13:28 ou le mur du passé (première partie)
Date 27-02-2018 19:03:14 | Catégorie : Nouvelles
| Je retourne prendre mon poste après la pause de midi, la halle de la galerie marchande est noire de monde. Des gens venus flâner devant les boutiques, un sandwich à la main, ou faire quelques courses. Un coup d’œil à la pendule, qui dit 13:28, et j’arrive à ma boutique de jeux vidéo juste à temps pour relever ma patronne qui, comme chaque jour, assure un intérim impatient avant de voguer vers d’autres affaires. Soudain, une énorme explosion emplit la galerie de lumière et de bruit. Je vois la porte métallique du local technique jaillir dans ma direction, ma mort inscrite dans sa course…
Je passe le tourniquet d’entrée de la galerie, il y a foule. Une image de chaos et de mort submerge mon esprit. Coup de fatigue ! J’aurais mieux fait de manger un peu au lieu de courir retrouver Armande dans la réserve de sa boutique de fringues. Malgré moi, je ralentis le pas, cherchant dans l’air ce qui cloche, je regarde ma montre : 13:28. Le souffle d’une violente explosion me projette au sol, cela vient du local technique dont je vois la porte propulsée, fauchant les gens comme des quilles. Je me dis que c’est pour moi… mais, le mortel projectile s’écrase à trois mètres de ma tête.
Je vais à la galerie après avoir grillé une cigarette sur le parking. Armande a pompé mon énergie comme jamais et je suis sur les rotules. Je me dirige vers le tourniquet d’entrée et suis assailli par un cauchemar de bruit, de lumière et de mort. Mon cœur s’emballe, je pense à une explosion ! Arrivé devant le tourniquet je m’arrête net. Aucun mouvement de foule, les gens entrent et sortent en parlant normalement, riant, mangeant des glaces… Bon, je délire. Pourtant je crois voir nettement la porte du local technique soufflée et fauchant tout dans sa course folle. Halte-là mon garçon, allume une autre cigarette et reprends tes esprits… Une mégère suivie de son vieux ratatiné par des années de soumission, me lance au sortir du tourniquet : Pourriez pas aller faire ça plus loin ? Le temps de réagir et lui répondre que je peux fumer dehors autant que je veux, et qu’elle peut aller se faire mettre par son caniche… Et c’est l’explosion ! Monstrueuse ! Qui propulse des corps désarticulés contre les volets vitrés du tourniquet. Mon premier réflexe est de consulter ma montre : il est 13:28. Je vais à ma voiture garée pas loin pour reprendre mes esprits. J’ouvre la portière, tombe sur le siège et regarde la montre du tableau de bord : 13:24. Merde ! Mais c’est « un jour sans fin » ! Sans plus réfléchir, je cours vers l’entrée, passe le tourniquet, la pendule est déjà à 13:27, je continue de galoper en slalomant et bousculant des gens qui m’insultent au passage. Je dois arriver à temps ! Je dois arriver à temps ! Et puis zut, je n’y arriverai pas, la clé du local technique est dans mon trousseau mais laquelle ? Le temps que je la trouve ! Je suis à moins de deux mètres de la porte, il est 13:28 et je la vois se gonfler sous le souffle de l’explosion. OH QUE JE VOUDRAIS ETRE DEHORS AVANT QUE TOUT ÇA NE COMMENCE !!
Et je me retrouve dehors. Ahuri, je regarde ma montre qui annonce 13:18. Je m’assois par terre, des gens me regardent. Une dame entre deux âges me demande si ça va. Oui, ça va, mais je ne peux pas me relever, j’attends que ça vienne, je suis en train de saisir un fil ténu. Jusqu’alors, j’ai été pris en boucle sans rien comprendre ni maitriser. Mais là , quand la porte a été soufflée, j’ai ressenti - comme une fulgurance - que je souhaitais me retrouver dehors. Et, à 13:18, j’y suis ! Pourtant, pas de quoi s’emballer. Ce n’est peut-être qu’un heureux hasard.
On va voir ! Il est 13:24, je vais rentrer, marcher lentement jusqu’à 13:27 et, en faisant comme tout à l’heure, essayer de me retrouver disons… derrière ma voiture à 13:15. Et ça a marché ! Je suis arrivé à l’endroit et à l’heure dits sans avoir eu à subir une fois de plus le spectacle traumatisant de l’explosion de 13:28. Certes je ne sais pas pourquoi ni comment ça marche mais ça marche. L’idée enfantine du vœu qu’on fait devant une étoile filante s’impose à mon esprit.
Bon, je sors mon trousseau de clés. J’ai un doute entre deux d’entre elles que je réunis et serre entre pouce et index de ma main droite. Je vais au tourniquet, le passe, me dirige calmement vers le local technique. La pendule de la galerie dit 13:18. J’ai dix minutes devant moi. Je suis arrivé à la porte, la première des deux clés est la bonne, j’ouvre, la lumière s’allume automatiquement et là , contre la paroi droite du local… deux bouteilles de gaz séparées par un paquet enveloppé de papier kraft huilé, des fils de plusieurs couleurs tirent-bouchonnent jusqu’à un téléphone portable. Je sors et crie à la foule qu’il y a une bombe et que tout le monde doit évacuer. Sans attendre de voir l’effet de mon alerte, je retourne à l’engin, je suis du doigt les fils qui entrent dans le téléphone par des trous percés dans la coque. Je n’ose pas tirer dessus pour les déconnecter. J’ouvre le dos de l’appareil et retire la batterie. Je regarde ma montre, il est 13:26. Je reste là , à croupetons devant la machine infernale, m’en remettant à la chance qui a si bien veillé sur moi jusqu’à présent. Deux vigiles accourus me demandent ce que je fais là en me donnant du Monsieur, puis, me reconnaissant, me rejoignent. Je leur montre l’engin de mort et jette un coup d’œil à ma montre pour voir l’affichage basculer sur 13:29. J’ai gagné !
Ensuite, je ne me souviens de rien. Je me suis retrouvé aux urgences de l’hôpital ou l’on m’a dit que j’avais probablement fait un malaise vagal. Je suis rentré chez moi hier après-midi après deux jours passés en observation. Dès mon retour, j’ai demandé à Denise, ma compagne, ce qui s’était dit de mon action à la galerie. Elle m’a répondu qu’on n’en avait presque pas parlé. Je cherche sur le site du « Progrès Loire », à l’onglet de Saint-Etienne, je ne trouve qu’un article titré « évacuation de la galerie du centre commercial ». Pour lire l’article il faut être abonné et je ne le suis pas. Tant pis, je laisse tomber. J’ai commencé à réfléchir à tout ce qui s’est passé et j’en ai déduit que j’ai, en quelque sorte, une qualité supranormale. Pour l’heure, je réfléchis à des moyens de vérifier la réalité de ce don.
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