Quel temps de chien ! Encore une soirée d’orage. Comme tous les soirs depuis trois jours, j’ai débranché la télé par précaution. Pas envie de bouquiner. Je mets la radio et, bien calé dans mon fauteuil, je sirote un ballon de Bordeaux.
Ah, ça, je connais : « An die musik ». Un lied de Schubert. Quelle musique merveilleuse. Et quelle interprétation ! Je pourrais reconnaitre entre mille la voix de l’interprète, c’est Dietrich Fischer-Deiskau, accompagné par Gérald Moore. Par contre la poésie de Von Schober, l’ami de Schubert chez qui il habitait après avoir quitté la maison paternelle, est un peu… comment dire ? Mièvre ? Voilà , mièvre. Pour rester gentil. J’en avais fait une adaptation assez libre il y a quelques temps, dont je me souviens :
« Oh Musique !
Tu es là à jamais, aux heures des malheurs. Lorsque les noirs tourments broient mon âme sans recours, Toi seule sais réchauffer mon cœur à ton amour Et m’ouvrir des sentiers vers des mondes meilleurs.
Souvent le doux soupir échappé de ta lyre Me submerge tout comme une céleste voix. Et les portes du ciel s’ouvrent comme une voie Où un divin Eden est là pour m’accueillir.
Oh Musique, merci. »
Ah, si Schubert avait connu Baudelaire !
« La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile ; La poitrine en avant et les poumons gonflés Comme de la toile, J'escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile. »
Ça a quand même un autre souffle !
Ah, Schober ! Gentil dilettante, tu n’as pas atteint là la quintessence de la poésie romantique Allemande.
Schober, mon ami, qu’il est difficile de mettre de la musique sur tes vers.
Schober, mon très cher ami, si je n’étais pas ton hôte, je crois que j’abandonnerais ce pensum ridicule. Pour un compositeur comme moi, la musique n’est pas une amie sur l’épaule de laquelle on vient pleurer mais un chantier, une usine, parfois un tourment. Et qui me rapporte si peu…
Ach, il ne reste presque plus de Riesling dans mon gobelet. Et je ne sais pas où Schober met sa réserve. On va donc continuer sans son aide mon pauvre garçon. Ah là là …
Verdammt ! L’orage a éteint la lampe.
Bon, inutile de continuer. Il fait nuit noire, je n’y vois plus rien, il n’y a plus rien à boire, j’ai horreur de remettre du pétrole dans la lampe quand elle est encore chaude et j’ai sommeil. Allez, au lit !
Ach! Welcher Dumme hat die Tür verschoben ? Scheisse ! (Aïe ! Quel est l’abruti qui a déplacé la porte ? M…. !)
SCHOBEEEEER !!!!!!
|