titien du palais ducal, sont exaspérés par une vague de mouvements qui se propagent dans l'espace.
Mais des œuvres plus décoratives ne manquent pas, où les corps sont rendus avec une élégance raffinée, comme dans le plafond pour l'Arétin représentant Apollon et Marsyas 1545, ou les essais de composition de groupes échelonnés dans des salles aux architectures compliquées dont différentes versions de La Femme adultère : "Galleria nazionale de Rome", "château de Prague", "Rijksmuseum d'Amsterdam".
Deux tableaux datés de 1547, destinés à l'abside de l'église San Marcuola à Venise, sont déjà un exemple, pour ce qui est de la maturité du style, de l'univers formel et expressif de l'artiste : dans La Cène, in situ, la traditionnelle iconographie horizontale s'articule en un dramatique contraste de lumières et d'ombres, que souligne le rythme mouvementé des Apôtres se pressant autour du Christ ; dans Le Lavement des pieds, à présent au Prado, une autre version signée se trouvant à la cathédrale de Newcastle-upon-Tyne, les épisodes se déroulent dans une spatialité dilatée, créée par l'architecture monumentale de Serlio.
Dans ces deux tableaux, l'évocation du milieu est vigoureusement soutenue par une étude précise des personnages, humbles gens du peuple.
De tels essais préparent et annoncent le chef-d'œuvre qui fit tant de bruit, Le Miracle de saint Marc libérant l'esclave, Galleria dell'Accademia, Venise.
Cette toile se caractérise par la richesse des situations formelles des figures, la disposition théâtrale féconde en trouvailles, la puissance unificatrice de la lumière sur les zones de couleur qui maintiennent les tons particulièrement marqués, presque contrastants, selon un goût maniériste qui se différencie nettement de la tradition tonale inaugurée par Giorgione et renforcée par Titien.
Le Saint Roch guérissant les pestiférés à l'église San Rocco de Venise en de 1549, présente des valeurs stylistiques analogues ; son pendant de 1567, Saint Roch en prison, encore plus dramatique dans ses effets de clair-obscur, suscita intérêt et admiration, même de la part de Vasari.
En effet, le peintre-écrivain toscan ne pouvait manquer d'apprécier la disposition formelle dynamique, typiquement maniériste de Tintoret, dessinateur enragé de moulages de Michel-Ange et qui avait étudié les gravures de l'Italie centrale.
Mais Vasari était troublé par la nouveauté de la technique de Tintoret, visant à suggérer la forme par une rapidité d'exécution qui était la négation même de la traditionnelle application. En fait, la prise de position de Vasari a continué de peser sur les appréciations que reçut l'œuvre de Tintoret.
La critique du XVIIe siècle reprend l'éloge qu'il fait des structures du dessin qui mettent en valeur l'apport nouveau de la sensibilité luministe, M. Boschini, La Carta del navegar pitoresco, 1660.
Au lendemain de l'expressionnisme, la sensibilité moderne a tiré profit de toute la puissance suggestive de l'art de Tintoret, et aussi de ses gammes de couleurs particulières, retrouvées au cours de l'œuvre de restauration. De la vaste production de Tintoret, qui n'est pas exempte de répétitions et de reprises de schémas et d'idées de composition, on n'évoquera ici que quelques œuvres très importantes qui marquent l'évolution de son style.

Entre 1550 et 1555

On remarque une accentuation du titianisme, c'est-à-dire de la tendance à emprisonner la lumière dans la couleur afin de rendre sensible le paysage, Histoires de Genèse pour la Scuola della Trinità, à présent à la Galleria dell'Accademia ; en résultera la Suzanne de Vienne, admirable d'équilibre entre ligne et couleur, entre couleur et lumière.
Mais, déjà, dans les transparences cristallines du corps de Suzanne, on observe un rapprochement avec Caliari, un jeune peintre ayant bien plus d'affinités avec Tintoret que Titien, du fait de son expérience maniériste fondamentale, et qui, à partir de 1553, travaille au palais ducal.
L'admiration de Tintoret pour la poétique de Véronèse, pour le goût des liaisons décoratives entre les figures où il se complaît à de hardis raccourcis, s'exprime dans les amples scènes aux nombreux personnages et aux foules évanescentes, telles que Moïse faisant jaillir l'eau du rocher, Städelsches Kunstinstitut, Francfort-sur-le-Main), dans des compositions lyriques, où l'arabesque des figures s'insère dans l'espace construit par graduation de couleur et de lumière, comme La Délivrance d'Arsinoé, musée de Dresde ou Saint Georges et le dragon National Gallery, Londres.
En 1562, après plus de vingt ans, Tintoret reprend le cycle des histoires de saint Marc, réalisant avec l'épisode de l'Invention du corps de saint Marc à Brera, Milan une page magnifique, surtout par sa spatialité et sa dialectique luministe rigoureuse et structurée.

La maturité

Désormais, Tintoret, dans la plénitude de sa maturité, a atteint à une telle maîtrise de ses moyens d'expression qu'il peut affronter l'exécution des deux immenses toiles du chœur de la Madonna dell'Orto : Moïse recevant les tables de la Loi, motifs thématiques que le peintre rencontra au cours de ses méditations sur les textes sacrés.
Une comparaison avec le Jugement que Michel-Ange composa antérieurement apparaît inévitable, mais, si l'on peut affirmer que Tintoret a bien emprunté certains motifs comme la figure serpentinata, en revanche, l'intuition de la puissance du geste retenu, la spatialité multiple, qui attire le spectateur comme dans un tourbillon, sont fondamentalement différentes.
Au cours de ces années débute l'entreprise extraordinaire de la décoration de la Scuola di San Rocco.
Cette association laïque charitable avait été fondée pour l'assistance des malades durant les épidémies de peste ; elle devint un institut de charité au sens large, acquérant une importance sociale, et donc politique, surtout dans les moments de crises provoqués par les guerres ou les famines. Tintoret ne laissa pas échapper l'occasion d'une œuvre qui convenait si bien à son esprit religieux et à sa dévotion au saint.
S'étant assuré, en offrant un Saint Roch en gloire, la réalisation du premier groupe de décoration, salle de l'Albergo, 1564-1567 représentant des scènes de la Passion dominées par la dramatique Crucifixion, il poursuivra l'exécution de cet immense ex-voto en plusieurs étapes : décoration de la salle du premier étage, 1575-1581, avec des scènes de l'Ancien Testament sur le plafond et des épisodes de la vie du Christ sur les murs ; décoration, toujours sur de vastes toiles, du rez-de-chaussée, où les épisodes du Nouveau Testament se rattachent surtout à une exaltation de la Vierge, 1582-1587.
Le caractère essentiellement autographe de presque toute l'œuvre permet de suivre l'évolution de la fin de la maturité et de la féconde vieillesse de Jacopo.
Un programme réalisé au cours des ans fait de cet ensemble un document exceptionnel sur la conception religieuse du maître, qui exalte le rôle charitable de la Scuola et la consolation qu'apporte la foi aux misères physiques et morales.
Suivant les lignes directrices de la biblia pauperum, le poème biblique est narré avec une grande richesse de motifs stylistiques : les foules tumultueuses, saisies dans des attitudes désordonnées, modelées par des lumières rasantes, alternent avec des scènes solennelles de méditation ; les grands panneaux, où la foule anonyme est guidée par le sentiment de l'ensemble – que la musique contemporaine est en train de découvrir, Zarlino, Gabrieli –, contrastent avec les petits compartiments représentant quelques figures liées par une tension structurale ; la prédominance des scènes se déroulant en plein air, dans de vastes espaces, finit par dissoudre la présence humaine, comme dans les deux petites figures de saintes méditant, où la conception luministe et la réduction chromatique aboutissent à de mystérieuses vibrations qui incitent à évoquer Rembrandt.
Alors que l'atelier réalise les grands cycles célébrant les gloires de Venise au palais ducal, 1577-1590 et les Fastes des Gonzague pour le duc de Mantoue, 1578-1580 sous le contrôle constant du maître, l'imagination créatrice de Tintoret se déplace plus librement dans des œuvres comme La Cène de l'église San Giornio

Le Portraitiste

Il faut évoquer, enfin, l'abondante galerie de portraits que Tintoret a laissée et que la critique moderne a reconstituée dans son ampleur.
Ce sont des visages d'hommes, de la bourgeoisie et de la noblesse vénitiennes, pour la plupart inconnus, souvent rassemblés en groupes.
L'enquête psychologique du peintre est pénétrante, et parfois impitoyable ;
les portraits de vieillards surtout sont admirables, où Tintoret exalte la puissance d'une force intérieure en soulignant la fragilité de l'être physique.
Sa chaleur humaine, sa confiance en la capacité créatrice de l'artiste et de l'homme soutenu par la foi sont les composantes du contenu de son œuvre.
En effet cette période est marquée par une recrudescence de son activité de portraitiste, genre profondément senti par ce peintre visionnaire qui sait aussi saisir, dans toute leur valeur immanente, des aspects de la réalité brutale. Ce sont surtout des figures de vieillards, dignes et sensibles, vibrants de conscience humaine, portraits d’Alvise Cornaro, Florence, Pitti ; de Vincenzo Morosini, Londres, N. G. ; d’un Sénateur de Venise, Prado.
En 1576, Tintoret commence le deuxième cycle de la Scuola di S. Rocco pour la Sala Grande et le terminera en 1588, le Serpent d’airain, Moïse faisant jaillir l’eau du rocher, la Récolte de la manne et autres scènes de l’Ancien Testament au plafond ; Scènes de la vie du Christ sur les murs, réalisation qui marque l’apogée poétique de son art et où l’on peut reconnaître une des plus hautes pages du maniérisme.
La nature fantastique de l’éclairage, trait de génie du maître, engendre et souligne ces espaces vertigineux, ces renversements de perspective imprévus, ces mises en scène tumultueuses et unifie stylistiquement les distorsions formelles, à des figures de fort relief plastique, aux attitudes forcées, maniéristes, s’opposent en contrepoint les silhouettes filiformes, aux couleurs évanescentes, si caractéristiques de sa manière à ce moment.
Mais une âpre force morale contrôle l’illustration dramatique, visionnaire, de l’exégèse biblique, qui, mue par une impulsion héroïque tendant à dépasser les limites humaines, s’identifie avec la révélation « historique » de l’événement tel qu’il s’offre au regard.
La dernière période

Un maître qui ploie sous les commandes

À partir de 1580, bien que l’accumulation des commandes rend indispensable la collaboration de l’atelier, qui, dans la Sala Grande de la Scuola di S. Rocco, travaille sous la direction absolue du maître ; mais la plupart des autres œuvres contemporaines accusent une baisse de qualité due à l’intervention excessive des collaborateurs de Tintoret.
Les quatre Allégories à la gloire des doges de Venise, dans la Sala dell’Anticollegio au palais ducal, terminées en 1577, sont encore dues à Tintoret seul ;
Leur sérénité démontre bien la souplesse expressive du maître fervent et romantique de la Scuola di S. Rocco.
En revanche, dans les huit scènes des Fastes des Gonzague, commandées par Guglielmo Gonzaga peu avant 1579 et terminées en mai 1580, Munich, Alte Pin, la collaboration massive de l’atelier se fait sentir malgré l’intervention importante de Domenico, fils de Tintoret.
Il en va de même dans le vaste travail de décoration au palais ducal, toiles pour la Sala del Senato et la Sala del Maggior Consiglio, et c’est pourquoi le génie créateur de Tintoret est bien plus sensible dans le modello autographe de son Paradis, Louvre que dans l’immense version définitive, 1588.
Mais, dans la série de huit toiles exécutées de 1583 à 1587 dans la Sala Inferiore de la Scuola di S. Rocco, Tintoret retrouve sa veine inventive ; il rénove sa technique luministe et aboutit dans les Scènes de la vie de la Vierge à des résultats d’un expressionnisme raffiné ; dans la Sainte Marie-Madeleine lisant et dans la Sainte Marie l’Égyptienne, les figures se dématérialisent sous les jets imprévus de lumière, les reflets, les phosphorescences quasi surnaturelles et les filaments incandescents qui font vibrer les paysages fabuleux.
Tintoret peint inlassablement jusqu’à sa mort et laisse dans la Cène fantastique et grandiose de S. Giorgio Maggiore l’ultime message de sa vision poétique.
À cause de son immense popularité, Tintoretto dut souvent recourir à l’assistance de ses enfants, Domenico et Marietta Robusti, qui étaient tous deux des artistes confirmés, très influencés par le style de leur père. Dans son atelier ont aussi travaillé Paolo Fiammingo, Ludovic Toeput, Martin de Vos et l’Aliense.
Il meurt le 31 mai 1594 à Venise.

Succession.

Fils de Jacopo, il vécut et travailla toute sa vie à Venise, qu’il ne quitta que pour un bref séjour à Mantoue et à Ferrare. De 1581 à 1584, il collabora, dans l’atelier de son père, aux peintures du Palais ducal, salles du Scrutin et du Collège et, en 1588, à l’exécution définitive du Paradis pour la Sala del Maggior Consiglio ; cette même année, il poursuivit les travaux de Jacopo à la Scuola Grande di S. Marco.
De 1588 à 1590, sous la direction de Jacopo, il participa avec l’atelier à l’exécution des toiles des Fastes des Gonzague, Munich, Alte Pin..
n 1591, il travaille avec Aliense à la Scuola dei Mercanti et, de 1592 à 1594, en collaboration avec son père, il exécute quelques toiles pour l’église S. Giorgio Maggiore.
Des documents attestent son activité de mosaïste à Saint-Marc en 1595.
Peintre plutôt médiocre, Domenico n’aboutit guère qu’à une imitation prosaïque de l’art de Tintoret.
Quelques œuvres de jeunesse, la Résurrection, Venise, Accademia ; Saint Jérôme, Rome, G. N., Gal. Barberini tirent leur intérêt de certaines notations naturalistes puisées chez Leandro Bassano ou chez des peintres nordiques de l’atelier de Tintoret.
C’est seulement dans le portrait, superficiel et bourgeois, genre qu’il cultiva particulièrement, que Domenico se libère de l’influence paternelle et trouve un mode d’expression personnel.

Œuvres

L’œuvre du Tintoret est immense. En plus des tableaux il a laissé de nombreux dessins préparatoires. On peut citer les œuvres principales suivantes :
Le Siège de Asola (L'assedio di Asola), 1544-1545, huile sur toile, 197 × 467,5 cm, Poznań, Musée National (Fondation Barbare Piasecka Johnson).
La Vierge et l'Enfant avec sainte Catherine, saint Augustin, saint Marc et saint Jean-Baptiste, vers 1545-1546, huile sur toile, 193 × 314 cm, Musée des beaux-arts de Lyon.
Saint Marc sauvant l’esclave, 1548, Venise, Gallerie dell'Accademia.
Adam et Eva Martin, (v.1551), huile sur toile, 150 × 220 cm, Venise, Gallerie dell'Accademia.
Saint Roch guérissant les pestiférés, 1549, Venise, église San Rocco.
56 compositions pour la décoration de la Scuola Grande de San Rocco à Venise, 1546 à 1587, dont :
La Crucifixion, 1565 ;
Saint Georges et le Dragon, vers 1555-1558, huile sur toile, 157,5 × 100,3 cm, Londres, National Gallery.
Le Christ chez Marthe et Marie4, v. 1560, huile sur toile, 197 × 129 cm, Alte Pinakothek, Munich.
Mars et Vénus surpris par Vulcain, 1550, Alte Pinakothek, Munich.
La Descente de croix, 1556-1558, huile sur toile, 135 6 × 102, Caen, Musée des beaux-arts.
La Découverte du corps de Saint Marc, vers 1562, huile sur toile, 405 × 405 cm. Milan, Pinacoteca di Brera.
Esquisse pour le Paradis, 1564, modifié en 1582, huile sur toile, 148 × 362 cm, Paris, Musée du Louvre.
La Cène, 1564-1566, huile sur toile, 90 × 121 cm, Caen, Musée des beaux-arts.
Quatre Allégories à la gloire des doges de Venise, 1577, Venise, palais des Doges.
Danaé, vers 1570, huile sur toile, 142 × 182 cm, Lyon, Musée des beaux-arts.
La Déploration du Christ, vers 1580, Musée des beaux-arts de Nancy.
Autoportrait, Paris, 1588, 63 × 52 cm, Paris, Musée du Louvre.
Le Paradis, 1588, Venise, palais des Doges.
Portrait d’homme en buste, huile sur toile, 55 × 44,5 cm, Strasbourg, Musée des beaux-arts.
Ariane, Vénus et Bacchus, Venise, palais des Doges.
La Cène (Ultima cena), Basilique San Giorgio Maggiore de Venise.
Le Christ lavant les pieds des disciples, Madrid, musée du Prado.
Vierge à l’Enfant avec des saints, Narbonne, musée d'art et d'histoire.
Portrait de gentilhomme, Besançon, Musée des beaux-arts et d'archéologie.
L’Origine de la Voie lactée.
La Source du rocher.
Saints Marc, Jérôme et Bartholomé, (v.1550), Croatie, Korčula, Cathédrale Saint-Marc.
Galerie

Liens

http://youtu.be/eMTnFSggWXY
http://youtu.be/FAGy3-2kaOk restauration de la Cène du Tintoret
http://youtu.be/pbQ0G-NNcyY Conférence St Georges et le dragon du Tintoret
http://www.ina.fr/video/CAC98045258/p ... rtrait-balthus-video.html Balthus devant Le Tintoret



Cliquez pour afficher l

Attacher un fichier:



jpg  20070316.MAG000000556_783_1.jpg (27.26 KB)
3_524742be3e9c0.jpg 468X312 px

jpg  tintoret_cene.jpg (174.16 KB)
3_5247430b02269.jpg 500X316 px

jpg  3-Tintoret_dispute.jpg (228.22 KB)
3_5247431b5dff8.jpg 600X358 px

jpg  1313771879_judith-and-holofernes_www.nevsepic.com.ua.jpg (162.81 KB)
3_5247432ecc9d2.jpg 500X365 px

jpg  517xV0+LTTL.jpg (35.28 KB)
3_5247434785c56.jpg 431X500 px

jpg  images.jpg (13.04 KB)
3_52474352df3ca.jpg 223X226 px

jpg  originals_ART2701.jpg (83.59 KB)
3_524743662019e.jpg 500X323 px

jpg  Tintoret_Deploration.jpg (115.26 KB)
3_5247437829a84.jpg 600X416 px

jpg  24544.jpg (160.00 KB)
3_524743925f4f0.jpg 1001X873 px

jpg  the-crucifixion-unknown.jpg (130.62 KB)
3_524743a7e93df.jpg 949X843 px

jpg  le-tintoret.jpg (185.21 KB)
3_524743b897046.jpg 439X540 px

jpg  manet_tintoretto_large.jpg (103.79 KB)
3_524743c639dc8.jpg 643X800 px

jpg  tintoret_venus.jpg (60.75 KB)
3_524743d2eab19.jpg 405X430 px

jpg  0_9f622_56811eca_L.jpg (56.00 KB)
3_524743e119429.jpg 500X350 px

jpg  744975822.jpg (71.81 KB)
3_52474403d9878.jpg 500X342 px

jpg  0_d558a_a6f3d71e_XXL.jpg (349.08 KB)
3_5247441ef0e4e.jpg 1024X782 px

jpg  88444_1299678757_tintoret-hazan.jpg (107.99 KB)
3_5247443e0e36d.jpg 650X777 px

Posté le : 28/09/2013 23:04
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Paul Féval
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57687
Hors Ligne
Le 29 Septembre 1816 naît Paul Féval écrivain français.

Ne doit pas être confondu avec Paul Féval fils.

Paul Henry Corentin Féval est un écrivain français, né le 29 septembre 1816 à Rennes et mort le 7 mars 1887 à Paris 7e.
Son œuvre, composée de plus de 200 volumes dont de nombreux romans populaires édités en feuilleton, eut un succès considérable de son vivant, égalant celle d’Honoré de Balzac et d’Alexandre Dumas.
Issu d'une famille de magistrats assez peu fortunée, Paul Féval fut l'un des auteurs de romans-feuilletons les plus productifs et les plus célèbres du XIXe siècle.

À treize ans, il passe une année dans un mystérieux manoir du Morbihan, refuge de conspirateurs chouans, et il restera fortement imprégné de folklore breton.

Les jeunes années

Paul Henry Corentin Féval naît le 29 septembre 1816 à trois heures et demie du soir dans l'Hôtel de Blossac, rue du Four-du-Chapitre à Rennes.
Son père, royaliste et chrétien, originaire de Troyes appartient à la petite magistrature, il est conseiller à la Cour royale de la ville.
Sa mère, Jeanne-Joséphine-Renée Le Baron, est Bretonne de la région de Redon. La famille est nombreuse, cinq enfants et les revenus sont insuffisants.
En 1826, à l'âge de 10 ans, Paul entre comme interne au collège royal de Rennes, aujourd'hui, lycée Émile-Zola.
Son père meurt l'année suivante.
En troisième, au plus fort des troubles révolutionnaires de 1830, il affiche au collège des opinions monarchistes, déclenche des bagarres. Le proviseur le prie d'aller se calmer à la campagne.
Il passe quelques mois chez son oncle, le comte Auguste de Foucher de Careil, au château de la Forêt-Neuve, en Glénac. Le séjour va le marquer profondément.
Des conspirateurs s'assemblent la nuit au château, on fond des balles.
Paul laisse son imagination s'enfiévrer, il ne rêve que batailles et massacres. Il entend des légendes macabres à la veillée, parcourt les landes, erre entre les marais, s'enfonce dans les brouillards, recueille des récits de la bouche d'anciens chouans de 1793…
Il revient à Rennes en janvier 1831, et entre en classe de seconde.
Il obtient son diplôme de bachelier en 1833.
Il oriente ses études vers le droit. Il passe sa licence à l’université de Rennes et devient avocat en 1836. Mais il abandonne rapidement cette profession, après une plaidoirie malheureuse. Cette première plaidoirie fut une très mémorable harangue, dans le style de Démosthène, pour défendre la cause d'un voleur de poules.

Au mois d'août 1837, il s'installe à Paris comme commis chez un oncle banquier, mais le monde de la banque et du commerce ne lui convient pas.
Son oncle le chasse parce qu'il ne travaille pas. Il est renvoyé pour avoir lu un livre de Balzac, volé à plusieurs reprises, il est retrouvé mourant de faim et de froid dans sa mansarde et soigné par une voisine charitable pour laquelle il conçut un amour profond et romanesque.
Il songe à la littérature, tout en exerçant des petits métiers qui assurent mal sa subsistance. Ses premiers écrits sont refusés par les éditeurs.

Les débuts littéraires

Puis il entre comme correcteur au Nouvelliste, et ses œuvres, enfin acceptées dans les revues de l'époque, lui confèrent une notoriété que va exploiter Anténor Joly, faisant pour la circonstance du Courrier français et de L'Époque de véritables entreprises modernes, avec campagnes publicitaires pour le lancement des nouveaux feuilletons.
Des recommandations l’introduisent dans les milieux catholiques et royalistes, le Club des phoques est le premier texte publié en 1841 dans la Revue de Paris.
Son talent est remarqué par des éditeurs de journaux tels La Législature et le Courrier français.
Anténor Joly, directeur de L’Époque, lui passe commande d'un texte de même inspiration et de facture similaire aux Mystères de Paris d'Eugène Sue, transposés en des Mystères de Londres.
Mais le résultat n'est pas publiable en l'état et Paul Féval doit procéder à une réécriture intégrale. La publication commence en 1843 sous le pseudonyme de sir Francis Trolopp. Le succès populaire est immédiat : il y a vingt rééditions, la renommée de l’auteur est faite.

La carrière littéraire

La carrière littéraire est engagée, suivent d’autres romans-feuilletons : Le Capitaine Spartacus, Les Chevaliers du Firmament, Le Loup Blanc. Féval qui est un conservateur ressent durement la Révolution française de 1848 : par ses écrits, n'a-t-il pas contribué à réveiller la conscience politique du peuple, et lancé un mouvement qu’il réprouve.
Il décide donc de réorienter sa production dans une direction plus neutre, et poursuit ses publications. 1857 est l’année où sort Le Bossu ou le Petit Parisien, roman auquel on l'associe encore de nos jours.
En 1854, il épouse la fille de son médecin, Marie Pénoyée. Le couple aura huit enfants. Paul Féval fils évoquera la rencontre et le mariage de ses parents :
Un jour, alors qu'il se sentait accablé, il se rendit au cabinet médical d'un homéopathe, le docteur Pénoyée. Ce dernier le prit un peu à sa charge et s'évertua à le guérir de sa dépression nerveuse.
Le médecin avait une fille de vingt ans, Marie Pénoyée. Si le premier garantissait les soins du corps, la seconde permit les soins du cœur. En 1854, Marie offrit sa main au futur père de ses huit enfants. L'un d'eux naquit en 1860 et porta le prénom et le nom de son écrivain de père.
En 1863, il rencontre son homologue britannique Charles Dickens, avec lequel il noue des liens d'amitié. En 1870, au moment de la défaite et de la Commune de Paris, il quitte Paris pour revenir à Rennes, quelque temps.
En 1876, il renoue ostensiblement avec la foi catholique, après un deuxième échec à l'Académie française et des problèmes financiers dus à une popularité émoussée.
Féval s'est essayé à la plupart des types de roman : le roman de cape et d'épée avec Le Bossu, Le Cavalier Fortune, Le Capitaine fantôme, le mystère urbain avec Les Mystères de Londres, Les Habits noirs, les récits bretons La Belle étoile, La Première Aventure de Corentin Quimper, le fantastique avec La Vampire, Le Chevalier Ténèbre.
Il s'est aussi essayé au théâtre et même à l'histoire politique et judiciaire.
Se revendiquant breton, il utilisa abondamment les thèmes de la chouannerie et des luttes politiques précédant l'annexion de la Bretagne. En 1879 parut chez l'éditeur Victor Palmé, le recueil de nouvelles Chouans et Bleus soigneusement revues et corrigées depuis leurs parutions en feuilletons dans des périodiques : Le Petit Gars, Le Docteur Bousseau, Le Capitaine Spartacus et La Mort de César.

Les dernières années

Rrire des livres édifiants. Atteint de paralysie vers 1880, il meurt fou quelques années plus tard.
uiné par des spéculations financières, il passe les dernières années de sa vie à expurger de son œuvre tout ce qui pouvait rappeler son passé de libre penseur et à éc
Atteint de paralysie vers 1880,
Auil est sujet à des crises d’hémiplégie et il est recueilli par les frères de Saint-Jean-de-Dieu, à Paris.
Quasi oublié dans ses dernières années, il va les consacrer à remanier son œuvre dans un sens plus conforme à la morale catholique.

Il meurt fou quelques années plus tard le 7 mars 1887 au 19 rue Oudinot, Paris 7e. Il est inhumé au cimetière du Montparnasse.


Œuvres

1841 : Le Club des phoques
1843 : Les Mystères de Londres
1843 : Le Capitaine Spartacus
1843 : Les Fanfarons du Roi|Les Chevaliers du Firmament - Réédité sous le titre Les Fanfarons du Roi
1843 : Le Loup blanc
1844 : Fontaine aux perles
1844 : Les Aventures d'un émigré
1845 : La Forêt de Rennes - Contient Le Loup blanc et Le Banquier de cire
1845 : Les Amours de Paris
1846 : La Quittance de minuit - Réédité en 2006 sous le titre Les Molly-Maguires
1846 : Le Fils du diable
1848 : Le Château de Croïat
1849-1850 : Les Belles-de-nuit ou Les Anges de la famille
1850 : La Fée des grèves
1850 : Beau Démon
1851 : Le Capitaine Simon
1852 : Les Nuits de Paris
1852 : La Forêt noire - Réédité sous le titre La Reine des épées
1851-1852 : Les Tribunaux secrets
1851-1852 : Frère tranquille
1855-1856 : La Louve
1855-1856 : L'Homme de fer
1856 : Madame Gil Blas, souvenirs et aventures d'une femme de notre temps
1856 : Les Couteaux d'or
1857 : Le Bossu ou le Petit Parisien
1857 : Les Compagnons du silence
1857 : Les Errants de la nuit
1858 : La fabrique des mariages
1859 : Le Roi des gueux
1860 : Le Chevalier Tènèbre
1861 : Le Drame de la jeunesse
1862 : Le Capitaine fantôme
1862 : Valentine de Rohan, (suite de La Louve)
1863 : Le Poisson d'or
1863 : La Fille du juif errant
1863-1875 : Les Habits noirs
1865 : La Vampire
1865-1866 : La Cavalière
1866 : La Fabrique de crimes
1867 : La Ville Vampire
1867 : Annette Laïs
1868 : Le Cavalier Fortune
1869 : Le Quai de la ferraille
1871 : Le Dernier Vivant
1873 : Le Chevalier de Keramour
1874 : Les Cinq
1875 : La Ville Vampire
1876 : La Première Aventure de Corentin Quimper
1876 : Châteaupauvre - Voyage au Dernier Pays de Bretagne
1877 : Le Dernier Chevalier
1879 : Les Merveilles du Mont Saint-Michel

Adaptations

Le Bossu :
Le Bossu ou le Petit Parisien (1925), film français de Jean Kemm
Le Bossu (1944), film français de Jean Delannoy
Le Bossu (1959), film français de André Hunebelle
Le Bossu (1997), film français de Philippe de Broca
Les Habits noirs (1967), feuilleton télévisé français de René Lucot
Lagardère (1967), feuilleton télévisé de Jean-Pierre Decourt
Lagardère (2003), téléfilm français de Henri Helman
Le Loup Blanc, feuilleton télévisé, (1977) de Jean-Pierre Decourt.


Grand Prix Paul-Féval

En 1984, la Société des gens de lettres, en hommage au romancier, qui a présidé l'institution en 1867, a créé le Grand Prix Paul-Féval de littérature populaire à l'initiative de Suzanne Lacaille, arrière-petite-fille de l'auteur.
Compléments

Paul Féval fils
Grand Prix Paul-Féval de littérature populaire

Liens

http://youtu.be/msDOPphtr7E le bossu film
http://www.ina.fr/video/RCC01016674/l ... e-pere-et-fils-video.html Lagardère de Paul Féval
http://www.ina.fr/video/CAF91035645/c ... vient-le-bossu-video.html Pierre Brasseur se transforme en bossu

Attacher un fichier:



jpg  Feval.jpg (467.01 KB)
3_524740251c52a.jpg 668X1000 px

jpg  9791090029385_1.jpg (236.19 KB)
3_5247405931722.jpg 470X704 px

jpg  produit-111.jpg (222.74 KB)
3_5247407399dff.jpg 815X815 px

jpg  6666921317_6c641a346a_o.jpg (76.91 KB)
3_5247407e0ddd5.jpg 592X702 px

jpg  la-ville-vampire-3289633.jpg (32.63 KB)
3_5247408773ce2.jpg 338X475 px

jpg  9782363075987.jpg (96.96 KB)
3_524740926ecc0.jpg 566X800 px

jpg  FevalVampires_m.jpg (31.32 KB)
3_524740a122f0b.jpg 293X448 px

jpg  Le_petit_parisien_ou_Le_Bossu,_par_Paul_Féval.JPG (62.76 KB)
3_524740bc1ff13.jpg 618X484 px

jpg  jeandiable01.jpg (161.13 KB)
3_524740cbdd76a.jpg 433X649 px

jpg  La Ciudad Vampiro.jpg (34.61 KB)
3_524740d6eea9f.jpg 206X320 px

gif  9782846331180FS.gif (94.17 KB)
3_524740e82c63b.gif 339X475 px

jpg  FeedesGreves.jpg (31.06 KB)
3_524740f2da977.jpg 383X591 px

jpg  9782846331197.jpg (61.70 KB)
3_524740fe296eb.jpg 400X557 px

jpg  Feval_Paul_Le_Bossu_couverture_01_max.jpg (75.87 KB)
3_5247414133f84.jpg 600X852 px

Posté le : 28/09/2013 22:51
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


François Boucher
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57687
Hors Ligne
Le 29 Septembre 1793 naît au royaume de France, François Boucher

Peintre du mouvement artistique rococo, il fut l'éléve de François Lemoyne, influencé par Carle Van loo il reçut le prix de l'académie royale en 1723, il fut agrée peintre d'histoire en 1731 et eut pour éléves Jean-Baptiste Deshays de Colleville et Antoine Babron, il influença Merdicine.

Phare de la peinture du XVIIIe siècle, artisan talentueux, incarnation de l'art rocaille, il est le peintre des Grâces, ces qualificatifs et d'autres qui évoquent la mièvrerie et la répétition, ont été appliqués à Boucher, à plus ou moins juste titre, sans réussir à définir l'artiste.
L'exposition qui lui avait été consacrée en 1986-1987, au Metropolitan Museum à New York et au Grand Palais à Paris, n'était pas non plus parvenue à établir la véritable stature de Boucher, ne fût-ce que parce qu'elle présupposait que le peintre devait être réhabilité, mais aussi parce qu'elle avait volontairement passé sous silence le fécond et prodigieux dessinateur ; de surcroît, les notices analytiques très fouillées du catalogue des peintures ne parvenaient pas à donner une image vraie d'un peintre qui avait incarné sous le règne de Louis XV tous les domaines de l'art.
Il est vrai qu'en dépit des artistes qui l'ont admiré et qui s'en sont inspiré, en dépit également des œuvres nombreuses accrochées aux cimaises des plus grands musées, justice ne lui a pas toujours été rendue, et il est encore de bon ton de faire une moue dédaigneuse quand le nom de Boucher est évoqué.
Pourtant Boucher est l'un des tout premiers artistes du XVIIIe siècle.



Entre Watteau et Fragonard

Situer Boucher entre Watteau et Fragonard aide à comprendre l'évolution du style, de la manière, des thèmes, et de leur transmission concernant un artiste qui, né et mort à Paris, n'a guère quitté cette ville.
Il est fils unique du peintre de l'Académie de Saint-Luc; Nicolas Boucher.
François Boucher reçoit ses premières leçons de son père.
Nous ne savons pas grand-chose des débuts comme peintre de cet élève de François Lemoine – si son Jugement de Suzanne, de 1720-1721, est récemment réapparu et entré en 1997 à la Galerie nationale du Canada, à Ottawa, en revanche Evilmerodach délivre des chaînes Joachim, avec lequel il remporte le premier prix de peinture à l'Académie en 1723, a disparu.
Sa formation de dessinateur, d'illustrateur et de graveur est mieux connue.
Boucher dessine des thèses pour le graveur Jean François Cars qui l'emploie, donne des dessins pour l'Histoire de France du père Gabriel Daniel, dont la publication est annoncée en 1727, et surtout grave, sans doute à partir de 1722, des dessins de Watteau pour les Figures de différents caractères dont Jean de Jullienne publiera les deux volumes en 1726 et 1728.
Sur les 351 planches, 119 sont vraisemblablement dues à Boucher, notamment les deux frontispices, tous les paysages, toutes les figures de Persans et de Savoyards, et bien entendu des comédiens et danseurs, des têtes et des bustes, des étoffes qu'il rend à merveille...
Il grave également quelques peintures de Watteau pour le Recueil Jullienne, en particulier 12 des 31 chinoiseries du château de La Muette. Ce travail, au départ alimentaire, est essentiel pour sa formation et son goût ; il montre son talent d'aquafortiste et est à l'origine de son inspiration et de certains de ses modèles : figures à l'espagnole, femmes vêtues de robes aux plis soyeux, personnages et ustensiles chinois, dont il se fera une spécialité, établissant la Chine comme province du rococo selon la formule des Goncourt, à travers ses dessins, ses peintures, ses cartons de tapisseries.
Il collectionne également des objets d'Extrême-Orient, suivant en cela – ou plutôt précédant – le goût du temps ; il fréquente La Pagode, la boutique de Gersaint qui fut l'ami et le collectionneur de Watteau, pour laquelle Boucher dessine une carte commerciale.
Vers 1740, il grave lui-même d'après ses dessins 12 Figures chinoises du Cabinet de Fr. Boucher Peintre du Roy.


En 1728, Boucher était arrivé à Rome – où il passera trois ans –, en compagnie des peintres Carle, Louis Michel et François Van Loo ; curieusement, il n'est pas pensionnaire de l'Académie de France.
Il rentre à Paris sans doute au début de 1731 ; cette même année, il est agréé à l'Académie en tant que peintre d'histoire.
Il y sera définitivement reçu en 1734 avec Renaud et Armide, musée du Louvre, Paris ; c'est en 1734 également que sont publiées les Œuvres de Molière avec 33 illustrations d'après des dessins de Boucher, et que Bernard Lépicié grave l'Amour moissonneur et l'Amour oiseleur d'après des peintures exécutées pour Derbais.
Cet avocat, premier client connu du peintre à partir de 1732, possédait au moins huit grands tableaux peints par Boucher à son retour d'Italie, qui résument pour l'essentiel l'inspiration et la thématique de l'artiste pour les années à venir.
Avec Vénus demande à Vulcain des armes pour Énée, première élaboration d'un thème sur lequel il reviendra tout au long de sa carrière, Louvre, Paris et son pendant Aurore et Céphale, musée des Beaux-Arts, Nancy, il crée une mythologie mettant en scène des nudités gracieuses.
Ces œuvres confèrent à leur auteur une rapide notoriété, qui se traduit sur le double plan de sa carrière académique et de sa clientèle : dès 1735, il est élu adjoint à professeur, professeur l'année suivante, il sera en 1752 adjoint à recteur, recteur en 1761, enfin en 1765 il devient directeur de l'Académie, en même temps qu'il est nommé premier peintre du roi.
Parallèlement, il reçoit dès 1735 sa première commande officielle, pour la chambre de la reine à Versailles, suivie, en 1736 et 1739, de la Chasse au tigre, ou au léopard et de la Chasse au crocodile pour la galerie des petits appartements du roi, et de Jeux d'enfants en 1738.
En 1756, on lui commandera encore des dessus de porte pour l'appartement du dauphin à Versailles. Pour les petits appartements du château de Fontainebleau, il exécute également quatre dessus de porte de divers sujets champêtres, et il peindra en 1753 le plafond du cabinet du Conseil.
Pour Mme de Pompadour, qui l'apprécie et le soutient, il peint de nombreux tableaux, sans compter les peintures d'emplacement qu'elle lui commande, à insérer dans les boiseries, pour le château de Bellevue Adoration des bergers – ou La Lumière du monde – de 1750, musée des Beaux-Arts, Lyon ou pour le château de Choisy, acheté par Louis XV en 1739, il décore l'appartement des bains ainsi que des cartons de tapisserie, Le Lever et Le Coucher du soleil, Wallace Collection, Londres.

Au cours des années 1740, il exécute de nombreux dessus de porte pour l'hôtel de Soubise à Paris, travaille pour la duchesse de Mazarin, pour le marquis de Beringhen, pour Crozat de Thugny, neveu du grand collectionneur Pierre Crozat.
Il envoie également des dessus de porte pour décorer le château de Christianborg au Danemark et surtout, grâce au comte Tessin, ambassadeur suédois à Paris entre 1739 et 1742, avec qui il se lie d'amitié et à qui il vend des peintures et des dessins, il obtient des commandes de Louise Ulrique de Suède, pour qui il peint notamment la Naissance de Vénus et la Marchande de modes, Nationalmuseum, Stockholm.
Plus tard, il exécute des pastels et des peintures pour la margravine de Bade.
Ces nombreux travaux n'empêchent pas Boucher de donner des modèles de tapisseries pour la manufacture de Beauvais où son ami Jean-Baptiste Oudry l'appelle dès 1734-1735, Fêtes italiennes, Histoire de Psyché, Tenture chinoise, Amours des dieux, La Noble Pastorale, Fragments d'opéra, et pour celle des Gobelins dont il est nommé inspecteur en 1755.
Pour cette dernière, où seront tissées les Tentures de Boucher, Mme de Pompadour lui commande des cartons : Le Lever du soleil, Le Coucher du soleil, et Le Génie des arts, musée des Beaux-Arts, Angers.
Il témoigne dans ces œuvres d'un remarquable brio, d'un talent unique pour assembler ses élégantes figures de bergers, de paysans ou de Chinois, ses nus mythologiques à la fois puissants et gracieux, ses éléments de paysages de fantaisie, de sorte qu'il invente et porte à sa perfection un chapitre capital des arts décoratifs au XVIIIe siècle.



Il ne faudrait pas pour autant passer sous silence ses activités liées à l'Opéra-Comique du théâtre de la Foire, que dirige son ami Charles Simon Favart, et à l'Opéra, auxquels il fournit des dessins de costumes et de décors dès 1737-1738. Pour l'Opéra-Comique ce seront Le Ballet des dindons en 1743, les Vendanges de Tempé de également de Favart en 1744. Pour l'Opéra le décor d'Issé de Houdart de La Motte en 1741, ceux des principaux opéras de Quinault et Lully : Persée en 1746, Atys en 1747, dont il fait le décor du premier acte, Renaud et Armide en 1762, mais aussi ceux de Castor et Pollux, de Gentil Bernard et Rameau en 1764, de Thésée en 1765. On rattache à ces créations des tableaux comme Apollon visitant Issé (musée des Beaux-Arts, Tours) ou encore Pensent-ils aux raisins ? (Nationalmuseum, Stockholm). Mais Boucher peint également le décor intérieur du théâtre de Monnet à la foire Saint-Laurent en 1752, ou les décors du ballet des Fêtes chinoises de Jean Georges Noverre en 1754. Pendant toutes ces années, Boucher ne cesse de dessiner, de peindre, d'exposer de nombreuses œuvres aux Salons. En 1765, bien que malade, il expose onze peintures au Salon. Et bien que sa santé, et peut-être sa vision, laissent à désirer, il donne des modèles pour la gravure ou la tapisserie, et peint de grandes toiles : deux Caravanes pour Bergeret en 1768 (Museum of Fine Arts, Boston), et l'année suivante six toiles mythologiques de très grand format (quatre à Fort Worth, au Kimbell Art Museum, deux à Malibu, au J. Paul Getty Museum). Il meurt le 30 mai 1770 dans son logement du Louvre où il demeurait depuis 1752.

Le Peintre des Grâces

Boucher crée ainsi un nouveau langage pictural, qui a donné sa tonalité au XVIIIe siècle français, voire européen, tout en assurant la transition entre la peinture de la fin du règne de Louis XIV et de la Régence et celle des années 1760-1770.
Les artistes de cette décennie ont tous été influencés par lui, qu'ils aient été ses élèves, comme Jean-Baptiste Deshays, Jean Honoré Fragonard, Jacques Philippe Joseph de Saint-Quentin, Louis Jacques Durameau, ou non comme Hugues Taraval ou Antoine François Callet.
Comment imaginer Les Progrès de l'amour dans le cœur des jeunes filles, les quatre peintures exécutées par Fragonard en 1772 pour Mme du Barry, Frick Collection, New York sans les bergers de La Noble Pastorale ?
Comment expliquer les sujets peints et dessinés par Jean-Baptiste Huet au début de sa carrière sans Boucher, dont il a transposé, voire pastiché les modèles ?
Comment comprendre, même, les œuvres de jeunesse de David, ses morceaux de concours pour les Prix, sans rappeler qu'il fut l'élève de Boucher, dont il devait remarquer plus tard avec admiration que, n'est pas Boucher qui veut.
Et pourtant c'est ce nouveau vocabulaire de mythologie galante, de bergeries précieuses, qui a transformé la peinture de son temps et qui a été diffusé dans toute l'Europe au moyen de tapisseries, de porcelaines, de peintures, et qu'on a reproché à Boucher dès la fin de sa vie, à l'époque néo-classique, au cours de la première moitié du XIXe siècle et encore aujourd'hui : nudités répétitives, amours joufflus, bergers de théâtre, paysages artificiels, manque d'expression.
On critique également le mélange des genres chez ce peintre d'histoire qui donne dans la joliesse et oublie le beau, dans la galanterie et la frivolité à la place du sérieux et de la morale.
C'est oublier le créateur d'un genre nouveau, la pastorale : ses bergers, certes, sont chaussés et vêtus en courtisans, mais c'est cela, justement, qu'on lui commande pour l'hôtel de Soubise, et les Charmes de la vie champêtre, Louvre, Paris, bien qu'exécuté pour un simple dessus de porte, est gravé deux fois par deux artistes différents.
Il en va de même des allégories, Libéralité, Charité, Piété, Prudence peintes en grisaille pour la chambre de la reine à Versailles, musée du Château, dont les jeunes femmes entourées de putti pourraient aussi bien représenter Vénus et Cupidon, l'Aurore ou la Nuit.
Ses rares peintures religieuses manquent de sacré, ses Vierges ont le même visage que les jeunes femmes qu'il surprend dans un boudoir ou dans une chambre à coucher.
Il n'est guère portraitiste, et l'on ne sait trop si ses Odalisques représentent Mme Boucher ou Mlle O'Murphy ; pourtant son grand Portrait de Madame de Pompadour, Alte Pinakothek, Munich n'est pas seulement un admirable hommage rendu à sa protectrice, mais un des chefs-d'œuvre de l'art du portrait au XVIIIe siècle.
D'une certaine façon, tout est interchangeable dans son œuvre, du décor d'opéra à la pastorale, du paysage peint comme toile de fond ou comme tableau de chevalet, d'Armide et de Vénus à Sylvie ou à la jeune femme qui reçoit la marchande de mode. C'est ce mélange même qui, en dépit de son artificialité, forge le style, la manière et l'invention de Boucher.

Un dessinateur exceptionnel

Boucher, enfin, est un dessinateur admirable. Lui-même estimait, à la fin de sa vie, avoir exécuté quelque dix mille dessins ; ce chiffre est peut-être exagéré, mais l'on sait aujourd'hui que dès ses débuts, il multipliait les vignettes à la plume et au lavis : sujets religieux ou historiques pour l'Histoire de France du père Gabriel Daniel, paysages d'Italie, frontispices pour les Figures de différents caractères, copies d'après Sebastiano Ricci ou d'après Abraham Bloemart, dont il gravera lui-même un certain nombre de dessins, et sans doute d'après Watteau.
Tout au long de sa carrière, pourtant bien remplie, Boucher donne des dessins d'illustrations à graver : pour les Satyres et autres œuvres de Nicolas Régnier en 1733, pour les Œuvres de Molière en 1734, pour le Spectacle de la nature de l'abbé Pluche en 1735, pour les Tombeaux des princes, des grands capitaines et autres hommes illustres de Owen McSwiny en 1736-1737, pour la Faunillane du comte Tessin en 1741, pour les Mœurs et usages des Turcs de Jean Antoine Guer en 1746, sans compter les planches isolées, les nombreux frontispices, ou des suites comme les Cris de Paris en 1737.

Mais on ne saurait réduire le dessinateur à l'illustrateur. Boucher prépare en effet ses peintures ou ses cartons de tapisserie par de nombreux dessins de détails : on en connaît six, et il dut y en avoir davantage, pour La Lumière du monde, plusieurs pour les tritons et naïades du Lever et du Coucher du soleil, mais aussi des dessins très finis de personnages du Déjeuner ou de la Femme attachant sa jarretière, ou des bergers de La Noble Pastorale.
Pour la première fois les études d'un artiste sont si poussées, leur technique si aboutie avec un admirable usage des crayons qui jouent souvent sur des fonds de papiers colorés, que certains des dessins préparatoires de Boucher deviennent des œuvres autonomes, voire des dessins de présentation.
Ils sont montés, mis sous verre, encadrés, accrochés au mur, ce qui était jusqu'alors inconcevable pour des dessins.
Avec eux naît la collection de dessins, non plus d'études partielles, d'ébauches, mais de feuilles abouties qu'on ne laisse plus dans des portefeuilles ou dans des boîtes, qu'on vend séparément et non plus en lots, et qui soutiennent la comparaison avec des peintures dont le prix est bien supérieur.
Leur succès correspond – à moins qu'il ne les détermine – aux découvertes qui permettent la mise au point de techniques de gravure en manière de crayon, puis en couleurs : Jean Charles François, Demarteau, Jean François Janinet, Louis Marin Bonnet rivalisent à qui imitera le mieux les dessins conservés chez les grands collectionneurs : Blondel d'Azaincourt, Blondel de Gagny, Bergeret, Randon de Boisset, Jullienne, le graveur Gabriel Huquier, et bien d'autres, avec des résultats tels que ces estampes sont, elles aussi, encadrées et accrochées, participant, à leur tour, de la diffusion du genre Boucher.

Les arts décoratifs au service d'un genre

Mais cette diffusion passe aussi par d'autres voies, et Boucher est sans doute, au XVIIIe siècle, le premier artiste, sinon le seul, à avoir connu de son vivant, et depuis ses débuts, une aussi prodigieuse diffusion de ses modèles et de ses inventions par la gravure de reproduction.
Dès 1733, Gérard Jean Baptiste Scotin grave la Naissance et la Mort d'Adonis, l'année suivante Bernard Lépicié présente à l'Académie deux des Jeux d'amours de la collection Derbais ; puis presque chaque année, la publication d'estampes d'après les peintures de Boucher est annoncée, tableaux mythologiques ou scènes de genre, les dernières en date concernant des Pastorales gravées par Jacques Firmin Beauvarlet en 1769.
Encore ne parle-t-on ni des illustrations, ni des dessins, qui représentent une part importante des quelque 1500 gravures d'après Boucher exécutées par environ 150 graveurs, parmi les meilleurs du temps, comme François Antoine Aveline, Laurent Cars, Charles Nicolas Cochin, Nicolas de Larmessin, Jacques Philippe Le Bas, mais aussi par des amateurs comme Mme de Pompadour.
L'exemple de Gabriel Huquier, qui grave et publie quatre-vingt-dix inventions de Boucher, est particulièrement éclairant, dans la mesure où cet artiste est le grand diffuseur du goût rocaille. On ne sera donc pas surpris de le voir entourer d'une arabesque des Pastorales de Boucher, graver et publier des Livres de fontaines, ou de cartouches, des Scènes de la vie chinoise, ou encore des Livres de sujets et pastorales, qui contiennent aussi des chinoiseries, et des couples de bergers destinés à servir de modèles aux décorateurs et aux artisans.
Il grave également avec son neveu six Chinoiseries, d'après les modèles donnés par Boucher à la manufacture de Beauvais en vue d'une suite chinoise. On touche là un autre moyen de diffusion des inventions de Boucher.
En effet, on lui commande en 1736 les premiers cartons des Fêtes italiennes, dont la suite sera tissée une trentaine de fois.
Elle sera suivie, à partir de 1741, des cinq pièces de la suite de Psyché, produite en une douzaine d'exemplaires.
Suivent des chinoiseries : six pièces, sur les dix esquisses peintes par Boucher, musée des Beaux-Arts, Besançon, tissées à partir de 1743 ; ce sont celles que Huquier a gravées, et qui trahissent l'engouement de Boucher et de son public pour une Chine certes plus théâtrale et pittoresque qu'anthropologique.
Boucher multiplie également les dessins préparatoires, les esquisses et les peintures pour Les Amours des dieux et La Noble Pastorale, dont le succès fit connaître à l'Europe entière – car les tapisseries servaient souvent de cadeaux diplomatiques – les personnages inventés par l'artiste.
Quant aux Tentures de Boucher, commandées à plusieurs reprises par des lords anglais, elles se trouvent encore dans des châteaux outre-Manche.
Sans oublier les Enfants Boucher, petits panneaux exécutés aux Gobelins pour garnir des coussins et des dossiers de sièges ; l'on sait qu'en 1760, Mme de Pompadour échange avec la manufacture les tapisseries du Lever et du Coucher du soleil contre une série de dessus-de-chaise représentant des Enfants jardiniers.

Ces sujets d'enfants nous introduisent à un autre mode de popularisation des créations de Boucher : il s'agit des modèles qu'il a donnés à la manufacture de Vincennes-Sèvres, le premier dessin, pour Le Petit Jardinier, remonte à 1749, qui ont influencé toute la production en ronde bosse et en décors peints entre 1752 et 1766 environ, et de là toute la production européenne, fortement marquée par la suprématie de Sèvres.
Des groupes émaillés blancs reproduisent des gravures, comme Le Berger galant ou le Chinois à la corbeille.
Puis ce sont d'autres enfants, qui moissonnent, mangent, cueillent, blanchissent, pour lesquels Boucher fournit des dessins, ou des gravures, et qui font l'objet de terres cuites avant d'être moulés.
De 1757 à 1766 Étienne Falconet, nommé chef de sculpture, produit un grand nombre de ce qu'on a appelé les enfants Falconet, tirés de dessins de Boucher.
Il produit également des biscuits qui reprennent les sujets de bergeries inspirées par l'opéra comique : les Mangeurs de raisins, le Baiser donné, le Baiser rendu.
Les mêmes modèles, enfants ou scènes de genre, sont utilisés pour les décors peints, d'abord par la manufacture royale de Vincennes en camaïeu, puis par Sèvres en polychromie. Rare est l'utilisation de paysages ou de chinoiseries, mais elle existe, et démontre une fois encore l'emprise de Boucher et de ses inventions sur les arts de son temps.

Le peintre des Grâces est un grand dessinateur, un beau coloriste.
Son univers est artificiel, certes, mais il correspond au goût du temps qu'il a d'ailleurs contribué à créer.
Peintre d'histoire il n'en joue pas moins un rôle déterminant dans les arts décoratifs ; peintre raffiné, il a brossé des décors éphémères.
Boucher incarne à la perfection l'artiste rocaille, et son art aux multiples facettes est bien le miroir de son temps.


Œuvres

Antoine et Cléopâtre (587 × 675), 1761, F. Boucher, collection privée - Paris
Le jugement de Suzanne (1720-1721), Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada ;
Rebecca recevant les présents d'Abraham (1725), Musée des beaux-arts de Strasbourg ;
Aurore et Céphale (1733), Musée des Beaux-Arts de Nancy ;
Tête de Jeune femme en coiffe de dentelle (1737), pierre noire et pastel ;
Le Déjeuner (1739), Musée du Louvre, Paris ;
La Forêt (1740), Musée du Louvre, Paris ;
Léda et le cygne (1741) ;
La toilette intime (1741), 52,5 × 66,5 cm, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid ;
Diane sortant du bain (1742), Musée du Louvre, Paris ;
Le repos des nymphes au retour de la chasse, dit aussi Le retour de Diane chasseresse (1745), huile sur toile, musée Cognacq-Jay, Paris ;
L'Odalisque (1746), Musée du Louvre, Paris ;
La marchande de mode (1746), huile sur toile, 64 × 34 cm, Nationalmuseum, Stockholm ;
Le Triomphe de Vénus, Nationalmuseum, Stockholm ;
Un Été pastoral (1749), Wallace Collection, Londres ;
Un automne pastoral (1749), Wallace Collection, Londres ;
La Lumière du monde (1750), huile sur toile, 175 × 130 cm, provient de la chapelle privée de Madame de Pompadour au château de Bellevue, Musée des beaux-arts de Lyon ;
Interrupted sleep (1750), huile sur toile, au Metropolitan museum of art ;
La Toilette de Vénus (1751), Metropolitan Museum of Art, New York ;
Le Moulin, (1751) ;
L'Odalisque blonde (it), également appelé Mademoiselle O'Murphy en référence à son modèle ou Jeune Fille couchée, 1751, huile sur toile, 59 × 73 cm, Alte Pinakothek,
L'Odalisque blonde, également appelé Mademoiselle O'Murphy en référence à son modèle ou Jeune Fille couchée, 1752, huile sur toile, 59,5 × 73,5 cm, Wallraf-Richartz Museum,
L'Odalisque brune, années 1740, huile sur toile, 53,5 × 64,5 cm, musée du Louvre11
Le lever du Soleil (1753)
La Naissance de Vénus ou Vénus (1754), Wallace Collection.
Madame de Pompadour (1756), National Gallery of Scotland, une version similaire au Alte Pinakothek de Munich ;
Les Forges de Vulcain (1757), Musée du Louvre, Paris ;
L'Assomption de la Vierge (vers 1758-1760) Musée des beaux-arts de Montréal
Rodogune (1761) [[Peint à la demande de Madame de Pompadour pour illustrer l'oeuvre de P. Corneille au château de Crécy en Eure-et-Loir. Collection Goncourt dispersée en 1897, réapparue sous le titre Antoine et Cléopâtre à la vente aux enchères Ivoire Chartres en 2009]];
Les Génies des arts (1761) Musée des beaux-arts d'Angers,
L'Offrande à la villageoise (1761) ; Grande-Bretagne; collection privée.
L'Aimable pastorale (1761) ; Grande-Bretagne; collection privée.
La Jardinière endormie (1762), Toile de 229 × 89 cm; Grande-Bretagne; collection privée.
Le Départ du courrier (1765; huile sur toile, 32.2 × 26,5 cm ;Metropolitan Museum of Art, New York
L'Arrivée du courrier (1765), œuvre disparue connue grâce à une gravure.
Le Divan ;
L'Enlèvement d'Europe ;
L'Été ;
Le Pont ;
Le Nid ;
Vénus consolant l'Amour ;
Charmes de la vie champêtre, Musée du Louvre, Paris ;
Annette et Lubin, Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome ;
Repas de chasse, esquisse, huile sur toile, 61 × 40 cm, Musée du Louvre, Paris.
Il a donné de nombreux cartons et modèles pour les manufactures royales de tapisserie et de porcelaine.

Liens

http://youtu.be/fp7Dop66nTE
http://youtu.be/8UHNWwW30cM



Cliquez pour afficher l


[img width=600]http://4.bp.blogspot.com/-2xXfsPLyPEk/URzin6LZdOI/AAAAAAAAMw8/zLZNJYLBrXQ/s1600/Fran%C3%A7ois+Boucher+(+1703-1770),+V%C3%A9nus+and+putti.JPG[/img]

Cliquez pour afficher l


Attacher un fichier:



jpg  257-1.jpg (357.30 KB)
3_5247396d08048.jpg 948X900 px

jpg  painting1.jpg (64.79 KB)
3_5247398aed1d7.jpg 450X660 px

jpg  François-Boucher-Hercule-et-Omphale.jpg (32.92 KB)
3_524739a369b9c.jpg 322X400 px

jpg  sdert-po-14.jpg (244.32 KB)
3_524739f9d59be.jpg 768X1024 px

jpg  François_Boucher_009.jpg (450.92 KB)
3_52473a110ab52.jpg 2536X1919 px

jpg  les confidences pastorales.jpg (49.34 KB)
3_52473a1ed2be5.jpg 581X365 px

jpg  Francois Boucher-344422.jpg (103.94 KB)
3_52473a3263eb8.jpg 632X800 px

jpg  boucher_jupiter_in_the_guise_of_diana__and_the_nymph_callisto1343106383797.jpg (114.42 KB)
3_52473a530398f.jpg 800X793 px

jpg  a139-005.jpg (50.72 KB)
3_52473a7f7ab58.jpg 500X386 px

jpg  odalisk.jpg (167.91 KB)
3_52473a9126c3c.jpg 1030X841 px

jpg  francois-boucher-02.jpg (32.32 KB)
3_52473aa084563.jpg 269X350 px

jpg  sdert-po-01.jpg (511.34 KB)
3_52473ac723347.jpg 768X1010 px

jpg  1313771839_vulcanus-takes-mars-and-venus-unawares_www.nevsepic.com.ua.jpg (159.75 KB)
3_52473ad8b1957.jpg 500X343 px

jpg  1005114-Marquise_de_Pompadour.jpg (34.52 KB)
3_52473ae6a72a9.jpg 295X400 px

Posté le : 28/09/2013 22:24
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Le Caravage 1
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57687
Hors Ligne
Le 29 Septembre 1571 naît Le Caravage.

Peintre Italien du mouvement baroque, son maître sera Michelangelo Merisi ou Merighi dit "il Caravaggio" est originaire de Caravaggio en Lombardie, est un peintre Ilatalien du mouvement artistique baroque, son maître sera Simone Peterzano (1540-1596), il a pour Mécène Francesco Maria del Monte, il est influencé par Peterzano, Savoldo, Antonio Campi, Vincenzo Campi… et il influencera Pierre Paul Rubens.

On pense aujourd'hui que Caravage est né vers 1571, le 29 Septembre, jour de la Saint Michel, ceci en raison de la coutume qui consistait à donner pour prénom le nom du Saint du jour.
Michelangelo Merisi tiendrait son surnom du village lombard de Caravaggio, d'où ses parents sont originaires et dans lequel il passe une partie de son enfance.
Il gagne ensuite Milan et, en 1584, entre en apprentissage auprès du peintre Simone Peterzano (vers 1540-1596), chez qui se perpétue la tradition du maniérisme.
C'est au cours de cette période que se joue le destin d'un artiste appelé à devenir révolutionnaire. Âgé d'une vingtaine d'années, il part tenter sa chance dans la Rome des papes et des mécènes. Il y connaît des débuts difficiles, partageant la vie du peuple auquel il empruntera ses modèles – notamment ceux de jeunes garçons qui invitent parfois à une lecture érotique de son œuvre. Accueilli dans l'atelier de Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d'Arpin, peintre décorateur également maniériste, il exécute des fleurs et des fruits. Il le quitte cependant et s'installe chez le cardinal Francesco dal Monte, protecteur des artistes.
Les débuts du peintre sont mystérieux. Quelle a été sa formation entre 1584 environ et 1590-1591 ? Quelles œuvres d'art a-t-il vues ? Quelles villes a-t-il traversées avant d'arriver à Rome ? Bien que Caravage ait souvent déclaré qu'il ne devait rien à personne, la nature, affirmait-il, l'avait suffisamment pourvu de maîtres, il est intéressant de comprendre, à la suite de R. Longhi, quelles influences il a subies. On voit apparaître au XVIe siècle les deux préoccupations majeures de Caravage, le jaillissement de la lumière dans la nuit et le réalisme populaire. Des éclairages nocturnes caractérisés sont attestés déjà chez Corrège, voir "La Nuit", 1530, "Gemäldegalerie", Dresde et Raphaël : "Délivrance de saint Pierre" en 1514, Vatican.
Ils deviennent fréquents et géométriquement stylisés chez le curieux Génois Luca Cambiaso (1527-1585) : "Madone à la chandelle" entre 1570-1575, au Palazzo Bianco, Gênes.
Le Siennois Domenico Beccafumi 1486-1551 aime aussi faire jaillir de petites figures des profondeurs nocturnes.
À Venise, depuis Giorgione (1477-1510) : L'Orage (1506-1508, Accademia, Venise), l'étude de la lumière retient la plupart des peintres.
Elle atteint à de grands effets de contrastes, avec des ombres immenses chez Tintoret (1512-1594).
Les artistes de la Lombardie et de la vallée du Pô sont souvent attirés par les jeux lumineux.
L'un des plus remarquables à cet égard est Savoldo, de Brescia (1480-1548), qui se plaît aux oppositions d'ombres denses et de grandes masses de lumière (L'Ange et Tobie, galerie Borghèse, Rome).

Quant au réalisme populaire, il est moins fréquent, mais plus nettement exclusif chez certains peintres, notamment aux Pays-Bas où Pieter Aertsen (1508-1573) se spécialisa dans les scènes de marché de grands formats.
Un artiste réunit déjà ces tendances, effets nocturnes et réalisme rustique, dans ses compositions religieuses : Jacopo Bassano (1518-1592).
Quant à Lorenzo Lotto (1480-1556), par l'unité dramatique de ses œuvres, le chromatisme froid, la lumière qu'il met dans la couleur, il préfigure les tableaux clairs de Caravage.
Le génie de celui-ci fut de faire la synthèse de toutes ces tendances, et surtout de leur donner une rigueur dans l'observation réaliste, dans la précision du dessin et de la composition, qui leur confère une puissance, un éclat, une perfection vraiment classiques.
En effet, si tout le XVIIe siècle garde l'empreinte des Bolonais : Carrache, Reni, Dominiquin, force nous est de reconnaître que les plus grands peintres de cette époque – à l'exception de Nicolas Poussin – bénéficient sous une forme ou sous une autre de l'exemple de Caravage : Velázquez et Zurbarán en Espagne, Rubens, Rembrandt et Vermeer dans le nord de l'Europe.
La vie de Caravage est rythmée par de nombreux épisodes douloureux. Karel van Mander (1548-1606), l'auteur de la Vie des peintres (1604), décrit l'existence dissolue de l'artiste et reconnaît que, malgré son talent, il est bien difficile de se faire un ami de cet homme.
Il ne se passe pas d'année sans que Caravage soit mêlé à quelque affaire équivoque ou sans qu'il ait une histoire grave avec la police.
En 1605, il purge une peine de prison ; à sa libération, il blesse un homme et pour échapper aux poursuites il se réfugie à Gênes. Mais cette vie de violence ne l'empêche pas de peindre de nombreux chefs-d'œuvre pour des églises ou pour des princes.
L'activité de Caravage peut être divisée en quatre périodes : la première se déroule à Milan où, vers 1584, l'élève de Simone Peterzano subit l'influence des peintres giorgionesques de la terra ferma, Savoldo, Moretto, Lotto, Romanino, Foppa, et aussi des peintres de Crémone, Giulio et Antonio Campi.
La deuxième période concerne les premières années romaines, de 1591-1592 environ à 1599 : tableaux de jeunesse, clairs, comportant rarement plus de trois demi-figures ; lma troisième de 1599 à 1606, date de son départ de Rome, Caravage peint de nombreux tableaux pour les églises de la Ville éternelle ou pour des collectionneurs privés ; La quatrième, les quatre dernières années de sa vie (1606-1610) se passent entre Naples, l'île de Malte et la Sicile.
L'œuvre de Caravage, réalisé en une vingtaine d'années à peine, a subi une évolution remarquable.
Initiateur d'une forme de réalisme populiste qui mit un terme à l'esprit de la Renaissance, le Caravage fut combattu par ceux que scandalisaient ses audaces. Considéré comme l'un des pères de la peinture moderne, il laissa en héritage le caravagisme, qui exerce toujours la même fascination.
Son œuvre puissante et novatrice révolutionne la peinture du XVIIe siècle par son caractère naturaliste, son réalisme parfois brutal, son érotisme troublant et l'emploi appuyé de la technique du clair-obscur allant jusqu'au ténébrisme. Il connaît un véritable succès de son vivant, et influence nombre de grands peintres après lui, comme en témoigne l'apparition du courant du caravagisme.
Après le succès foudroyant du début des années 1600, Caravage entre dans une période difficile. En 1606, après de nombreux démêlés avec la justice des États pontificaux, il blesse mortellement son adversaire au cours d'un duel. Ses peintures jusqu'en 1610, l'année de sa mort, sont en partie destinées à racheter cette faute. Par ailleurs certains éléments biographiques portant sur ses mœurs sont aujourd'hui revus, car des recherches historiques récentes remettent en cause le portrait peu flatteur qui a longtemps été répété d'après des sources anciennes du xviie siècle sur lesquelles on ne peut plus se fonder désormais.
Après une longue période d'oubli critique, il faut attendre le début du xxe siècle pour que le génie de Caravage soit pleinement reconnu, indépendamment de sa réputation sulfureuse. Son succès populaire donne lieu à une multitude de romans et de films, à côté des expositions et des innombrables publications scientifiques qui, depuis un siècle, en renouvellent complètement l'image. Il est actuellement représenté dans les plus grands musées, malgré le nombre limité des peintures qui ont survécu. Toutefois certains tableaux que l'on découvre depuis un siècle posent encore des questions d'attribution.
Il décéde le 18 Juillet 1610, à l'âge de 38 ans, à Porto Ercole, Grossetto

Biographie

Jeunesse et formation

Michelangelo naît à MilanN, probablement le 29 septembre 1571. Ses parents qui se sont mariés en janvier de la même année sont Fermo, Fermo Merixio et Lucia Aratori Lutia de Oratoribus, originaires de Caravaggio, une petite ville de la région de Bergame. Francesco Ier Sforza de Caravage, marquis de Caravaggio — alors sous domination espagnole — est le témoin du mariage de ses parents. Il est baptisé le lendemain de sa naissance à la basilique Saint Stéphane le Majeur dans le quartier milanais où réside le maître de la fabbrica del duomo où travaille probablement le père de Michelangelo. Son parrain, d'après l'acte de baptême est le patricien milanais Francesco Sessa.
Son père exerce des fonctions qui sont différemment définies selon les sources : contremaître, maçon ou architecte ; mais il a le titre de magister, c'est-à-dire qu'il est l'architecte décorateur de Francesco Sforza.
Son grand-père maternel est un arpenteur reconnu et estimé. Ses deux familles paternelle et maternelle sont entièrement originaires de Caravaggio, appartiennent à la classe moyenne et sont honorablement reconnues : la femme de Francesco Sforza, Costanza Colonna utilise les services de plusieurs femmes de la famille Merisi pour servir de nourrices à ses enfants ; c'est une protectrice sur laquelle Caravage pourra compter à plusieurs reprises.
Il a deux frères et une sœur.
Le plus jeune de ses frères, Jean-Baptiste, deviendra prêtre et sera parfaitement informé de la Réforme catholique initiée à Milan par l'archevêque Charles Borromée et à Rome par le fondateur des Oratoriens, Philippe Neri.
Caravage restera pendant toute sa période romaine en accord étroit avec cette société des Oratoriens.

Apprentissage à Milan

La peste frappe Milan entre 1575 et 1577, et la famille Merisi quitte alors Milan pour Caravaggio, afin de fuir l'épidémie qui tue cependant le père et l'oncle du peintre. En 1584, la veuve et ses quatre enfants sont de retour dans la capitale lombarde où Michelangelo, âgé de treize ans, intègre l'atelier de Simone Peterzano, peintre de bonne notoriété, maniériste tardif de l'école vénitienne : le contrat d'apprentissage est signé par sa mère le 6 avril 1584, pour un peu plus de quarante écus d'or.
L'apprentissage du jeune peintre dure au moins quatre ans auprès de son maître, au contact des écoles lombarde, vénitienne et bolonaise.
Il y étudie les théories picturales de son temps, le dessin, les techniques de la peinture à l'huile et de la fresque, mais s'intéresse surtout au portrait ainsi qu'à la nature morte.
Les années d'apprentissage de Caravage, en particulier les années entre la signature de son contrat avec Peterzano en 1584 et l'année de son déménagement à Rome vers 1591-1592 restent peu connues ; en conséquence, retrouver des influences sur sa peinture est difficile.
D'après certaines sources, le jeune peintre abandonne Milan après quelques années pour rejoindre Venise et découvrir les grands maîtres de la couleur : Giorgione, le Titien et le Tintoret.
Cette hypothèse vénitienne n'est toutefois pas solidement étayée ; il est en revanche acquis que son maître Peterzano, qui se revendiquait élève de Titien avait bien séjourné à Venise et s'inscrivait pleinement dans cette école.

Une hypothèse alternative est avancée par l'historien de l'art italien Roberto Longhi: d'après lui, le développement du style de Caravage aurait été la conséquence de réflexions sur certains maîtres lombards, et plus précisément de la zone de Brescia: Foppa, Bergognone, Savoldo, Moretto et Il Romanino, que Longhi qualifie de pré-caravagistes.
L'influence de ces maîtres, à laquelle on peut ajouter celle d'Ambrogio Figino, aurait donné les bases de l'art de Caravage. Savoldo ou encore les frères Campi utilisent ainsi des techniques de contraste entre ombres et lumière, peut-être inspirées de la fresque vaticane en clair-obscur de Raphaël représentant saint Pierre en prison ; cet effet de contraste deviendra un élément central de l’œuvre de Caravage.
D'après Longhi, le principal maître de cette école serait Vincenzo Foppa, à l'origine de la révolution de la lumière et du naturalisme — opposé à une certaine majesté de la Renaissance — qui sont les éléments centraux des peintures de Caravage.

La période Romaine

La mise en place d'un répertoire personnel.

Il quitte l'atelier de Simone Peterzano et retourne à Caravaggio vers 1589, année de la mort de sa mère.
Il y reste jusqu'au partage de l'héritage familial, puis il part vers 1590-1591 ou 1592 pour Rome, cherchant à y faire carrière comme beaucoup d'artistes alors.
Rome est à cette époque une ville pontificale dynamique, animée par le Concile de Trente et la réforme catholique. Les chantiers y fleurissent et il y souffle un esprit baroque. Le pape Clément VIII est élu le 30 janvier 1592, succédant à Sixte Quint qui a beaucoup transformé la ville.
Les premières années dans la grande cité sont chaotiques et mal connues : cette période a, ultérieurement et sur des faits mal interprétés, forgé sa réputation d'homme violent et querelleur, souvent obligé de fuir les conséquences judiciaires de ses rixes et duels.
Il vit d'abord dans le dénuement, hébergé par un ami de la famille[réf. nécessaire], puis chez Mgr Pandolfo Pucci, pour qui il copie des images de dévotion, dont on n'a plus trace aujourd'hui.
D'après Mancini, c'est de cette époque que datent ses trois premiers tableaux destinés à la vente, dont seulement deux nous sont parvenus : "Jeune garçon mordu par un lézard" et "Garçon pelant un fruit", seules des copies subsistent de ce dernier.
Il copie aussi des tableaux religieux, envoyés à Recanati par Mgr Pucci et perdus ensuite.
Caravage entame des relations plus ou moins solides avec divers peintres locaux, d'abord à l'atelier du peintre sicilien Lorenzo Carli dit" Lorenzo Siciliano", né à Naso, près de Messine, auteur d’œuvres destinées aux parties les plus modestes du marché.
Il s'installe près de la piazza del Popolo[réf. nécessaire] et rencontre le peintre Prospero Orsi, l'architecte Onorio Longhi et le peintre sicilien Mario Minniti qui deviendront des amis et qui l'accompagneront dans sa réussite. Il fait également la connaissance de Fillide Melandroni, qui deviendra une célèbre courtisane à Rome et lui servira de modèle à maintes reprises.
Il entre ensuite dans un atelier de meilleur niveau, celui d'Antiveduto Grammatica, près de l'église San Giacomo in Augusta où il continue à peindre des copies pour les amateurs peu fortunés jusqu'à trois par jour.
Puis il travaille, dès juin 1593 et durant quelques mois, chez Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d'Arpin, peintre attitré du pape et artiste en vue qui confie à son apprenti la tâche de peindre des fleurs et des fruits dans son atelier.
Durant cette période, il est probablement aussi employé comme décorateur d’œuvres plus complexes, mais il n'existe aucun témoignage fiable. Une hypothèse, non vérifiable dans la documentation connue, est que Caravage pourrait avoir réalisé les décorations des festons de la chapelle Olgiati, dans la basilique Santa Prassede à Rome, dont le cavalier d’Arpin peignit les fresques. Giuseppe Cesari est à peine plus âgé que Caravage bien que chargé de commandes et, ayant été anobli, il deviendra ensuite le Cavalier d'Arpin.
Caravage aurait pu apprendre à son contact comment vendre son art et comment, pour d'éventuels collectionneurs et amateurs d'antiquités, mettre en place son répertoire personnel en exploitant ses connaissances de l'art lombard et vénitien. C'est la période du Jeune Bacchus malade, du Garçon avec un panier de fruits et du Bacchus : des figures à l'antique qui cherchent à capter le regard du spectateur et où la nature-morte, depuis peu mise à l'honneur, témoigne du savoir-faire du peintre avec une extrême précision dans les détails. Semés de références à la littérature classique, ces premiers tableaux sont bientôt à la mode, comme en témoignent de nombreuses copies anciennes de grande qualité.
Plusieurs historiens évoquent un voyage à Venise pour expliquer certaines influences typiquement vénitiennes, notamment pour Le Repos pendant la fuite en Égypte, mais ceci n'a jamais été établi avec certitude. Il semble peu apprécier à cette époque la référence à l'art de Raphaël ou à l'Antiquité romaine, ce qui, pour les artistes du XVIIe siècle, renvoie essentiellement à la sculpture romaine mais il ne les ignore jamais.
Sa Madeleine repentante témoigne ainsi de la survivance d'une figure allégorique antique mais avec une vue en légère plongée qui renforce l'impression d'abaissement de la pécheresse. Ce serait la première figure entière du peintre.
À la suite d'une maladie ou d'une blessure, il est hospitalisé à l’hôpital de la Consolation. Sa collaboration avec Cesari prend fin brutalement, pour des raisons mal identifiées.
Pendant cette période le peintre Federigo Zuccaro, protégé du cardinal Frédéric Borromée, transforme la confrérie des peintres en une académie en 1593.
Ceci a pour but d'élever le niveau social des peintres en invoquant la valeur intellectuelle de leur travail. Caravage apparaît sur une liste des premiers participants
.
Les succès romains.

L'amitié avec le cardinal Del Monte.
Pour survivre, Caravage contacte des marchands afin de vendre ses tableaux. Il fait ainsi la connaissance de Constantino Spata dans sa boutique près de l'église Saint-Louis-des-Français.
Celui-ci le met en relation avec son ami Prospero Orsi.
Prospero Orsi, également connu sous le nom de Prospero delle Grottesche qui participe avec Caravage aux premières rencontres de l'académie de Saint-Luc à Rome devient donc son ami. Il l'aide à trouver un logement indépendant et lui fait rencontrer ses connaissances bien placées.
Son beau-frère commande trois peintures : Madeleine repentante, Le Repos pendant la fuite en Égypte et La Diseuse de bonne aventure, 1594, première version, musée du Louvre.
Ce dernier tableau soulève l'enthousiasme du cardinal Francesco Maria Del Monte, homme de très grande culture, passionné d'art et de musique qui, enchanté par cette peinture en commande bientôt une seconde version, celle de 159, à voir aux musées du Capitole.
Le cardinal avait auparavant commencé par une première acquisition : le tableau des Tricheurs. Le jeune lombard entre alors au service du cardinal pour presque trois ans dans le palais Madame à partir de 1597.
Le cardinal y a été installé par son grand ami Ferdinand Ier de Médicis en tant que diplomate au service du Grand-duché de Toscane auprès du pape. D'après Bellori, en 1672, Del Monte offre à l'artiste un très bon statut, allant jusqu'à lui donner une place honorable parmi les gentilshommes dans la maison.
Grâce aux commissions et aux conseils de l'influent prélat, Caravage change donc son style, abandonnant les toiles de petit format et les portraits individuels pour commencer une période de réalisations d’œuvres complexes avec des groupes de plusieurs personnages profondément impliqués dans une action, souvent à mi-corps mais aussi, parfois, en pied.
Le cardinal achète plusieurs peintures qui correspondent à ses propres goûts : Les Musiciens et Le Joueur de luth avec des scènes où s'accentue la proximité avec le spectateur, jusqu'à La Diseuse de bonne aventure et Les Tricheurs où le spectateur devient quasiment un complice de l'action représentée.
En quelques années, sa réputation grandit de manière phénoménale.
Caravage devient un modèle pour une génération entière de peintres qui vont s'inspirer de son style et de ses thèmes.
Le cardinal Del Monte, membre du collège des cardinaux qui surveille le chantier de Saint Pierre, suit aussi d'autres commandes semblables dans les églises romaines. Grâce à lui, Caravage se voit confier des commandes importantes à partir de 1599, notamment pour le clergé : La Vocation et Le Martyre de saint Matthieu pour la chapelle Contarelli de l'église Saint-Louis-des-Français, La Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas et Le Crucifiement de saint Pierre pour la chapelle Cerasi à Santa Maria del Popolo. Des sources anciennes font état de peintures refusées ; néanmoins, cette question a été récemment revue et corrigée, prouvant que les tableaux de Caravage rencontrent au contraire un réel succès.
Cela concerne la première version de La Conversion de saint Paul, Saint Matthieu et l'Ange (1602) ou plus tard la Mort de la Vierge (1606).
Ces tableaux trouvent de nombreux acquéreurs, et parmi les plus notables le marquis Vincenzo Giustiniani et le duc de Mantoue, riches amateurs d'art.
Les œuvres pour la chapelle Contarelli font sensation lors de leur dévoilement. Le style novateur de Caravaggio attire l'attention par sa manière de traiter les thèmes religieux et par extension ceux de la peinture d'histoire en s'aidant de modèles vivants.
Il transpose ses modèles lombards dans des compositions qui se mesurent aux grands noms du moment : Raphaël et Giuseppe Cesari, futur Cavalier d'Arpin.
Dans cette rupture, toute relative, avec les idéaux classiques de la Renaissance, et avec des références érudites prodiguées sans restriction par le cardinal Del Monte et son cercle, il humanise ainsi le divin et le rapproche du commun des croyants.
Il remporte un succès immédiat, dès la première version du Saint Matthieu et l'Ange et étend considérablement son influence auprès des autres peintres, surtout grâce à la scène de La Vocation de saint Matthieu.
Ce tableau génère ensuite une profusion d'imitations plus ou moins heureuses, toujours avec plusieurs personnages en train de boire et manger tandis que d'autres jouent de la musique, le tout dans une atmosphère ténébreuse entrecoupée de zones de lumière vives.
Les années qu'il passe à Rome sous la protection du cardinal ne sont toutefois pas exemptes de difficultés.
Il est toujours aussi bagarreur et violent et connaît plusieurs séjours en prison, comme un grand nombre de ses contemporains, les affaires d'honneur se réglant souvent au début du XVIIe siècle par un duel.
D'ailleurs il s'est fait plusieurs ennemis qui contestent sa manière de concevoir le métier d'artiste peintre, notamment le peintre Giovanni Baglione, virulent détracteur qui s'en prend souvent à lui, et qui contribue largement à ternir la réputation personnelle de l'artiste dans son ouvrage Le vite de' "pittori, scultori et architetti dal pontificato di Gregorio XIII del 1572 in fino a tempi di Papa Urbano VIII nel 1642".
Entre-temps, il peint une grande partie de ses tableaux les plus réputés et connaît un succès et une célébrité croissants à travers toute l'Italie : les commandes affluent, même si certaines toiles sont parfois refusées en raison de rumeurs médisantes, une prostituée aurait ainsi posé pour incarner Marie dans La Mort de la Vierge ou lorsque Scipion Borghese veut s'approprier un tableau :" La Madone des palefreniers".
Les œuvres sont nombreuses, il réalise plusieurs toiles par an et semble peindre directement sur la toile, d'un trait ferme et en modulant moins les passages. Néanmoins, il est maintenant probable qu'il ait réalisé des études, bien qu'aucun dessin n'ait été conservé.
En 1599, sa fameuse Tête de Méduse, peinte pour le cardinal del Monte est son premier travail sur le thème de la décapitation qui va se retrouver plusieurs fois dans son œuvre. Parmi les autres œuvres, on peut citer Sainte Catherine d'Alexandrie, Marthe et Marie-Madeleine, la Conversion de Marie-Madeleine et Judith décapitant Holopherne.
Son tableau La Mise au tombeau, peint vers 1603-1604 comme tableau d'autel pour l'église Santa Maria in Vallicella, entièrement reprise sous l'impulsion de Philippe Néri, constitue une de ses œuvres les plus abouties.
Elle est ultérieurement copiée par plusieurs peintres, dont Rubens lui-même.

Vincenzo Giustiniani et les autres commanditaires privés

Le très puissant banquier Vincenzo Giustiniani, voisin du cardinal del Monte, fait l'acquisition du Joueur de luth ; ce tableau rencontre un tel succès que le cardinal en demande une copie.
Par la suite, Giustiniani passe une série d’autres commandes pour embellir sa galerie de peintures et sculptures, ainsi que pour faire valoir sa culture savante.
C'est ainsi qu'est commandé le tableau représentant L'Amour victorieux, chargé de symboles discrètement imbriqués avec le minimum d'accessoires significatifs.
Un autre nu célèbre est destiné au collectionneur Ciriaco Mattei. Celui-ci, qui possède une fontaine ornée de jeunes garçons dans une position assise bien particulière, passe commande à Caravage d'un tableau inspiré de cette base, et qui devient le Jeune saint Jean-Baptiste au bélier. Ici le peintre se confronte aux ignudi du plafond de la chapelle Sixtine et à Annibal Carrache qui vient de peindre à Rome ce même sujet.


Le crime, et comment purger sa peine en peintre, 1606-1610

Les dernières années romaines

Pendant ses années romaines ce peintre, qui se sait artiste d'exception, voit son caractère évoluer, dans un milieu où le port de l'épée est signe d'ancienne noblesse et alors qu'il fait partie de cette noble maisonnée du cardinal Del Monte, le succès lui monte à la tête.
Cette épée que l'on voit dès 1600 dans La Vocation de saint Matthieu et dans Le Martyre de saint Matthieu, qui semble faire partie du décor naturel de cette époque, va faire de lui un de ces nombreux criminels, pour crime d'honneur, qui demandaient grâce au souverain pontife et souvent l'obtenaient.
Cela commence, en 1600, par des mots. Le 19 novembre 1600, il s'en prend à un étudiant, Girolamo Spampa, pour avoir critiqué ses œuvres.
Dans l'autre sens Giovanni Baglione, ennemi déclaré et rival de Caravage, le poursuit pour diffamation. En 1600 il est également plusieurs fois emprisonné pour avoir porté l'épée et il commet deux agressions — deux affaires classées sans suite.
Par contre, son ami et alter ego, Onorio Longhi, a subi des mois d'interrogatoires pour toute une série de délits et le premier biographe du peintre, Carel van Manda, semble avoir confondu les deux hommes, ce qui a eu ensuite pour conséquence de donner de Caravage l'image d'un homme qui provoque des troubles à l'ordre public partout où il se trouve.
En 1605, le pape Clément VIII meurt et son successeur Léon XI ne lui survit que de quelques semaines. Cette double vacance rallume les rivalités entre prélats francophiles et hispanophiles, dont les partisans s'affrontent de plus en plus ouvertement.
Le conclave frôle le schisme, grâce à une solution politique, avant d'élire le francophile Camillo Borghèse comme nouveau pape sous le nom de Paul V. Son neveu Scipion Borghèse est un bon client du Caravage et le nouveau pape commande son portrait au peintre, maintenant bien connu des plus hauts dignitaires de l'église.
La Caravage, qui vit tout près du Palais Borghèse dans un logement misérable de la ruelle dei Santi Cecilia e Biagio, aujourd'hui vicolo del Divino Amore, passe souvent ses soirées à traîner dans les tavernes avec ses compagnons tous des effrontés, des spadassins et des peintres.
Le plus grave se produit le 28 mai 1606, au cours des fêtes de rue, la veille de l'anniversaire de l'élection du pape Paul V. Ces fêtes sont l'occasion de nombreuses bagarres dans la ville. Dans l'une d'entre elles quatre hommes armés s'affrontent, Le Caravage a pour partenaire Onorio Longhi, il tue en duel Ranuccio Tomassoni, un chef de la milice arrogant et hispanophile qui, en vérité, semait la terreur dans son quartier.
Le Caravage avaient avec lui des rancunes politiques.

La fuite hors de Rome.

Ce meurtre d'un fils d'une puissante et violente famille, liée aux Farnèse de Parme, vaut au Caravage une condamnation à mort, et il est obligé de fuir Rome.
Commence ensuite un long périple de quatre années à travers l'Italie, Naples, Sicile, Syracuse, Messine jusqu'à Malte.
Cependant, Romain d'âme et de cœur, il s'efforcera d'y revenir tout le long de sa vie – mais sans succès de son vivant malgré un pardon pontifical que son travail de même que ses amis et protecteurs réussiront à obtenir.
Il se rend d'abord à Naples, une terre espagnole, où la famille Colonna l'héberge, dans la région du mont Albain. Il continue de peindre des tableaux qui lui rapportent de belles sommes d'argent, dont le retable Les Sept Œuvres de miséricorde, pour l'église de la congrégation du Pio Monte della Misericordia à Naples, et La Flagellation du Christ, qui aura un grand succès.
En juillet 1607, il quitte Naples, où il avait séjourné quelques mois, et s'installe à Malte, souhaitant être adoubé au sein de l'ordre des Chevaliers de Malte.
Il était courant d'être nommé chevalier après d'importantes commandes pour le pape. Et cet engagement militaire contre la menace turque pouvait remplacer une sanction pénale. Il est donc présenté au grand maître, Alof de Wignacourt, dont il peint le portrait.
Il produit également plusieurs tableaux, dont la Décollation de saint Jean-Baptiste, monumental tableau d'autel exceptionnellement horizontal, réalisé in situ dans la co-cathédrale Saint-Jean de La Valette et une nouvelle Flagellation, commandés par le clergé local.
En juillet 1608, il est fait Chevalier de grâce de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Mais sa consécration ne dure pas, dans la nuit du 19 août 1608, il est le protagoniste d'une nouvelle affaire de violence.
Au cours d'une rixe, Le Caravage se mêle à un groupe qui tente de pénétrer de force dans la maison de l'organiste de la cathédrale. Jeté en prison, il s'en échappe par une corde et quitte Malte. Il est en conséquence radié de l'ordre, mais aurait probablement bénéficié d'une forme de clémence s'il avait attendu, cependant en une année il avait accumulé de nombreuses et profondes rancœurs avec quelques familles maltaises qui étaient convaincues de son homosexualité ce qui à Malte était une faute punie de mort.
Caravage débarque alors à Syracuse, en Sicile. La présence de son ami Mario Minniti n'étant pas attestée, on suppose l'influence d'une autre connaissance du peintre, le mathématicien et humaniste Vincenzo Mirabella, dans la commande de L'Enterrement de sainte Lucie.
Caravage répond en effet à plusieurs commandes pour les grandes familles et pour le clergé, notamment deux retables, La Résurrection de Lazare et cet Enterrement de sainte Lucie où se retrouve chaque fois, avec la plus explicite détermination, l'effet spectaculaire d'un vaste espace de peinture laissé vide comme dans La décollation de saint Jean-Baptiste.
Ensuite un document signale sa présence le 10 juin 1609 à Messine et il peint alors L'Adoration des bergers et une Nativité avec saint Laurent et saint François. Ces tableaux ne sont nullement peints à la hâte, comme on l'a cru autrefois, mais avec une nouvelle facture plus fluide qu'auparavant, et là aussi avec de nouvelles solutions dans l'utilisation spectaculaire de l'espace pictural.
Avec l'appui de ses protecteurs et en peignant ces tableaux toujours inspirés par ses commanditaires profondément religieux et empreints d'une sincère humanité, il s'emploie à obtenir la grâce du pape et pouvoir rentrer à Rome.
En octobre 1609, il retourne à Naples, où il est grièvement blessé dès son arrivée dans une nouvelle bagarre, par plusieurs hommes qui l'attaquent et le laissent pour mort : la nouvelle de sa mort remonte jusqu'à Rome, mais il survit et peint encore, sur des commandes, plusieurs tableaux comme Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste, Le Reniement de saint Pierre, un nouveau Saint Jean-Baptiste, un David et Goliath particulièrement sombre — il se représente dans le visage de Goliath — et Le Martyre de sainte Ursule qui est sans doute sa toute dernière toile.
Une rumeur affirme néanmoins qu'il aurait achevé alors une série de trois œuvres[réf. nécessaire]. La première est la Méduse, la créature mythologique, peinte en 1598 sur un support de bois, un tondo et achevée en 1609 ; la seconde est un portrait sur toile de Marie-Madeleine (1598-1609) ; et la troisième une toile dont le nom même nous est inconnu, serait son " Grand-Œuvre".

Une fin énigmatique

À partir de là les évènements restent en grande partie énigmatiques. En juillet 1610, il apprend que le pape, grâce à l'entremise de Scipion Borghese, est enfin disposé à lui accorder sa grâce s'il demande son pardon. Voulant brusquer le destin et muni d'un sauf-conduit du cardinal Gonzague, il s'embarque alors pour se rapprocher de Rome, sur une felouque qui fait la liaison avec Porto Ercole, frazione de Monte Argentario, une enclave espagnole, emportant avec lui trois tableaux destinés au cardinal Borgheses dont la Méduse, un tableau qu'il tenait à restaurer.
Lors de l'escale à Palo — une petite baie naturelle hébergeant alors une garnison au sud de Civitavecchia —, descendu à terre, il est arrêté par erreur ou malveillance et jeté en prison pendant deux jours. Relâché, il ne trouva plus son bateau, qui ne l'a pas attendu, avec ses tableaux à bord.

Désespéré, il rejoint à pied Porto Ercole à cent kilomètres. La légende dit que, dépité, perdu et fiévreux, il marcha sur la plage en plein soleil où il finit par mourir quelques jours plus tard, le 18 juillet 1610, à l'âge de 38 ans.

En fait, son certificat de décès, retrouvé en 2001 dans le registre des décès de la paroisse de Saint-Érasme de Porto Ercole, signale qu'il est mort à l'hôpital de Sainte-Marie-Auxiliatrice, des suites d'une maladie, a priori le paludisme.
Il n'aura pas su que le pape Paul V, cédant à ses amis et protecteurs, avait finalement apposé son sceau sur l'acte de grâce.
La légende dit qu'il finit aussi misérable qu'il avait vécu et que personne ne songea à demander sa dépouille, ni ne lui fit élever un catafalque, comme cela se pratiquait pour certains artistes.
En 2010, les restes de Caravage ont, peut-être, été retrouvés dans l'ossuaire d'une église de Porto Ercole et identifiés grâce à des analyses au carbone 14 avec une probabilité de 85 %.
Atteint d'une intoxication chronique au plomb, le peintre serait mort d'un état de faiblesse général et d'un coup de chaleur.

L'Œuvre

La place des sujets qui évoquent la vanité des choses ou qui mettent en garde contre le mensonge des apparences, le grand nombre de peintures religieuses et leur intensité spirituelle, les références aux modèles antiques tout autant qu'à l'expérience du réel, sont bien visibles lorsqu'on a sous les yeux la liste des peintures de Caravage actuellement conservées, ce qui permet de mieux appréhender cet œuvre et son évolution dans le temps de la vie du peintre.

La rançon de la gloire

L'œuvre de Caravage soulève les passions dès son apparition. Elle est très rapidement recherchée par les meilleurs connaisseurs et collectionneurs.
La première version du Saint Matthieu et l'Ange est installée provisoirement en mai 1599 sur l'autel de Saint-Louis-des-Français, avant que Vincenzo Giustiniani ne l'intègre à sa collection.
Le tableau qui correspond parfaitement aux indications mentionnées dans le contrat fait aussi référence dans la figure androgyne de l'Ange à des œuvres lombardes qu'il connaissait et à un tableau du Giuseppe Cesari, Cavalier d'Arpin de 1597, que le milieu romain avait pu admirer deux ans auparavant. Le tableau remporte un succès immédiat. Il tient provisoirement la place d'une sculpture qui n'avait pas encore été réalisée.
Lorsque celle-ci prend enfin sa place sur l'autel de Saint-Louis-des-Français, elle ne plaît à personne. Elle est retirée et une partie de la somme retenue sur les honoraires du sculpteur sert à payer Caravage pour le tableau définitif. Dans le nouveau contrat, le peintre est qualifié de Magnificus Dominus, d'illustre maître
En revanche Giovanni Baglione, un des premiers biographes de Caravage mais aussi son ennemi déclaré, fait mine de confondre la sculpture et la peinture.
Il prétend que la peinture de la première version du Saint Matthieu et l'Ange a déplu à tout le monde. Or comme cette biographie a servi de référence pendant des siècles, elle fut d'une redoutable efficacité.
Des recherches approfondies menées au cours des dernières décennies ont mis au jour des documents qui ont fait éclater la vérité.
Les recherches poursuivies récemment par les plus grands spécialistes remettent en perspective les allégations tendant à disqualifier Caravage et sa peinture, selon une tradition qui remonte à ses contemporains et à son ennemi le plus direct au xviie siècle, Baglione. Ces textes anciens doivent être confrontés aux documents d'époque retrouvés dans les archives.
Arnauld Brejon de Lavergnée55 relève dans la méthode de Sybille Ebert-Schifferer l’analyse serrée des sources : Van Mander, Giulio Mancini, Baglione et Bellori. Et il poursuit en remarquant qu’une telle analyse met en question le cliché le plus répandu concernant Caravage. Celui-ci provient d'un texte de Van Mander, publié en 1604, qui fait du peintre un homme toujours prêt à se battre et à provoquer des troubles.
Or l'étude des rapports de police de l'époque laisse supposer que Van Mander a été mal informé et qu'il a pris pour Caravage ce qui était reproché à son ami et alter ego, Onorio Longhi, qui, à la fin de l'année 1600, a bien subi trois mois d'interrogatoires pour toute une série de délits.
Nous savons aujourd'hui que les deux plaintes dont Caravage a fait l'objet ont été classées sans suite. Le fait de porter l'épée lui a été reproché mais s'explique aujourd'hui en replaçant l'artiste dans son contexte social.
Les auteurs hollandais Van Mander et Van Dijck, qui relèvent le fait, s'en étonnent car ils sont étrangers. Mais l'œuvre a été aussi discréditée que le peintre, et curieusement en raison même de son succès.
La peinture la plus célèbre de Caravage au Louvre, La mort de la Vierge, en a fait les frais : le bruit continue de circuler que le tableau aurait déplu aux moines en raison des pieds nus et du corps trop humain de la Vierge.
Mais nous savons aujourd'hui que la réalité est tout autre.
Le tableau a bien été retiré, mais il a d'abord été accroché et apprécié pour de multiples raisons.
Le tableau a même été reçu par le commanditaire, payé par lui et est resté en place sur l'autel un certain temps. Il n'a donc pas déplu aux Carmes déchaussés comme cela a été dit et répété.
Ceux-ci ne voyaient rien à redire aux pieds nus et à la pauvreté des premiers chrétiens que l'on voit sur la toile. Ces moines cherchaient à imiter la vie de ces chrétiens qui leur servaient de modèles, comme ils cherchaient à imiter la vie de Jésus.
Ils avaient fait vœu d'aller pieds nus dans de simples sandales, suivant en cela l'esprit de la Réforme catholique. La Vierge apparait simplement vêtue dans le tableau, avec le corps d'une femme ordinaire, plus très jeune - ce qui est correct - ni plus très svelte, ce qui était acceptable. Et le tableau qui est admirablement peint se conforme, même dans le détail, aux indications de Charles Borromée pour le geste de Marie-Madeleine qui se cache le visage, avec un naturel profondément émouvant pour tout spectateur du tableau.
Or le bruit a couru à l’époque de l’accrochage que c'était une prostituée qui avait posé pour la Vierge. Celui ou ceux qui ont fait courir ce bruit avaient tout intérêt à ce qu'on retire le tableau de l'église.
Deux collectionneurs entreprenants se présentèrent alors pour acheter l'œuvre dès qu'elle fut décrochéeN. Cette manœuvre habile ne signifie donc pas que le tableau était scandaleux ou révolutionnaire ; elle souligne bien au contraire la nouveauté du travail de l'artiste.
Il était presque inévitable que Caravage, comme tout autre peintre à Rome, prît une courtisane comme modèle dans toutes les toiles présentant des figures féminines de manière naturaliste, car il était interdit aux Romaines honorables de poser.
La grande majorité des peintres du XVIe siècle qui pratiquaient l'imitation de la nature, avec une idéalisation plus ou moins prononcée, utilisaient des sculptures antiques comme modèles. Caravage se devait de typer le modèle naturel, comme l'avaient fait ses prédécesseurs, Antonio Campi, par exemple afin que celui-ci ne pût être identifié.

Une méthode à succès

À ses débuts, Caravage peint des scènes de genre avec des personnages ayant l’apparence du naturel, à mi-corps sur fond lumineux.
Cette solution sera reprise par une multitude de peintres, dont les caravagesques, en raison du succès des tableaux, des variantes réalisées ensuite pour les collectionneurs et en raison de leur prix, aussi.
Avec le temps, et surtout dès que les scènes religieuses deviennent très majoritaires, après les grandes toiles de Saint-Louis-des-Français les arrière-plans de ses tableaux s'assombrissent jusqu'à devenir une grande surface d'ombre qui contraste violemment avec les personnages touchés par la lumière. Dans la plupart des cas le rayon de lumière pénètre dans l'espace représenté sur un plan qui coïncide avec le plan du tableau, selon un axe oblique venant d'en haut depuis la gauche. Les personnages sont souvent mis en scène de manière inusitée pour l'époque : certains personnages regardent le spectateur, tandis que d'autres lui tournent le dos.
Ces pratiques accentuent l'impact dramatique du tableau et l'émotion qu'il suscite. En effet le projet d'intégrer le spectateur à la scène représentée ou de l'y faire participer permet de l'émouvoir de la manière la plus intense.
C'est cette cohérence de tous les moyens et des objectifs poursuivis dont le spectateur n'a pas nécessairement conscience qui font l'efficacité et la séduction des tableaux de Caravage. Chacune de ces solutions n’était pas une découverte, car Caravage se référait à ses sources lombardes.
Mais l’assemblage de toutes ces solutions n’avait jamais été vu.
Là encore les quelques proches de Caravage et les très nombreux suiveurs s’emparèrent de ce qu’ils parvenaient à percevoir et que l’on réduisit sous l’appellation de Manfrediana methodus, c'est-à-dire la méthode de Manfredi, un peintre dont la vie est peu documentée et qui a pu être le serviteur de Caravage pendant une partie de la période romaine.
Il faut attendre le début du xxe siècle pour que soient reconnues l'importance de l’œuvre de Caravage et l’étendue de son influence sur les arts visuels des siècles qui suivirent. De nombreux peintres comme La Tour, Vélasquez, Rubens ou Rembrandt, furent inspirés, de manière directe ou indirecte, par les peintures de Caravage.
Richelet se réclame aussi de lui pour certaines de ses œuvres provocantes à la sexualité exacerbée.
Aujourd'hui encore, la pratique du clair-obscur contrasté utilisée par Caravage est largement reprise dans l'art contemporain, notamment en photographie par des artistes comme Sally Mann, Robert Mapplethorpe, Joel-Peter Witkin et bien d’autres.

La Contre-Réforme et les milieux ecclésiastiques

Les biographes de Caravage évoquent toujours les rapports étroits entre le peintre et le mouvement de la Réforme catholique, réduite à une réaction par l'expression Contre-Réforme.
Le début de l'apprentissage du peintre coïncide ainsi avec la disparition d'une figure majeure de cette Réforme : Charles Borromée, qui, parallèlement au gouvernement espagnol, exerçait au nom de l'Église l'autorité juridique et morale sur la ville de Milan.
Le jeune artiste y découvrait le rôle essentiel des commanditaires, à l'initiative de presque toute peinture à cette époque, et le contrôle exercé par l'autorité religieuse sur le traitement des images à destination du public.
Cet archevêque de Milan avait été l'un des rédacteurs du Concile de Trente et il s'efforça de le mettre en pratique en ravivant l'action du clergé auprès des catholiques, en incitant les plus aisés à s'engager dans des confréries au secours des plus pauvres et des prostituées. Frédéric Borromée, cousin de Charles et archevêque de Milan depuis 1595, poursuivit cette œuvre et les liens étroits avec saint Philippe Neri, mort en 1595 et canonisé en 1622.
Fondateur de la Congrégation des Oratoriens, il souhaitait renouer avec la dévotion des premiers chrétiens, leur vie simple et il accordait un grand rôle à la musique. L'entourage de Caravage, ses frères et Costanza Colonna qui protégeait sa famille, pratiquaient leur foi dans l'esprit des Oratoriens et des Exercices spirituels d'Ignace de Loyola afin d'intégrer les mystères de la foi à leur vie quotidienne.
Les scènes religieuses de Caravage sont imprégnées de cette simplicité, mettant en scène des pauvres, avec leurs pieds sales, les apôtres allant pieds nus et la fusion des costumes antiques les plus modestes et des vêtements contemporains les plus simples participe de l'intégration de la foi à la vie quotidienne.
En l'année sainte 1600, les pèlerins vers la maison de la Vierge à Lorette arrivaient en loques et une grande partie de la noblesse s'était relayée pour les accueillir et leur laver les pieds ; leur pauvreté, conséquence de leur piété, étant considérée comme sacrée.
L'autre moment essentiel pour Caravage, à Rome de 1597 à janvier 1602, il a entre 26 et 31 ans, le place en tant que membre de la maison du cardinal Francesco Maria del Monte. Caravage est alors sous la protection du cardinal, tout en ayant droit de travailler pour d'autres commanditaires, avec l'assentiment de son protecteur et patron.
Cet homme pieux, membre de l'ancienne noblesse, était aussi modeste, portant des vêtements parfois usés, mais c'était l'une des personnalités les plus cultivées de Rome.
Il était passionné de musique, formait des artistes et effectuait lui-même des expériences scientifiques, en particulier en optique, avec son frère, Guidobaldo, qui publia en 1600 un ouvrage fondamental sur ce sujet.
Dans ce milieu Caravage trouvera les modèles de ses instruments de musique et les sujets de certains tableaux, avec les détails érudits qui en faisaient tout le charme pour les clients, il apprendra à jouer de la guitare baroque populaire et trouvera une stimulation intellectuelle pour porter son attention aux effets et au sens de la lumière et des ombres portées.
Le cardinal était coprotecteur de l'académie de Saint-Luc de Rome et membre de la Fabbrica di San Pietro, clé de toute commande pour Saint Pierre de Rome et de toutes les affaires liées à des commandes en souffrance. Del Monte, collectionneur des premières œuvres de Caravage, recommanda alors le jeune artiste, lui assurant une commande de ce type, l'ensemble de la chapelle Contarelli à Saint-Louis-des-Français.
Les us et coutumes de l'ancienne noblesse, comme l'autorisation de porter l'épée qui s'étendait à leur maisonnée, et, pour beaucoup, l'attachement aux codes de l'honneur permettant de faire usage de leur épée, leur dédain du faste mais aussi le goût pour les collections et la culture, jusqu'à l'usage de l'érudition en peinture, un réseau d'amitié dans ces cercles ecclésiastiques et leurs proches, le voisin de Del Monte était le banquier génois Vincenzo Giustiniani, commanditaire et collectionneur de Caravage : Caravage a hérité de tout cela lors de son passage dans la maison du cardinal.

La lumière et l’obscurité

L'une des caractéristiques de la peinture de Caravage, un peu avant 1600, est son usage très novateur du clair-obscur, chiaroscuro où les gradations attendues des parties éclairées jusqu'à l'ombre sont violemment contrastées.
Une grande partie du tableau étant plongée dans l'ombre, la question de la représentation en profondeur de l'architecture et du décor est évacuée au profit de l'irruption des figures dans un puissant effet de relief, volontairement quasi sculptural, qui semble surgir hors du plan du tableau, dans l'espace du spectateur.
Cet usage de la lumière et de l'ombre devenu un effet de style ultérieurement dans la peinture occidentale caractérise le ténébrisme.
Dans la plupart des tableaux de Caravage, les personnages principaux de ses scènes ou de ses portraits sont placés dans une pièce sombre, un extérieur nocturne ou simplement dans un noir d’encre sans décor.
Une lumière puissante et crue provenant d’un point surélevé au-dessus du tableau, ou venant de la gauche, et parfois sous forme de plusieurs sources naturelles et artificielles, à partir de 1606-1607 découpe les personnages à la manière d’un ou plusieurs projecteurs sur une scène de théâtre.
Le cœur de la scène est particulièrement éclairé, et les contrastes saisissants ainsi produits confèrent une atmosphère dramatique et souvent mystique au tableau.
Car la lumière dans le contexte culturel de la Contre-Réforme est à l'image de la Lumière divine, ce qui donne une valeur symbolique tant à la lumière, naturelle ou artificielle, qu'aux ténèbres.
Dans Le Martyre de saint Matthieu de 1599/1600, la lumière naturelle traverse le tableau pour se déverser à flot en son centre, sur le corps blanc de l’assassin et sur les tenues claires du saint martyr et du jeune garçon terrifié, contrastant avec les vêtements sombres des témoins disposés dans l’obscurité de ce qui semble être le chœur d’une église.
Le saint écarte les bras comme pour accueillir la lumière et le martyre ; ainsi l’exécuteur, ne portant qu’un voile blanc autour de la taille, semble un ange descendu du ciel dans la lumière divine pour accomplir le dessein de Dieu — plutôt qu’un assassin guidé par la main du démon.
Comme dans La Vocation de saint Matthieu, les protagonistes ne sont pas identifiables au premier coup d'œil, mais l'obscurité crée un espace indéterminé dans lequel le puissant effet de présence des corps violemment éclairés, peints à l'échelle naturelle avec pour certains des costumes contemporains, invite le spectateur à revivre émotionnellement le martyre du saint.
Ajoutés aux contrastes de lumière et d'ombre, la sensualité du corps de l’assassin et les mouvements dramatiques des témoins horrifiés donnent vie au tableau : on a le sentiment que le temps n’est suspendu qu’un instant, que la scène se passe devant nos yeux et que le temps d’un clignement d’œil tout se remettra en mouvement.

Ces contrastes de lumière et d'ombre omniprésents dans l’œuvre de Caravage seront souvent critiqués pour leur caractère extrême considéré comme abusif.
Stendhal les décrit en ces termes :
Le Caravage, poussé par son caractère querelleur et sombre, s'adonna à représenter les objets avec très peu de lumière en chargeant terriblement les ombres, il semble que les figures habitent dans une prison éclairée par peu de lumière qui vient d'en haut.
— Stendhal, Écoles italiennes de peinture, Le Divan 1923.
Malgré les critiques, les jeux de lumières puissamment contrastés, le ténébrisme, seront repris et adaptés par de nombreux peintres, comme Georges de La Tour, Rembrandt et beaucoup d’autres.
De nos jours, le ténébrisme est souvent utilisé dans le cinéma et la photographie, notamment en noir et blanc : citons des cinéastes comme Orson Welles ou des photographes comme Sally Mann ou Robert Mapplethorpe.
En osant jouer sur la lumière pour accentuer le sens d'un tableau au détriment d'un certain réalisme de situation et de certaines conventions lourdement implantées — tout en insistant sur le réalisme de l'exécution — l'œuvre de Caravage a donné une grande impulsion à la peinture.


Cliquez pour la suite -->http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=3424#forumpost3424


Posté le : 28/09/2013 22:11

Edité par Loriane sur 30-09-2013 19:34:25
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Le Caravage
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57687
Hors Ligne
Le Caravage suite

Le naturalisme

Pour de nombreux auteurs spécialistes de cette période, les deux termes de réalisme et de naturalisme peuvent être utilisés sans distinction pour qualifier la peinture de Caravage.
Mais en restant au plus près de l'usage de l'époque, « naturalisme » semble plus précis, et évite toute confusion avec le réalisme de certaines peintures du xixe siècle, telles celles de Courbet, qui possédaient une dimension politique et sociale affirmée.
Ainsi, dans sa préface au Dossier Caravage d'André Berne-Joffroy, Arnault Brejon de Lavergnée évoque le naturalisme de Caravage et il emploie cette phrase explicite à propos des premières peintures : Caravage traite certains sujets comme des tranches de vie.
Afin de préciser cette idée, il cite Mia Cinotti à propos du Jeune Bacchus malade 1593 qui a été perçu comme étant d'un réalisme intégral et direct ... une restitution cinématographique, par Roberto Longhi, et comme une réalité "autre", forme sensible d'une recherche spirituelle personnelle accordée aux courants spécifiques de la pensée et du savoir de l'époque, par Lionello Venturi.
L'art de Caravage repose autant sur l'étude de la nature que sur le travail des grands maîtres du passé.
Mina Gregori signale les références au Torse du Belvédère pour le Christ du Couronnement d'épines vers 1604-1605 et à une statue antique pour La Madone des pèlerins 1604-1605.
Bien qu'il pratique la restitution mimétique et détaillée des formes et des matières observables dans la nature, il ne manque pas de laisser des indices soulignant le caractère artificiel de ses tableaux.
Il le fait en introduisant des citations bien identifiées et des poses reconnaissables par les initiés. Dans les œuvres tardives, le travail du pinceau bien visible vient contrecarrer l'illusion mimétique.


Les figures juste derrière le plan du tableau

Dans le cas des tableaux de jeunesse Marie Madeleine repentante 1594 et Le Repos pendant la fuite en Égypte 1594, les figures sont situées légèrement à distance du plan de la toile.
Mais dans la plupart des cas, et dans tous les tableaux de la maturité, les figures sont dans un court espace situé contre le plan du tableau.
Toutes les figures, dans les toiles de la maturité de Caravage sont peintes à échelle un, ou très près de l'échelle un.
Quelques exceptions sont notables comme pour le bourreau de La Décollation de saint Jean-Baptiste, dont le surdimensionnement peut être distingué des figures repoussoirs qui apparaissent au tout premier plan du Martyre de saint Matthieu 1599-1600 et de L'Enterrement de sainte Lucie 1608.
Les figures repoussoirs ont pour fonction de représenter, de tenir la place des spectateurs dans le tableau. Les spectateurs de l'époque sont censés avoir la même attitude que ces figures qui les représentent, affectivement, émotionnellement sinon physiquement, comme les pèlerins en prière devant la Vierge.
Daniel Arasse signale que les pieds de ces pèlerins figurés à l'échelle un sur le tableau d'autel se trouvent ainsi placés à hauteur des yeux des fidèles.
Leur aspect devait au moins imposer le respect, sinon la dévotion.


L'espace non encombré d'effets architecturaux inutiles

Les peintures de Caravage se distinguent par l'absence de tout effet de perspective sur une quelconque architecture.
La Madone des pèlerins ou La Madone de Lorette de 1604-1605 est placée à l'entrée d'une porte indiquée au minimum par l'ouverture en pierre de taille et un fragment de mur décrépi.
Il s'agit de la porte de la maison de Lorette, qui faisait l'objet d'un pèlerinage, sa présence dans la toile s'imposait.
Des indications minimales de ce type se retrouvent aussi dans La Vocation de saint Matthieu 1600, La Madone du rosaire 1605-1606, Les Sept Œuvres de miséricorde 1606, L'Annonciation 1608, La Décollation de saint Jean-Baptiste 1608, L'Enterrement de sainte Lucie 1608, La Résurrection de Lazare 1609, L'Adoration des bergers 1609 et La Nativité avec saint François et saint Laurent 1609, tous ces tableaux d'autel nécessitaient l'indication d'un espace architectural.
La solution de la frontalité, qui place le spectateur face au mur percé d'une ou plusieurs ouvertures, permet d'inscrire dans le tableau des lignes horizontales et verticales qui répondent aux bords de la toile et participent à l'affirmation de la composition picturale dans le plan du mur.

Le minimum d'accessoires significatifs

Dans "L'Amour vainqueur" le jeune garçon nu foule en riant les instruments des arts et de la politique.
Il personnifie le vers de Virgile Omnia vincit amor L'Amour triomphe de tout, très connu à cette époque.
Le Cavalier d'Arpin avait exécuté une fresque sur ce thème, qui fut aussi traité par Annibal Carrache au plafond du Palais Farnèse.
En travaillant au niveau du détail l'imbrication des instruments, les cordes brisées, les partitions indéchiffrables, Caravage fait allusion aux instruments brisés aux pieds de la célèbre Sainte Cécile de Raphaël qui symbolisent la vanité de toute chose.
On en déduit que le jeune garçon est un Amour céleste qui se laisse glisser de son siège pour se dresser vers le spectateur et le défier.
L'homme ne pourra gagner à ce jeu.
D'ailleurs l'Amour tient le monde sous lui : le peintre a ajouté le détail d'un globe céleste aux étoiles d'or. Mais il n'a utilisé cette matière précieuse qu'exceptionnellement, probablement à la demande expresse de son commanditaire.
Il y a eu peut-être, à propos de ce globe peu perceptible, un lien plus direct avec le commanditaire.
Celui-ci, Vincenzo Giustiniani, avait pour pire ennemi la famille Aldobrandini — laquelle avait pour armes un globe étoilé — car sa dette envers Giustiniani était considérable. Ceci faisait perdre des sommes très importantes au banquier.
Giustiniani s'est ainsi vengé en présentant son Amour, méprisant les Aldobrandini symbolisés sous lui. Ce genre d'approche ironique était commun à l'époque. D'autre part, pour la satisfaction du collectionneur et aussi afin de rivaliser avec son presque homonyme, Michel-Ange, Michelange Merisi Caravage n'a pas manqué de faire allusion au Saint Barthélemy du Jugement dernier, et il a repris cette pose complexe aisément reconnaissable.
Le tableau avait un autre enjeu, celui de devoir s'intégrer à une collection particulière.
La jeunesse du corps de l'enfant allait correspondre, dans la collection de Giustiniani, à une sculpture antique représentant Éros, d'après Lysippe.
Caravage n'a donc pas multiplié les accessoires mais a condensé une grande quantité d'informations, de symboles et de sous-entendus, en fonction de la commande qui lui était faite et des volontés de son commanditaire.
À La Valette, dans le milieu culturel des Chevaliers de Malte, Caravage renoue avec les grands tableaux d'église qui avaient fait sa renommée.

La Résurrection de Lazare est d'une grande sobriété de décor et d'accessoires.
Tout est dans l'intensité des gestes qui rappellent La Vocation de saint Matthieu.
D'ailleurs le tableau se nourrit de ces références, et semble s'adresser à une élite cultivée, au courant de l'actualité d'alors.
Cependant, par rapport à La Vocation de saint Matthieu la scène, qui se passe toujours dans l'Antiquité, n'est plus transposée dans le monde actuel. Les fastueux costumes des agents de change de l'époque n'ont plus lieu d'être. Les premiers chrétiens sont dépeints dans les vêtements intemporels des pauvres, depuis l'Antiquité jusqu'au xviie siècle.
La lumière, réalité et symbole, est la même que dans La Vocation de saint Matthieu.
Le corps de Lazare tombe dans un geste semblable à celui du Christ dans La Mise au tombeau. Les drapés ont pour fonction de souligner les gestes théâtraux, par leur couleur rouge pour le Christ ou leur valeur tons bleu clair pour Lazare.
Les expressions vont aux extrêmes : l'extrême douleur à droite, bousculade à gauche avec l'entrée de la lumière, et au-dessus de la main du Christ, un homme est là qui prie intensément en se retournant vers la lumière de la Rédemption.
Il s'agit de Caravage lui-même, dans un autoportrait explicite.
Il n'y a aucun détail trivial, ni aucun accessoire inutile ; le crâne au sol évoque simplement la mort du corps. Le mur nu répond au mur réel contre lequel le tableau est dressé dans l'ombre de la chapelle des Porte-Croix, où il était initialement, à Messine.

Procédés avérés et secrets d'atelier

Une peinture sans dessin, ou avec des dessins disparus ?
Dès ses premiers tableaux, on a pensé que Caravage peignait simplement ce qu'il voyait. L'artiste contribua à conforter la conviction du public qu'il peignait d'après nature, sans passer par l'étape du dessin.
Comme on n'a retrouvé aucun dessin de sa main et que ceci est tout à fait inhabituel pour un peintre italien de cette époque, les historiens d'art ont fini par envisager récemment que Caravage passait bien par une phase de conception, mais cela reste problématique encore aujourd'hui.
Caravage a été arrêté, une nuit, en possession d'un compas.
Sybille Ebert-Schifferer rappelle que l'usage du compas était très commun dans la préparation des peintures. Il symbolisait le disegno, à la fois le dessin, comme première étape du tableau, et le projet intellectuel ou l'idée qui est dans le tableau. Le premier patron de Caravage à Rome, Giuseppe Cesari, futur Cavalier d'Arpin, quand il sera anobli, s'est représenté avec un de ces compas dans un dessin situable vers 1599.
Et dans L'Amour victorieux cet instrument est aussi représenté.
Les branches mesurent environ 40 cm de long. Caravage aurait pu s'en servir pour réaliser des constructions précises, certaines reposent clairement sur des constructions géométriques qui sont dans ses tableaux.
Mais comme on n'en retrouve aucune trace sur la toile, Ebert-Schifferer suppose que Caravage aurait réalisé des dessins, qui n'ont pas été retrouvés et qui ont peut-être été détruits par l'artiste. Caravage a d'ailleurs réalisé des études préparatoires qui lui ont été commandées dans trois circonstances documentées : pour la chapelle Cerasi à Santa Maria del Popolo, la commande perdue de De Sartis et La Mort de la Vierge.
Quoi qu'il en soit, Caravage pratiquait l’abozzo ou abbozzo, le dessin réalisé directement sur la toile, sous forme d'une ébauche au pinceau et avec, éventuellement, quelques couleurs.
Malheureusement on ne détecte l'abozzo par radiographie que lorsqu'il contient des métaux lourds comme le blanc de plomb, mais les autres pigments n'apparaissent pas. Le blanc de plomb était utilisé sur des toiles préparées en sombre. Caravage a utilisé des préparations verdâtres puis brunes.

Les incisions

Dans ces préparations, mais aussi sur la toile en cours de réalisation, Caravage a porté des incisions. Il l'a fait depuis Les Tricheurs et la première version de La Diseuse de bonne aventure jusqu'à ses toutes dernières toiles.
Elles restent perceptibles en lumière rasante avec beaucoup d'attention.
Très souvent, Caravage incise sa peinture pour la position des yeux, le segment d'un contour ou le point d'angle d'un membre.
Pour les chercheurs contemporains qui sont persuadés que Caravage improvisait directement sur le motif, ces incisions sont l'indice de marques servant à retrouver la pose à chaque séance ou pour caler les figures dans les tableaux à plusieurs personnages.
Toutefois Sybille Ebert-Schifferer précise que, en dehors des œuvres de jeunesse, les incisions indiquent des contours dans la pénombre ou bien servent à délimiter une zone éclairée sur un corps, à l'endroit où tombe la lumière.
Dans ces cas tout semble indiquer qu'elles servent à compléter l'ébauche esquissée au blanc sur le fond brun. Et pour les parties dans l'obscurité, à ne pas en perdre de vue les contours mangés par l'ombre au cours de la réalisation de la peinture.

Lumières et ombres en peinture

Très attentif aux effets lumineux et à l'impact d'une peinture sobre, Caravage réduit aussi ses moyens d'expression par la couleur. Il peint avec une palette restreinte, et plus encore dans ses derniers tableaux : essentiellement des terres, du blanc et du noir.
Les blancs sont fréquemment adoucis par un fin glacis de tons sombres rendus transparents.
Les rouges sont utilisés en larges plages de couleur.
Localement, des verts et des bleus sont atténués eux aussi par des glacis de noir.
Les glacis ont pour effet de renforcer l'éclat des parties qu'ils recouvrent tout en nuançant la couleur. Pour obtenir l'effet inverse, Caravage mêle du sable très fin à ses couleurs afin de rendre telle partie mate et opaque par contraste avec les zones brillantes.
Il semble que le peintre ait été stimulé par ces effets optiques durant son séjour chez le cardinal Del Monte.
La diseuse de bonne aventure des Musées du Capitole, destinée au cardinal, présente ainsi une fine couche d'un sable de quartz qui empêche les reflets indésirables. C'est peut-être aussi chez Del Monte que Caravage aurait eu accès à de nouveaux pigments.
aux effets phosphorescents, une pierre devenue célèbre en 1602 sous le nom de pierre de Bologne .
Il fait aussi attention à l'éclairage des tableaux commandés pour un lieu précis. C'est le cas pour la Madone des pèlerins et pour tous ces tableaux d'autel où Caravage prend en compte l'éclairage dont bénéficie l'autel selon le point de vue d'une personne qui entre dans l'église.
Dans le cas de la Madone des pèlerins, la lumière vient de la gauche et c'est ce qu'il a peint sur le tableau : la scène est ainsi inscrite dans l'espace que l'on perçoit.
Dans la Mise au tombeau la lumière semble venir du tambour de la coupole, percé de fenêtres hautes de la Chiesa Nuova, alors que dans les tableaux destinés au marché la lumière vient, par convention, de la gauche.


Peintures Liste de peintures du Caravage.

Comme aucun dessin n'a été retrouvé, toute l'œuvre de Caravage est constituée de peintures.
Si lors des premiers recensements, au XIXe siècle, et bien qu’un grand nombre ait été perdu ou détruit, on a compté jusqu'à 600 peintures attribuées au peintre, ce chiffre est tombé aujourd'hui autour de 80.
Dans ce groupe la plupart des peintures sont reconnues unanimement par la communauté des spécialistes de Caravage. Quelques-unes ont été proposées récemment à l'occasion d'une restauration qui a permis de retrouver le tableau originel sous les repeints, mais certaines une dizaine restent contestées.
Il pourrait alors s'agir, éventuellement, de copies anciennes, mais certaines peuvent être attribuées à d’autres artistes. Les peintures dont l’attribution est contestée sont indiquées par attribution.

Peintures reconnues ou contestées

Le classement numérique proposé n'est qu'indicatif, afin de se repérer dans cette liste. Il ne correspond pas à l'ordre chronologique des réalisations, mais s'en rapproche.
Comme la plupart des artistes de cette époque Caravage n'apposait aucune marque sur le tableau, ni date ni signature, à une exception près :
La décollation de saint Jean-Baptiste fut symboliquement signée avec la représentation du sang qui gicle dans le tableau.
Il peint les lettres fMichelAn : Frater : frèr Michelangelo qui est le signe de son adoubement en tant que chevalier dans l'Ordre de Malte.

Nota Bene : Les références de ce classement proviennent des dernières parutions.
Les dates proviennent pour les peintures non contestées de Sybille Ebert-Schifferer, 2009.
Pour les peintures contestées attribution les dates proviennent de Catherine Puglisi, 2007, sauf mention contraire.
En effet quelques peintures contestées sont commentées et une date a été proposée, dans Michel Hilaire et Axel Hémery, 2012, qui se réfère lui-même à Ebert-Schifferer et Schütze, 2009.

-Nature morte aux fleurs et fruits attribution 1590? - Huile sur toile, 105 × 184 cm - Galerie Borghese, Rome
-Garçon pelant un fruit (copie) (1592-1593) - Huile sur toile, 75,5 × 64,4 cm - Collection Roberto Longhi, Rome
-Le Jeune Bacchus malade (1593) - Huile sur toile, 67 × 53 cm - Galerie Borghese, Rome
-Garçon avec un panier de fruits (1593-1594) - Huile sur toile, 70 × 67 cm - Galerie Borghese, Rome
-Bacchus (1593-1594) - Huile sur toile, 95 × 85 cm - Galerie des Offices, Florence
-Garçon mordu par un lézard (1593-1594) - Huile sur toile, 66 × 49,5 cm - National Gallery, Londres
-Madeleine repentante, huile sur toile (1594) - Galerie Doria-Pamphilj, Rome
-Le Repos pendant la fuite en Égypte (1594) - Huile sur toile, 133,5 × 166,5 cm - Galerie Doria-Pamphilj, Rome
-La Diseuse de bonne aventure (1594) - Huile sur toile, 115 × 150 cm - Musées du Capitole, Rome
-L'Extase de saint François (1594) - Huile sur toile, 92,5 × 128,4 cm - Wadsworth Atheneum, Hartford
-Les Tricheurs ou Les Joueurs de cartes (1594-1595) - Huile sur toile, 94,3 × 131,1 cm - Kimbell Art Museum, Fort Worth
-Les Musiciens (1595) - Huile sur toile, 92 × 118,5 cm - Metropolitan Museum of Art, New York
-La Diseuse de bonne aventure (1595) - Huile sur toile, 99 × 131 cm - Musée du Louvre, Paris
-Le Joueur de luth (1595-1596) (Première version) - Huile sur toile, 94 × 119 cm - Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg
-Corbeille de fruits (1595-1596) - Huile sur toile, 46 × 64 cm - Pinacoteca Ambrosiana, Milan
-Le Joueur de luth (1595-1596) (Deuxième version) - Huile sur toile, 96 × 121 cm - Badminton House, Gloucestershire.
-Narcisse (attribution) (1597?) - Huile sur toile, 110 × 92 cm - Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome. Attribué à Spadarino (Papi, 1991) / Puglisi 2005.
-Le Joueur de luth (1596) - Huile sur toile, 100 × 126,5 cm - Metropolitan Museum of Art, New York
-Marthe et Marie-Madeleine (1597-1598) - Huile sur toile, 97.8 × 132,7 cm - Institute of Arts, Détroit
-Sainte Catherine d'Alexandrie (vers 1598) - Huile sur toile, 173 × 133 cm - Collection Thyssen-Bornemisza, Madrid
-Méduse (1597-1598) - Huile sur toile monté sur bois, 60 × 55 cm - Galerie des Offices, Florence
-Le Sacrifice d'Isaac (1597-1598) - Huile sur toile, 104 × 135 cm - Galerie des Offices, Florence
-Vocation de saint Pierre et saint André (attribution) (considéré comme une copie) (1597-1598) - Huile sur toile, 260 × 250 cm - Royal Collection, château de Hampton C-court, Londres
-Le Sacrifice d'Isaac (deuxième version) (attribution / Puglisi 2005 no 18) (vers 1597-1598) - Huile sur toile, 116 × 173 cm - Piasecka-Johnson Collection, Princeton
-David et Goliath (attribution) (1598-1599) - Huile sur toile, 110 × 91 cm - Musée du Prado, Madrid
-Judith décapitant Holopherne (1598-1599) - Huile sur toile, 145 × 195 cm - Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome
-Jupiter, Neptune et Pluton (1599) - Fresque au plafond, huile, 300 × 180 cm - Casino Boncompagni Ludovisi, Rome
-Saint Matthieu et l'Ange (1599) - Huile sur toile, 232 × 183 cm - Détruit en 1945
-Le Martyre de saint Matthieu (1599-1600) - Huile sur toile, 323 × 343 cm - Chapelle Contarelli, église Saint-Louis-des-Français, Rome
-La Vocation de saint Matthieu (1600) - Huile sur toile, 323 × 343 cm - Chapelle Contarelli, église Saint-Louis-des-Français, Rome
-David avec la tête de Goliath (1600-1601) - Huile sur bois, 90.5 × 116 cm - Kunsthistorisches Museum, Vienne
-La Conversion de saint Paul (1600-1601) - Huile sur bois de cyprès, 237 × 189 cm - Odescalchi Balbi Collection, Rome
-Le Souper à Emmaüs (1601) - Huile sur toile, 139 × 195 cm - National Gallery, Londres
-Portrait d'une courtisane ou Portrait de Fillide Melandroni (après 1601) - Huile sur toile, 66 × 53 cm - Conservé au Musée de Bode (Kaiser-Friedrich-Museum) de Berlin, disparu depuis 1945.
-L'Amour victorieux (1601-1602) - Huile sur toile, 156 × 113 cm - Staatliche Museen, Berlin
-Saint Matthieu et l'Ange (1602) - Huile sur toile, 292 × 186 cm - Chapelle Contarelli, église Saint-Louis-des-Français, Rome
-Le Jeune Saint Jean-Baptiste au bélier (1602) - Huile sur toile, 129 × 94 cm - Musées du Capitole, Rome
-La Capture du Christ (1602) - Huile sur toile, 133,5 × 169,5 cm - National Gallery of Ireland, Dublin
-Saint Jean-Baptiste dans le désert (1602-1603) - Huile sur toile, 172,5 × 104,5 cm - Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City
-Le Couronnement d'épines (1602-1603) - Huile sur toile, 165,5 × 127 cm - Kunsthistorisches Museum, Vienne
-Saint Jean-Baptiste (attribution très contestée) (1603-1604) - Huile sur toile, 94 × 131 cm - Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome
-L'Incrédulité de saint Thomas (vers 1603) - Huile sur toile, 107 × 146 cm - Sanssouci, Potsdam
-Portrait de Maffeo Barberini (1603?) - Huile sur toile, 124 × 99 cm - Collection privée, Florence
-Saint François en méditation (vers 1603?) - Huile sur toile, 125 × 93 cm - Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome
-La Mise au tombeau (Le Caravage) (1602-1603) - Huile sur toile, 300 × 203 cm - Pinacothèque, Vatican
-La Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas (vers 1604) - Huile sur toile, 230 × 175 cm - Chapelle Cerasi, église Santa Maria del Popolo, Rome
-Le Crucifiement de saint Pierre (vers 1604) - Huile sur toile, 230 × 175 cm - Chapelle Cerasi, Santa Maria del Popolo, Rome
-La Madone des pèlerins (1604-1605) - Huile sur toile, 260 × 150 cm - Basilique Sant'Agostino in Campo Marzio, Rome
-Le Couronnement d'épines (vers 1604-1605) - Huile sur toile, 125 × 178 cm - Cassa di Risparmi, Prato
-Le Christ au Jardin des Oliviers (attribution) (détruit ou disparu en 1945) (1604-1606) - Huile sur toile, 154 × 222 cm - Anciennement Kaiser Friedrich Museum Gemäldegalerie, Berlin
-La Madone du rosaire (1604-1605) - Huile sur toile, 364,5 × 249,5 cm - Kunsthistorisches Museum, Vienne
-La Mort de la Vierge (1605-1606) - Huile sur toile, 369 × 245 cm - Musée du Louvre, Paris
-Saint Jérôme en méditation (attribution) (1605-1606) - Huile sur toile, 118 × 81 cm - Monastère de Montserrat
-Marie-Madeleine en extase copie d'après l'original perdu de Caravage (1606 ? - Michel Hilaire 2012). Copie réalisée par Louis Finson (1578-1627) avant 1613 - Huile sur toile, 106 × 91 cm - Musée des Beaux-Arts, Marseille
-La Madone des palefreniers (1606) - Huile sur toile, 292 × 211 cm - Galerie Borghèse, Rome
-Saint Jérôme écrivant (1606) - Huile sur toile, 112 × 157 cm - Galerie Borghèse, Rome
-Saint François en méditation sur le crucifix (1606) - Huile sur toile, 190 × 130 cm - Museo Civico Ala Ponzone, Crémone
-Le Souper à Emmaüs (1606) - Huile sur toile, 141 × 175 cm - Pinacothèque de Brera, Milan
-Ecce Homo (attribution) (1605-1606 Papi, 2012) - Huile sur toile, 128 × 103 cm - Palazzo Bianco, Gênes
-Les Sept Œuvres de miséricorde (1607) - Huile sur toile, 390 × 260 cm - Église Pio Monte della Misericordia, Naples
-Le Christ à la colonne (1606-1607) - Huile sur toile, 134,5 × 175,5 cm - Musée des Beaux-Arts, Rouen
-Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (1606-1607) - Huile sur toile, 90,5 × 167 cm - National Gallery, Londres
-Marie-Madeleine en extase (attribution) (1606) - Huile sur toile, 106 × 91 cm - Collection privée, Rome
-Le Crucifiement de saint André (1606-1607) - Huile sur toile, 202,5 × 152,7 cm - Cleveland Museum of Art, Cleveland
-David avec la tête de Goliath (1606-1607) - Huile sur toile, 125 × 101 cm - Galleria Borghese, Rome
-La Flagellation du Christ (1607?) - Huile sur toile, 390 × 260 cm - Museo Nazionale di Capodimonte, Naples
-Portrait d'Alof de Wignacourt (1607) - Huile sur toile, 195 × 134 cm - Musée du Louvre, Paris
-Portrait d'Antonio Martelli (1607-1608) - Huile sur toile, 118,5 × 95,5 cm - Galerie Palatine (Palais Pitti), Florence
-Saint Jérôme écrivant (1607-1608) - Huile sur toile, 117 × 157 cm - Saint John Museum (Co-cathédrale Saint-Jean), La Valette
-Amour endormi (1608) - Huile sur toile, 71 × 105 cm - Galerie Palatine (Palais Pitti), Florence
-L'Arracheur de dents (attribution) (1608-1610) - Huile sur toile, 139,5 × 194,5 cm - Palais Pitti, Florence
-L'Annonciation (1608-1609) - Huile sur toile, 285 × 205 cm - Musée des Beaux-Arts, Nancy
-La Décollation de saint Jean-Baptiste (vers 1608) - Huile sur toile, 361 × 520 cm - Saint John Museum (Co-cathédrale Saint-Jean), La Valette
-L'Enterrement de sainte Lucie (1608) - Huile sur toile, 408 × 300 cm - Église Santa Lucia al Sepolcro, Syracuse
-La Résurrection de Lazare (1609) - Huile sur toile, 380 × 275 cm - Musée régional, Messine
-L'Adoration des bergers (1609) - Huile sur toile, 314 × 211 cm - Musée régional, Messine
-La Nativité avec saint François et saint Laurent (1609) - Huile sur toile, 268 × 197 cm - (volé en 1969)
-Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (attribution Catherine Puglisi 2005 no 84) (1609-1610?) - Huile sur toile, 116 × 140 cm - Palais royal, Madrid
-Le Reniement de saint Pierre (attribution) (en général admis comme autographe, opinion contestée par Ebert-Schifferer 2009) (1609-1610) - Huile sur toile, 94 × 125 cm Shickman Gallery, New York
-Saint Jean-Baptiste (1609-1610) - Huile sur toile, 159 × 124 cm - Galleria Borghese, Rome
-Le Martyre de sainte Ursule (1610) - Huile sur toile, 154 × 178 cm - Banca Intesa, Palazzo Zevallos, Naples
-Saint Jean-Baptiste à la fontaine (attribution) (1607-1608) - Huile sur toile, 100 × 73 cm - Collezione Bonello, Malte / mêmes dimensions (attribution) Collection particulière, Rome / (Copie ? Original inachevé ?) (1610) - Huile sur toile, 127 × 95 cm, Collection particulière, Londres.
-Œuvres ou copies attribuées par quelques spécialistes à Caravage, liste non exhaustive (non documentées dans les ouvrages de référence utilisées pour réaliser cette liste) :
-Le Sacrifice d'Isaac (1603) - Huile sur toile, 116 × 173 cm - Piasecka-Johnson Collection, Princeton
Saint Jean-Baptiste (attribué ?) aucune date proposée - Huile sur toile, 102,5 × 83 cm - Öffentliche Kunstsammlung, Bâle
Le 5 juillet 2012, une centaine de dessins et quelques peintures réalisés dans sa jeunesse auraient été retrouvés par des experts dans une collection à l'intérieur du château Sforzesco à Milan.
Cependant cette attribution reste sujette à caution, étant mise en doute par plusieurs spécialistes du peintre.

Polémique d'attribution.

Loches
Début 2006, une polémique eut lieu au sujet de deux tableaux retrouvés en 1999 dans l'église Saint-Antoine de Loches en France, dont l'authenticité, établie par quelques spécialistes, était contredite par beaucoup d'autres qui les considéraient comme de simples copies.
Il s'agit d'une version du Souper à Emmaüs et d'une version de L'Incrédulité de saint Thomas.
Il est à noter que Caravage exécutait souvent lui-même plusieurs versions d'un même tableau, allant jusqu'à en effectuer des quasi-copies comportant seulement quelques détails différents.

Royal Collection

Une nouvelle œuvre de Caravage a été authentifiée en novembre 2006.
Relégué dans les sous-sols de la collection royale de Buckingham Palace, un tableau intitulé la Vocation de saint Pierre et saint André et jusque-là considéré comme étant une copie, est attribué finalement au peintre et est exposé pour la première fois en mars 2007 dans une exposition consacrée à l'art italien.
La toile, qui mesure 140 cm de long sur 166 cm de haut, était recouverte d'une épaisse couche de poussière et de vernis, la faisant apparaître monochrome avec différentes ombres marron.
Le site de la Royal Collection indique toutefois qu'il s'agit d'une copie d'après Caravage, et propose également le titre alternatif de Pierre, Jacques et Jean

Liens

http://youtu.be/F7MPTnPG3j4 Le Caravage
http://youtu.be/0k6Vp8-2BDc Moi caravage
http://youtu.be/NbVs1pHWRAE Caravage, Michelangelo Merisi
http://www.ina.fr/video/VDD10025048/l ... enoise-oubliee-video.html Le repos de Caravage à Génes
http://www.ina.fr/video/VDD10009303/h ... ire-de-sa-mort-video.html Caravages 400éme anniversaire
http://www.ina.fr/video/CPC95009718/m ... egory-caravage-video.html Livre sur la vie de Caravage
http://youtu.be/Cb-1_mwztuw Caravaggio

.


Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l

Attacher un fichier:



jpg  739px-Sant_Jeroni.jpg (79.93 KB)
3_5247340c5d7f1.jpg 739X1024 px

jpg  860_2.jpg (58.24 KB)
3_5247344c4fd44.jpg 440X571 px

jpg  10011832983.jpg (69.36 KB)
3_5247346679bf4.jpg 625X650 px

jpg  L20100731.22017201809i1.jpg (86.28 KB)
3_5247347186ce2.jpg 600X567 px

jpg  the-cardsharps-i-bari-caravaggio.jpg (26.54 KB)
3_5247347c8f3ae.jpg 320X237 px

jpg  21judithetholophernegrand_thumb1.jpg (129.68 KB)
3_5247349a90570.jpg 602X856 px

jpg  Caravaggio_incredulity-500x362.jpg (42.99 KB)
3_524734a574620.jpg 500X362 px

jpg  2009832648.jpg (124.41 KB)
3_524734c6576eb.jpg 500X345 px

jpg  CB7D602C8.jpg (75.45 KB)
3_524734ef8c2dc.jpg 736X700 px

jpg  img0044B.jpg (35.82 KB)
3_524734fb1db28.jpg 510X521 px

jpg  judith_beheading_holofernes_by_caravaggio_1193227301_14491702.jpg (22.99 KB)
3_524735066f1b9.jpg 500X367 px

jpg  caravaggio15.jpg (27.46 KB)
3_52473512954cb.jpg 500X408 px

jpg  2047845203.jpg (33.00 KB)
3_5247352039d45.jpg 500X386 px

Posté le : 28/09/2013 21:59
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Miguel Cervantes 1
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57687
Hors Ligne
Le 29 Septembre 1547 naît Miguel de Cervantes Saavedra

Romancier, dramaturge, romancier et poète castillan du siècle d'Or espagnol, né à Alcalà de Hénares dans l'empire espagnol, il mourra à l'age de 68 ans le 23 Avril 1616

Aux yeux de la postérité, Cervantès incarne le génie littéraire d'une nation : un destin qu'il partage avec Dante, Goethe et Shakespeare, mais qui, dans son cas, s'assortit d'un curieux privilège, celui d'être le seul écrivain espagnol à avoir atteint une renommée pleinement universelle.
Cette renommée, il la doit assurément à Don Quichotte.
Mais, si le destin de l'ingénieux hidalgo a projeté celui-ci bien au-delà du récit de ses aventures, le mythe qu'il incarne désormais est d'abord lié à l'avènement d'une forme cardinale de la fiction en prose, que l'on appelle aujourd'hui le roman moderne. Cervantès est réputé en être le créateur : réputation fondée si l'on prend la mesure exacte de sa contribution, mais qui, comme il se doit, ne lui a pas été accordée de son vivant par ses lecteurs.
S'ils ont ri aux exploits de Don Quichotte, leurs préférences sont allées davantage à La Galathée ou au Persiles, que nous ne lisons plus guère aujourd'hui, ou encore aux Nouvelles exemplaires, que nous continuons de lire, mais d'un autre œil.
La modernité de Cervantès n'est donc pas le signe distinctif d'un “système” de pensée qui, comme on l'a cru naguère, exprimerait les tensions d'un âge de crise à travers un questionnement des valeurs établies. Elle tient plutôt à la vertu d'une écriture, transparente et néanmoins ambiguë, grâce à laquelle son œuvre, inscrite au départ dans le climat culturel d'une époque aujourd'hui révolue, a débordé, au fil de ses réceptions successives, le dessein qui l'avait engendrée.
La poésie de Cervantès a été éclipsée par sa prose. Pourtant sa vocation de poète ne s'est jamais démentie, pas même au cours des années pendant lesquelles il a paru renoncer à ses premières ambitions.
Nombre de ses compositions, répandues par des copies manuscrites ou publiées anonymement dans des recueils collectifs, sont aujourd'hui perdues ou, à tout le moins, impossibles à identifier. Demeurent en revanche, outre des pièces de circonstance dont certaines ont vu leur attribution fortement contestée, les poèmes intercalés dans les comédies et les œuvres en prose.
Sur un registre très varié, qui va de la plainte lyrique à l'ironie truculente, les mètres castillans, dont le domaine s'élargit parfois à des formes inédites, y alternent avec les strophes importées d'Italie qu'ils pénètrent et modifient à l'occasion : ainsi s'affirme la liberté créatrice d'un fervent admirateur de Pétrarque et de Garcilaso, dont la réflexion sur l'écriture, souvent assumée par les personnages de ses fictions, s'exprime dans les fragments éclatés d'une poétique. Mais la tentative la plus ambitieuse que nous ait laissée Cervantès est le Voyage au Parnasse.
Ce poème burlesque en huit chapitres narre une odyssée imaginaire : le périple qui conduit l'auteur et ses amis de Madrid au sommet du Parnasse, afin de venir en aide à Apollon, en butte aux assauts de vingt mille rimailleurs. Le partage des écrivains entre les deux camps est l'occasion d'éloges de commande ; mais il s'assortit aussi d'une vision lucide de la république des lettres. Plus encore, cette équipée imaginaire permet à l'“Adam des poètes” de composer par touches successives une manière d'autoportrait, sur la toile de fond d'une histoire personnelle remodelée au confluent du vécu et du rêve.
Tout aussi vive est la passion que Cervantès a éprouvée pour le théâtre, avant même que Lope de Vega n'impose le triomphe de la comedia nueva. Les deux pièces contemporaines de son premier retour à Madrid – seules rescapées de la vingtaine qu'il aurait composées à cette date et dont dix titres ont été conservés – participent de l'effort de toute une génération qui, autour de 1580, a cherché à donner à la scène une dignité qui lui faisait défaut.
Elles n'en manifestent pas moins une originalité certaine : moins dans le choix des éléments constitutifs d'un même code théâtral, division en actes, actions “graves”, style soutenu, polymétrie adaptée aux situations que dans l'emploi toujours discret de l'horreur et de la violence, deux ressorts empruntés à la dramaturgie sénéquienne.
Plus élaborée que La Vie à Alger, qui, autour d'une fable adaptée du roman grec, ordonne des tableaux épisodiques imprégnés du souvenir douloureux de la captivité, Numance compose une vaste fresque inspirée d'un événement historique, le suicide collectif, en 133 avant J.-C., des défenseurs d'une cité celtibère assiégée par les légions de Scipion. C'est la seule tragédie authentique que nous ait laissée le XVIe siècle espagnol ; la seule où les personnages, confrontés à une situation qui les dépasse, assument leur destin en choisissant le sacrifice ; la seule dont la résurrection à la scène, menée simultanément, en pleine guerre civile espagnole, par Rafael Alberti et Jean-Louis Barrault, a su mettre en valeur le message.

Sa vie

Les informations sur la vie de Cervantes sont souvent contradictoires et difficiles à rassembler. Parce que, selon Émile Chasles : On le laissa mourir en 1616 dans le silence (…). Pendant toute la durée du XVIIe siècle, personne ne s'occupa de son tombeau ni de la publication complète de ses ouvrages.
On ignorait encore son lieu de naissance cent ans après sa mort, avant que Lord Carteret découvre que la vie de Cervantes était à écrire.
Mais beaucoup de biographes qui s'y sont essayés ont émis des hypothèses fausses, les traducteurs ont usé de supercheries, et des naïfs ont pris au pied de la lettre les récits autobiographiques de l'auteur.

Enfance

Le lieu de naissance de Miguel de Cervantes reste inconnu, même s'il naquit le plus probablement en Alcalá de Henares, en Espagne. Selon son acte de baptême, c'est en effet dans cette ville qu'il fut baptisé, et c'est également ce lieu de naissance qu'il revendiqua dans son Información de Argel "Information d'Alger", ouvrage publié en 1580.
Le jour exact de sa naissance est également incertain, mais étant donné la tradition espagnole de nommer son enfant d'après le nom du Saint du jour, il est probable que ce fut un 29 septembre, jour de célébration de l'archange saint Michel.
Miguel de Cervantes fut donc baptisé à Alcalá de Henares le 9 octobre 1547 dans la paroisse de Santa María la Mayornote. Dans l'acte de baptême on lit :
"Dimanche, neuvième jour du mois d'octobre, année du Seigneur mille cinq cent quarante-sept, fut baptisé Miguel, fils de Rodrigo de Cervantes et de sa femme Leonora. Il fut baptisé par le révérend Bartolomé Serrano, curé de Notre Seigneur. Témoins, Baltasar Vázquez, Sacristain, et moi, qui le baptisai et signai de mon nom. Bachelier Serrano."
— D'après Fernández Álvarez

Famille et parenté

Miguel de Cervantes Saavedra
Ses grands-parents paternels étaient Juan de Cervantes, juriste, et madame Leonor de Torreblanca, fille de Juan Luis de Torreblanca, un médecin cordouan.
Son père Rodrigo de Cervantes (1509-1585) naquit à Alcalá de Henares et était chirurgien.
D'après Jean Babelon : "c'était un médecin mal qualifié, et besogneux, qui exerçait son métier au cours de ses fréquentes errances", ce qui expliquerait que Miguel reçut une éducation assez peu méthodique.
Cervantes avait des ancêtres convertis au christianisme dans les deux branches de sa famille, comme l'ont signalé Américo Castro et Daniel Eisenberg. Jean Canavaggio s'oppose à cette analyse.
Il insiste sur le fait que cette ascendance "n'est pas prouvée" et compare Cervantes à Mateo Alemán pour qui les origines sont documentées. Malgré la controverse, il ne faut cependant pas en exagérer l'influence sur l'interprétation de l'œuvre de Cervantes.
Peu de choses sont connues sur la mère de Miguel de Cervantes. Elle s'appelait Leonora de Cortinas Sánchez et il est possible qu'elle eût parmi ses ascendants des convertis au christianisme.
Miguel était le troisième d'une fratrie de cinq : Andrés (1543), Andrea (1544), Luisa (1546), qui devint prieure dans un couvent de carmélites, Rodrigo (1550), soldat qui accompagna Miguel dans sa captivité à Alger. Magdalena (1554) et Juan ne furent connus que parce que leur père les mentionna dans son testament, ils moururent en bas âge.
Alors que le nom complet de Cervantes est Miguel de Cervantes Saavedra, le nom Saavedra n'apparut sur aucun document de la jeunesse de Cervantes, et ne fut pas utilisé par ses frères et sœurs.
Selon la tradition espagnole, le nom de naissance aurait dû être Miguel de Cervantes Cortinas. Miguel ne commença à utiliser le nom Saavedra qu'après son retour de captivité d'Alger, peut-être pour se différencier d'un certain Miguel de Cervantes Cortinas expulsé de la cour.
Vers 1551, Rodrigo de Cervantes déménagea avec sa famille à Valladolid. Il fut emprisonné pour dettes pendant quelques mois et ses biens furent confisqués. En 1556 la famille est à Madrid, le père se rendit à Cordoue pour recevoir l'héritage de Juan de Cervantes, grand-père de l'écrivain, et pour fuir ses créanciers.

Études

Il n'existe pas de données précises sur les études de Miguel de Cervantes. Il est probable que celui-ci n'atteignit jamais un niveau universitaire.
Valladolid, Cordoue et Séville se trouvent parmi les hypothèses de lieux possibles pour ses études. La Compagnie de Jésus constitue une autre piste puisque dans son roman Le Colloque des chiens, il décrit un collège de jésuites et fait allusion à une vie d'étudiant.
Jean Babelon pense qu'il a certainement fréquenté l'université d'Alcalá et celle de Salamanque si l'on se fie à ses écrits sur la vie pittoresque des étudiants.
Les informations qu'il fournit dans ses ouvrages ne permettent cependant pas de conclure formellement qu'il suivit un enseignement universitaire, comme le rappelle la bibliothèque virtuelle Cervantes.
En 1566, il s'installa à Madrid. Il assista à l’Estudio de la Villa. L'institution était gérée par le professeur de grammaire Juan López de Hoyos, qui publia en 1569 un livre sur la maladie et la mort de la reine Élisabeth de Valois, la troisième épouse du roi Philippe II.
López de Hoyos inclut dans ce livre trois poésies de Cervantes, notre cher et aimé disciple, qui sont ses premières manifestations littéraires : le jeune homme avait écrit ces vers en hommage à la défunte reine.
Ce fut à cette époque que Cervantès prit goût au théâtre en assistant aux représentations de Lope de Rueda et de Bartolomé Torres Naharro dont les pièces étaient jouées dans les villes et les villages par des comédiens ambulants.
Il adorait le monde du théâtre et fit déclarer à son célèbre Hidalgo, dans la seconde partie de son chef-d'œuvre Don Quichotte de la Manche : "il n'avait d'yeux que pour le spectacle".

Voyage en Italie et bataille de Lépante

La bataille de Lépante
Une ordonnance de Philippe II de 1569 a été conservée. Le roi y ordonnait d'arrêter Miguel de Cervantès, accusé d'avoir blessé dans un duel un certain Antonio Sigura, maître d'œuvres.
Si cette ordonnance concerna réellement Cervantès et non un homonyme, elle pourrait expliquer sa fuite en Italie.
Miguel de Cervantès arriva à Rome en décembre 1569.
Il lut alors les poèmes de chevalerie de Ludovico Ariosto et les Dialogues d'amour du juif séfarade León Hebreo (Juda Abravanel), d'inspiration néoplatonicienne et qui influencèrent sa vision de l'amour.
Cervantès s'instruisit du style et des arts italiens dont il garda par la suite un très agréable souvenir.
Mais malgré son goût pour la littérature, Cervantès cherchait d'abord à faire carrière dans les armes. Il s'engagea dans une compagnie de soldats de 1570 à 1574, avant d'entrer comme camerier au service de Giulio Acquaviva, qui devint cardinal en 1570 et qu'il suivit en Italie.
Il avait probablement rencontré ce cardinal à Madrid, mais ce dernier ne le garda pas longtemps comme secrétaire, et Cervantès dut prendre rang dans les régiments des tercios d'Italie, à la solde des Colonna10. Les hasards de la vie militaire l'entraînèrent sur les routes de toute l'Italie : Naples, Messine, Loreto, Venise, Ancône, Plaisance, Parme, Asti et Ferrare.
Il consigna par la suite le souvenir de ces différents séjours dans l'une de ses Nouvelles exemplaires : Le Licencié Vidriera.
Il lui arrivait de méditer sur la guerre, et de vitupérer la diabolique invention de l'artillerie.
Mais tout en combattant, il complétait son éducation littéraire par la lecture des classiques anciens et des auteurs italiens de son époque.
En 1570, le sultan Selim II attaqua Nicosie (Chypre).
Cervantès décrit l’événement dans la nouvelle L'Amant généreux qui fait partie des Nouvelles exemplaires. Il fut alors enrôlé dans la compagnie du capitaine Diego de Urbina dans le tercio de Manuel de Moncada.
La flotte, commandée par Don Juan d'Autriche, fils naturel du puissant Charles Quint et demi-frère du roi, réunit sous son pavillon les vaisseaux du Pape, ceux de Venise, et ceux de l'Espagne, et engagea la bataille de Lepante le 7 octobre 1571. Cervantès prit part à la victoire sur les Turcs dans le golfe de Patras à bord du bateau la Marquesa "la Marquise".
Dans une information légale élaborée huit ans plus tard on lisait :
" Quand fut reconnue l'armée du Turc, dans cette bataille navale, ce Miguel de Cervantès se trouvait mal et avec de la fièvre, et ce capitaine... et beaucoup d'autres siens amis lui dirent que, comme il était malade et avait de la fièvre, qu'il restât en bas dans la cabine de la galère ; et ce Miguel de Cervantès demanda ce qu'on dirait de lui, et qu'il ne faisait pas ce qu'il devait, et qu'il préférait mieux mourir en se battant pour Dieu et pour son roi, que ne pas mourir sous couverture, et avec sa santé... Et il se battit comme un vaillant soldat contre ces Turcs dans cette bataille au canon, comme son capitaine lui a demandé et ordonné, avec d'autres soldats. Une fois la bataille terminée, quand le seigneur don Juan sut et entendit comment et combien s'était battu ce Miguel de Cervantès, il lui donna quatre ducats de plus sur sa paye... De cette bataille navale il sortit blessé de deux coups d'arquebuse dans la poitrine et à une main, de laquelle il resta abîmé".
Ce fut après cette bataille qu'il gagna le surnom de manchot de Lépante, "el manco de Lepanto". Cervantès fut blessé lors de la bataille : sa main gauche ne fut pas coupée, mais elle perdit son autonomie de mouvement à cause du plomb qui lui avait sectionné un nerf.
Après six mois d'hôpital à Messine, Cervantès renoua avec sa vie militaire en 1572. Il prit part aux expéditions navales de Navarin en 1572, Corfou, Bizerte, et en 1573, il figurait dans le tercio de Figueroa lors de la Bataille de Tunis. Toutes ces missions furent exécutées sous les ordres du capitaine Manuel Ponce de León et dans le régiment du très fameux Lope de Figueroa dont il est fait mention dans Le maire de Zalamea de Pedro Calderón de la Barca.
Cervantès décrivit tous les combats navals auxquels il avait pris part et pour lesquels il gardait une juste rancœur. À tous ceux qui se moquaient de lui il répondait :
"Comme si mon état de manchot avait été contracté dans quelque taverne, et non dans la plus grande affaire qu'aient vu les siècles passés, et présent, et que puissent voir les siècles à venir !"
Plus tard, il parcourut les villes principales de Sicile et Sardaigne, de Gênes et de la Lombardie. Il resta finalement deux ans à Naples, jusqu'en 1575. Cervantès était très fier d'avoir participé à la bataille de Lépante.

Esclavage à Alger

Le 20 septembre 1575, Cervantès bénéficia d'un congé et il s'embarqua de Naples pour l'Espagne.
Mais au large des Saintes-Maries-de-la-Mer, et alors qu'il naviguait à bord de la galère espagnole El Sol, le bateau fut attaqué par trois navires turcs commandés par le renégat albanais Arnaute Mamí, le 26 septembre 1575. Miguel et son frère Rodrigo furent emmenés à Alger. Cervantès fut attribué comme esclave au renégat Dali Mamí, marin aux ordres de Arnaute.

A cette époque pendant le XVI et XVII siècle, l'esclavage était une pratique intense des populations arabes, on estime qu'entre 1530 et 1780 cette pratique tua près de 2 milions d'esclaves blancs. La côte barbaresque, qui s'étend du Maroc à la Libye moderne, fut le foyer d'une industrie florissante de rapt d'êtres humains.
Les grandes capitales esclavagistes étaient Salé au Maroc, Tunis, Alger et Tripoli.
Pendant les XVIe et XVIIe siècles, plus d'esclaves furent emmenés vers le sud à travers la Méditerranée que, ne seront plus tard, déportés, vers l'ouest à travers l'Atlantique des africains noirs. Certains esclaves italiens, anglais, espagnols, français ... étaient revendus à leurs familles contre une forte rançon, certains furent utilisés pour le travail forcé en Afrique du Nord, et les moins chanceux moururent à la tâche comme esclaves sur les galères. Mais le sort le plus inhumain fut réservé aux esclaves africains noirs qui étaient systématiquement émasculés dès leur capture, et ne laissent donc aucune descendance.
Cervantes et son frère tombèrent dans les mains des trafiquants d'êtres humains comme le furent beaucoup d'autres à cette époque.
Il fit le récit de sa mésaventure dans L'Espagnole-Anglaise, qui fait partie des Nouvelles exemplaires.
Miguel, porteur de lettres de recommandations de la part de don Juan d'Autriche et du Duc de Sessa fut considéré par ses geôliers comme quelqu'un de très important et de qui ils pourraient obtenir une forte rançon.
C'était, selon l'expression de l'époque "un esclave de rachat" pour lequel on demanda cinq cent écus d'or de rançon.
Les sources permettant de retracer la captivité de Cervantès sont des écrits autobiographiques : ses comédies Los tratos de Argel, Los baños de Argel, "Les Bains d'Alger" et Le Récit du Captif inclus dans la première partie de Don Quichotte, aux chapitres 39 à 41.
Le livre du frère Diego de Haedo, Topographie et histoire générale d'Alger de 1612, qui offre des informations importantes sur la captivité de Cervantès, a été donné pour une source "indépendante".
Cependant, l'attribution de cette œuvre à Diego de Haedo est erronée, chose que lui-même reconnut en son temps.
Selon Emilio Sola, Antonio de Sosa, bénédictin et compagnon de captivité de Cervantès, a coécrit cet ouvrage avec son ami. En conséquence, le livre de Diego de Haedo n'est pas une confirmation indépendante de la vie de Cervantes à Alger, mais un écrit de plus de la part de Cervantès et qui porte aux nues son héroïsme.
Le récit de la captivité de Cervantès est épique.
Pendant ses cinq ans d'emprisonnement, Cervantès, d'esprit fort et motivé, essaya de s'échapper à quatre occasions. Pour éviter des représailles sur ses compagnons de captivité, il assuma la totale responsabilité de ces tentatives devant ses ennemis et préféra la torture à la délation. Il n'a cependant jamais été châtié, peut-être pour des raisons politiques.

Première tentative


La première tentative de fuite fut un échec, car le complice maure qui devait conduire Cervantes et ses compagnons à Oran les abandonna dès le premier jour. Les prisonniers durent retourner à Alger, où ils furent enfermés et mieux gardés.
En butte à de dures représailles, Cervantès fut alors employé aux carrières et aux fortifications du port. Il devint ensuite jardinier sous les murs de Bab El Oued pour son maître Hassan.
L'écrivain relate en partie ce dernier épisode dans L'Amant libéral inclus dans le tome I de Nouvelles espagnoles.
Cependant, la mère de Cervantès avait réussi à réunir une certaine quantité de ducats, avec l'espoir de pouvoir sauver ses deux fils. En 1577, après avoir traité avec les geôliers, la quantité de ducats se révéla insuffisante pour libérer les deux frères. Miguel préféra que ce soit son frère qui fût libéré. Rodrigo rentra alors en Espagne en possession d'un plan élaboré par Miguel pour se libérer, lui et ses quatorze ou quinze autres compagnons.

Seconde tentative

Cervantès s'associa au renégat El Dorador, "le Doreur" pour une deuxième évasion.
Le plan prévoyait que Cervantès se cachât avec les autres prisonniers dans une grotte, en attendant une galère espagnole qui viendrait les récupérer. La galère, effectivement, vint et tenta de s'approcher deux fois de la plage ; mais finalement elle fut capturée à son tour.
Le traître El Dorador dénonça les chrétiens cachés dans la grotte. Cervantès se déclara alors seul responsable de l'organisation, de l'évasion et d'avoir convaincu ses compagnons de le suivre. Le vice-roi d'Alger, Hassan Vénéziano, le racheta à son maître pour une somme de cinq cents écus d'or.
Dans le quartier algerois de Belouizdad, "la grotte de Cervantes" est réputée avoir été la cache de Cervantes et ses compagnons.

Troisième tentative

La troisième tentative fut conçue par Cervantes dans le but de joindre par la terre Oran alors sous domination espagnole. Il envoya là-bas un Maure avec des lettres pour Martín de Córdoba y Velasconote, général de cette place, en lui expliquant la situation et lui demandant des guides.
Le messager fut pris. Les lettres découvertes dénonçaient Miguel de Cervantès et montraient qu'il avait tout monté. Il fut condamné à recevoir deux mille coups de bâtons, mais la condamnation ne fut pas appliquée car de nombreuses personnes intercédèrent en sa faveur.

Quatrième tentative

La dernière tentative de fuite se produisit en 1579 avec la complicité du renégat Giron et à l'aide d'une importante somme d'argent que lui donna un marchand valencien de passage à Alger, Onofre Exarque. Cervantes acheta une frégate capable de transporter soixante captifs chrétiens.
Alors que l'évasion était sur le point de réussir, l'un des prisonniers, l'ancien dominicain le docteur Juan Blanco de Paz, révéla tout le plan à Azán Bajá.
Comme récompense, le traître reçut un écu et une jarre de graisse. Cervantes fut repris et condamné à cinq mois de réclusion dans le bagne du vice-roi. Azán Bajá transféra alors Cervantes dans une prison plus sûre, au sein de son palais.
Il décida par la suite de l'emmener à Constantinople, d'où la fuite deviendrait une entreprise quasi impossible à réaliser. Une fois encore, Cervantes assuma toute la responsabilité.

Libération

En mai 1580, les frères Trinitaires, frère Antonio de la Bella et frère Juan Gil, arrivèrent à Alger. Leur Ordre tentait de racheter les esclaves captifs, y compris en se proposant eux-mêmes comme monnaie d'échange.
Cinq cents esclavess furent libérés par leur entremise. Les sources divergent sur les modalités d'obtention des fonds. Certaines biographies avancent que la famille fortunée de Cervantes paya sa rançon19. Pour une autre source, Fray Jorge de Olivarès de l'ordre de la Merci resta en otage contre sept mille autres prisonniers.
Enfin, pour d'autres biographes, les frères Antonio de la Bella et Juan Gil ne disposaient que de trois cents écus pour faire libérer Cervantès, dont on exigeait cinq cents pour la rançon.
Frère Juan Gil collecta la somme qui manquait parmi les marchands chrétiens. Finalement, au moment où Cervantès était monté dans le vaisseau du Pacha Azán Bajá qui retournait à Constantinople avec tous ses esclaves, l'écrivain fut libéré le 19 septembre 1580 par un acte de rachat passé devant le notaire Pedro de Ribera, et il s'embarqua le 24 octobre 1580 en route pour Denia, d'où il gagna Valence en cherchant à gagner sa vie.

Retour en Espagne

Le 24 octobre, il revint enfin en Espagne avec d'autres captifs sauvés également. Il arriva à Dénia, d'où il partit pour Valence. Vers novembre ou décembre, il retrouva sa famille à Madrid.
C'est à ce moment-là qu'il commença à écrire Le Siège de Numance, de 1581 à 1583.
Il est probable que La Galatea fut écrite entre 1581 et 1583 ; c'est sa première œuvre littéraire remarquable. Elle fut publiée à Alcalá de Henares en 1585. Jusqu'alors il n'avait publié que quelques articles dans des œuvres d'autrui ou des recueils, qui réunissaient les productions de divers poètes.
La Galatea est divisée en six livres, mais seule la première partie fut écrite. Cervantes promit de donner une suite à l'œuvre ; elle ne fut pourtant jamais imprimée. Non sans autodérision, Cervantes place dans la bouche de l'un des personnages de Don Quichotte ce commentaire sur La Galatée :
"Il y a bien des années, reprit le curé, Pedro Perez, que ce Cervantes est de mes amis, et je sais qu'il est plus versé dans la connaissance des infortunes que dans celle de la poésie. Son livre ne manque pas d'heureuse invention, mais il propose et ne conclut rien. Attendons la seconde partie qu'il promet ; peut-être qu'en se corrigeant, il obtiendra tout à fait la miséricorde qu'on lui refuse aujourd'hui."

Cervantes

Dans le prologue de la Galatée, l'œuvre est qualifiée d'"églogue" et l'auteur insiste sur l'affection qu'il a toujours eu pour la poésie.
C'est un roman pastoral, genre littéraire déjà publié en Espagne dans la Diana de Jorge de Montemayor. On peut encore y deviner les lectures qu'il a pu avoir quand il était soldat en Italie.
De retour à Madrid, il eut une aventure avec la femme d'un aubergiste qui lui donna une fille naturelle, Isabelle, en octobre 1584.
Deux mois plus tard, le 12 décembre 1584, Miguel de Cervantes se maria avec Catalina de Salazar y Palacios dans le village d'Esquivias près de Tolède où le couple déménagea. Catalina était une jeune fille qui n'avait pas vingt ans et qui lui apporta une dot modeste.
Après deux ans de mariage, Cervantes entreprit de grands voyages à travers l'Andalousie. En 1587, il était à Séville, séparé de sa femme, sans que les raisons de leur séparation ne fussent claires.
Cervantes ne parla jamais de son épouse dans ses textes autobiographiques, bien qu'il fut le premier à avoir abordé le thème du divorce dans son intermède Le juge des divorces et alors que cette procédure était impossible dans un pays catholique.
Il conclut ce texte par :
"mieux vaut la pire entente
que le meilleur divorce"

Dernières années

Nommé commissaire aux vivres par le roi Philippe II lors de la préparation de l'attaque espagnole de l'Invincible Armada contre l'Angleterre, Cervantès séjourna à Séville entre 1585 et 1589.
Il parcourut à nouveau le chemin entre Madrid et l'Andalousie, qui traverse la Castille et la Manche.
Ce voyage est raconté dans Rinconete et Cortadillo.
Mais, en 1589, il fut accusé d'exactions, arrêté et excommunié. L'affaire le mettait aux prises avec le doyen et le chapitre de Séville. Au cours de ses réquisitions à Écija, Cervantès aurait détourné des biens de l'Église. Un peu plus tard, en 1592, le commissaire aux vivres fut arrêté de nouveau à Castro del Río, dans la province de Cordoue pour vente illicite de blé. Il fut de nouveau emprisonné pour une courte période et accepta un emploi à Madrid : il fut affecté au recensement des impôts dans la région de Grenade.
C'est vers cette époque qu'il commença à rédiger Don Quichotte.
Il eut l'idée du personnage probablement dans la prison de Séville, peut-être dans celle de Castro del Río. En tout cas, selon ses dires, "dans une prison, où toute incommodité a son siège, où tout bruit sinistre a son siège, où tout bruit lugubre fait sa demeure".
La malchance poursuivit l'écrivain qui avait déposé ses avoirs chez le banquier portugais Simon Freyre, lequel fit faillite.
Cervantès se retrouva de nouveau en prison à Séville de septembre à décembre 1597 où il retourna encore en 1602 et 1603.
En 1601, le roi Philippe III s'établit avec sa cour à Valladolid qui devint pour un temps la capitale de l'Espagne. Cervantès s'y installa en 1604 dans une maison près de l'hôpital de la résurrection qui lui inspira le décor du Colloque des chiens, et de Scipion et Berganza.
À la fin de 1604, il publia la première partie de ce qui fut son chef-d'œuvre : L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche.
Le livre fut un succès immédiat. Il y raillait le goût des aventures romanesques et chevaleresques qui dominait en son temps.
Cette œuvre marqua la fin du réalisme en tant qu'esthétique littéraire, créa le genre du roman moderne qui eut une très grande influence et constitue sans doute le plus bel exemple de roman picaresque.
Cependant en juin de 1605, Don Santiago Gaspar de Espeleta fut assassiné devant la maison de l'écrivain.
On accusa Cervantès sur la base d'insinuations des voisins, et sa famille fut mise à l'index. Il fut pourtant reconnu innocent.
De retour à Madrid avec la cour, Cervantès bénéficia de la protection des ducs de Lerma, de Bejar, et de Lemos ainsi que de celle du cardinal Bernardo de Sandoval, archevêque de Tolède.


En 1613 parurent les Nouvelles exemplaires, un ensemble de douze récits brefs, écrits plusieurs années auparavant. Selon Jean Cassou, ce recueil de nouvelles représente le monument le plus achevé de l'œuvre narrative de Cervantès :
"La peinture est sobre, juste ; le style brillant, précis ... on assiste à la naissance d'une poésie brutale et cependant jamais vulgaire".
La critique littéraire est une constante dans l'œuvre de Cervantès. Elle apparut dans la Galatea et se poursuivit dans Don Quichotte. Il lui consacra le long poème en tercets enchaînés le Voyage au Parnasse en 1614.
De même, dans Huit comédies et huit intermèdes, recueil de pièces de théâtre publié à Madrid en 1615, que Cervantès qualifie de nouvelles, "œuvres nouvelles" pour les distinguer de ses œuvres du début, le prologue présente une synthèse du théâtre espagnol depuis les origines jusqu'aux productions de Lope de Rueda et Lope de Vega.
Ce recueil réunit toute la production des dernières années de l'auteur.
La seconde partie du Don Quichotte ne parut qu'en janvier 1615 : L'Ingénieux chevalier don Quichotte de la Manche.
Cette partie sortit deux ans après la parution d'une suite apocryphe signée d'un mystérieux Alonso Fernández de Avellaneda publiée cours de l'été 1614 à Tarragone, et qui s'intitulait : L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, par le licencié Alonso Fernández de Avellaneda natif de Tordesillas.
On n'a jamais pu identifier l'auteur de cette contrefaçon déloyale. On sait que Alonso Fernández de Avellaneda est le pseudonyme d'un écrivain espagnol.
Les historiens ont émis plusieurs hypothèses quant au personnage qui se cachait derrière ce nom. Il pourrait s'agir de Lope de Vega, de Juan Ruiz de Alarcón y Mendoza, ou de Tirso de Molina. Un groupe d'amis de Lope est également évoqué.
Les deux parties de Don Quichotte forment une œuvre qui donne à Cervantès un statut dans l'histoire de la littérature universelle, aux côtés de Dante, Shakespeare, Rabelais et Goethe comme un auteur incontournable de la littérature occidentale.
Honoré de Balzac lui rendit hommage dans l'avant-propos de la Comédie humaine, où il le cita comme un de ses inspirateurs aux côtés de Goethe et Dante et dans Illusions perdues il qualifie Don Quichotte de sublime :
"Enfin le grand Cervantès, qui avait perdu le bras à la bataille de Lépante en contribuant au gain de cette fameuse journée, appelé vieux et ignoble manchot par les écrivailleurs de son temps, mit, faute de libraire, dix ans d'intervalle entre la première et la seconde partie de son sublime Don Quichotte"

— Honoré de Balzac

L'étrange inventeur, comme lui-même se nomme dans Le Voyage au Parnasse, mourut à Madrid le 23 avril 1616, en présentant les symptômes du diabète. Il était alors tertiaire de l'ordre de saint François.
Il fut probablement enterré dans le couvent de cet ordre, entre les rues madrilènes Cantarranas et Lope de Vega. C'est là qu'il repose avec son épouse, sa fille et celle de Lope de Vega bien que certaines sources affirment que, Cervantes étant mort pauvre, sa dépouille fut mise en fosse commune, et est aujourd'hui perdue.
Le roman Les Travaux de Persille et Sigismonde parut un an après la mort de l'écrivain ; sa dédicace au Comte de Lemos fut signée seulement deux jours avant le décès. Ce roman grec, qui prétend concurrencer le modèle classique grec d'Héliodore, connut quelques éditions supplémentaires à son époque mais il fut oublié et effacé par le triomphe indiscutable du Don Quichotte.

Œuvres

Roman
Alcalà (1584)« La Galatea »

La Galatée fut écrite en 1584 et publiée l'année suivante à Alcalá de Henares par Blas de Robles sous le titre de Primera parte de La Galatea, dividida en seis libros Première partie de Galatée, divisée en six livres.
Le livre aurait été commencé durant la détention à Alger et seule la première des six parties annoncées fut rédigée
Le livre met en scène deux pasteurs amoureux de Galatée alors que celle-ci préfère son indépendance. C'est un roman pastoral, genre alors classique.
Le livre permet une lecture à plusieurs niveaux et plusieurs trames s’enchevêtrent.
Cette œuvre représente une étape importante pour ce genre initié au milieu du xvie siècle par Diane de Jorge de Montemayor et par Diane amoureuse de Gil Polo et dont Cervantes se serait inspiré.
Sous la forme d’un roman pastoral, cette œuvre narrative est un prétexte à une étude de la psychologie amoureuse.
Plusieurs années plus tard, dans le Colloque des chiens, Cervantes, anticipant la désuétude de ce genre, moqua le roman pastoral : l'ambiance bucolique, le printemps éternel et les reproches d'un amant à une femme indifférente.
La bibliothèque virtuelle Cervantes affirme cependant qu'il ne s'agit pas seulement d'une œuvre de jeunesse, mais qu'elle "exprime dans un mélange de prose et de vers intercalés, au travers de la recherche d'une impossible harmonie des âmes et des cœurs, le rêve de l'Âge d'Or".
Cervantes, affirma à deux reprises vouloir donner une seconde partie à Galatée, dans Don Quichotte et dans Persilès et Sigismonde :
C’est la Galatée de Miguel de Cervantès, répondit le barbier.
"Il y a bien des années, reprit le curé, que ce Cervantès est un de mes amis, et je sais qu’il est plus versé dans la connaissance des infortunes que dans celle de la poésie. Son livre ne manque pas d’heureuse invention ; mais il propose et ne conclut rien.
Attendons la seconde partie qu’il promet ; peut-être qu’en se corrigeant il obtiendra tout à fait la miséricorde qu’on lui refuse aujourd’hui. En attendant, seigneur compère, gardez-le reclus en votre logis."
— Miguel de Cervantes, L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, chapitre VI
L'œuvre se présente comme la première partie en six livres d'une églogue en prose, c'est-à-dire d'un livre pastoral.
Cervantès raconte les amours traversées, heureuses et malheureuses, de plusieurs couples de bergers et de bergères : un amant meurt, l'autre devient ermite, plusieurs ne s'accordent pas, certains se marient. Ils chantent au bord du Tage, et la poésie alterne avec la narration.
La muse Calliope intervient et célèbre les poètes espagnols contemporains de l'auteur.
Rien, en cet ouvrage, ne reflète donc la réalité. Cependant, la Galatée est plus qu'un exercice de style, plus qu'un divertissement pour les gens de loisir. Quand une plume est libérée de la contrainte des faits, elle peut esquisser et créer un univers fictif idéal, elle explore le domaine du rêve, elle construit des temples et des chaumières, elle crée une nouvelle nature et un paysage neuf, elle aménage un antimonde où nous pouvons nous abriter du monde détestable des faits vécus, diurnes et concrets, du monde des contraintes.
Cette fantastique histoire, comme les rêves, se passe partout et nulle part, maintenant et toujours. La grande affaire dans l'églogue, c'est l'amour, parce que l'amour est la grande affaire des rêveurs.
Toutefois, quelques passerelles jetées à la hâte rattachent l'idée à la réalité : Naples, le Tage et l'épisode de Timbrio et Nisida, où l'on a cru déceler des allusions au passé de l'écrivain. Les personnages cachent, sous de rustiques pelisses, des personnes fort connues dont l'auteur sollicitait l'approbation, le patronage ou le mécénat : Diego Hurtado de Mendoza, l'auteur présumé du Lazarillo de Tormes, ici sous le nom de Meliso, mort en 1575 et dont les bergers visitent la tombe ; le poète Francisco de Figueroa, retiré à Alcalá, berger ici sous le nom de Tirsis ; don Juan d'Autriche, le vainqueur de Lépante, qui, dix ans auparavant, avait recommandé le soldat Cervantès, en somme de beaux esprits et des cœurs généreux, tels qu'ils auraient eux-mêmes souhaité que l'éternité les changeât.
Élaborant son ouvrage, Cervantès se souvient de La Diana, livre pastoral de Jorge de Montemayor, des ouvrages de Bembo, de Boccace et de Castiglione.
Les Dialoghi d'Amore de Léon l'Hébreu, philosophe néo-platonicien, commandent sa conception poétique. Car les couples de bergers ne sont que les ombres portées de l' Amour et de la Connaissance, Philon et Sophia respectivement chez Léon l'Hébreu, dont le dialogue, les échanges dialectiques tissent depuis l'aube des temps l'histoire de l'humanité sur la trame et l'ourdis des appétits individuels et des événements sociaux.
Cervantès attribue donc à ses modèles vivants, transformés en bergers, des mentalités archétypes et les fait vivre dans une Arcadie utopique, plus propice que l'Espagne à leurs débats et à leurs ébats.
Entre toutes ses œuvres, Cervantès préférait La Galatea. On le comprend, même si on ne le suit pas : quand il l'écrivit à son retour de captivité, ce fut sa façon de revendiquer son droit au rêve loin des tracas du monde, de défendre le sanctuaire de ses nuits apaisées. Pour mieux affirmer leur réalité contre les trompeuses apparences des jours tumultueux, il promit même d'écrire une seconde partie de La Galatea.

L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Mancha.

El Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha "L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche" est la plus célèbre des œuvres de Cervantes.
La première partie fut publiée à Madrid par Juan de la Cuesta en 1605. Le même éditeur imprima la seconde partie, L'ingénieux chevalier Don Quichotte de la Manche, en 1615.
Cervantes y raconte les aventures du pauvre hidalgo Alonso Quichano, vivant dans la Manche et obsédé par les livres de chevalerie.
Alors que l'époque des chevaliers est déjà révolue, il prend la décision de devenir le chevalier errant Don Quichotte, et de parcourir l’Espagne pour combattre le mal et protéger les opprimés.
Il rencontre de nombreux êtres restés célèbres, Sancho Panza, paysan naïf devenu écuyer ; Rossinante son cheval famélique ; Dulcinée du Toboso, l'élue de son cœur à qui Don Quichotte jure amour et fidélité.
Les auberges deviennent des châteaux, les paysannes des princesses, et les moulins à vent des géants. Aussi bien le héros que son serviteur subissent des changements complexes et des évolutions pendant le déroulement du récit.
En parodiant un genre en déclin, comme les romans de chevalerie, Cervantès créa un autre genre extrêmement vivace, le roman polyphonique. Dans ce genre, en jouant avec la fiction, se superposent les points de vue jusqu'à se confondre de manière complexe avec la réalité elle-même.
À l'époque, la poésie épique pouvait aussi s'écrire en prose. Après le précédent de Lope de Vega au théâtre, peu respectueux des modèles classiques, Cervantès inscrivit son œuvre dans un réalisme annoncé par une longue tradition littéraire espagnole qui avait été commencée avec El Cantar del Mío Cid, pour aller vers ce que certains qualifient déjà de "réalisme magique.
"Dès cette époque, le roman investit le réel, et fait reposer l'effort d'imagination sur les lecteurs et l'auteur :
"Heureux, trois fois heureux le siècle où l'intrépide chevalier Don Quichotte de la Manche vint au monde, s'exclame le narrateur, car… il nous offre, en ces temps si pauvres en distractions, le plaisir d'écouter non seulement sa belle et véridique histoire, mais les récits et nouvelles qu'elle renferme."
— Miguel de Cervantes, Don Quichotte de la Manche, chapitre XXVIII
Avec un génie créatif indubitable, il ouvrit de nouveaux chemins à partir de terrains connus qui paraissaient alors des impasses.
Il dépassa la nouvelle italienne, court récit, pour créer le premier roman moderne dont l'influence et la renommée éclipsèrent le reste de l’œuvre de l'écrivain. Borges considère Don Quichotte comme "le dernier livre de chevalerie et la première nouvelle psychologique des lettres occidentales.
Cervantès popularisa ce style en Europe où il eut plus de disciples qu'en Espagne. Le roman réaliste tout entier fut marqué par ce chef-d'œuvre qui servit de modèle à la littérature Européenne postérieure. L'influence de Cervantès - et en particulier du Don Quichotte - dans la littérature universelle est telle que l'espagnol est souvent nommé la "langue de Cervantes".
Il est vraisemblable que l'ouvrage a circulé sous une forme manuscrite ou a été lu, du moins en partie, dès 1604.
En janvier 1605, il paraît à Madrid sous le titre La primera parte del ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha. En 1614, à Tarragone, dans le royaume d'Aragon, sort, sous le nom emprunté d'Alonso Fernández de Avellaneda, une seconde partie, faite d'une série d'épisodes attribués aux deux personnages devenus entre-temps folkloriques , Don Quichotte et Sancho Pança. Ce procédé n'a rien de choquant.
Il est même tout à fait légitime et traditionnel dans le genre chevaleresque et pastoral. En 1615, à Madrid, Cervantès donne sa seconde partie et, pour clore une série éventuelle qu'il redoute, il fait mourir son héros.
Dès l'abord, le propos est délibéré. Il s'agit d'en finir avec les livres de chevalerie, avec cette littérature mensongère et pernicieuse dont s'était nourrie toute sa génération. Un épisode du roman confirme la véhémence des sentiments de l'auteur devant leurs histoires invraisemblables et insensées : la bibliothèque de Don Quichotte est condamnée au bûcher. Sans doute, ce feu de joie cache-t-il la profonde affection que Cervantès lui-même avait portée naguère à ces livres et la désillusion qu'il éprouva lorsque la quotidienne réalité donna un cruel démenti aux rêves et aux généreux projets qu'ils avaient suscités en son esprit.
De fait Don Quichotte met en question non seulement le genre chevaleresque, mais toute la littérature de fiction.
Parallèlement, il traduit le désabusement d'une élite, celle des lettrés, lorsque, au début du règne de Philippe III, le royaume naguère si orgueilleux dut négocier avec ses ennemis pour survivre, renonçant ainsi aux chimériques espoirs d'un retournement politique et religieux en Europe entre 1550 et 1600.
Car sous le règne de Philippe II, le prince bureaucrate, l'intelligentsia avait tenu les rênes du pouvoir à tous les échelons, depuis les Conseils, organes de l'Administration, jusqu'aux favoris.
Grands commis et fonctionnaires zélés, ils étaient tous, comme Cervantès lui-même, de moyenne extraction, bien formés dans les collèges d'Alcalá et de Salamanque, et soucieux du bien public. L'avènement du nouveau roi en 1598 marque la fin de leur influence.
La frivole jeunesse dorée afflue vers Madrid, la nouvelle capitale, et la transforme en un lieu de plaisir et de débauche.
Ses jeux galants, sous cape et dans les nouveaux quartiers de la ville, fournissent la matière de la jeune comédie espagnole, qui se moque des barbons sentencieux. Cervantès a cinquante-sept ans. Il comprend qu'à son âge on ne se bat plus contre des moulins à vent.
Et la part de lui-même qui rêve encore de victoire sur le mal il la délègue à son double, un être de fiction, le ridicule et pathétique Don Quichotte.
Affaire de tempérament personnel ou bien mentalité de l'Espagnol en cette décennie, la désillusion chez Cervantès n'a rien d'amer ni de tragique. On prend acte de l'effondrement social et moral ; on sourit des mésaventures de l'idéalisme ; on s'amuse de son échec : le monde est ainsi fait. Un nouveau sentiment prend forme, une humeur particulière propre à ceux qui sont capables, prenant leurs distances par rapport à eux-mêmes, de se gausser de leurs propres déconvenues. Cinquante ans auparavant, les hommes sages se moquaient de la folie des autres : c'était l'ironie.
En 1600, ils se prennent eux-mêmes en pitié : c'est l'humour.
Un nouveau genre
Or, la pitié est le ressort même d'un genre littéraire classique, l'épopée, où le héros, accablé d'épreuves par une cruelle divinité, sait les surmonter toujours. Le lecteur ou l'auditeur versait sur lui les tendres larmes de la compassion. L'épopée est donc un chant héroïque.
L'harmonie du nombre, du vers, sous-tend le récit des prouesses et des victoires d'un élu des dieux. Cependant, l'Arioste recourt à un vers déjà prosaïque pour conter les folies amoureuses de son Roland Orlando furioso. Cervantès, qui s'inspire de cet exemple, le pousse à bout. Pour lui, la pitoyable épopée de son Don Quichotte n'est pas due à la vindicte de quelque dieu implacable.
Il n'y a donc pas lieu d'employer le vers sublime, l'hendécasyllabe. D'autre part, si son héros était vraiment fautif, Cervantès dirait ses malheurs en vers courts et sans apprêts.
Mais l'hidalgo est victime de la société qui lui refuse son accord, de l'humanité qui renie l'harmonie divine de l'âge d'or, du monde cruel, irrationnel, absurde, chaotique, incohérent, inconsistant, qui le berne et le bafoue, un monde fait rien que d'apparences et qui dément avec brutalité l'existence de l'absolu, l'existence du réel et la possibilité même du Beau, du Bon et du Vrai.
Quand l'harmonie disparaît, le vers devient prose, et l'épopée se change en roman. Don Quichotte est un roman. Comme le poème épique, dont il prend le contre-pied, il est composé d'épisodes tournant autour d'un axe : les exploits, les prouesses du héros, entendez, en ce cas, les mésaventures d'un homme intègre dans un temps sans mesure et dans un milieu déréglé.
Pourtant, Don Quichotte porte témoignage : l'honneur, la justice, la valeur ne sont pas morts puisqu'on les moque, puisqu'on le berne, puisqu'il contraint la déraison à se mesurer avec eux et avec lui. Il arrive qu'au cours du récit la pitié fasse place à l'admiration, la prose narrative au morceau oratoire sur le bonheur agreste, sur les rapports entre la pensée et l'action (entre les lettres et les armes) et sur les charmes de l'amour désintéressé.
Alors, le ton s'élève, et la phrase devient plus nombreuse, plus mélodieuse. Parfois même, la poésie lyrique, avec son pur étonnement, apparaît au détour d'un lamentable épisode.
Ce nuancement lyrique n'affecte pas toutefois le caractère essentiellement épique de l'ouvrage.
En 1600, l'âge est passé de l'éblouissement devant les mondes inconnus et les vertus, les virtualités insoupçonnées de l'homme. Renaissance et humanisme sont révolus. Cervantès regarde parfois en arrière : quel poète eût-il été au temps de Camões ! Hélas, le soleil s'est couché à jamais sur l'empire de Charles Quint, la poésie n'est plus de mise. D'ailleurs, l'inspiration lui manque. Il sera prosateur.
Or, la rhétorique le dit, il ne peut y avoir de pure épopée. La narration héroïque, même infime, même sur le plan d'un roman, doit se nuancer non seulement de lyrisme, mais encore de drame. Cervantès est donc amené à introduire le dialogue dans son récit.
C'est son mérite et son originalité d'avoir refusé le colloque rigide du XVIe s. et adopté la conversation sans apprêt, presque naturelle des gens de bon goût. Il n'en pouvait trouver le modèle ni dans l'intermède, au langage souvent vulgaire, ni dans la comédie espagnole, toujours versifiée. Il emprunte encore au genre dramatique ses effets de suspens .
Les récits de Don Quichotte s'interrompent brusquement parfois, pour rebondir deux ou trois chapitres après, comme au théâtre les scènes s'entrelacent et se renouent à distance. Mais il reste que Cervantès refuse le dénouement de type théâtral, car les événements qui affectent l'homme n'ont pas de cesse, n'ont pas de fin. C'est pourquoi il avait échoué sur la scène, laissant le sceptre de la nouvelle comédie au grand Lope de Vega, qui, lui, ne voyait dans le monde que des conflits, des joutes, des duels, des tête-à-tête amoureux, des querelles et des réconciliations.
Notons ici toute la différence qui va de l'épisode romanesque à la péripétie théâtrale, de l'intrigue romanesque à l'action théâtrale. Don Quichotte ne cesse de vivre, ne cesse de mourir, tandis que, sur les planches, un Don Juan ou un Rodrigue, en cinq ou six coups de théâtre, résolvent leur affaire dans la mort ou dans le mariage.
Les personnages

Il en a coûté à Cervantès de tuer son héros. Don Quichotte meurt-il de tristesse ou de désabusement comme on l'a dit ? C'est simplement que l'auteur n'avait plus le temps d'écrire un troisième livre où son double fût devenu berger, et de plus il voulait interdire à quelque larron d'écrire sous un nom d'emprunt une quatrième suite d'épisodes, des aventures sans rime ni raison qu'on attribuerait à ses deux chers personnages.
Entre l'auteur et le couple Don Quichotte et Sancho Pança, il existe des liens très étroits, mais peu apparents. Ainsi, ils ont tous trois à peu près le même âge et ils franchissent avec une même irrépressible vitalité les traverses de leur existence.
Avec les chevaliers errants et leurs écuyers de l'histoire et des livres, ils partagent une semblable révérence pour les vertus cardinales : la Justice, la Prudence, la Tempérance et la Force d'âme, même lorsqu'ils n'y atteignent pas. Et ils donnent des vertus théologales, la Foi, l'Espérance et la Charité, une version tout humaine : la confiance, l'espoir et la générosité. Toutes ces dispositions de l'âme qu'ils admirent ou de près ou de loin donnent à leur personne, quels que soient leurs succès ou leurs mésaventures, la qualité suprême : la valeur, la vaillance. Ainsi, la valeur de Sancho l'écuyer- l'apprenti chevalier- se mesure à ses quelques victoires sur la peur, sur ce sentiment premier de l'homme sans raison, de l'homme insensé. Don Quichotte lui-même ne tient pour victoires que celles qu'il remporte sur lui-même. Ses plus cuisantes défaites lui offrent l'occasion de se dominer : elles confirment sa vaillance.
Ses aléas passagers et relatifs témoignent paradoxalement de l'immuable présence des absolus, de l'absolu au cœur de l'homme. Quant à Cervantès, nous savons que, aux prises avec l'adversité, il n'a jamais désespéré. Dans son ultime message adressé au comte de Lemos, c'est avec le sourire aux lèvres qu'il affronte la mort. Créature de fiction et créateur refusent ensemble l'attitude et, donc, la philosophie des stoïciens : car ce n'est pas avec résignation et mépris qu'ils acceptent les coups du sort contraire ; ils ne cessent, au contraire, de réagir au nom des principes et des idées contre ce qui, aux yeux des autres, devait apparaître inéluctable, contre la condition sociale ou la condition mentale de l'homme. Le manant Sancho lui-même, qui, parfois, tergiverse, se rallie toujours en fin de compte aux idéaux de la chevalerie : n'appartient-il pas de corps, de cœur et d'esprit au système, au vieux régime féodal ?
N'est-il pas l'homme lige de son seigneur naturel ?
Or, jusqu'à Cervantès, le héros, en tant que personnage, obéissait à certaines lois traditionnelles qui remontaient à l'origine de la poésie épique. Les êtres de fiction d'Homère et de Virgile assumaient la double condition, céleste et humaine, de leurs géniteurs, des dieux et des bergères d'Arcadie : ils en avaient les défauts et les vices ; leurs comportements n'étaient pas indiqués comme exemples à suivre ou paradigmes. Les poètes se limitaient à chanter les destins de leurs personnages, apportant de la sorte une explication et une justification de leur stupre ou une consolation pour celui des auditeurs. Car on ne saurait se montrer plus sévère pour les hommes que pour les divinités.
D'ailleurs, excès ou vices et manques ou défauts ne sont que des accidents dans le mélange des humeurs, c'est-à-dire dans leur tempérament. De là vient que la médiocrité ou la faiblesse particulières aux hommes sans vertu au sens propre, sans force vitale commencent à se manifester dans la littérature héroïque du xvie s. Or, le genre épique connaît un nouveau tournant lorsque les poètes s'emparent de Roland et d'autres personnages légendaires de la cour de Charlemagne et de la cour du roi Arthur. Les héros à la nouvelle manière connaissent nos communes misères, bien qu'ils échappent à nos humiliations et à nos déboires. La folie, 'la furia' les élève au-dessus des contingences.
Cervantès s'en souvient quand il envoie Don Quichotte faire le pitre tout seul dans la sierra Morena. Une autre étape dans l'évolution du personnage est franchie avec les romans de chevalerie en prose surgis de la souche d'Amadis.
Le héros devient un parangon et un modèle presque à notre portée, et son comportement est présenté comme un paradigme à notre adresse. Il vole de victoire en victoire malgré les embûches, les jalousies et les trahisons. Les lecteurs des livres de chevalerie, sainte Thérèse, saint Ignace de Loyola, Cervantès en son jeune temps, ont cru à l'efficacité de leur exemple sur les hommes et sur le destin du monde. Or, la vertu est trop facile lorsqu'elle est portée par le succès.
Combien plus honorable, « fameuse », devient-elle lorsque le héros maintient ses principes et ses fins, son réseau d'absolus, à travers les échecs et en dépit de l'hostilité d'une société sordide.
Voilà la grande trouvaille de Cervantès. La société a beau se dégrader, Don Quichotte avec Sancho n'en démordent pas : ils se réfèrent, non sans trouble, non sans vacillations, mais avec une candeur, une naïveté originelle, à l'âge d'or parmi tous les cœurs de pierre et toutes les âmes de plomb qui les entourent. Un pas de plus, Rousseau inventera le roman de l'éducation et Goethe celui de l'apprentissage : ils montreront comment garder intactes les valeurs dans un monde dégradé ; deux pas de plus, Balzac inventera le roman moderne et montrera comment une âme innocente se corrompt dans un milieu pourri.
D'autre part, Cervantès retient la leçon de l'humanisme.
Les héros ne sont pas nés de la cuisse de Jupiter. Ils s'appellent alors Chascun, Jedermann, Everyman ; nous dirions aujourd'hui, "il uomo qualunque". Plus caractérisés, on les nomme Jacques Bonhomme ou Ulenspiegel et, en Espagne, Lazarillo, Pierre le Malicieux dans la comédie (Pedro de Urdemalas) ou bien Sancho comme tout le monde, ou bien Don (Maître Un tel) comme presque tout le monde car les Espagnols se persuadent qu'ils sont de sang noble, qu'ils sont hidalgos.
C'est le cas de Don Pablo le Fureteur El Buscón de Quevedo ; c'est celui de Don Quijote, nom que l'on aimerait traduire par Maître Alphonse de Cuissard et Cotte de Mailles, gentilhomme. Cervantès voulait créer deux antonomases : il y a réussi. Don Quichotte et Sancho Pança sont non seulement ses doubles, mais ceux de ses lecteurs, les nôtres.
Puis, une tradition littéraire le guide. En son temps, il était exclu qu'un écrivain se donnât à lui-même la parole. La convention voulait qu'il se dissimulât sous les traits d'un bouffon gracioso pour dire à tout un chacun même au public, même au roi ses quatre vérités.
Car le fou est irresponsable : Dieu parle par la bouche de l'innocent, de l'idiot du village.
Le fou domestique, à la Cour par exemple, joue le rôle indispensable de porte-parole du peuple : vox populi, vox dei ; il est tout à la fois l'opinion publique, la gazette parlée, le compère à la langue bien pendue, le messager secret, le confident bavard, une plaie bénéfique à dessein entretenue au sein de la communauté.
Pour ridicule ou agaçant qu'il soit, on courrait un grand risque à ne pas tenir compte de ce qu'il murmure si sottement. Cervantès a un certain nombre de choses à dire qui lui tiennent à cœur. Comme Lope de Vega utilise dans ses comédies le bouffon Belardo, Cervantès parle par le truchement tant de Don Quichotte que de Sancho Pança.
Aussi bien Don Quichotte est son génie familier.
Si Dieu eût fait naître Miguel de Cervantès hobereau dans un bourg de la Manche, il eût été celui-là. Ses propres aventures dans un tout autre milieu ne sont point différentes, mutatis mutandis, de celles du chevalier de la Triste Figure : il s'est attaqué aux mêmes moulins à vent, qui ont eu le dessus ; il a délivré les mêmes bagnards qui se sont moqués de lui.
Seulement, comme par un effet héraldique d'abîme, Don Quichotte lui-même a un génie familier et qui se nomme Sancho, celui qu'il eût été si Dieu avait mis ses humeurs sous la peau d'un manant. Nul ne peut se débarrasser de son double. Aussi bien saurait-on concevoir une médaille avec un avers et sans revers, une monnaie avec pile et sans face ?
Enfin, un trait capital unit indissolublement Cervantès et Don Quichotte, Cervantès et Sancho. Dans son être le plus profond et même originel, Sancho est le produit de la sagesse populaire, des proverbes et des dictons, des légendes et des romances traditionnels. Cervantès aussi : il a été nourri à la mamelle et sur les bancs de l'école de cette science, ou sagesse, commune et sans âge, qui faisait l'admiration des humanistes et l'objet de leurs compilations.
De même, Don Quichotte doit son être le plus profond et même originel aux livres de chevalerie, qui ont modelé son esprit et sa langue. Cervantès aussi, avec cette différence que sa folie résulte de la convergence d'autres lectures, celle des Anciens avec celle des Modernes, celle de l'Odyssée avec celle d'Amadis. Tous deux, créateur et créature, ont laissé déborder sur leurs jours les rêveries des longues veillées passées avec des preux et des héros ainsi que les hantises de leurs nuits les plus émues.
L'un et l'autre sont les fils de leurs lectures et de leurs expériences. Les lectures sont en partie communes, et les expériences sont analogues. Qui plus est, Cervantès, en 1614, part en guerre contre Avellaneda, l'auteur de la suite apocryphe, parce qu'il avait dénaturé son héros.
Pour lui, défendre Don Quichotte ou se défendre, c'est du pareil au même. Rien ne les sépare.
Composition du roman
Cervantès partage les idées de ses contemporains sur la théorie littéraire.
Il avait médité la Filosofía antigua poética d'Alonso Lopez Pinciano, qui parut en 1596. Peut-être même remonta-t-il- avant ou après cette date- jusqu'aux théoriciens italiens dans le courant desquels se situe cet important ouvrage, Lodovico Castelvetro en 1570, Alessandro Piccolomini en 1575 et surtout Francesco Robortello, qui combinait Aristote et Horace dans son commentaire de 1548.
Il avait aussi sous les yeux de brillantes illustrations de ces théories dans l'œuvre de Giraldi Cintio et du Tasse.
Dans le chapitre XLVII de la première partie de Don Quichotte, Cervantès tente de définir le type de roman qu'il eût aimé écrire. Certes, ses idées rendent compte non point de Don Quichotte, mais de Persiles et Sigismonde ouvrage qui allait donner dans une impasse.
Toutefois, si l'on écarte son insistance sur les connaissances encyclopédiques qu'un ouvrage littéraire devrait répandre, il reste que le roman est pour lui- nous l'avons vu- une épopée en prose, à laquelle se mêlent des éléments dramatiques et des éléments lyriques.
Les épisodes doivent exposer au lecteur un problème psychologique ou moral et même une énigme, puis proposer une solution logiquement satisfaisante.
L'auteur les multiplie donc, les imbrique ou les tresse les uns dans les autres, de sorte qu'ils apparaissent, disparaissent et réapparaissent dans le cours rectiligne de la vie du héros. Un roman n'est jamais achevé ; il peut rebondir en une deuxième ou troisième suite.
Le monde et la vie continuent : Sancho et ses enfants survivent à Don Quichotte.
Cette « ars poetica » du roman, technique de son architecture, commande une ars rhetorica, technique de son écriture.
Le langage nouveau est fait d'une sélection cohérente dans le lexique global de l'espagnol et dans sa syntaxe. Lexique et syntaxe doivent, en effet, rendre compte rationnellement d'un certain nombre de choses et de notions, c'est-à-dire les nommer, puis les lier afin de mettre un commencement d'ordre dans le chaos des données immédiates de nos sens.
Certes, il faut renoncer au vers épique, qui imposait sa parfaite cohérence au monde le plus absurde.
Mais la prose romanesque doit être harmonieuse ou, comme dirait Boèce, musicalement nombreuse, afin d'orienter le lecteur dans le labyrinthe du « vécu ». Elle ne saurait se proposer de dire la vérité, comme le fait l'épopée au degré sublime, l'épopée homérique, où interviennent les dieux et leurs absolus. Elle ne vise qu'à la vraisemblance, qui est à la mesure des hommes et de l'imperfection de leurs sens ou de leur entendement.
Car elle se situe au degré infime ou, tout au plus, médiocre c'est-à-dire moyen de ce genre littéraire. Plus la fiction romanesque s'éloigne du cours normal des événements, multiplie- à la manière byzantine- les rencontres inattendues, les hasards incroyables et les prodiges, plus il convient de raccrocher l'action à des faits incontestables situés dans des lieux et des temps familiers au public.
Ainsi, l'ouvrage devient un tissu inextricable d'inventions arbitraires, mais significatives ainsi que de réalités concrètes et sensibles. Le lecteur accepte volontiers ce mélange, car il sait d'expérience qu'il n'existe pas de limite précise entre l'imaginaire et le réel, entre le rêve et l'état de veille, entre les croyances qu'il a puisées dans les livres et l'action quotidienne qu'elles imprègnent et orientent.


Cliquez pour la suite --> http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=3421#forumpost3421

Posté le : 28/09/2013 21:45
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Les historiettes
Modérateur
Inscrit:
11/01/2012 16:10
De Rivière du mât
Messages: 682
Niveau : 23; EXP : 75
HP : 0 / 568
MP : 227 / 20730
Hors Ligne
Le titre semble léger et ludique, en fait c'est un ouvrage fort sérieux dont l'auteur est Tallemant des Réaux (sur lequel je proposerai peut-être une page du dimanche car son décès le 10 novembre 1692 tombe un dimanche cette année - c'est sûr, j'ai regardé à deux fois le calendrier !).

Ouvrage sérieux, mais dans lequel on rit toutefois, à preuve ces deux extraits (dans la langue de l'époque, c'est le texte de l'édition de la Pléiade), dont le premier est un peu leste et assez misogyne, mais assez truculent :

Henry IIIe fit bien pis à une illustre courtisane. Il coucha une nuict avec elle ; le lendemain elle faisoit l’entendue et disoit à tout le monde qu’elle avoit couché avec les Dieux. « Mais », luy dit quelqu’un, « les Dieux font-ils mieux que les hommes ? – Ils payent mieux », dit-elle, « mais ils ne font que cela ; patience, 1.200 escus d’or sont bons. » Le Roy le sçeut et luy fit passer douze Suisses sur le corps à cinq solz pièce. « Cette fois-là », dit-il, « elle pourra se vanter d’avoir esté bien foutue et mal payée. »


Quand il (Henry IV) vint à donner le collier à M. de la Vieuville […] et que la Vieuville luy dit, comme on a accoustumé : « Domine, non sum dignus. – Je le sçay bien, je le sçay bien », lui dit le Roy, « mais mon nepveu m’en a prié. »

Posté le : 28/09/2013 21:34
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Miguel Cervantes suite
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57687
Hors Ligne
suite

Le gentilhomme campagnard Alonso Quijano n'a pu s'accommoder du bouleversement politique et social qui altère les relations d'homme à homme dans son village. Il s'est réfugié dans les livres, qui ignorent les trafics honteux de la marchandise, dans ces belles histoires où les vassaux échangent comme naturellement les produits de leur labeur contre la protection du seigneur, où la terre n'appartient à personne et offre ses fruits aux âmes innocentes.
L'hidalgo de la Manche se tourne vers le passé, ou du moins vers l'image idéale qu'en offrent les livres de chevalerie, les romances faussement historiques, les légendes des pairs de Charlemagne et des compagnons du roi Arthur.
Il décide de rejoindre le pays merveilleux où règnent la vertu et l'honneur, bien au-delà de son mesquin village. Il aspire à la renommée que les chroniqueurs octroient aux chevaliers errants, car il confond l'histoire avec le récit de l'histoire, le monde avec le livre du monde. Il fourbit donc ses armes, se proclame Don Quichotte de la Manche, invente une dame de ses pensées, Dulcinée du Toboso, qui le maintienne toujours au-dessus de lui-même ; il enfourche son mauvais cheval, qu'il nomme Rossinante, et il part à la dérobée.
La première auberge sur son chemin lui paraît être un château. Il y est mal reçu : c'est sûrement un château enchanté. Le tenancier s'amuse et l'arme chevalier. Une occasion se présente de redresser un tort. Don Quichotte libère un jeune garçon que fouettait son maître. À peine a-t-il tourné le dos que le maître redouble de coups. Voilà bien un signe des temps et de nos malheurs.
Autrefois, les gentilshommes protégeaient leurs serviteurs. Les riches paysans, qui, maintenant, font la loi, les exploitent et les battent. Puis Don Quichotte s'en prend à des négociants de Tolède, tenants eux aussi du nouveau régime, des gens qui ne croient que leurs sens et pour qui l'amour n'a qu'une valeur marchande. Leurs muletiers le rouent de coups.
Dans le village, le curé, licencié de théologie, et le barbier, plus ou moins chirurgien, l'un et l'autre représentants de la nouvelle société, s'inquiètent de la disparition du gentilhomme. Un laboureur le ramène à la maison.
La bibliothèque de Don Quichotte fait alors l'objet d'un minutieux scrutin ; la plupart des ouvrages sont condamnés au feu. Les « lettrés » villageois font une exception pour Amadis de Gaule, le premier des livres de chevalerie, une autre pour La Diana de Jorge de Montemayor, le premier livre de bergerie, et quelques autres encore pour des épopées en vers et des poèmes lyriques.
C'est là l'occasion pour Cervantès de porter des jugements sur la littérature qui l'a formé et de se démarquer par rapport à ses modèles. Or, il se montre bien indulgent.
Si l'on croit dans les livres au point de vouloir ajuster sa conduite sur leurs paradigmes, les plus pernicieux sont non les plus mauvais, mais les plus efficaces. Don Quichotte en apporte le témoignage. Cervantès aimait trop la littérature. Il épargne la meilleure.
Or, un pauvre laboureur, Sancho Pança, sans doute vieux jeu et ancien régime, se laisse tenter par la Fortune et par l'hidalgo. Plutôt que de trimer sur la glèbe, il deviendra écuyer. On en a vu d'autres qui, par cette voie, accédèrent à quelque marquisat ou vice-royauté : ainsi le conquistador Pizarro, qui fut porcher en son enfance. Don Quichotte et Rossinante prennent la route de nouveau, mais, cette fois, Sancho et son âne les accompagnent.
L'hidalgo voit des géants.
L'écuyer l'avise : ce sont des moulins à vent. Qui a raison ? Ces grandes machines à moudre, d'origine hollandaise et tout récemment implantées en Castille, représentaient le dernier progrès de la technique ; elles avaient bouleversé l'exploitation des terres, elles avaient ruiné les gentilshommes campagnards et vidé les villages et les bourgs de leurs paysans, devenus inutiles. Nos deux héros y voient justement des ennemis. L'un ne s'incline pas et les défie. L'autre sait qu'il n'y a rien à faire contre eux, contre la nouvelle société. Don Quichotte, happé par les ailes, roule à terre, moulu autant que l'eût été un sac de blé.
Puis le héros aperçoit en chemin des bénédictins auprès d'un carrosse.
Il imagine que ce sont des enchanteurs qui enlèvent une haute princesse. Il les assaille. Est-ce bévue du personnage ? Est-ce malice de l'auteur ? Le lecteur, lui aussi, a droit à son interprétation : mutatis mutandis, il peut l'entendre comme une satire des ordres réguliers qui séquestrent l'Église et la revanche que Cervantès eût aimé prendre sur ce clergé qui ruine le royaume.
L'auteur feint alors d'ignorer la fin de l'histoire de Don Quichotte, mais il la retrouve par hasard dans un manuscrit rédigé par un chroniqueur arabe, Cide Hamete Benengeli. Il achète l'ouvrage à prix d'or et se le fait traduire par un « morisque », un Maure espagnol converti par force au christianisme. Est-il besoin de dire que, dans son livre, le musulman se réjouissait des défaites du chevalier de la Manche ?
Pour Cervantès, du moins, l'islam naguère tremblait devant la chevalerie. Or, maintenant, des moines poltrons et des Biscayens vaniteux, il n'a plus rien à craindre. Tel est le sens de cette simple anecdote : à bon entendeur, salut !
La faim tenaille les deux compagnons. C'est une glorieuse épreuve pour l'un, une misère avec des tiraillements d'estomac pour l'autre. Don Quichotte évoque alors l'âge d'or et son idéale communauté des biens. Il oppose la vie simple et rustique à la vie semée d'embûches de notre monde dégradé, le village de naguère à la Cour, à la ville de maintenant, surgie précisément en ce xvie s.
Un berger lui raconte à sa manière comique la noble histoire de Chrysostome, un étudiant astrologue qui désespéra et se tua pour l'amour d'une bergère, Marcelle. C'est que, aux yeux de Cervantès, la science et les récits pastoraux troublent les esprits autant que la sagesse idéale et les livres de chevalerie.
L'Amour ferait le bonheur sur cette terre s'il était partagé par tous ses habitants. Hélas ! Marcelle n'aime pas Chrysostome, et sa cruauté est l'effet même de la liberté de son cœur. La condamnerons-nous ?
Don Quichotte est roué de coups par des muletiers, une vile engeance liée au récent trafic de la marchandise. L'Espagne s'était couverte, surtout à partir de 1520, d'un réseau de routes tout au long desquelles des auberges offraient leur inconfort et leurs occasions de débauche aux négociants et à leurs valets, profiteurs du nouveau régime. La Justice et ses prévôts ne viennent pas à bout de tous ces malfaiteurs plus ou moins en règle avec la loi.
Ainsi, Sancho est berné dans une couverture de lit, tandis que Don Quichotte perd son souffle à maudire les malicieux, les diaboliques représentants du nouvel ordre social.
Deux grands nuages de poussière s'élèvent au loin. Ce sont deux troupeaux de mérinos. Don Quichotte y voit des armées qui vont s'affronter, l'une commandée par l'empereur Alifanfaron, l'autre par le roi Pentapolin. Le lecteur de 1605 aura reconnu aussitôt les deux clans rivaux de la Mesta, cette corporation de grands féodaux éleveurs de moutons qui monopolisaient le commerce de la laine. Don Quichotte prend parti.
Cervantès lui donne tort, car les uns comme les autres ont ruiné l'agriculture espagnole, en exigeant le libre passage des troupeaux transhumants. Ils ont chassé et chassent encore les hidalgos de leurs maisons fortes et les paysans des villages.
Or Philippe II, bien conseillé, avait pris des mesures contre cette très puissante et très noble corporation dans son ensemble. Là encore, Cervantès trouve le moyen de suggérer sa prise de position politique.
L'hidalgo s'en prend à une douzaine de prêtres qui accompagnent un mort jusqu'à sa sépulture. C'est une erreur ; il le confesse ; mais, dit-il, il est si facile de confondre les gens et les choses d'Église avec des fantômes et des épouvantails. Voilà encore un sous-entendu qui en dit long sur les opinions de l'auteur.
Sancho entre de plus en plus dans le jeu de son maître, mais il garde prudemment ses distances.
Il le nomme chevalier de la Triste Figure. N'est-ce pas l'attitude de Cervantès lui-même, qui sait à quoi s'en tenir sur l'efficacité des combats d'arrière-garde contre le nouveau régime ?
Un fracas épouvantable et continu alarme le couple d'amis.
Le courage et la couardise se disputent leur cœur. C'était le bruit d'un moulin à foulon, une nouvelle invention, qui peut-être allait chasser des villages les métiers à tisser avec les tisserands. Réflexion faite, le risque est moins grand que le bruit. Il n'y aura pas concurrence. Le défenseur des pauvres se détourne du faux péril. De toute façon, les Don Quichotte d'hier et d'aujourd'hui n'arrêteront pas ce qu'il est convenu de nommer le progrès.
En vain se couvriront-ils la tête de quelque heaume rutilant de Mambrin, plat à barbe d'un barbier ambulant.
Le chevalier errant délivre un groupe de forçats que la Justice envoyait au bagne. Or les malandrins ne reconnaissent pas non plus les lois de la chevalerie. Ils vivent en parasites de la société telle qu'elle est : ils ne veulent pas la détruire. Profiter de la générosité de Don Quichotte est une chose, se soumettre à ses manies est autre chose.
Don Quichotte, incompris, se réfugie dans les solitudes de la sierra Morena et les affres délicieuses de l'Amour. Comme Roland pour les beaux yeux d'Angélique, il devient fou furieux, et c'est pour Dulcinée. Trois autres formes de la passion démentielle se présentent au détour du chemin : Cardenio- cet autre Othello- se croit trompé par Lucinde ; Dorothée poursuit anxieusement Don Fernand, son amant perdu ; Anselme- autre Narcisse- n'aime en Camille que sa propre image. Mais l'Amour triomphe avec Claire et Louis.
Don Quichotte médite alors sur les rapports entre la pensée et l'action dans un éloquent discours sur les armes et les lettres. Mais le curé et le barbier jouent sur la confusion du rêve et de la réalité dans l'esprit du héros et ils le ramènent, victime d'une fausse incantation, au village sur un char à bœufs.
Cependant, le fou généreux fonce sur une procession de flagellants. Ceux-ci rejettent leur cagoule et s'apprêtent à contre-attaquer à coups de discipline. Ce fut la dernière sottise du chevalier errant : ramener les pacifiques à la violence et les pénitents au péché.
La gouvernante et la nièce accueillent tendrement l'égaré, et l'épouse de Sancho retrouve un mari à la fois plus sage, plus crédule et mûri par l'expérience. Somme toute, quelle belle vie pour un paysan que de courir les monts et les vaux, les châteaux et les auberges, sans bourse délier !
Cervantès termine alors la première partie de son Don Quichotte sur une promesse : il contera dans la prochaine la troisième sortie de son héros.
Quelqu'un le devança, qui en 1614 fit paraître une seconde partie. Il signait Alonso Fernandez de Avellaneda, un nom d'emprunt, et il cherchait simplement son profit dans l'opération.
Cervantès se hâte ; il publie la vraie suite en 1615. Dans un prologue très spirituel, il raconte des histoires de fous à propos de son stupide imitateur. Don Quichotte lui-même proteste ; il ne se reconnaît pas dans le mauvais portrait qu'on a fait de lui : on n'a voulu retenir que ses échecs pour s'en gausser. Mais que sont devenus sa valeur et sa vertu, sa foi et son espoir ? Fallait-il passer sous silence la bonté, la fidélité et le courage de Sancho, noble écuyer, prêt à reprendre la route aux côtés de son maître et seigneur, tant pour le protéger que pour risquer sa propre chance ? Ils partiront. C'est la seule réponse non à la sotte calomnie, mais à l'appel de la gloire, claironnée aux quatre vents par douze mille exemplaires de la première partie.
Dulcinée leur échappe, envoûtée par le Diable, qui en fait une vulgaire paysanne. Sur la route de Saragosse, des comédiens les accablent d'une grêle de pierres. C'est bien la revanche mesquine du nouveau théâtre contre le roman, devenu célèbre. N'empêche que Cervantès demeure dans la mémoire des hommes plus que Lope de Vega. Un bachelier, avec sa mauvaise science et sa force défaillante, tente en vain de ramener Don Quichotte à la maison, à la Raison.
Diego de Miranda, honnête homme, apprend à l'apprécier, mais blâme sa démesure lorsqu'il le voit affronter un lion en cage. Pourtant, à cœur vaillant rien d'impossible. Et la preuve, c'est que le pacifique animal lui tourne le dos. Cervantès, là-dessus, intervient pour guider ses lecteurs. Il ne veut pas choisir entre leurs interprétations, toutes également plausibles.
Il se borne à défendre la Poésie c'est-à-dire la création littérairequi comprend toutes les sciences du monde, du moins la plupart ». Qui lui donnerait tort ? L'imagination n'a-t-elle pas peuplé notre monde intérieur et notre monde extérieur de concepts bouleversants et de machines fantastiques ? Don Quichotte et Sancho assistent aux apprêts des noces du riche Gamache et de la belle Quiteria. Mais la jeune fille se fait enlever avant l'heure par le pauvre et fidèle Basile. Ainsi, la loi de la nature l'emporte sur la tricherie de la société. Notre héros s'en réjouit, et Sancho regrette le festin. Puis Don Quichotte descend au fond d'une caverne, s'endort, rêve et, à son retour, mêle et mélange dans son récit les données de ses sens et celles de son imagination. Le sceptique Sancho s'efforce de les distinguer ; un savant, plus averti, tiendrait compte des unes et des autres. Mais quelle tâche difficile ! On le voit bien quand Don Quichotte se laisse prendre au boniment d'un montreur de marionnettes. Il en corrige pertinemment les invraisemblances, mais, victime de l'illusion comique, il intervient l'épée au poing en faveur d'un personnage, un vaillant chevalier amoureux menacé par une horde d'infidèles.
Ainsi, dans cette seconde partie, l'auteur, s'assimilant de plus en plus à son personnage, se détourne des problèmes que posait l'évolution de la société à un citoyen conscient et engagé.
Il est devenu à la fois plus sage, plus philosophe, plus écrivain. Il s'efforce de démêler et de définir les rapports complexes entre l'auteur et le livre, entre la réalité et ses aspects, entre les sens et l'imagination, entre la raison et la démesure, entre les choses et les mots.
Car la folie est partout et chez ceux qui se croient les plus sensés.
Le monde et même le grand monde font une place à la déraison. Ainsi, un duc et une duchesse font un accueil triomphal- et dérisoire- au chevalier et à son écuyer, qu'ils traitent en bouffons. De fait, c'est l'essence même de la noblesse que, follement, ils bafouent, c'est leur propre condition qu'ils renient ou qu'ils rabaissent par leur mesquinerie. Lorsque Sancho Pança est nommé par plaisanterie gouverneur de l'île de Concussion, son bon sens sait déjouer les perfidies, éviter les embûches et résoudre les embarras quotidiens.
À eux deux, quelle belle leçon de politique généreuse, efficace Don Quichotte et Sancho donnent à nos sociétés, livrées aux faux prestiges et aux bas calculs, et à nos gouvernants, sordides, incapables et frivoles.
Sur la route de Barcelone, ils font la rencontre du généreux bandoulier Roque Guinart et de ses soixante hommes. Le désordre est toujours le fruit de l'injustice. Mais Roque sait freiner ses propres excès.
Bandit de grand chemin, il prend une sorte de droit de péage, souvent modéré, sur les voyageurs au bénéfice de la troupe. Car l'ordre véritable est toujours le fruit de la justice et de la discipline librement acceptée. Roque Guinart aide nos deux pèlerins nécessiteux de « son » argent. Il leur donne aussi des lettres de recommandation auprès d'un chef fort cultivé de l'un des deux clans qui se disputaient alors le pouvoir réel en Catalogne. Le lucide Cervantès légitime ainsi par ce biais devant son public espagnol une dissidence politique en Catalogne.
Puis, curieusement, le roman s'entrouvre au reportage objectif dans la manière de ce qui fut plus tard le journalisme. Car les expériences barcelonaises de Don Quichotte et de Sancho relèvent davantage de la rubrique ou de la chronique de presse que du roman. On visite une imprimerie, on assiste aux brimades à bord d'une galère, on « participe » à l'abordage d'un bateau turc.
Ce dernier récit est suivi de digressions pleines de sous-entendus politiques : les morisques exilés en 1609 devraient servir de lien entre Mores nord-africains et chrétiens espagnols, car leur alliance mettrait fin à l'odieuse tyrannie de la petite minorité turque sur l'Algérie et à la menace des Barbaresques sur les côtes d'Espagne. Il y a même, à ce propos, une nouvelle galante digne d'un feuilleton dans un périodique.Devant tant d'événements d'importance nationale et dans cette grande ville où l'individu est perdu dans la masse, Don Quichotte et Sancho perdent leur initiative ; ils deviennent et ils se sentent les jouets passifs de l'histoire qui se fait.
Oui, il est grand temps que le bachelier Carrasco les ramène, vaincus, au village, à la maison, là où les individus trouvent leur vraie dimension. Une dernière fois, les deux bons amis rêvent d'une nouvelle métamorphose où ils deviendraient l'un le berger Quijotiz, l'autre le berger Pancino.
C'est que Cervantès a épuisé le thème chevaleresque : ses héros ne parviennent plus qu'à faire des variations et des fugues à partir du motif, du leitmotiv, de la folle aventure en marge de la société établie. Il est grand temps que Don Quichotte laisse l'armure où il est engoncé pour la libre pelisse. Le bon chevalier reconnaît son erreur et le caractère utopique de la société dont il rêva et qui serait fondée sur la seule justice.
Mais il se laisse prendre à une théorie bien différente et, certes, pleine d'attraits : et si l'homme renonçait à l'usage de la force, qu'adviendrait-il ? Le refus individuel de la violence, au sein d'une communauté agreste, politiquement et économiquement immuable, voilà la panacée. Pour le prouver, il n'est que de rester sur place, en ce tranquille village de la Manche, dont Cervantès ne veut pas rappeler le nom.
Ce n'est pas le moindre paradoxe que nos deux aliénés, ainsi, continuent à se proposer de désaliéner leurs prochains, victimes du nouvel ordre économique, et à défendre les hidalgos ruinés, les paysans chassés de leurs villages contre les trafiquants en proie à la fièvre de l'or et toute l'écume de voleurs, d'aubergistes, de muletiers, de comédiens, d'escrocs, de poètes, de bandits de grand chemin et d'oisifs, ridicules stratèges de la politique.
Leur exemple est probant : ils sont parvenus à se désaliéner eux-mêmes ; ils ont vaincu les démons que les livres de chevalerie avaient installés dans leur esprit. Ils savent maintenant que l'homme s'aliène dès qu'il vit en société, que, s'il ne s'y soustrait, il ne saurait désaliéner les autres. Seule subsiste une chance : la solitude du berger pacifique dans une communauté champêtre primitive et toute simple.
Il y avait bien une autre solution, qu'amorça un jour Sancho au cours d'un entretien avec son maître : la sainte vie de l'ermite. Mais Cervantès l'élude. Le fait est significatif. Entre la faveur spirituelle du xvie s. et le conformisme religieux du xviie s., Cervantès maintient un humanisme ou réticent ou prudent à l'égard de l'Église.
Il y a même une troisième solution, la plus sûre, que notre pauvre héros et notre pauvre écrivain accueillent comme une délivrance, le double en 1615, l'autre en 1616, la mort où ils vont se retrouver enfin tels que l'éternité les change, hommes quelconques- Alonso Quijano et Miguel Cervantès- et donc immortels, dignes d'exemple jusqu'au bout, jusqu'à cette grande et ultime aventure.
Ils se retirent l'un et l'autre sur la pointe des pieds. Ils demandent pardon de leurs sottises et de leurs erreurs.
Ils ont parlé, ils parlent encore pour nous tous

Nouvelles exemplaires de 1613

Novelas ejemplares, Les Nouvelles exemplaires sont un ensemble de douze nouvelles inspirées du modèle italien caractérisé par son idéalisme.
Elles sont écrites de 1590 à 1612 et publiées en 1613. Cervantes les nomme "emplaires" parce que c'est le premier exemple en castillan de nouvelles de ce type au caractère didactique et moral inscrit dans la narration.
C'est ce qu'il explique dans le prologue du livre :
"C'est à cela que s'est appliqué mon entendement, par-là que m'emmène mon inclinaison, et plus que je ne veux le faire comprendre, et c'est ainsi, que je suis le premier à avoir nouvellé en langue castillane, car la plupart des nombreuses nouvelles qui courent dans cette langue, sont traduites de langues étrangères, et celles-ci sont les miennes propres, non imitées ni appropriées ; mon intelligence et ma plume les engendrèrent, et elles vont grandissantes dans les bras de l'imprimeur."
— Miguel de Cervantes, Nouvelles exemplaires, Prologue
C'est un ensemble de douze récits brefs.
Son inspiration est originale, et il tente diverses formules narratives comme la satire lucianesque, Le Colloque des chiens, le roman picaresque, Rinconete et Cortadill, la miscelánea et le mélange de sentences et de mots d'esprits, Le Licencié Vidriera, le roman grec, L'Espagnole anglaise, L'Amant libéral, le roman policier, La Force du sang, la narration constituée sur une anagnorèse, La Petite Gitane, Le Jaloux d'Estrémadure, dont le personnage principal Cañizares est considéré comme une "figure vraiment grande" à l'instar de Don Quichotte et du Licencié de Vidriera.

Selon Jean Cassou, ce recueil de nouvelles représente le monument le plus achevé de l'œuvre narrative de Cervantès.
Les nouvelles suivantes complètent le recueil : La Tante supposée, La tía fingida, L'Illustre laveuse de vaisselle, La ilustre fregona, Les Deux jeunes Filles,Las dos doncellas, Madame Cornelie, La señora Cornelia, Le Mariage trompeur, El casamiento engañoso.

Persilès et Sigismonde, histoire septentrionale de 1617
Les Travaux de Persille et Sigismonde.
Les Travaux de Persille et Sigismonde, Los trabajos de Persiles y Sigismunda, historia septentrional est la dernière œuvre de Cervantes qui employa les deux dernières années de sa vie à l'écrire sur le patron du roman grec.
Il promettait de terminer ce livre au fil de ses œuvres antérieures, dans le prologue des Nouvelles exemplaires, dans le Voyage au Parnasse et dans la dédicace de la seconde partie du Don Quichotte.
Cervantes considérait Persilès et Sigismonde comme son chef-œuvre.
Le livre fut terminé le 20 avril 1616, deux jours avant sa mort et fut publié en 1617.
Au lieu de n'utiliser que deux personnages centraux, Cervantès fait appel à un groupe comme fil conducteur de l'œuvre. Sigismonde, princesse de Frise, prend pour surnom Auristelle et Persille, prince de Thulé, devient Pérandre. Ils partent chercher auprès du Pape la légitimation de leur amour dans des aventures opposant Europe nordique et méditerranéenne.
L'histoire a pour décors les brumes nordiques où s'ajoutent des éléments fantastiques et merveilleux qui anticipent le réalisme magique. Danièle Becker voit dans ce roman "un voyage initiatique vers la connaissance du christianisme civilisateur".
D'une certaine manière, Cervantes christianise le modèle original en utilisant le cliché de l’homo viator47 et en atteignant le point culminant à la fin de l'œuvre avec l'anagnorèse des deux amoureux, à Rome :
"Nos âmes, comme tu le sais bien et comme on me l'a enseigné ici, se meuvent dans un continuel mouvement et ne peuvent s'arrêter sinon en Dieu, ou en leur centre. Dans cette vie les désirs sont infinis et certains s'enchaînent aux autres et forment une maille qui une fois arrive au ciel et une autre plonge en enfer."
La structure et l'intention de ce roman sont très complexes mais supportent toutefois une interprétation satisfaisante. La dédicace au comte de Lemos date du 19 avril 161633 soit quatre jours avant sa mort. Il cite dans sa préface quelques vers d'une ancienne romance : "Le pied dans l'étrier, en agonie mortelle, Seigneur, je t'écris ce billet."

Poésie

Voyage au Parnasse.

L'essentiel des vers de Cervantes est intégré dans des ouvrages en prose : des nouvelles et des pièces de théâtre48. Ce sont des pièces séparées utilisées pour illustrer une circonstance particulière de la pièce de théâtre ou de la romance à laquelle ils appartiennent, enterrement, chant, commémoration, etc. Cervantes s'inspire de la poésie italienne.
En dehors de ces textes, il existe deux œuvres narratives en vers, le Chant de Caliope, inclus dans Galatée, et le Voyage au Parnasse écrit en 1614 d'après César Caporal Perusino.
C'est un débat et une réflexion artistique où les écrivains de l'ancienne et de la nouvelle époque font un voyage littéraire au mont Parnasse pour s'y affronter.
La quasi-totalité de ces vers ont été perdus ou n'ont pas été identifiés.
Une croyance erronée lui attribue l'invention des vers brisés. Cervantes déclare avoir composé un grand nombre de romances et disait aimer particulièrement l'une d'elles sur la jalousie. Il a participé dans les années 1580 à l'imitation des romances antiques avec d'autres grands poètes contemporains, Lope de Vega, Góngora et Quevedo.
Ce mouvement est à l'origine de la Nouvelle Romance
Il commence son œuvre poétique par quatre compositions dédiées aux obsèques de la Reine Isabelle de Valois5. Il écrit par la suite les poèmes A Pedro Padilla, A la muerte de Fernando de Herrera, À la mort de Fernando de Herrera et A la Austriada de Juan Rufo.
Son trait le plus marquant comme poète est son ton comique et satirique. Ses principales œuvres sont Un fanfaron en spatule et culotte et un sonnet Al túmulo del rey que se hizo en Sevilla dont les derniers vers restent célèbres :

Espagnol Français
Y luego, encontinente,
Caló el chapeo, requirió la espada,
miró al soslayo, fuese, y no hubo nada50,.
Et après, incontinent,
Il enfonça son chapeau, toucha son épée,
Regarda de travers, partit, et il ne se passa rien.

Si l'intérêt littéraire premier de Cervantes va vers la poésie et le théâtre, genre qu'il n'abandonne jamais, il se sent frustré par son incapacité à n'être reconnu ni comme poète ni comme dramaturge. Il s'est efforcé d'être un poète, bien qu'il ait douté de ses capacités.
Sa confession dans le Voyage au Parnasse, peu avant de mourir, est à l'origine de nombreuses polémiques dont il ressort que son œuvre en vers n'est pas à la hauteur de son œuvre narrative :

Espagnol
Yo que siempre trabajo y me desvelo
por parecer que tengo de poeta
la gracia que no quiso darme el cielo
Moi, qui toujours travaille et suis angoissé
pour paraître avoir d'un poète
la grâce que le ciel ne m'a pas voulu donner
La Lettre à Mateo Vázquez ainsi que les livrets en prose El buscapié, Une revendication de Don Quichotte sont des faux écrits par l'érudit du xixe siècle Adolfo de Castro.


Théâtre

Manuscrit du Siège de Numance
Avec Luis Quiñones de Benavente et Francisco de Quevedo, Cervantes est l'un des principaux dramaturges espagnols, il a apporté une plus grande profondeur des personnages, un humour renouvelé, un meilleur projet et une transcendance du thème. Différentes interconnexions entre le monde théâtral et les narrations de Cervantes existent.Par exemple, le thème initial du vieux jaloux apparaît également dans Le Jaloux d'Estrémadure des Nouvelles exemplaires.
Le personnage de Sancho Panza est repris dans l’Élection des maires de Daganzo, où le protagoniste est un fin dégustateur de vin, comme l'est l'écuyer de Don Quichotte. Le thème baroque de l'apparence et de la réalité est présent dans Le Retable des merveilles où Cervantes adapte le conte médiéval Le roi est nu de Don Juan Manuel en lui donnant un contenu social.
Le Juge des divorces, comme nombre de ses pièces, est autobiographique par certain de ses aspects. Cervantès arrive à la conclusion que "mieux vaut la pire entente / que le meilleur divorce".
Pour écrire ses intermèdes, Cervantes utilise aussi bien la prose que les vers.
Les pièces importantes du théâtre de Cervantes ont été injustement mal appréciées et peu représentées.
« La verve comique que Cervantès avait montrée dans Don Quichotte, semblait le rendre éminemment propre au théâtre … ce fut par là qu'il débuta sa carrière littéraire ; mais quoiqu'il y ait eu des succès, il éprouva aussi des mortifications, et son talent dramatique ne fut point alors jugé proportionné à la supériorité qu'il a développée dans d'autres genres.
Les réticences de Cervantes aux comédies du style de Lopes alors en vogue ne sont probablement pas étrangères à cet état de fait. Les professionnels du spectacle refusent de mettre à leurs affiches les pièces de Cervantes, qu'ils jugent être des oisivetés de vieux.
ervantès le confesse dans ses Huit comédies et huit intermèdes :
"En pensant que les siècles où avaient cours mes louanges duraient encore, je me remis à écrire quelques comédies, mais je ne trouvais plus d'oiseaux dans les nids d'antan ; je veux dire que je ne trouvais plus d'auteur qui me les demandât, bien qu'ils sussent que je les avais, et ainsi, je les enfermais dans un coffre et les condamnais au silence perpétuel"
Il opte par la suite pour se passer de comédiens et publie ses pièces sans les représenter, comme il l'indique le 22 juillet 1614 dans son supplément au Parnasse.
Le Siège de Numance est la plus aboutie des imitations de tragédies classiques en espagnol et a cependant reçu un bon accueil.
a mise en scène du patriotisme, du sacrifice collectif face au général Scipion l'Africain, de la faim comme souffrance existentielle et les prophéties d'un avenir glorieux à l'Espagne ont sans doute joué un rôle dans cette reconnaissance bien que d'autres pièces oubliées mettent également en valeur ce patriotisme, comme La Conquête de Jérusalem récemment redécouverte.
De ses autres pièces, beaucoup font référence à sa captivité à Alger.
Cervantes a réuni ses œuvres non-représentées dans Huit comédies et huit intermèdes jamais représentés. Ce recueil de pièces de théâtre est publié à Madrid en 1615 à titre posthume. Il réunit toute la production des dernières années de l'auteur. Des œuvres manuscrites sont également conservées : La Vie à Alger, Le Gaillard espagnol, La Grande Sultane, Les Bagnes d'Alger.
La majorité des pièces sont aujourd'hui perdues. Seules restent Le Siège de Numance et La Vie à Alger. On attribue également à Cervantès : Les Deux bavards, La Prison de Séville, L'Hôpital des pourris, L'Intermède de romances. Son théâtre a été traduit pour la première fois en 1862 par Alphonse Royer. Le Voyage au Parnasse a été traduit par Joseph-Michel Guardia en 1864.

Œuvres perdues et attribuées

Cervantes mentionne diverses œuvres en cours de rédaction ou qu'il pensait écrire.
Parmi eux, se trouvent la deuxième partie de Galatée, Le Fameux Bernardo, probablement un livre de chevalerie autour de Bernardo del Carpio et Les Semaines du jardin. Il est également possible qu'il ait pensé écrire une suite à Belianis de Grèce.
Cervantes cite également des pièces de théâtre qui ont été représentées mais qui sont aujourd'hui perdues.
C'est le cas de La Grande Turque, La Bataille navale, Jérusalem, Amaranta ou celle de mai, Le Bois amoureux, L'Unique, La Bizarre Arsinda et La Confuse. Cette dernière figure au répertoire de Juan Acacio jusqu'en 1627. Cervantes cite également une comédie : Le Traité de Constantinople et la mort de Sélim.
Plusieurs œuvres nous sont parvenues et sont attribuées à Cervantes, sans avoir de preuve définitive. Parmi les plus connues, se trouve La Tante supposée dont la narration et le style la rapprochent des Nouvelles exemplaires. Le Dialogue entre Cilène et Sélane sur la vie paysanne est également attribué à Cervantes et on suppose qu'il s'agit d'un fragment d'une pièce perdue : Les Semaines du jardin.
La Topographie et histoire générale d'Alger constitue un cas particulier. Cette œuvre est éditée en 1612 à Valladolid, et on sait que le signataire, frère Diego de Haedo abbé de Fromista, n'en est pas l'auteur. Le livre a été écrit par un ami de Cervantès, le religieux portugais Antonio de Sosa alors qu'ils étaient ensemble en détention à Alger, entre 1577 et 1581.
Ainsi, Sosa a été le premier biographe de Cervantes ; son récit de l’épisode de la grotte où il décrit la seconde tentative d'évasion de l'écrivain figure dans le Dialogue des martyrs d'Alger.
En 1992, l'hispaniste italien Stefano Arata publie le texte d'un manuscrit d'une pièce de théâtre : La Conquête de Jérusalem par Godofre de Bullon. Dans l'article qu'Arata publie en même temps que la pièce, il affirme avoir retrouvé la pièce Jérusalem de Cervantes.
D'autres études sont publiées en 1997 puis en 2010 et concluent dans le même sens. Depuis, la pièce est effectivement attribuée à l'écrivain espagnol. Les éditions Catedra Letras Hispanas en font une première publication critique en 2009 avec la mention Œuvre attribuée à Cervantes.


Postérité
Hommages et institutions

De nombreux prix, sculptures, bâtiments et institutions gardent la mémoire de Cervantes. Cinq maisons de Cervantes peuvent se visiter à Valladolid, à Madrid, à Vélez-Málaga et à Cartagène.
À Alger, la grotte de Cervantes où il a trouvé refuge lors d'une de ses tentatives d'évasion fait aujourd'hui partie d'un jardin public.
Le plus important des prix de littérature castillane est le Prix Miguel de Cervantes. Le trophée Cervantes est, en football, un tournoi amical qui se déroule dans sa ville de naissance, Alcalá de Henares.
L'Institut Cervantes assure la promotion et l'enseignement de la langue espagnole de par le monde.
Il existe au moins 14 théâtres à son nom dans cinq pays différents. Onze sont en Espagne Almería, Malaga, Alcalá de Henares, Santa Eulalia, Béjar, Salamanque, Jaén, Murcia, Petrel, Ségovie, Valladolid, les autres sont au Mexique Guanajuato, au Maroc Tanger, au Chili Putaendo et en Argentine à Buenos Aires.


De nombreux monuments en hommage à Cervantes ont été construits dans toute l'Espagne.
Son village, Alcalá de Henares, accueille une statue sur la place Cervantes.
Madrid lui dédie divers monuments : un ensemble monumental sur la Place d'Espagne, une sculpture sur la Place de Cortes et une autre à la Bibliothèque Nationale d'Espagne et enfin une dernière sur la place où a eu lieu son enterrement.
Valladolid accueille une autre statue de l'écrivain.
De nombreux instituts, dans divers domaines, ont pris le nom de l'écrivain. On compte parmi eux des collèges et lycées dans de nombreux pays, des facultés de lettres, des bibliothèques, des cinémas Art et Essai, une revue littéraire, qui édite de 1916 à 1920 et un centre médical dans sa ville de naissance.
De très nombreuses villes de par le monde ont nommé des rues, places ou avenues d'après l'auteur du Don Quichotte.
La Semaine Cervantes est une fête célébrée dans diverses villes espagnoles alors que le festival Cervantes est organisé chaque année par l'état mexicain de Guanajuat Trois navires ont été baptisés de son nom : un destroyer argentin, 1925-1961, un croiseur espagnol68 1929-1964 et une brigantine construite en 1885 et utilisée aujourd'hui comme navire école.

Œuvres inspirées par le personnage

La Jeunesse de Cervantès, œuvre musicale pour orchestre réduit, composée par Paul Ladmirault.
Son visage, d'après le portrait présumé de Juan de Jaúregui, figure sur les pièces de 10, 20 et 50 centimes d'euro espagnoles.
Plus récemment, un roman ayant pour sujet l'épisode de la vie de Cervantès chez les barbaresques a été publié par Olivier Weber.

Œuvres inspirées de son théâtre
Le Siège de Numance, El Cerco de Numancia, tragédie en quatre actes et en vers écrite à Madrid entre 1581 et 1583, imprimée seulement en 1784.
Elle a donné lieu à de nombreuses imitations.
Lope de Vega en a tiré La Sainte Ligue en 1600, Francisco Mosquera de Barnuevo en a fait un poème La Numancia ou La Numantina en 1612 dans lequel pas une fois il ne fait référence à son illustre prédécesseur.
Rolas Zorrilla l'a reproduite dans deux comédies : Numancia cercada et Numancia destruida. Une nouvelle imitation de Lopez de Sedano a vue le jour en 1771 : Cerco y ruina de Numancia. En 1775, Ignacio López de Ayala qui a présenté une Numancia destruida.
En 1813, Antonio Sabiñón a repris la pièce sous le titre Numancia, tragedia española

Œuvres inspirées par Don Quichotte
Influences de Don Quichotte.
Don Quichotte est le modèle de nombreuses œuvres signées par d'autres auteurs que Cervantes.
Du vivant de Cervantes, une première suite une suite apocryphe des aventures de don Quichotte est publiée et est attribuée à Avellaneda. Le célèbre hidalgo est cité également dans de nombreuses œuvres littéraires, musicales, peintures et sculptures.
La comédie misicale L'homme de la Mancha de jacques Brel

Œuvres principales

Galatée (1584)
L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche (1605)
Nouvelles exemplaires (1613)
L'ingénieux chevalier Don Quichotte de la Manche (1615)
Persilès et Sigismonde, histoire septentrionale (1617)

Liens

http://www.ina.fr/video/AFE85002767/l ... vantes-a-alger-video.html Célébration à Alger
http://www.ina.fr/video/CPF86640106/d ... te-1ere-partie-video.html Théatre de la jeunesse 1
http://www.ina.fr/video/CPF86640107/d ... erniere-partie-video.html 2
http://www.ina.fr/video/I07271809/yve ... -don-quichotte-video.html
http://youtu.be/T_T4FzQHie8 Don Quichotte 4 Chansons
http://youtu.be/HUGXNcJ6SlQ Don Quichotte ballet Opéra de Paris
http://youtu.be/fpatXRF_a2E Jacques Don Quichotte de la Mancha
http://youtu.be/cYqJyOXnuWY Jacques Brel L'homme de la Mancha
http://youtu.be/kjnewj7suxU L'homme de la mancha Brel La quète
http://youtu.be/HOOfscIrDzg Homme de la mancha à Liège
Le Don quichotte de Richard Strauss


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l


Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l



Cliquez pour afficher l


Attacher un fichier:



jpg  Miguel 2.jpg (43.11 KB)
3_52472b7d6a31a.jpg 800X1068 px

jpg  cervantes.jpg (161.29 KB)
3_52472b8c7a5e6.jpg 638X797 px

jpg  1-sevantes-600x581.jpg (67.02 KB)
3_52472bbe5f2e0.jpg 600X581 px

jpg  miguel-de-cervantes.jpg (89.28 KB)
3_52472bcb4b031.jpg 300X225 px

jpg  don-quichotte-615_christian-ganet.jpg (91.02 KB)
3_52472bdac27cc.jpg 615X742 px

jpg  don-quijote-de-la-mancha-1.jpg (54.31 KB)
3_52472bf776b07.jpg 600X400 px

jpg  20121228-192406.jpg (77.00 KB)
3_52472c30122e2.jpg 457X600 px

jpg  DonQuichotte.jpg (134.78 KB)
3_52472c3e12433.jpg 604X409 px

Posté le : 28/09/2013 21:22
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Michelangelo Antonioni 1
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57687
Hors Ligne
Le 29 septembre 1912 naît Michelangelo Antonioni

Réalisateur et scénariste du cinéma italien naît à Ferrare en Émilie-Romagne et mort à Rome le 30 juillet 2007.

Il a obtenu de nombreuses récompenses, dont l'Oscar pour l’ensemble de sa carrière en 1995 et le Lion d'or pour la carrière à Venise en 1997.

Il est le seul réalisateur, avec Henri-Georges Clouzot et Robert Altman, à avoir remporté les trois plus hautes récompenses des principaux festivals européens que sont Cannes, Berlin et Venise.
Il y a dans chaque culture nationale comme dans chaque moyen d'expression des moments ou des personnes qui semblent être des points de convergence.
Ainsi des œuvres incarnent et propulsent en même temps certains changements culturels collectifs, si bien que l'itinéraire de leur auteur tend peut-être injustement à décevoir après coup, lorsqu'il vient s'insérer dans un courant plus régulier. Au même titre que l'œuvre de Bergman ou de Resnais, celle de Michelangelo Antonioni est marquée par un tel cheminement intellectuel.
Né dans une famille populaire, sa mère, Elisabetta Roncagli, fut ouvrière, Michelangelo Antonioni se passionne très jeune pour la musique et le dessin.
Violoniste précoce, il donne son premier concert à neuf ans.
Toutefois, son besoin de création ne le prédispose guère au métier d'interprète des classiques. En revanche, la peinture et le dessin seront des activités qu'il continuera d'exercer tout au long de sa vie.
À Ferrare, il ne fréquente pas le liceo, dont les élèves, très souvent issus des classes aisées, se destinent à des études supérieures, mais un lycée technique.
Il pratique en outre le tennis, au club de Marfisa à Ferrare, où il côtoie la jeunesse dorée et, en particulier, son ami, le romancier Giorgio Bassani.
Après son baccalauréat, il s'inscrit à la faculté d'économie et de commerce de Bologne, où il obtient un diplôme.
Le complexe de ne jamais avoir suivi d'études littéraires m'est toujours resté, avouait Antonioni.

Les débuts de cinéma

Attiré par le théâtre, il devient ensuite un cinéphile passionné et pratique, entre 1936 et 1940, la critique de films dans un journal de Ferrare, Corriere padano. Il quitte alors sa ville natale pour Rome et participe, bientôt, à la rédaction de Cinema, dirigée par Vittorio Mussolini, le fils de Benito Mussolini.
-Au moment où Antonioni y débute, les germes du néoréalisme n'étaient pas encore éclos.
Les jeunes théoriciens de ce mouvement, parmi lesquels Giuseppe De Santis, Carlo Lizzani, Antonio Pietrangeli… ne devaient débarquer dans l'équipe de rédaction qu'entre 1941 et 1943.
À la suite d'un différend, il est contraint de quitter la revue et c'est, à ce moment-là, qu'il entame une brève formation de cinéaste en intégrant les cours du Centro Sperimentale di Cinematografia de Rome.
Là, il noue une solide amitié avec l'enseignant Francesco Maria Pasinetti, auteur de la première histoire du cinéma italien.
Il épouse d'ailleurs la belle-sœur de ce dernier, Letizia Balboni, alors étudiante au Centro sperimentale.
Appelé sous les drapeaux au service des transmissions entre 1942 et 1943, il collabore au scénario de Un pilota ritorna de Roberto Rossellini. Ensuite, mettant à profit deux permissions exceptionnelles, il devient assistant sur deux films, I due Foscari d'Enrico Fulchignoni et Les Visiteurs du soir de Marcel Carné.


Les premiers films

Antonioni entre dans la profession cinématographique, en 1942 comme assistant de Marcel Carné pour Les Visiteurs du soir ; jusqu'à 1950, il collabore à quelques scénarios et réalise des courts-métrages qui ne sont pas indifférents.
C'est l'époque où le cinéma italien connaît la flambée du néo-réalisme fortement marqué à gauche, et qui, prôné ou contredit, influencera profondément toute la vie culturelle italienne de l'époque.
Les deux premiers courts-métrages d'Antonioni, Gente del Pò, 1943-1947 et N.U. 1948, c'est-à-dire Nettezza urbana ; il s'agit d'un documentaire sur les éboueurs, s'inscrivent directement dans ce mouvement néo-réaliste tandis que La Villa dei mostri, 1950, documentaire sur le parc aux rochers sculptés de Bomarzo témoigne de son ouverture à un certain fantastique.

En 1950, la culture italienne a déjà entamé sa déprovincialisation.

Face au cinéma traditionnel, les mélos, les drames et les comédies, d'ailleurs nullement méprisable et fort populaire, le néo-réalisme, s'il ne remporte pas dans la péninsule de grands succès publics, apporte une vision plus ouverte au monde et contribue à faire connaître le cinéma italien à l'étranger.
Depuis déjà quelques années, les écrivains américains ont été publiés en Italie grâce à Pavese et à Vittorini, et l'emphase d'annunzienne ne paraît plus obligatoirement liée à l'expression écrite italienne.
C'est dans ce nouveau contexte qu'Antonioni produit en 1950 son premier long-métrage, Chronique d'un amour.
Comme il avait influencé le premier film de Visconti Ossessione, le film noir américain a certainement inspiré cette histoire – devenue traditionnelle depuis Thérèse Raquin et américanisée par James Cain avec Assurance sur la mort et Le facteur sonne toujours deux fois – d'une femme et d'un amant qui veulent supprimer le mari.
Stylistiquement, en revanche, on distingue l'admiration du débutant pour le Laura de Preminger et pour Les Dames du bois de Boulogne de Bresson.
La technique du plan-séquence triomphe en effet dans Chronique d'un amour.
Ce style, que certains voulurent théoriser, alors que ses plus grands utilisateurs, Welles comme Preminger, Bresson comme Antonioni, Mizogushi comme Hitchcock, ne s'y enfermèrent jamais, procure au récit une fluidité, une aisance plus romanesque, et permet aussi une plus grande pudeur, un understatement fort anglo-saxon.
Il nous est possible de distinguer avec l'éloignement combien est grande la postérité de Chronique d'un amour.
Si, en effet, Lucia Bosé, qui interprète l'héroïne du film, ne peut nier sa dette à l'égard de la Louise Brooks des films de Pabst, elle a, à son tour, inspiré l'héroïne de L'Année dernière à Marienbad, de Resnais et Robbe-Grillet.
Et il convient aussi de citer Bardem, Maselli et Kast au nombre des cinéastes les plus directement marqués par cette histoire policière.
Plus récemment, si le cinéaste Jia Zhanke, pour Still Life, Chine, 2006, s'inspire du peintre Liu Xiaodong, il serait étonnant que pour décrire le barrage des Trois Gorges ni le peintre ni le cinéaste n'aient connu les images déshumanisées de L'Éclipse ou du Désert rouge.
On oubliera miséricordieusement de nombreux cinéastes sans talent qui ont essayé de faire de l'Antonioni comme d'autres faisaient du Godard.
Tandis que I Vinti 1952, film à sketches, retrace le malaise de la jeunesse de l'époque mais son sketch inspiré du fait-divers notoire des J3 de Malnoue est alors interdit en France, La Signora senza camelie, 1953 est un portrait de la profession de cinéaste, en Italie, à ce moment-là, mais des conventions mélodramatiques, l'auteur, isolé et génial, face aux contraintes dégradantes du commerce affaiblissent le film.
Tourné pour un film collectif, L'Amore in città, 1953, l'épisode Tentato suicidio est plus intéressant : Antonioni y inaugure en effet une méthode de cinéma direct où le cinéaste se fait à la fois détective et psychiatre pour interroger des femmes qui ont essayé de se tuer.

Dans Le Amiche, Femmes entre elles, Antonioni adapte, en 1955, un récit de Pavese, Entre femmes seules, tiré du Bel Été. Tout en restant plus fidèle que jamais au plan-séquence, il réalise le film peut-être le plus parfait et le plus beau de son œuvre.
Dans cette structure des rapports amicaux et sentimentaux, des haines et des rivalités qui traversent un groupe de femmes de la bourgeoisie turinoise, Antonioni réalise, comme dans Chronique d'un amour, la synthèse des apports anglo-saxon et français tout en rendant un hommage sans flagornerie à Pavese, bien qu'il n'ait jamais éprouvé à l'égard de la femme les sentiments de panique et de fascination que ressentit, jusqu'au suicide, l'écrivain.
Pour Antonioni, la femme est en effet un être plus fort, plus intelligent, plus équilibré que l'homme, et non, comme pour Pavese, l'incarnation de l'ombre, de l'irrationnel, de l'inconnu.
Après ce film, intervient dans la vie du cinéaste un changement profond : sa femme, Letizia, le quitte.
Il Grido, 1957 peut être vu comme le plus déchirant des cris de douleur d'un artiste pourtant secret et avare de confidences.
Le film, qui présente l'errance d'un ouvrier, abandonné par celle qu'il aime, dans le décor de la grise plaine du Pô, est une œuvre étrange et forte, qui n'a pas le caractère de pure beauté classique du film précédent, mais dont la séduction austère demeurera.

Le vertige dans l'image

Aucun des films d'Antonioni n'a, jusqu'alors, connu de succès commercial, et il a dû, pour vivre, effectuer des travaux non signés, dirigeant par exemple la seconde équipe de nombreux péplums.
Après avoir rencontré Monica Vitti, il parvient néanmoins en 1959, malgré mille difficultés, à réaliser L'Avventura qui fera sensation au festival de Cannes cette année-là. Avec La Notte, 1960, L'Eclisse, 1962 et Il Deserto rosso, 1964, il va faire tourner Monica Vitti dans quatre œuvres qui lui vaudront une notoriété internationale.
Ces quatre films se caractérisent par un changement de style : Antonioni renonce au plan-séquence et n'hésite plus à recourir fréquemment aux gros plans et aux contrechamps ; le thème aussi est le même dans ces quatre œuvres : l'incommunicabilité et le désarroi de l'homme qui découvre que ses règles morales sont dépassées par l'évolution du monde. Les critiques cessent de citer perpétuellement Pavese, ce qui agaçait Antonioni et, plus justement, évoquent Fitzgerald, Adorno ou Musil.
Les films ont un souffle plus ample, le récit s'étend plus volontiers dans des digressions plastiques comme la séquence baroque sur la ville de Noto, en Sicile, dans L'Avventura, le finale de L'Éclipse, qui ne montre que des objets ou des lieux déserts, la référence picturale est ici Giorgio De Chirico, ou les paysages désolés de la zone industrielle de Ravenne dans Le Désert rouge, le désert rouge recevra le Lion d'or au Festival de Venise 1964.
Ces films lui valent une reconnaissance mondiale. Monica Vitti sera l'égérie de ces quatre films et sera d'ailleurs sa compagne pendant quelque temps..
Antonioni accède au rang de grand cinéaste international tandis que Monica Vitti entame, de son côté, une carrière de star comique.
Avec Blow-up, policier psychologique anglais 1966, Zabriskie Point, essai romancé sur la rage de vivre d'un jeune Américain, 1970, Chung Kuo, 1972 ; La Chine, reportage qui connaîtra quelques mécomptes en raison des vicissitudes de la révolution culturelle maoïste et Profession reporter, 1975, attachant portrait d'un perdant incarné par Jack Nicholson, Antonioni nous donne alors des films séduisants et personnels, où l'on retrouve de discrets rappels des thèmes des premières œuvres, mais qui ne jouent plus le rôle de catalyseur de la culture européenne
À noter toutefois qu'avec Il Mistero di Oberwald, 1980, tiré de L'Aigle à deux têtes, de Cocteau, il est parmi les premiers à réaliser un film de fiction, de long-métrage, en vidéo. Ensuite, pour l'exploitation en salle, l'image électronique sera recopiée sur pellicule.
Le résultat est plus curieux que convaincant. Avec Identificazione di una donna 1982, il revient au style classique, avec une belle histoire d'amour.

C'est alors qu'il rencontre celle qui sera sa dernière compagne, Enrica.

En 1985, un accident cérébral grave contraint Antonioni à l'inaction, jusqu'à ce qu'il puisse, malgré sa condition physique, revenir à la mise en scène, avec l'aide de Wim Wenders pour Par-delà les nuages, 1995, puis, en 1994, pour Eros, 2004, les autres épisodes étant signés Wong Kar-wai et Steven Soderbergh.
Que dire de ces derniers films ?
Antonioni semble reproduire ici les dernières années de Luchino Visconti, avec cet acharnement à travailler, infiniment respectable, et qui prolongea sans doute son existence ; une vision exhaustive de son œuvre ne pourra les supprimer, mais ils ne sont nullement indispensables à sa grandeur créatrice – alors que ses courts-métrages initiaux, moins connus, le sont.

Sa dernière apparition publique peut être datée de l'automne 2006, lorsqu'il assiste à l'exposition de ses tableaux en plein centre de Rome.
Le palazzo ancien qui abrite cette exposition, près du Panthéon, aujourd'hui utilisé comme musée, fut naguère affecté à la Bourse de Rome, et c'est là qu'Antonioni tourna plusieurs scènes de L'Éclipse 1962.

Il meurt le 30 juillet 2007.

Une œuvre aux multiples facettes

Comme plusieurs grands cinéastes, Antonioni, au moment de son décès, a fait l'objet d'études et d'hommages divers.
Les appréciations de son œuvre relèvent évidemment de la liberté critique, mais peut-être, objectivement, sont-elles trop influencées par la renommée : il est courant d'entendre dire que l'œuvre d'Antonioni ne commence vraiment qu'avec L'Avventura.
Ce qui est exact, c'est que ce fut là le début de sa célébrité internationale.
On a aussi tendance à montrer une certaine unanimité : c'est oublier que le cinéaste eut bien de la peine à réaliser les films qu'il désirait, que l'Avventura fut hué à Cannes, que des cinéastes éminents comme François Truffaut ou Orson Welles n'ont jamais caché leurs plus sévères réserves sur son œuvre.
On peut rappeler sa période de formation, ses documentaires, comme Gente del Po, par exemple : mais il faut mentionner que ce film a été considéré, au même titre que l'Ossessione de Visconti, comme une œuvre fondatrice de l'école néo-réaliste.
Là encore il est important de rappeler sa période de formation.
Antonioni a fait partie de ce groupe de jeunes gens fous de cinéma, influencés par le Parti communiste italien clandestin, qui se regroupaient autour de la revue Cinema dirigée par Vittorio Mussolini – ce dernier étant à la fois fasciné par leur potentiel de création, et désireux comme eux de faire un cinéma italien qui tienne tête aux autres productions nationales.
C'est de ce groupe où figuraient notamment Visconti, De Santis ... que naîtra le néo-réalisme.
Le jeune Antonioni ne fut pas uniquement influencé par ses collègues, il collabora aussi au scénario du film fasciste de Rossellini, Un pilota ritorna. Car bien des cinéastes italiens de cette époque ont vécu leurs années d'apprentissage sous le régime mussolinien... Ce fut le cas pour Fellini ou pour Risi, il serait vain de le leur reprocher aujourd'hui.
Ainsi, l'examen de l'œuvre d'Antonioni, avec ses multiples facettes, ne peut se borner à la partie la plus importante, celle des longs-métrages de fiction.
Il y a sa vision documentariste, ses débuts, mais aussi son film sur la Chine, ses travaux alimentaires, ce film de commande sur Soraya en 1965, Le Bout d'essai, épisode du film collectif Les Trois Visages, ou ses tâches de réalisateur de seconde équipe pour Lattuada ou Brignone.
Il y a ses apparitions dans de longs interviews télévisés – qui nous le montrent plein d'humour, comme dans le film de 1966 de Gianfranco Mingozzi, Michelangelo Antonioni, storia di un autore.
Il y a ses tableaux, ses quelques rares livres. Antonioni, dans sa complexité, dans son œuvre comme dans les rapports parfois épineux qu'il entretint avec la société qui l'entourait, reste l'un des grands inventeurs de forme du XXe siècle.


Postérité

Dans un entretien accordé à Serge Kaganski en 2004, Jean-Luc Godard juge à regrets qu'Antonioni est le cinéaste qui a le plus influencé le cinéma contemporain.
Il considère par exemple qu'un cinéaste comme Gus Van Sant fait du sous-Antonioni.

Filmographie

Réalisateur

Note : Michelangelo Antonioni était également scénariste des films qu'il a réalisés.

Courts métrages

Note : Les courts métrages de Michelangelo Antonioni sont tous des documentaires.
1943 : Gente del Po (Les Gens du Pô)
1948 : Roma-Montevideo
1948 : Oltre l'oblio (Plus loin, l'oubli)
1948 : Nettezza urbana (Nettoyage urbain)
1949 : Superstizione (Superstition)
1949 : Sette canne, un vestito (La Rayonne)
1949 : L'Amorosa menzogna (Mensonge amoureux)
1950 : La villa dei Mostri (La Villa des monstres)
1950 : La funivia del Faloria (Le Téléphérique du mont Faloria)
1989 : Kumbha Mela, court métrage sur l'Inde
1993 : Noto, Mandorli, Vulcano, Stromboli, Carnevale (Connu, amandiers, volcan, Stromboli, carnaval)
2004 : Lo sguardo di Michelangelo (Le Regard de Michelangelo)
Longs métrages[modifier | modifier le code]
1949 : Ragazze in bianco (Jeunes en blanc), documentaire
1949 : Bomarzo, documentaire
1950 : Chronique d'un amour (Cronaca di un amore)
1953 : La Dame sans camélia (La signora senza camelie)
1953 : Les Vaincus (I vinti)
1953 : L'Amour à la ville (L'Amore in città), segment J'essaye le suicide (Tentato suicidio)
1955 : Femmes entre elles (Le amiche)
1957 : Le Cri (Il grido)
1960 : L'aventura
1961 : La Nuit (La notte)
1962 : L'Éclipse (L'eclisse)
1964 : Le Désert rouge (Il deserto rosso)
1965 : Les Trois Visages (I tre volti), segment Il provino (Le Bout d'essai)
1966 : Blow-Up
1970 : Zabriskie Point
1972 : Chung Kuo, la Chine (Chung Kuo, Cina)
1975 : Profession : reporter (Professione : reporter)
1980 : Le Mystère d'Oberwald (Il mistero di Oberwald)
1982 : Identification d'une femme (Identificazione di una donna)
1989 : 12 registi per 12 città (Douze réalisateurs pour douze villes), coréalisation promotionnelle pour la Coupe du monde de football de 1990 en Italie, segment Roma
1995 : Par-delà les nuages (Al di là delle nuvole), coréalisé avec Wim Wenders
2000 : Destinazione Verna
2004 : Eros, segment Il filo pericoloso delle cose

Scénariste

1942 : Un pilote revient (Un pilota ritorna) de Roberto Rossellini
1942 : I due Foscari (Les Deux Foscari) d'Enrico Fulchignoni
1947 : Chasse tragique (Caccia tragica) de Giuseppe De Santis
1952 : Le Cheik blanc (Lo sceicco bianco) de Federico Fellini
Producteur[modifier | modifier le code]
1988 : Liv d'Edoardo Ponti (P)

Lui-même

Chambre 666 de Wim Wenders (interview sur l'« avenir du cinéma ») en 1982

Récompenses

1948 : Ruban d'argent du meilleur documentaire pour Nettezza urbana (Nettoyage urbain)
1950 : Ruban d'argent du meilleur documentaire pour L'Amorosa menzogna (Mensonge amoureux)
1951 : Ruban d'argent spécial pour les valeurs humaines et stylistiques pour Chronique d'un amour (Cronaca di un amore)
1955 : Lion d'argent à la Mostra de Venise pour Femmes entre elles (Le amiche)
1956 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour Femmes entre elles (Le amiche)
1957 : Léopard d'or au Festival international du film de Locarno pour Le Cri (Il grido)
1960 : Prix du Jury au Festival de Cannes pour L'avventura
1961 à la Berlinale :
Ours d'or du meilleur film pour La Nuit (La notte)
Prix FIPRESCI pour l'ensemble de son travail
1962 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour La Nuit (La notte)
1962 : Prix spécial du Jury au Festival de Cannes pour L'Éclipse (L'eclisse)
1964 à la Mostra de Venise :
Lion d'or pour Le Désert rouge (Il deserto rosso)
Prix FIPRESCI pour Le Désert rouge (Il deserto rosso)
1967 : Palme d'or au Festival de Cannes pour Blow-Up
1967 : NSFC Award du meilleur réalisateur pour Blow-Up
1968 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film étranger pour Blow-Up
1968 : Prix de la critique (Syndicat français de la critique de cinéma) du meilleur film étranger pour Blow-Up
1976 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour Profession : reporter (Professione : reporter)
1976 : Prix Luchino Visconti aux David di Donatello
1976 : Bodil du meilleur film européen pour Profession : reporter (Professione : reporter)
1982 : Prix du xxxve anniversaire au Festival de Cannes pour Identification d'une femme (Identificazione di una donna)
1983 : Lion d'or à la Mostra de Venise pour sa carrière
1991 : Prix François Truffaut au Festival du film de Giffoni
1993 : Prix pour sa performance aux Prix du cinéma européen
1995 : Prix FIPRESCI à la Mostra de Venise pour Par delà les nuages (Al di là delle nuvole)
1995 : Grand Prix spécial des Amériques au Festival des films du monde de Montréal à l'occasion du centenaire du cinéma, pour son exceptionnelle contribution à l'art cinématographique
1995 : Prix d'honneur aux Oscars du cinéma
1995 : Griffon d'or pour la carrière au Festival du film de Giffoni
1996 : Prix pour la carrière au Festival international du film d'Istanbul
1998 : Prix Pietro Bianchi du SNGCI à la Mostra de Venise
2000 : Prix pour la carrière au Festival du film Flaiano
2001 : NFSC Award spécial pour l'intelligence exemplaire, la créativité et l'intégrité de sa carrière longue d'un demi-siècle
2004 : Prix FIPRESCI du meilleur court métrage au Festival international du film de Valladolid pour Lo sguardo di Michelangelo (Le Regard de Michelangelo)

Distinctions

: Chevalier grand-croix de l'ordre du Mérite de la République italienne, le 18 novembre 19927.

Sur Antonioni

Ouvrages

Fabio Carpi, Antonioni, Parme, Guanda, 1958
Pierre Leprohon, Antonioni, Paris, Seghers, coll. Cinéma d'aujourd'hui , 1961
Roger Tailleur et Paul-Louis Thirard, Antonioni, Paris, Éditions universitaires, coll. Classiques du cinéma, 1963
Michelangelo Antonioni, Rien que des mensongeslieu=Paris, Lattèsn, 1985
Joëlle Mayet Giaume, Michelangelo Antonioni : le fil intérieur, Crisnée, Belgique, Yellow Now, 1990
René Prédal, Michelangelo Antonioni ou la vigilance du désir, Paris, Le Cerf, coll. 7e art, 1991
Céline Scemama, Antonioni : le désert figuré, Paris, L'Harmattan, 1998
José Moure, Michelangelo Antonioni, Cinéaste de l'évidement, Paris, Champs visuels, 2001
Alain Bonfand, Le cinéma de Michelangelo Antonioni, Paris, Images Modernes, 2003
Aldo Tassone (trad. Caecillia Pieri), Antonioni, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2007
Stig Björkman (trad. Anne-Marie Teinturier), Michelangelo Antonioni, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Grands cinéastes », 2007
Seymour Chatman et Paul Duncan, Michelangelo Antonioni - filmographie complète, Paris, Taschen, 2008

Article

Roland Barthes, Cher Antonioni, dans Cahiers du cinéma, no 311 (mai 1980)

Films

1966 : Michelangelo Antonioni storia di un autore (Antonioni : documents et témoignages), documentaire pour la télévision de Gianfranco Mingozzi
1982 : Chambre 666, documentaire pour la télévision de Wim Wenders avec Antonioni
1996 : Fare un film per me è vivere (Faire un film pour moi c'est vivre), documentaire pour la télévision d'Enrica Antonioni sur le tournage de Par delà les nuages
---------------------------------------------

INTERVIEW D'ANTONIONI par TELERAMA


Il sait tout faire : ses films sont des chefs-d'œuvre célèbres dans le monde entier. Il écrit des nouvelles qui sont autant de scénarios étonnants. Une exposition à Paris nous révèle des montagnes magiques, car il peint aussi. Ex¬ceptionnellement, il parle et raconte son obsession de l'avenir.
"Je ne m'intéresse qu'au futur"

Un ami qui le connaît m'avait dit : « Si tu veux faire parler Antonioni, un conseil: lance-le sur Platini ».
Je comptais faire ça. Mener l'entretien en stratège lucide, pas intimidé, en tâchant d'oublier que l'existence d'Antonioni sur terre est une des choses qui rendent la vie moins pesante - sans doute parce qu'il sait comme personne nous en restituer le poids. Et puis j'ai oublié, dès qu'il a ouvert la porte et que, presque avant de le voir lui, j'ai vu le ciel. Encadré par de grandes baies vitrées, « un espace vide entre deux immeubles, vide de tout sauf de vide », comme il l'écrit dans une de ses nouvelles (1).
Il habite au dernier étage d'une résidence cossue, sur la colline Fleming, à la périphérie de Rome - et Monica Vitti, depuis vingt-cinq ans, à l'étage en dessous. Quand on approche des fenêtres, qu'on se penche, on voit le fleuve, et cet étrange paysage, suburbain et chic, ni ville ni campagne, qu'il décrit dans une autre nouvelle, Un bowling sur le Tibre. Mais si on ne se penche pas, le ciel vide seulement, découpé .en immenses tableaux gris sur lesquels se détache la silhouette mince, élégante, très tennisman, de Michelangelo Antonioni, 73 ans, cinéaste, peintre et écrivain.
D'autres tableaux, les siens, s'empilent contre les murs, sous leurs housses de plastique : ils vont bientôt être expédiés à Paris, pour l'exposition (2). Pas vraiment des tableaux, en fait : des « blow-up ». Des agrandissements photographiques.
-J'ai commencé, il y a quelques années, à peindre de petites choses, explique-t-il dans un français impeccable. Et puis, en les regardant à la loupe, j'ai été fasciné parla matière, la face cachée de ce qu'on voit à l'œil nu. Alors, j’ai décidé de les photographier et de les agrandir. C'est cela qui m'intéresse : je ne suis pas vraiment un peintre. Et l'œuvre, c'est l'agrandissement, pas ça.
Il montre « ça », quand même : les originaux. Minuscules, entre la carte postale et le timbre-poste.
-Au début, si je les faisais très petits, c'est parce que je n'avais pas assez- de place chez moi et aussi que je n'aime pas peindre devant un chevalet. Mais en fait, cela m'amuse de travailler sur des formats de plus en plus réduits. Cela augmente la surprise à l'agrandissement. C'est un peu comme une céramique qu'on met au four : on ne sait jamais ce que cela va donner quand on l'en sortira. On entre vraiment ainsi dans la vie de la matière..
La vie de la matière, scrutée attentivement : je repense à Blow-up, bien sûr, mais aussi au montage d'objets quotidiens, pur poème de l'inanimé qui -conclut L'Éclipse. Sur le mur, derrière Antonioni, est encadrée une nature morte de Morandi des bouteilles, des ombres sur ces bouteilles, c'est tout. Juste le calme, la vibration des choses. Mais les « blow-up » actuels d'Antonioni ignorent les objets d'industrie humaine, ne représentent que des montagnes : éboulis volcaniques, ravines d'encre et d'aquarelle, un monde minéral. Montagnes enchantées, c'est le titre de l'exposition.
- Un jour, j'ai peint un visage imaginaire, je l'ai découpé en morceaux, remonté un peu au hasard c'était une montagne. Je suis un homme de la plaine, pourtant, et j'ai peint aussi des plaines magiques, que je préfère d'ailleurs à mes montagnes. (Il rit, tout à coup juvénile) : Mais je ne vais quand même pas exposer toutes mes périodes. Même si j'ai eu de meilleures critiques pour ces trucs là que pour mes films. Si ça marche, à Paris, puis à New York, je continuerai. Il faut bien prévoir sa retraite.
Plaisanterie : il songe à tout, sauf à sa retraite. Mais la peinture n'est pas pour lui un caprice, un bouche-trou. Ni une nouveauté. Il l'aime, la connaît bien. Enfant, adolescent, il dessinait et peignait sans relâche. Des architectures surtout.
- Mais c'est presque l'inverse. L'architecture suppose un projet, des techniques complexes qu'on met à son service. Alors que ces peintures, spontanément, me libèrent de l'obsession du sentiment, du psychologique.
Même démarche dans ses films, obsédés autrefois par l'habitat humain, le paysage industriel, et qui dérivent vers le désert de Zabriskie point, de Profession reporter, ou la Venise paradoxale d'Identification d'une femme : on n'y voit pas un bâtiment, rien que de l'eau et du brouillard. La ville la plus civilisée du monde se dilue dans les éléments premiers.
Derrière la baie vitrée, des oiseaux zèbrent le gris du ciel. Très japonais. .
« Je pense rarement à ma jeunesse », écrit Antonioni dans son récit « Report about myself ». Et c'est vrai qu'il n'aime pas parler du passé. Pourtant la plaine, l'architecture entraînent la conversation vers Ferrare, sa ville natale. « Une ville très belle, très mystérieuse. C'était la plus importante d'Europe au XV° siècle ». Et il va chercher un livre d'art, sur les fresques du palais Schifanoia (dont le nom signifie : dissiper l'ennui), s'amuse d'une reproduction : « C'est très païen, voyez-vous. Les chevaliers mettent les mains sous les jupes des dames, j'aime ça ». Un autre livre, sur la peinture métaphysique : « Chirico a découvert tout cela à Ferrare ».
Nous feuilletons. Places écrasées de soleil froid, menace diffuse des monuments, instants figés : Antonioni erre des yeux dans le territoire de son adolescence, sourit quand je lui rappelle une phrase d'une de ses nouvelles : « Seul quelqu'un de Ferrare peut comprendre qu'une liaison dure onze ans sans avoir jamais existé ».
Ferrare dans les années 30, secrète, brumeuse, renfermée derrière les murs ocres de ses palais. Les jardins aussi, les courts de tennis, le choc mat des balles frappées, les voix qu'assourdit la pelouse, comme dans le parc anglais de Blow-up, encore. Et la montée du fascisme, que décrit dans Le Jardin des Finzi-Contini le romancier Giorgio Bassani, son ami de jeunesse.
Il rit encore - c'est vrai qu'il rit souvent. « Bassani, à cette époque, écrivait très mal, une prose baroque, chargée. Comme j'étais responsable de la page littéraire du Courrier de Padoue, je devais toujours couper, reprendre ses papiers. J'étais partisan, moi, d'une écriture sèche, dépouillée, presque sans adjectifs ».
L'écriture qu'on retrouve aujourd'hui dans ses nouvelles. « Quel est votre but en les écrivant ? » lui a-t-on demandé lors de leur parution. Réponse pince-sans-rire : « De les écrire le mieux possible ». Il ne se présume pas plus écrivain que peintre, pourtant, et ses récits ne sont que des sujets de films couchés sur le papier, des exutoires nécessaires quand l'industrie du cinéma l'oblige à rester longtemps sans tourner.
« - Quand je ne tourne pas, je griffonne sans arrêt, je noircis des feuilles, j'efface, des nuits entières. Mais ja mais quand je tourne : je ne fais qu'une seule chose à la fois.
- Quand je ne sais pas quoi faire, écrit-il, je commence à regarder. Il y a des techniques pour cela. J'ai la mienne, qui consiste à remonter d'une série d'images à un état de choses. »
Quatre hommes en mer, par exemple, doit être le point de départ de The Crew qu'il tente vainement de monter depuis plusieurs années.
« - L'idée vient d'un fait divers que j'ai lu dans un journal australien. Et j'ai écrit le récit lors d'un voyage en voiture, entre Téhéran et Chiraz. Il y avait une tempête de neige dans le désert et moi j'écrivais cette histoire de mer. »
Un riche homme d'affaires, lors d'une croisière sur son yacht, est pris d'une lubie : il enferme dans la cale ses trois hommes d'équipage. Qui parviennent à sortir au bout de quelques heures et s'aperçoivent que leur patron s'est jeté à la mer. En fait, il se cache et épie leur comportement. Pourquoi ? « Question sans réponse, qui laisse comme un arrière-goût d'indignation jalouse ».
Ce récit doit beaucoup à Joseph Conrad, une des grandes passions littéraires d'Antonioni, avec Faulkner, Gide - « Mais cela m'est un peu passé, comme une sorte d'amour perdu » - ou son ami Roland Barthes, dont il a rêvé d'adapter les Fragments d'un discours amoureux.
« - C'était très difficile. Je voulais faire un film sans véritable intrigue, sur un personnage prenant conscience de tout ce qui se dit sur l'amour, confronté à l'expérience qu'on en a. J'y ai renoncé à la mort de Barthes, j'aurais eu besoin de lui pour le faire. Ce n'était pas seulement un essayiste, mais un poète. Je pense qu'il se retrouvera quelque chose de ce projet dans un film que je prépare, d'après une de mes nouvelles, Deux télégrammes. De toute façon, mon prochain film parlera encore de l'amour. »
Comme le dernier. Mais, à la fin d'Identification d'une femme, Niccolo, le cinéaste, projette de tourner un film de science-fiction. Qu'arrivera-t-il quand le soleil sera trop proche de la terre ? se demande-t-il. Et une nouvelle du recueil, Antarctique, fait écho à cette question en évoquant la progression du continent austral vers nos, régions tempérées...
« - Je vous l'ai dit, je ne m'intéresse qu'au futur. Et j'ai beaucoup de curiosité pour la science, ses incertitudes, l'obligation d'être toujours en mouvement, de trouver des questions. Je crois aussi que notre terre devient trop petite, et que nous 'n'avons guère qu'un choix : l'holocauste nucléaire ou bien l'émigration vers d'autres planètes. Je pense réaliser bientôt un film avec Carlo Ponti et Sophia Loren, d'après une nouvelle d'un écrivain de science-fiction américain, Jack Finley, qui s'appelle Destination Verna.
C'est l'histoire d'une femme qui n'attend plus rien de la vie et à qui on offre de partir ailleurs, sur une planète hors du système solaire, où l'on suppose que le bonheur existe. Et elle a peur de prendre sa décision. C'est un sentiment très courant. Si vous demandez à la plupart des gens de partir, d'aller au bout du monde, sur la lune ou sur Jupiter, très peu accepteront, ils préféreront rester chez eux, i dans leur désespoir. Et le sujet de mon film, c'est la dernière chance offerte ferle à cette femme, qu'elle perd ».
Mais lui, Antonioni, est bien décidé à ne laisser passer aucune chance. Il ne cesse de bouger, de courir le monde, d'imaginer telle histoire en Ouzbekistan, telle autre à Singapour, d'échafauder des projets qui capotent régulièrement faute d'argent, de confiance des producteurs. L'un des grands artistes du monde n'arrive pas à tourner, mais n'en tire aucune amertume-: seulement un surcroît de vitalité. Loin de se résigner, il se bat, parle avec confiance de ses prochains films, se tient au courant de l'astrophysique comme des nouvelles technologies de l'image, toujours sur la brèche pour les expérimenter le premier.
Il vient de tourner un vidéo-clip sur la rockeuse Gianna Nannini, Fotoromanzo, quatre minutes « intimistes » dans le climat des années trente (« Mais je n'en suis pas content : la production ne m'a pas aidé ») et rêve de pousser plus loin les recherches inaugurées par Le Mystère d'Oberwald, une adaptation vidéo de L'Aigle à deux têtes de Cocteau, jamais sortie en France.
« - Je ne comprends d'ailleurs pas que la France ne l'ait pas acheté, au moins la télé. Le résultat est loin d'être satisfaisant, mais enfin, sur la couleur, c'était une expérience intéressante. Je suis convaincu que l'électronique, c'est l'avenir, qu'elle supplantera le cinéma comme la couleur le noir et blanc et, que ce soit un bien ou un mal, je souhaite participer à cette évolution inévitable. Si je tourne, comme il est prévu, un saint François d'Assise, j'espère pouvoir le faire avec ces nouvelles techniques. »
Paradoxal : on imagine mal Antonioni tournant des films d'époque, en costumes, mais les deux fois où il y a songé, c'était pour tester des technologies de pointe.
« - C'est normal, vous savez. D'abord, l'histoire de saint François m'a été proposée par la télé, sur l'initiative d'un frère franciscain. J'avais besoin d'argent, c'était pour moi un projet très mercenaire. Je n'avais aucune curiosité pour cette histoire, je n'aime pas le personnage, je ne suis pas croyant, je trouve les Fioretti mièvres, douceâtres, et si je le fais, ce sera en mettant l'accent sur une réalité historique beaucoup plus dure : la corruption, la violence du Moyen-âge, la guerre entre Pérouse et Assise... Je n'aime pas non plus les films à costumes, mais quand je pense à en faire un, il devient mon futur. Donc, pour moi, c'est en quelque sorte de la science-fiction. (Rire). Vous voyez, je suis cohérent. » Partis des nouvelles et de la peinture, nous en sommes, depuis une heure, au quatrième projet de cinéma en chantier. « Chaque fois que je suis sur le point de commencer un film, il m'en vient un autre à l'esprit ».
Le téléphone sonne. Antonioni s'excuse, répond. Je regarde le ciel qui s'assombrit, l'eau-forte de Morandi, les rayonnages chargés de livres, les montagnes magiques sous leur plastique. Je le regarde lui, qui parle, à l'autre bout de la grande pièce, et je repense à une de ses nouvelles, lue dans l'avion.
Le narrateur observe sans l'entendre une jeune fille qui parle au téléphone. Il essaie mentalement de la doubler en adaptant au mouvement de ses lèvres une phrase d'un scénario en projet : « J'ai 24 ans, et derrière moi, il y a un rideau vert. Que veux-tu savoir d'autre ? »
« Que voulez-vous savoir d'autre ? » me demande Antonioni, le téléphone raccroché, signifiant poliment qu'il en a dit assez. Je remercie, prends congé. Je me rappelle dans l'ascenseur, trop tard : Platini.
Propos recueillis par EMMANUEL CARRERE – Télérama


HOMMAGE A MICHELANGELO ANTONIONI


TÉLÉRAMA 3005 115 AOÛT 2007

Par-delà le silence - Centrée sur l’absence de communication, attirée par le vide, l’œuvre de Michelangelo Antonioni fait aussi la part belle aux frémissements de la vie et à la sensualité.

Un blanc - Michelangelo Antonioni vient de disparaître. Un blanc avant l’éclipse, cette fois définitive. On en avait oublié son âge son âge (94 ans), on s’était fait à l'idée de son long sursis devenu renaissance après son attaque survenue en 1985. Un accident cérébral l'avait cloué sur place. Paralysie. Aphasie. Comme si le sort avait tenu à parachever l'« incommunicabilité » qui lui collait à la peau. Et puis l'artiste avait recouvré un peu de mobilité, la parole revenait par bribes, l'envie de cinéma aussi. L'attente dura onze ans, jusqu'à Pardelà les nuages (1995), tourné avec l'ami Wim Wenders. Un ratage magnifique, libre et vacillant, digest teinté d'ironie des thèmes antonioniens et consécration du corps de Sophie Marceau. L'érotisme, jadis symbolisé, s'incarnait. Antonioni récidiva dans sa contribution au film collectif Eros (2004). Et puis...
Celui qu'on a souvent désigné comme le maître d'oeuvre de la modernité a donc rejoint le néant, ce centre obscur ou radieux, allez savoir, autour duquel il gravitait depuis ses débuts, au lendemain de la guerre. L'absence, le vide, le silence, le désert, la dissolution du sens, il représentait tout cela mieux que quiconque avec une élégance formelle et morale qui lui interdisait tout pessimisme complaisant. Car ces obsessions, loin de nourrir une œuvre de la noirceur ou de la cruauté, s'expriment avec une telle ambivalence qu'inquiétude et volupté y paraissent indissociables, créant une sensation d'unité, de beauté. La vie d'Antonioni ? Une énigme de plus, pas si facile à résoudre. Aldo Tassone, célèbre critique italien et fidèle parmi les fidèles, en sait quelque chose, lui qui eut toutes les peines du monde à soutirer quelques rares souvenirs de l'intéressé, pour les besoins d'un livre resté incontournable. L'enfance ? « Très heureuse », selon lui. Des parents de classe moyenne, bienveillants et généreux, et un frère, avec lequel il fait les quatre cents coups dans la rue. Michelangelo grandit en montrant un talent précoce pour la musique et la peinture. Il aime aussi la littérature (Pirandello, Ibsen, Pavese), mais il s'inscrit en économie. En 1939, il s'établit à Rome, où il travaille comme journaliste et critique - vif et visionnaire - à la revue Cinéma. Pendant la guerre, il collabore à divers scénarios et devient assistant réalisateur, de Carné entre autres. Grâce à Tassone, on retient cette confession : « L'un de mes jeux favoris consistait à "organiser" des villes. Sans rien connaître en architecture, je bâtissais des immeubles et des rues entre lesquels je faisais évoluer des figurines. Je m'inventais des histoires. Ces happenings d'enfant -j'avais 11 ans - étaient un peu comme de petits films. »
Ces façades de maisons qu'il dessinait auront chez lui valeur de visages. Elles exprimeront, dissimuleront une histoire, un couple, un sentiment. Pas de plus claire symbolique pour signifier le passage de l'extérieur à l'intérieur, de la surface des choses à l'intériorité. La ville et le désert se confondent chez lui. Il aimait les matins blêmes, les avenues vides de juillet. Il reste de fait associé à la cité plane de son enfance, la bourgeoise Ferrare, qui s'étend sur le cours inférieur du Pô. Arcades de silence, dimanche éternel, vie engourdie - ce théâtre urbain immortalisé par les toiles de Chirico ou de Carlo Carrà. Antonioni est né là-bas, y a vécu vingt-sept ans. Il y reviendra tourner un épisode hivernal - le plus épuré - de Par-delà les nuages. Cette plaine du Pô sera le décor de ses premiers films, des documentaires précurseurs du néoréalisme, Les Gens du Pô (1943¬1947), de Chronique d'un amour (1950) ou du Cri (1957), dérive grise et poignante d'un ouvrier trompé qui tente en vain d'oublier sa femme. Un film à part dans l'oeuvre d'Antonioni, plus habitué à dépeindre la grande bourgeoisie. Plaine, îlot rocheux, route, crevasse, esplanade. Brouillard, vent, pluie, soleil rasant ou vertical. Impossible de penser le cinéma d'Antonioni autrement qu'en termes de géographie et de climat. Le relief, le décor et le temps qu'il fait comptent autant sinon plus que les scénarios, contre lesquels ils semblent même s'inscrire. L'action, l'attente devrait-on dire, tend vers un présent suspendu qui dément le déroulement d'une intrigue, l'existence d'un passé, l'emploi de flash-back. Créer des liens mystérieux, des vibrations infra-sensibles entre l'homme et le paysage, voilà la grande idée antonionienne. Pour creuser et exprimer différemment la grande question qui taraude aussi Bergman et Go¬dard : le couple, et ses corollaires, passion, solitude, désir, abandon. La trilogie L’Avventura (1960), La Nuit (1961) et L'Eclipse (1962), puis Le Désert rouge (1964) : Antonioni signe coup sur coup quatre chefs-d'œuvre, qui le placent au rang des plus grands mais aussi des mal-aimés. Autant Fellini, son rival amical de toujours, a su récolter les suffrages du public, autant Antonioni, lui, s'est heurté à pas mal d'incompréhension. Sa vraie carrière commence par un scandale, fameux : en 1960, à Cannes, son Avventura est copieusement sifflé, Monica Vitti sort de la projection en larmes.
Aujourd'hui, non seulement L'Avventura - coécrit avec Elio Bartolini et Tonino Guerra, le fidèle scénariste - n'a pas pris une ride, mais il a gardé son caractère scandaleux : une femme (Lea Massari), personnage central, disparaît, et cette disparition est purement et simplement effacée du récit, supplantée par un amour naissant entre son compagnon et une amie proche. Chez Antonioni, on oublie vite, et l'être aimé peut rapidement devenir un étranger. Tout s'évanouit, le bonheur comme le malheur. De là l'inquiétude, ce besoin de toucher les choses pour les retenir. Intensité foudroyante du sentiment amoureux, puis plus rien. Tout Antonioni palpite de ces intermittences du cœur, de l'alternance terrible de joie et de tristesse. Chaque film de la trilogie débute ou s'achève par une séparation. Un couple échappe in extremis au naufrage (la fin de L’Avventura), un autre est à l'agonie (La Nuit), un troisième passe à côté d'une grande (?) histoire (L'Éclipse et son casting de rêve, Vitti-Delon). La faute à l'incommunicabilité ? On aurait autant tort de ricaner que de ne jurer que par cette formule, qui vaut ce qu'elle vaut. Certains - Alain Robbe-Grillet, fin connaisseur - l'ont retournée pour dire combien ça communique à outrance chez Antonioni. D'autres ont insisté sur la difficulté de s'unir avec les mots. On tranchera en avançant l'hypothèse que ce n'est pas tant la communication qui est recherchée que son dépassement, son détachement. Dans la métaphore, la coïncidence, la correspondance, en un mot, dans la poésie.

Longtemps, une femme a compté.

Une égérie tremblante et vaillante qui portait en elle les questions du monde et pouvait pardonner la lâcheté des hommes. Monica Vitti, blonde rayonnante et amère, muse sensuelle. Un roman ne suffirait pas pour dire son visage, sa silhouette, sa voix cassée. Antonioni l'a révélée. Plus tard, d'autres femmes furent magnifiées - Maria Schneider, Da¬niela Silverio, Christine Boisson... Avant, il y eut la divine Lucia Bosé dans Chronique d'un amour (1950) et La Dame sans camélias (1953). Dans les années 60, Antonioni est le plus fin apologiste de la femme.
Et puis il part. Il quitte l'Italie comme on se sépare d'une compagne, défait et refait son cinéma ailleurs. La femme n'est plus le personnage en avant, il devient objet de quête, voire d'enquête. Comme si le personnage masculin ne supportait plus sa propre lâcheté et sa vulgarité, désormais il s'interroge et interroge. Antonioni se ressource d'abord dans un jardin anglais, où il développe un suspense très audacieux tout en enregistrant - en direct, s'il vous plaît ! - la déferlante du swinging London (Blow up, 1967). La jeunesse le fascine, le fascinera toujours. Çabouge aux Etats¬Unis ? Il file là-bas en pleine période hippie pour suivre l'échappée dans le désert d'un étudiant contestataire et d'une jeune secrétaire qui a tout largué. C'est Zabriskie Point (1970), road-movie d'un romantisme fou, peut-être le film le plus radical de ces années. Ensuite, c'est la Chine (Chung Kuo, la Chine, 1972). Puis l'Afrique noire et l'Europe, où il signe Profession: reporter (1975), errance parfaite, aboutissement magistral parce que naturel de son esthétique. Aux portes du désert, depuis une fenêtre béante, Anto¬nioni attend - sereinement? - que la mort advienne. Il pressentait les choses avant tout le monde, expérimentait la couleur - ce qu'il réalise dans LeDésert rouge (surtout saturé de bleu et de vert) est inouï -, la vidéo -Le Mystère d'Oberwald (1980), petite merveille, et retrouvailles avec Vitti. Inventeur de la modernité, Antonioni ? Vous rigolez ? De la postmodernité, oui ! Observez la photographie plasticienne, la danse contemporaine, l'art vidéo, ou bien encore la mode, et vous aurez de fortes chances d'apercevoir son ombre portée se profiler dans tous les domaines où le style est une vertu.
Sa postérité cinématographique (même diffuse) l'atteste. La puissance de fascination intemporelle de ses films les protège de fait de toute idée de vieillissement. Il res¬tera sans doute comme le plus exigeant compositeur de plans, avec Hitchcock, qu'il rejoint d'ailleurs sur bien d'autres aspects. Rigueur, abstraction géométrique, nudité architectonique.
Il n'a jamais oublié pour autant d'être profondément humain. Nul formalisme intégriste chez lui. Sa suprême élégance vient de là : c'est comme si la forme conduisait au fond. « Il va de l'abstraction vers l'humain », résume bien Olivier Assayas dans son commentaire sur le DVD de L’Avventura. Le voir en cinéaste froid est absurde. On pleure beaucoup dans les films d'Antonioni, on caresse aussi, on pose sa joue sur le corps de l'autre, la terre, les murs. Contact charnel, matériel et minéral, qui est à la mesure du vide, de l'extinction de la sensation.
Ces vibrations, ce rapport sensoriel, tactile, au monde mène tout naturellement à l'érotisme. Un érotisme manifeste et éclatant dans certaines séquences - l'impudente montée du plaisir de Daniela Silverio dans Identification d'une femme (1982). Ou plus allusif, ne serait-ce qu'à travers les décors chargés de métaphores sexuelles, phalliques ou en creux. Tout se passe comme si Antonioni avait toujours tendu vers un absolu d'unité, compact, irréductible. Quelque chose de réel, et qui toujours se dérobe. Reste l'attente, ce temps de cinéma indéterminé, ce brouillard, ce désir vague - de vivre ou de mourir ? De splendides pressentiments dépourvus du moindre ressentiment.
JACQUES MORICE

Antonioni d’hier et de demain par André S. Labarthe

Parmi les mille façons d’entendre la mise en scène, il en est une qui est peut-être plus propre qu’une autre à éclairer la démarche du cinéaste.C’est celle qui accorde à la mise en scène une fonction ordonnatrice particulièrement sensible chez Murnau et Lang, cette fonction, qui commande au créateur d’aller du désordre à l’ordre, se révèle à des degrés divers chez tous les cinéastes modernes. Ceux-ci semblent d’ailleurs en être plus ou moins conscients, alors que les anciens réalisateurs, partisans d’un style où le montage et le truquage étaient au premier plan de l’expression, l’ignoraient tout en luttant inconsciemment contre elle. Le cinéma moderne, résolument démystificateur, ne l’est réellement que parce que les cinéastes modernes ont pris conscience de cette évidence.
Le mythe du cinéma-oeil a fait long feu. La fameuse objectivité fondamentale du cinéma est en fait corrélative d’une aussi grande subjectivité du cinéaste. L’analyse phénoménologique de la perception tentée par Merleau-Ponty doit a fortiori s’appliquer à cet oeil mécanique qu’est l’objectif de la caméra. Ainsi, voir, ce n’est déjà plus tout à fait voir, filmer, ce n’est plus tout à fait enregistrer du réel sur pellicule.Que dire alors de la mise en scène, sinon qu’elle est en fin de compte une manière de juger (de Murnau à Astruc), d’interroger (de Rossellini à Chabrol), d’aimer ou de haïr (de Stroheim à Renoir) ? Sinon qu’elle propose toujours un certain ordre du monde ? Un plan de Welles, par exemple, est toujours une certaine façon d’ordonner l’espace, engage par conséquent toujours une certaine façon qu’a Welles de regarder le monde, de s’y insérer et d’y formuler son interrogation.
Pour toutes ces raisons, il n’est jamais alarmant qu’un auteur qui aborde la mise en scène nous donne un film désordonné, touffu, seulement balayé de brefs éclairs de génie. Tout porte à croire que ses films ultérieurs se définiront par une clarification - non pas une simplification - de son propos, une maîtrise croissante de son instrument, pour atteindre, peut-être, à la suprême souveraineté : une réconciliation de l’homme et de la nature, l’apaisement d’une lutte dans laquelle le désordre doit finir par rendre les armes.
La rétrospective Antonioni à la Cinémathèque française a mis justement l’accent sur cet itinéraire de la création. Un film tenu jusqu’ici pour un chef-d’oeuvre, Chronique d’un amour, apparaît, après L’Avventura, à la fois comme une esquisse et un brouillon : une oeuvre désordonnée, plus pleine qu’un oeuf mais imprécise, une oeuvre sans impact sur laquelle la mise en scène n’a pas encore inscrit sa suprématie. En regard, La Dame sans camélias, en dépit d’une erreur de distribution (voir plus bas) qui eût pu lui être fatale, prend une importance inattendue. Mais Chronique d’un amour comme La Dame sans camélias, malgré de réelles beautés, souffrent aujourd’hui d’être confrontés avec la perfection des derniers films.

Ce qu’on désigne par l’approfondissement d’une oeuvre n’est jamais qu’une prise plus nette de conscience.On va d’une oeuvre floue à une oeuvre limpide, d’un brouillon à une épure. Les étapes d’une carrière de cinéaste sont comparables aux états successifs d’un tableau. Par exemple, le personnage qui nous est montré dans Chronique d’un amour, on s’en aperçoit aujourd’hui, manque singulièrement de netteté : sa silhouette est épaisse, sa démarche incertaine. C’est qu’il est encore loin d’être « la somme de ses actes ». Mais qu’Antonioni le « reprenne », comme on « reprend » un tableau, et cette silhouette se précisera, cette masse d’ombre s’éclaircira, et Massimo Girotti laissera la place au Steve Cochran du Cri et celui-ci au Gabriele Ferzetti de Femmes entre elles et de L’Avventura. Il éclaircira si bien ses contours qu’il s’opposera finalement au décor et à l’histoire dont au début il restait confusément solidaire. Ceci n’est qu’un exemple, mais caractéristique : que ce personnage se précise, et c’est le décor, et c’est la fiction, et c’est la mise en scène elle-même qui gagnent en efficacité.
La véritable maîtrise d’Antonioni commence avec le sketch d’Amore in citta. Avec Tentato suicidio - tel est son titre - pour la première fois la couleur n’empiète pas sur le dessin. Le réalisateur survole sa matière et affirme déjà péremptoirement cette limpidité du style, et cette acuité du regard qui frapperont tant le spectateur de Femmes entre elles. La conception de la mise en scène qui se fait jour ici témoigne en effet d’un regard éminemment aigu - presque critique - posé sur certains aspects privilégiés du réel. En même temps qu’elle retient le spectateur au piège de sa seule beauté, elle rend compte de la position de l’auteur. Réaliser un film n’est pas pour Antonioni faire une parenthèse dans sa vie d’homme, mais tout au contraire continuer à vivre en s’interrogeant sur le sens de la vie, et peut-être par là apprendre à mieux vivre. Bref, le temps du film continue le temps réel,mais l’ordonne,mais le rend transparent à la conscience. La mise en scène a donc cette mission de résoudre ou d’aider à résoudre les problèmes et les difficultés qui assaillent un homme. Elle est une technique de la conscience de soi.
Qu’est-ce à dire ? Simplement ceci : un film sera d’autant meilleur, sa mise en scène d’autant plus remarquable que son auteur aura une conscience plus nette de sa place dans le monde et de son rapport au monde. Antonioni est une affirmation, criante de justesse, de la politique des auteurs.
L’ensemble présenté par la Cinémathèque n’était pas complet. Manquaient, outre L’Avventura, certains courts métrages réalisés entre 1943 et 1950. Mais cela du moins a-t-il suffi pour que cette oeuvre, entre toutes maudite (aucun film d’Antonioni n’a connu en France une exclusivité autre que confidentielle), nous apparaisse dans tout son déploiement. En voici une rapide analyse.

Documentaires
Nous avons vu trois documentaires : N.U. (Netezza urbana, 1948) film sur les éboueurs de Rome : Superstizione (1948), reportage sur les coutumes et croyances de certaines populations des Abruzzes ; Tentato suicidio, épisode de Amore in città (1953), enquête sur le suicide. Les deux premiers, strictement documentaires, surprennent d’emblée par l’écart qu’ils accusent avec la technique néoréaliste. Certes, Antonioni a tourné dans des lieux réels. Mais les angles de prises de vues, les cadrages et jusqu’à l’utilisation qui est faite de la bande sonore, opèrent à l’égard du document un recul qui deviendra plus tard la caractéristique d’un style.
À vrai dire, dans la suite, ces films, et probablement ceux qui leur sont contemporains, ne mériteraient guère que l’on en parlât. Mais, à voir et à revoir Tentato suicidio, réalisé après trois longs métrages, on comprend le chemin parcouru. Tentato suicidio est, à mon sens, l’un des trois chefs-d’oeuvre absolus d’Antonioni. Cette enquête sur le suicide, menée sans tricherie, où des rescapées du suicide viennent raconter ou mimer devant nous leur geste de désespoir, est traitée par Antonioni avec une élégance extraordinaire. Jamais le document ne verse dans la compassion, jamais la mise en scène ne rompt sa digue pour laisser le document envahir le spectateur. Chaque plan, généralement long et tourné à la grue, fait éclater le constat en même temps qu’il le juge.

Chronique d’un amour (1950)
Chronique d’un amour est intéressant pour deux raisons. La première est que c’est le premier film de son auteur, la seconde que, dès son premier film, Antonioni fait oeuvre d’auteur complet (ce n’était pas si courant en 1950 !).
À la lumière des films qui le suivront, Chronique d’un amour est la première mouture d’une situation qui se répétera jusqu’à L’Avventura. Chronique d’un amour est l’histoire d’une femme qui amène son amant (dont elle a naguère tué la fiancée) à assassiner son mari. Un accident rendra le meurtre inutile,mais la liaison des amants ne lui survivra pas. Première esquisse de l’univers d’Antonioni : Paola (Lucia Bosè) est une femme (fatale) qui n’arrive pas à triompher d’un certain destin malheureux. Exactement comme, plus tard, Clara (Lucia Bosè) dans La Dame sans camélias ou Claudia (Monica Vitti) dans L’Avventura.
Malgré toutes ses imperfections, Chronique d’un amour impose un authentique cinéaste. Il n’est que de comparer le film à Assurance sur la mort ou à Thérèse Raquin, dont les sujets sont voisins, pour se rendre compte de son originalité.

I vinti (1952)

Comme il arrive toujours, du seul fait qu’il y ait été interdit par la censure, ce film jouit en France d’un préjugé favorable. Comme si la censure était plus perspicace que la critique ! Il s’agit pourtant là, incontestablement, de l’oeuvre la plus inégale de Michelangelo Antonioni.
Le film est constitué de trois sketches qui ont respectivement pour cadre la France, l’Italie et l’Angleterre. Tous trois sont inspirés de faits divers réels. L’épisode français, qui est à l’origine de l’interdiction du film en France, évoque l’affaire Guyader. Affaire de J3 ou fait divers de blousons noirs avant la lettre, tout ce qui a trait directement à la géographie et au climat parisiens est insupportable : Paris ressemble comme un frère à un faubourg de Rome (on y voit un autobus quitter la ville pour la pleine campagne !). Seul intérêt du récit : les scènes d’extérieurs à la campagne où se manifeste le goût d’Antonioni pour les grands espaces, ponctués de personnages disposés en profondeur (l’espace selon Antonioni ressemble fort à un échiquier). L’épisode italien, qui relate les derniers instants d’un gang de la drogue, est meilleur,mais encore maladroit. Le meilleur sketch est paradoxalement l’anglais, plein d’humour, et d’humour anglais comme les Anglais eux-mêmes ne savent plus en faire depuis longtemps.

La Dame sans camélias (1953)
De l’aveu d’Antonioni lui-même, le sujet de La Dame sans camélias avait été conçu pour Gina Lollobrigida et le résultat s’en ressent. Que Lucia Bosè soit belle, personne n’en doute, mais comment croire entièrement au personnage, malgré les modifications apportées par l’auteur au rôle, quand celui-ci a été si manifestement écrit pour Gina ?
Singulière coïncidence. Il en est des sujets d’Antonioni comme de la plupart de ceux de Bergman.Réduits à leur argument, ce ne sont que romans de presse du coeur avec ce que cela comporte de fatalisme et de lendemains désenchantés. Ainsi réduit, celui de La Dame sans camélias vaut son pesant de guimauve : une jeune starlette, sur le point de conquérir la gloire, abandonne une carrière qui s’annonce fructueuse pour devenir une actrice sérieuse et conserver son amour. Mais elle finira par tout perdre.
Mais comme chez Bergman, le film vaut mieux que son argument. Il représente même, plus que Chronique d’un amour, une étape décisive dans l’oeuvre d’Antonioni en ce sens que la mise en scène se libère de l’emprise du sujet et tend déjà vers cet art « critique » qui définira demain le style propre d’Antonioni. La place des acteurs dans le cadre, ce souci majeur de l’esthétique d’Antonioni qui a pu parfois irriter, devient à la fois plus sûre et plus souple ; la composition de l’image, toujours soignée, sait s’effacer au fur et à mesure que le film se déroule : elle n’arrête plus le regard, elle le guide.

Femmes entre elles (1955)
Le second chef-d’oeuvre absolu d’Antonioni. Chef-d’oeuvre paradoxal : Femmes entre elles, l’un des deux films dont Antonioni n’ait pas conçu le sujet, nous en apprend plus sur son auteur que Chronique d’un amour ou Le Cri qu’il a signés intégralement ! C’est que la mise en scène investit toutes les significations du film. Antonioni peint un certain monde, mais c’est la mise en scène qui fait que cette peinture est aussi une critique, ce constat une vision du monde. Tous les éléments de la mise en scène, l’organisation de l’espace, les rapports des personnages dans le cadre, le rapport des personnages et du décor, concourent à la perfection. On sent constamment qu’ici Antonioni résout quelque chose, qu’il a trouvé, grâce à ce film, le lieu secret d’où le monde lui apparaît selon un certain ordre. Au comment de la technique répond, au quart de ton près, le comment d’un homme qui regarde. Dans la relation qui unit ces deux comment réside le secret d’un art.

Le Cri (1957)
Mieux accueilli, plus hautement loué, Le Cri ne renouvelle pas tout à fait la réussite de Femmes entre elles. Ce beau film émouvant n’est pas un chef-d’oeuvre. Il semble qu’ici Antonioni ne soit pas pleinement parvenu à prendre ses distances à l’égard de son sujet, que son oeil ait un peu perdu de cette acuité critique qui fait le prix de Femmes entre elles. Le film, sans aucun doute, tenait à coeur à son auteur. Mais sa beauté n’a pas cette évidence tranchante, un peu sèche, que l’on attendait. Il y manque le regard d’aigle.
Il faudra attendre L’Avventura pour que s’élève une nouvelle fois cet écho en retour du bonheur et du malheur d’un homme qui éveille ses semblables à un partage sans compassion.

Cliquez pour la suite http://www.loree-des-reves.com/module ... ost_id=3419#forumpost3419

Posté le : 28/09/2013 21:05
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer


Michelangelo Antonioni
Administrateur
Inscrit:
14/12/2011 15:49
De Montpellier
Messages: 9500
Niveau : 63; EXP : 93
HP : 629 / 1573
MP : 3166 / 57687
Hors Ligne
Suite
Il faut laisser au héros le temps de traverser la rue

Antonioni parle peu. Il vient d'avoir soixante-dix ans et il affirme, avec une indifférence d'aristocrate, qu'il n'aime pas ses films, qu'il ne les comprend pas et qu'il n'est pas heureux non lus quand il les tourne. Coquetterie d’intellectuel sur ses gardes. Peut-être. Mais sûrement lassitude de cinéaste fatigué de se battre : quand la télévision italienne lui propose, en 1979, de réaliser en vidéo une adaptation de L'Aigle à deux têtes de Cocteau (Le Mystère d'Oberwald), cela fait cinq ans, depuis Profession : reporter, qu'Antonioni n'a pas tourné. Scénarios refusés, projets avortés. Ne rêvait-il pas, depuis 1966, d'Identification d'une femme, son dernier-né ?
Michelangelo Antonioni paye encore le prix de sa dérangeante modernité, de sa volonté opiniâtre d'innover.
Issu d'un milieu bourgeois, il naît à Ferrare, en 1912. La ville Renaissance, aux architectures compactes et inquiétantes qui défient l'espace, ne devait pas manquer d'influencer le cinéaste. Dès l'âge de dix ans, il a la passion du dessin. Il imagine des plans de bâtiments absurdes, qui accusent et meublent le vide.
Antonioni toujours est resté peintre. Et ses films ressemblent, cinq siècles après, aux toiles de son maître Piero della Francesca. Posés en attente dans un univers géométrique remarquablement structuré, ses personnages cherchent aussi à faire corps avec le paysage, à s'inscrire dans un monde étranger qui ne leur ressemble pas.
Après des études de sciences économiques, il vient tardivement au cinéma. Il tourne d'abord des documentaires. Dès son premier long métrage, Chronique d'amour, en 1950, l'intrigue quasi-policière du scénario lui importe peu. Antonioni s'amuse à la détourner, à en pervertir le sens. Seuls comptent les personnages et les égarements de leurs sentiments. Mais sans dramatiser : Antonioni aime mieux scruter le silence que traquer l'action.
« - Dans la plupart des films, le temps est faux. Voyez le rythme des thrillers, sans aucun temps mort, comme si le héros ne traversait jamais la rue, ou ne prenait jamais l'ascenseur. Or ce sont, le plus souvent, pendant ces instants de transition que les motivations changent. Parce que le personnage, comme vous et moi, aura tout à coup aperçu un objet, un paysage qui aura modifié son humeur. Je ne crois pas au cinéma-vérité la vie est une chose, le cinéma une autre. Mais, par rigueur, j'ai toujours voulu montrer ces moments de respiration gui font vivre la vie et conditionnent 1’atmosphère. »
On ne remarque les temps morts qu'au milieu d'un environnement en effervescence. Antonioni a toujours soin de placer ses créatures dans un monde en crise. Mais elles échappent au bouillonnement ambiant par leur solitude ou leur ennui. Comme un savant isole un phénomène pour mieux réussir son expérience. Antonioni les condamne au désert.
Pire, ils les réduit à n'être que la résultante d'un faisceau d'influences. Fini le «personnage » autonome et maître de lui. Antonioni décape les traditions romanesques au cinéma avec le même esprit de déconstruction sournoise qu'avaient les écrivains du Nouveau Roman s'attaquant à la littérature. Les individus qu'il met en scène sont conditionnés par les objets qu'ils regardent. Du coup, la caméra s'accroche davantage à la description clinique des choses qu'à celles des êtres.

UNIVERS POLLUÉ POUR LA NÉVROSE DE GIULIANA

La fameuse tétralogie des années soixante (L'Avventura, La Notte, L'Éclipse, Le Désert rouge) raconte ainsi à peu près uniformément « l'histoire de sentiments qui meurent ou dont on aperçoit la fin au moment même où ils naissent ». Le seul élément qui change, c'est le décor qui modèle ces états d'âme. Roulis obsédant de vagues qui incite à l'Avventura; chic implacable des quartiers neufs milanais qui pousse à la fugue (La Notte); bric-à-brac d'objets oppressants pour suggérer l'individu dépersonnalisé (L'Éclipse); univers pollué aux couleurs fantomatiques pour expliquer la névrose de Giuliana (Le Désert rouge).
Mais admettre une telle influence du « décor » sur le psychisme, c'est avouer combien il est difficile de cerner le réel, d'agir sur lui. Dans Blow up, conte philosophique sur les malheurs d'un photographe de mode découvrant sur sa pellicule un crime qu'il avait capté sans même sans rendre compte, Antonioni exprime combien la réalité est insaisissable. Le journaliste de Profession : reporter, lassé de n'avoir pas prise sur le monde, tente de changer d'identité. Comme ses efforts restent vains, il abandonne sa vie au hasard.
Venu présenter Identification d'une femme à Paris, Michelangelo Antonioni avoue que Profession :reporter est celui d'entre ses films dont il se sent le plus proche.
Peut-être estime-t-il ne pas s'être suffisamment renouvelé avec Identification d'une femme, qui renoue si bien avec la tradition de ses portraits féminins, depuis Femmes entre elles, en 1955. « Les femmes sont au centre de mon œuvre parce qu'elles sont au centre de ma vie. Quand j'ai un personnage de femme entre les mains, j'en sais déjà tout. Un homme, je dois l'inventer. Pour avoir des relations sincères avec les hommes, il faut être bien plus amis avec eux qu'avec les femmes. »
Peut-être Antonioni renie-t-il aujourd'hui aussi la fin trop optimiste de son dernier filin. Mais n'avait pas le choix : « Actuellement, on n'a pas d'autre choix que l'optimisme, sinon on crève. Trop de yens sentent battre autour d'eux une vie qu'ils ne connaissent pas et ne souhaitent même pas connaître. Ils savent que ça ne résoudrait rien. »

« J'AI ENVISAGE CHAQUE PLAN COMME UN TABLEAU»

Si le cinéaste s'est ici forcé à être « positif », il préfère visiblement travailler à la marge, sur les frontières de l'être, là où tout encore est possible et flou. Tels les mathématiciens modernes, il préfère compter avec le hasard, plonger dans l'aléatoire. Du bout de sa caméra, Antonioni a toujours été à la pointe de son temps.
Depuis Le Désert rouge, où il a découvert la couleur, il n'hésite plus à colorier lui-même les paysages pour mieux les adapter à la situation. Antonioni est passionné par les découvertes du cinéma électronique. Ce n'est pas pour rien que feu John Kennedy lui avait promis qu'il serait le premier cinéaste à faire partie d'une expédition spatiale pour filmer les étoiles...
Il cherche à provoquer une « expérience » chez le spectateur : « Une perception physiologique plutôt qu'intellectuelle et morale ». Ainsi la seule chose qui l'enchante dans Identification d'une femme, c'est le montage très rapide, très libre, aux erreurs délibérées.
« - C'est mon film le plus concret. D'habitude, je faisais attention à lier le montage au contexte. Ici, j'ai envisagé chaque plan comme un tableau. J’ai pratiqué l'image pour l'image. J'espère que j’aurai la même liberté aux Etats-Unis où je pars tourner mon prochain film: un huis clos sur un bateau. »
Et pourtant le cinéaste avoue qu'il a peur de l'image, de ce qui se trouve par-delà, et qu'on ne saura jamais vraiment : « Pour lutter contre cette angoisse, je dois réaliser mes films dans la spontanéité, sans rien de précis en tête avant le tournage, seulement des motifs vagues. »
Fabienne Pascaud Télérama

Les courts Metrages : La rayonne et Nettoyage urbain,

Revenons aux années 40 et commençons par un petit rappel historique. Au lendemain de la seconde guerre mondiale apparaît un nouveau courant dans le cinéma italien : le néo-réalisme. De nouveaux cinéastes réalisent alors des films « différents » décrivant la classe laborieuse : des ouvriers, des paysans, des balayeurs, etc. Des films sans fioritures, tournés dans une certaine urgence afin de décrire au plus près une Italie alors en pleine reconstruction et surtout en plein doute.
A la fin des années 40, Antonioni se trouve en plein cœur du néoréalisme. En 1949, avec La rayonne, documentaire sur la fabrication de vêtements, il décrit les conditions de travail de paysans et d’ouvriers, avec l’aide d’une voix-off explicative. Un an plus tôt, avec Nettoyage urbain, documentaire sur les balayeurs romains, le cinéaste proposait également la description sociale de la classe défavorisée, et toujours avec l’aide d’une voix-off.
Et pourtant, dans ces deux films : Antonioni, déjà, ne fait pas tout à fait comme les autres et commence, même timidement, à se détacher du néoréalisme.
Nettoyage urbain en est sans doute le meilleur exemple. La voix-off du début disparaît rapidement et laisse la place à des images plus esthétiques et moins démonstratives. Antonioni le dira plus tard : « Pour Nettoyage urbain, je ressentais un certain agacement face aux documentaires de l’époque. C’est pourquoi j’ai tenté de réaliser un montage poétiquement libre, en recherchant des nuances expressives, par des plans isolés, par des scènes sans lien l’une avec l’autre ».
La dimension sociale du film d’Antonioni est donc amenée à s’effriter. D’ailleurs, dans Nettoyage urbain, l’humain ne trouve pas vraiment sa place. Les balayeurs sont filmés de loin, ils sont vus de dos, aperçus dans des reflets, ou encore à travers des vitres, bref, ils sont perçus comme des figures évanescentes et fantomatiques. La question centrale du film n’est plus : « dans quelles conditions vivent les balayeurs romains ? ». Elle est remplacée par d’autres questions plus abstraites, concernant la matière même : « où vont les déchets d’une ville ? que deviennent-ils » ?
Antonioni le dit lui-même : « Au moment d’imaginer Nettoyage urbain, Rome était alors inondée d’ordures, de tas de crasse colorés au coin des rues, c’était une orgie d’images abstraites, une violence figurative jamais vue ».
A la fin des années 40, Antonioni est donc déjà fasciné par l’abstraction, par une certaine forme d’indicible et il cherche déjà un nouveau langage cinématographique pour mieux l’approcher.
Avec son premier long métrage, Chronique d’un amour, qu’il réalise en 1950, Antonioni va achever sa mue amorcée par ses courts métrages. Son éloignement du néoréalisme devient définitif.
Pour le cinéaste, les inquiétudes et les angoisses de l’Italie des années 50 ne sont plus les mêmes qu’au lendemain de la guerre. Antonioni va désormais s’intéresser à ce que le néoréalisme a jusqu’ici fui comme la peste : la complexité des personnages, leurs sentiments, leurs tourments, leur intimité. Antonioni résume alors son nouveau programme de cinéma en une phrase : « il faut dorénavant étudier l’âme des personnages plutôt que leur vie dans la société ».
Le cinéma d’Antonioni va alors délaisser les balayeurs de Nettoyage urbain ou les ouvriers de La Rayonne pour décrire désormais les névroses de bourgeois milanais ou romains. En plan séquence, les personnages d’Antonioni seront alors littéralement scrutés, épiés, même dans les moments creux, même lorsqu’il ne se passe rien, a priori. Il s’agit alors de capter l’« essence » des personnages, leur « indicible », grâce à la durée.
Une comparaison d’images pour mieux comprendre. À la neuvième minute de Nettoyage urbain, Antonioni filmait de loin et furtivement un couple marchant au bord du fleuve. Le cinéaste restait alors à distance, sur le seuil. À la vingtième minute de Chronique d’un amour, Antonioni filme là aussi un couple au bord de l’eau, mais il a, cette fois-ci, franchi le seuil. Il filme désormais les visages, enregistre les voix et dévoile les correspondances secrètes.

Par-delà les nuages

Un court métrage de Michelangelo Antonioni
• Synopsis
Inspiré du roman de Michelangelo Antonioni (Quel bowling sul Tevere), Par-delà les nuages raconte en quatre épisodes tournés respectivement à Ferrare (la ville d’Antonioni), Portofino, Paris et Aix-en-Provence, quatre histoires d’amour, quatre étapes d’un voyage introspectif, quatre paraboles centrées autour d’une même question :l’ambiguïté du réel. Une interrogation sur la frontière entre réalité et fiction, vécu et imaginaire, corps et âme… incarnée par un réalisateur (fantôme – double d’Antonioni) errant en quête d’histoires à raconter.

Plusieurs films ont été tournés sur Antonioni où on le voit dans son propre rôle :
1966 : Michelangelo Antonioni storia di un autore (Antonioni : documents et témoignages), documentaire pour la télévision de Gianfranco Mingozzi,
1982 : Chambre 666, documentaire pour la télévision de Wim Wenders,
1996 : Fare un film per me è vivere (Faire un film pour moi c'est vivre), documentaire pour la télévision d'Enrica Antonioni sur le tournage de Par delà les nuages

A lire

« Écrits de Michelangelo Antonioni : écrits et entretiens de 1960 à 1985 » de Michelangelo Antonioni, Images Modernes, coll. « Inventeurs de formes », 2003.
« Essai sur le cinéma de Michelangelo Antonioni » de Alain Bonfand, Images Modernes, coll. « Inventeurs de formes », 2003.
« Michelangelo Antonioni ou la vigilance du désir » de René Prédal, Cerf, coll. « 7e art », 1991.
« Michelangelo Antonioni : cinéaste de l’évidemment » de José Moure, L’Harmattan, coll. « Champs visuel », 2001.
« Michelangelo Antonioni. Filmographie complète », de Seymour Chatman et Paul Duncan, édition Taschen, 2004.

Antonioni, le dernier des Modernes

Cinéaste du silence, de la douleur et de l’espace, Michelangelo Antonioni, un des maîtres du modernisme au cinéma, est mort lundi soir à l’âge de 94 ans. Il laisse derrière lui des chefs-d’œuvre comme «Blow-Up», «Désert Rouge», «Profession Reporter» ou «L’Avventura». Aux côtés de Federico Fellini, il a imposé sa propre signature au cinéma italien après le Néoréalisme de Rosselini en explorant avec une certaine radicalité formelle, les angoisses existentielles et l’aliénation du monde contemporain sur l’individu.

Controverse

De son premier film, «Chronique d'un amour» en 1950 jusqu’en 1957 avec «Le Cri», on ressent dans l’œuvre d’Antonioni la forte influence du Néoréalisme et du film noir américain avec déjà la présence de deux thèmes forts : l’errance dans l’architecture urbaine et le suicide. Ces films sont bien accueillis. Puis se produit le premier clash médiatique, événement fondateur et violent de la carrière d’Antonioni : la projection à Cannes de «L’Avventura» en 1960 va presque jusqu’au pugilat. Le film est encensé par la critique et hué par le public.
Roland Barthes explique bien ce phénomène de rejet dans son article sur Antonioni en 1980 dans Les Cahiers du Cinéma : « L’activité de l’artiste est suspecte parce qu’elle dérange le confort, la sécurité du monde établi, parce qu’elle est à la fois dispendieuse et gratuite, et parce que la société nouvelle qui se cherche… n’a pas encore décidé ce qu’elle doit penser. » De fait, même si son génie est vite reconnu, ses films susciteront toujours une vraie polémique avec des adorateurs et des détracteurs, tous passionnés.

Couple

La relation amour-haine sera elle-même au centre de l’œuvre d’Antonioni, qui s’est attaché film après film à disséquer le couple sous tous les angles, à tous les stades d’une relation. Par exemple, «L’Avventura» se déroule sur une île de Méditerranée où un groupe de mondains désœuvrés recherchent désespérément Anna, leur amie brusquement disparue ; dans le même temps, Sandro oublie Anna et tombe amoureux de Claudia. Sur cette trame ténue, avec peu de dialogues et dans un noir et blanc très graphique, Antonioni suggère l’angoisse et la perte de sens dans notre société. Il continue ensuite de fouiller les recoins de la rupture amoureuse et de l’isolement dans ce qui devient une trilogie : «La notte » (La nuit, 1961) et «L’eclisse» (L’éclipse, 1962). Ces trois chefs-d’œuvre mettent aussi en lumière une immense actrice : Monica Vitti, compagne et muse du réalisateur pendant une dizaine d’années.

Composition

Dans le cinéma d’Antonioni, chaque image est une œuvre en soi. Il explique en 1960 dans un entretien accordé aux Cahiers : « Une image n'est essentielle que si chaque centimètre carré de l'image est essentiel ». Néanmoins, ses déclarations dévoilent un réalisateur moins cérébral et plus instinctif qu’il n’y paraît dans ses déclarations : « Je ne suis pas un théoricien du cinéma. Si vous me demandez ce qu’est la mise en scène mon premier réflexe sera de répondre : « je ne sais pas », le deuxième : « toutes mes opinions sur le sujet sont dans mes films »… Quand je filme, je n’y pense pas, je le fais, c’est tout. »

Combat

Malgré (ou à cause de) cette approche sensitive, Antonioni ne connaîtra jamais de succès public à l’exception de «Blow-Up» en 1966 qui raconte l’enquête d’un photographe du Swinging London qui a immortalisé par accident un meurtre sur pellicule. Antonioni continue ensuite son voyage hors de l’Italie avec «Zabriskie Point» filmé dans la Vallée de la Mort en Californie, un échec retentissant pour la MGM et en Afrique pour «Profession Reporter» (tourné en Espagne). Il parle de ce combat perpétuel sans détour : « J’ai toujours dû me battre comme un fou pour faire du cinéma car mes films ont toujours été d’immenses échecs commerciaux. Les producteurs me considèrent comme un cinéaste froid, sophistiqué, intellectuel ». Un producteur italien formule en d’autres termes cette attaque : « Vous Antonioni vous êtes un grand réalisateur mais, nous devons vous abattre car vous êtes dangereux pour le cinéma : vos films sont trop pénibles à voir ». Malgré tout, son influence et son génie sont reconnus par la critique et une nouvelle génération de réalisateurs de Scorsese à Wenders.

Conclusion

En 1995, un Oscar pour l’ensemble de son œuvre lui est remis par Jack Nicholson qui jouait le premier rôle dans « Profession Reporter » mais, ironie du sort, la fameuse statuette lui échappe une dernière fois, volée lors d’un cambriolage avec plusieurs autres récompenses à son domicile en 1996. Physiquement diminué après une attaque cérébrale en 1985, il réalise encore « Par-delà les nuages » en 1995 avec l’aide de sa femme Enrica Fico et du réalisateur Wim Wenders et un segment du film « Eros » en 2004. Un titre parfait pour un dernier film, car, derrière ce mur d’angoisses et de solitude que semble construire son oeuvre c’est aussi l’amour qu’Antonioni a filmé, la pulsion de vie d’Eros et Thanatos, à travers les ruptures, le désir et la tourmente des sentiments.
Delphine Valloire

FILMOGRAPHIE


Courts métrages

Note : Les courts métrages de Michelangelo Antonioni sont tous des documentaires.
1943 - 1947 : Gente del Po (Les Gens du Pô) 35 mn
1948 : Nettezza Urbana (N. U. Nettoyage urbain) 9 mn
1948 : Superstizione (Superstition - Non ci credo !) 9 mn
1948 : Oltre l'oblio (Plus loin, l'oubli)
1948 : Roma-Montevideo
1949 : L'Amorosa menzogna (Mensonge amoureux) 10 mn
1949 : Sette canne, un vestito (La Rayonne) 9mn
1950 : La Villa dei Mostri (La Villa des monstres) 10 mn
1950 : La Funivia del Faloria (Le Téléphérique du mont Faloria) 10 mn
1950 : Uomini in piu
1950 : Vertige (Vertigine) – fragments du film La funivia del Faloria 4 min
1983 : Retour à Liscia Bianca (Ritorno a Liscia Bianca) 10 min
1989 : Kumbha Mela, court métrage sur l'Inde 18 mn
1992 : Noto, Mandorli, Vulcano, Stromboli, Carnevale (Connu, amandiers, volcan, Stromboli, carnaval) 10 mn
1997 : Sicilia 9 mn
2004 : Lo Sguardo di Michelangelo (Le Regard de Michelangelo) 15 mn

Réalisateur

1949 : Jeunes en blanc (Ragazze in bianco), documentaire
1949 : Bomarzo, documentaire
1950 : Chronique d'un amour (Cronaca di un amore)
1952 : La dame sans camélia (La signora senza camelie)
1952 : Les vaincus (I vinti)
1952 : L'amour à la ville, coréalisé par Michelangelo Antonioni, Federico Fellini, Alberto Lattuada, Francesco Maselli, Carlo Lizzani et Dino Risi (L'amore in città), segment J'essaye le suicide (Tentato suicidio)
1955 : Femmes entre elles (Le amiche)
1957 : Le cri (Il grido)
1960 : L'avventura
1961 : La nuit (La notte)
1962 : L'éclipse (L'eclisse)
1964 : Le désert rouge (Il deserto rosso)
1965 : Les trois visages (I tre volti), segment "Préface" ("Prefazione")
1967 : Blow-Up
1968 - 1970 : Zabriskie Point
1972 : Chung Kuo, La Chine (Chung Kuo Cina) - documentaire en 3 parties
1974 : Profession : reporter (Professione reporter)
1982 : Identification d'une femme (Identificazione di una donna)
1989 : Le mystère d'Oberwald (Il mistero di Oberwald)
1990 : 12 registi per 12 città (Douze réalisateurs pour douze villes), co-réalisation promotionnelle pour la Coupe du monde de football de 1990 en Italie, segment Roma
1995 : Par delà les nuages (Al di là delle nuvole), co-réalisé avec Wim Wenders
2000 : Tanto per stare insieme
2000 : Destinazione Verna
2003 : Eros - coréalisé par Michelangelo Antonioni, Wong Kar-wai et Steven Soderbergh, segment Il Filo pericoloso delle cose

Scénariste


1942 : Un pilote revient (Un Pilota ritorna) de Roberto Rossellini
1942 : I Due Foscari (Les Deux Foscari) d'Enrico Fulchignoni
1947 : Chasse tragique (Caccia tragica) de Giuseppe De Santis
1950 : Chronique d'un amour (Cronaca di un amore), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Daniele d'Anza, Silvio Giovaninetti, Francesco Maselli et Piero Tellini.
1952 : Le Cheik blanc (Lo Sceicco bianco) de Federico Fellini
1952 : La dame sans camélia (La signora senza camelie), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Suso Cecchi d'Amico, Francesco Maselli et P.M. Pasinetti.
1952 : Les vaincus (I vinti), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Suso Cecchi d’Amico, Giorgio Bassani, Diego Fabbri, Turi Vasile, Roger Nimier (segment français)
1955 : Femmes entre elles (Le amiche), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Suso Cecchi d'Amico, Alba de Cespedes, d'après la nouvelle « Entre femmes seules » du livre « Le bel été », de Cesar Pavese.
1957 : Le cri (Il grido), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Elio Bartolini et Ennio De Concini
1961 : La nuit (La notte), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Ennio Flaiano et Tonio Guerra
1962 : L'éclipse (L'eclisse), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Tonino Guerra, Elio Bartolini et Ottiero Ottieri
1964 : Le désert rouge (Il deserto rosso), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Tonino Guerra
1966 : Blow-Up, de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Tonino Guerra, d'après Julio Cortazar.
1970 : Zabriskie Point, de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Fred Gardner, Tonino Guerra, Sam Shepard et Clare Peploe.
1975 : Profession : reporter (Professione reporter), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Mark Peploe et Peter Wollen d'après une histoire de Mark Peploe.
1980 : Le mystère d'Oberwald (Il mistero di Oberwald), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Tonino Guerra d'après lapièce de Jean Cocteau
1981 : Identification d'une femme (Identificazione di una donna), de Michelangelo Antonioni. Ecrit avec : Gérard Brach, et la collaboration de Tonino Guerra.

Récompenses

1948 : Ruban d'argent du meilleur documentaire pour Nettezza Urbana (Nettoyage urbain)
1950 : Ruban d'argent du meilleur documentaire pour L'Amorosa menzogna (Mensonge amoureux)
1951 : Ruban d'argent spécial pour les valeurs humaines et stylistiques pour Chronique d'un amour (Cronaca di un amore)
1955 : Lion d'argent à la Mostra de Venise pour Femmes entre elles (Le Amiche)
1956 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour Femmes entre elles (Le Amiche)
1957 : Léopard d'or au Festival international du film de Locarno pour Le Cri (Il Grido)
1960 : Prix du Jury au Festival de Cannes pour L'Avventura
1961 à la Berlinale :
Ours d'or du meilleur film pour La Nuit (La Notte)
Prix FIPRESCI pour l'ensemble de son travail
1962 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour La Nuit (La Notte)
1962 : Prix spécial du Jury au Festival de Cannes pour L'Éclipse (L'Eclisse)
1964 à la Mostra de Venise :
Lion d'or pour Le Désert rouge (Il Deserto rosso)
Prix FIPRESCI pour Le Désert rouge (Il Deserto rosso)
1967 : Palme d'Or au Festival de Cannes pour Blow-Up
1967 : NFSC Award du meilleur réalisateur pour Blow-Up
1968 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film étranger pour Blow-Up
1968 : Prix de la critique (Syndicat française de la critique de cinéma) du meilleur film étranger pour Blow-Up
1976 : Ruban d'argent du meilleur réalisateur de film italien pour Profession : reporter (Professione : reporter)
1976 : Prix Luchino Visconti aux David di Donatello
1976 : Bodil du meilleur film européen pour Profession : reporter (Professione : reporter)
1982 : Prix du XXXVe anniversaire au Festival de Cannes pour Identification d'une femme (Identificazione di una donna)
1983 : Lion d'or à la Mostra de Venise pour sa carrière
1991 : Prix François Truffaut au Festival du film de Giffoni
1993 : Prix pour sa performance aux Prix du cinéma européen
1995 : Prix FIPRESCI à la Mostra de Venise pour Par delà les nuages (Al di là delle nuvole)
1995 : Grand Prix spécial des Amériques au Festival des films du monde de Montréal à l'occasion du centenaire du cinéma, pour son exceptionnelle contribution à l'art cinématographique
1995 : Prix d'honneur aux Oscars du cinéma
1995 : Griffon d'or pour la carrière au Festival du film de Giffoni
1996 : Prix pour la carrière au Festival international du film d'Istanbul
1998 : Prix Pietro Bianchi du SNGCI à la Mostra de Venise
2000 : Prix pour la carrière au Festival du film Flaiano
2001 :
NFSC Award spécial pour l'intelligence exemplaire, la créativité et l'intégrité de sa carrière longue d'un demi-siècle 2004 :
Prix FIPRESCI du meilleur court métrage au Festival international du film de Valladolid pour Lo Sguardo di Michelangelo (Le Regard de Michelangelo)

Liens à regarder
http://youtu.be/GjHR8jgGPcE Monica Vitti en français
http://youtu.be/UaT46spgdwo Extrait le désert rouge
http://youtu.be/pMHNRfTPfQE Extrait le désert rouge
http://youtu.be/XY2Pk5_57t8 extrait l'éclisse Delon /Vitti
http://youtu.be/gSwBnbbwoww Zabriskie point (film entier)
http://www.ina.fr/video/CPF86601481/i ... ew-d-antonioni-video.html Interview de Antonioni
http://www.ina.fr/notice/voir/CAB8200713901 Interview
http://www.ina.fr/video/I00007295/mic ... ni-l-avventura-video.html L'avventura interview




Cliquez pour afficher l


[img width=600]http://t0.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcSC4cwAGwaTmf72HVrvnsyb0vKTJKzFG0Q2deQWrut0bZsk2W7W7sh3icDmFA[/img]

Cliquez pour afficher l

Attacher un fichier:



jpg  Red_Desert_RU_0.34.17_ff.jpg (25.56 KB)
3_524723af9420b.jpg 500X281 px

jpg  2442321159_08b7186965.jpg (106.95 KB)
3_524723cbf3bf5.jpg 500X333 px

jpg  michelangelo-antonioni-04.jpg (47.34 KB)
3_524723e1e2a6a.jpg 379X500 px

jpg  michelangelo-antonioni-08.jpg (36.01 KB)
3_524723f04e895.jpg 314X450 px

jpg  michelangelo-antonioni-01.jpg (817.18 KB)
3_524724086b0ff.jpg 1132X1417 px

jpg  6a0133f4ebe468970b0154345a9ac9970c-500wi.jpg (23.45 KB)
3_5247244738c6e.jpg 500X389 px

jpg  timthumb.jpg (109.82 KB)
3_5247245e2cca6.jpg 960X480 px

jpg  Img265592074.jpg (68.58 KB)
3_5247246babd48.jpg 500X488 px

jpg  161947.30715595_500.jpg (13.72 KB)
3_52472484b398a.jpg 327X315 px

jpg  Antonioni.jpg (139.07 KB)
3_5247249b0076f.jpg 400X537 px

jpg  antonioni20.jpg (25.00 KB)
3_524724a8cccf3.jpg 400X482 px

jpg  Michelangelo_Antonioni.jpg (683.66 KB)
3_524724f36342b.jpg 713X1198 px

jpg  ansa_10913012_17010.jpg (18.11 KB)
3_524725270f1ea.jpg 280X391 px

Posté le : 28/09/2013 20:51
Transférer la contribution vers d'autres applications Transférer



 Haut
« 1 ... 728 729 730 (731) 732 733 734 ... 956 »




Mes préférences



Par une aquarelle de Tchano

Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui bat d'une aile à dessiner
Qui bat d'une aile à rédiger
Par une aquarelle de Folon
Il vole à moi un vieux cahier
Qui dit les mots d'anciens poètes
Les couleurs d'une boîte à crayons
Il souffle des mots à l'estrade
Où il évente un émoi rose
A bord de ce cahier volant
Les animaux font des discours
Et les mystères vous font la cour
A bord de ce cahier volant
Un âne triste monte au ciel
Un enfant soldat dort la paix
Un enfant poète baille à l'ourse
A bord de ce cahier volant
Vénus éteint la douce brune
Lune et clocher vont bilboquer
L'eau le soleil sont des amants
Les cages aux oiseux sont ouvertes
Les statues font des farandoles
A bord de ce cahier volant
L'hiver soupire le temps passé
La porte est une enluminure
Les croisées des lanternes magiques
Le plafond une aurore polaire
A bord de ce cahier volant
L'enfance revient pousser le temps.
.

Connexion
Identifiant :

Mot de passe :

Se souvenir de moi



Mot de passe perdu ?

Inscrivez-vous !
Partenaires
Sont en ligne
72 Personne(s) en ligne (47 Personne(s) connectée(s) sur Les Forums)

Utilisateur(s): 0
Invité(s): 72

Plus ...