L'arrivant XXVI
Date 07-09-2012 22:10:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Je regardais JF, Il avait le visage cramoisi. Régine s'approcha de moi et me glissa doucement à l'oreille : "Qu'est-ce que c'est que ce chien ? qu'est-ce qu'il a fait ? il a pas l'air dangereux !" " Ce chien s'est invité à la maison, on ne peut pas le garder alors on l'a donné plusieurs fois et il revient toujours, toujours" " Ben dis donc, ton mari est drôlement en colère !" " Il est en rage tu veux dire !!?" " Oh! pas la peine de chuchoter, vous pouvez parler normalement, allez viens toi !" JF nous regardait avec irritation, il avait attrapé Gaston par le cou et l'emmenait vers la voiture. " Mais JF on va manger, tu iras après " "NOOON, je le ramène maintenant, j'ai plus faim du tout, mangez sans moi" " Attends papa, je vais lui dire au revoir" Rodolphe enserra le cou de Gaston avec une belle tendresse. " Au revoir Gaston, à demain" "Non, Rodolphe ce n'est pas la peine de lui dire ça, maintenant il habite à Moorea et c'est comma ça , d'accord , tu as compris, bon tu as bien compris ça ?" "Oui papa, mais tu es très très méchant" "C'est ça !" Gaston était monté sans problème dans la voiture, Rodolphe lui envoyait des bisous avec sa petite main. "Au revoir Gaston, à demain " "Arrête Rodolphe tu vas énerver papa" Mathias essayait de calmer la tension. "Mais qu'est-ce que c'est que ce mélodrame ?" Régine et son mari regardaient la voiture partir, ils étaient surpris de la réaction violente de JF. "Allez venez les enfants, Régine vous mangez avec nous au bar de la piscine ? je vais vous raconter ce qui se passe " Et voici que Gaston fut la vedette et la conversation roula longuement sur ses exploits, son obstination inexplicable était peu habituelle. Le serveur du bar se joignit à la conversation et les échanges se transformèrent rapidement en une conférence sur le surnaturel. L'histoire avait un fort succès et tout le monde se passionnait pour les aventures du canin rebelle. Emprunt de magie et de croyances polynésiennes, le serveur était convaincu que Gaston était bel et bien un Tupapa'u, il n'y avait aucun doute là -dessus, et qu'il était dangereux de le contrarier, dangereux et selon lui de plus bien inutile car si un Tupapa'u avait pris la décision de vivre avec nous, nous ne pouvions que nous soumettre pour ne pas connaitre les pires maux. Nos amis et l' assistance curieuse qui s'était jointe à nous semblaient agréer sans réserve tous ses propos, ils étaient fortement convaincus que le mystère de Gaston était à prendre avec le plus grand sérieux. Le bord de la piscine devint vite le salon où l'on parle, chacun avait sa certitude et exposait ses théories sur les motivations et surtout sur la nature extra-normale du héros du jour, monsieur Gaston, le chien magicien. Dans mon coin, moi je n'en croyais absolument rien, je restais convaincue qu'il n'y avait là rien de magique, qu'il n'était question que d'un chien particulièrement débrouillard, et un tantinet caractériel, qui avait une idée fixe et qui avait pris l'habitude de se déplacer en empruntant les moyens de transport de l'île. Mais devant l 'évident plaisir de mes amis de partager une excitante énigme indéchiffrable, je restais silencieuse, je ne voulais certainement pas doucher par mon esprit cartésien leur bel enthousiasme. Je ne voulais pas casser leurs rêves et leur conviction de vivre un évènement si extraordinaire. Il y avait bien longtemps que je tenais compte du besoin des autres de se transporter, de se "faire des films", de croire en l’incroyable, ils en tiraient trop de délectation, et ils tenaient là un sujet de choix à partager. Aujourd'hui Gaston était à la une et avant ce soir tout l’hôtel clients et personnel compris le connaîtrait, et son aventure viendra alimenter les témoignages formels, les preuves irréfutables de la présence de tupapa'u sur l'île. J'étais souvent ébahie et même sidérée, en entendant leurs superstitions et leurs convictions indiscutables. Assertions selon eux si incontestables que bien souvent je me sentais très seule, je me savais non conforme, abandonnée, singulière avec mon incrédulité incurable. Les enfants sautaient dans l'eau, et nous arrosaient à chaque saut,. Mathias avait retrouvé une copine de classe, qui était venue passer la journée à Moorea avec sa famille, je les surveillais du coin de l' oeil. Inutile que ces deux là s'évaporent dans un coin tranquille au moment où JF reviendra et que le moment du départ sera venu. JF revint plus d'une heure plus tard, qu'avait-il donc fait pour que cela lui prenne tout ce temps ? Je ne me hasarderais pas à le lui demander, je parierai que le gendarme n'avait même pas remarqué le départ du fuyard. 'Tu viens manger ? " " Non, j'ai plus faim, et le copain m'a offert un verre et des gâteaux, tu te rends compte, ils ne s'étaient même pas aperçu qu'il était parti ce crétin de chien, mais comment il a fait pour nous retrouver ici ? hein comment, on ne l'a jamais amené là , il connaissait même pas ?? " ,"le flair je pense " " Toi, tu t'en fous !?" Ma réponse minimale, laconique avait énervé JF qui y voyait, et pas du tout à tort d'ailleurs, une certaine indifférence. Je crois que j'avais depuis un bon moment accepté d'accéder aux desiderata de monsieur Gaston et que pour ma part je n'en faisais pas une affaire de défi personnel. Ce chien était un ovni qui me surprenait et me faisait rire, mais intérieurement, en douce cela va de soi, prudence est mère de la sûreté disait ma mère, inutile d'agacer plus JF, je gardais mon hilarité secrète, pour moi seule. L'heure du départ approchait et je rentrais au bungalow ramasser, rassemblais nos affaires, j'emballais soigneusement notre belle cueillette de coquillages. Sur la route du retour qui nous menait au petit port, Rodolphe s'endormit et les trois petits somnolaient, Nicolas suçait son pouce, Mathias et Clotilde étaient silencieux. Je surveillais dans le rétroviseur nos six petits poissons qui semblaient bien fatigués d'avoir tant plongé et joué dans le lagon et dans la piscine, l'eau, l'exercice, le soleil et les voici assoupis, en paisible léthargie " On est pas allé voir les poissons du lagon dans le bateau au fond de verre " " Tu dors pas toi ? mais, Florent, on était d'accord, on ira quand Marthe et Marie-Claire seront là " "Humm ... ah oui " Je regardais le paysage, toujours avec bonheur, nous roulions tranquillement, j'étais silencieuse et toujours rêveuse. Le lagon était maintenant sur notre gauche et la terre, les arbres, mes amies les fleurs, à droite se penchaient sur le ruban de goudron. Le jour s'avançait dans deux heures la nuit serait là . Malgré cette avancée de la course du soleil, les ombres au bord de la route restaient courtes. A ces détails et tant d'autres la nature nous disait que nous étions dans l'hémisphère sud et sous les tropiques, C'est à dire, presque au milieu, voisin du centre de la surface terrestre, pas bien loin du diamètre de la boule "Terre". Nous n'étions pas loin de l'équateur, pratiquement sous le soleil qui nous chauffait, nous illuminait et dardait ses rayons tous droits et de ce fait les ombres, toutes les ombres n'avaient que peu de longueur. Elles ne s'allongeaient pas tant, contrairement à se qui se passe à la tombée du jour sous notre quarante cinquième parallèle natal. Pour les maoris navigateurs qui vinrent sur ces îles, partis il y a bien longtemps sur leurs doubles pirogues reliées par un pont couvert pour les abriter, pour ces hardis marins du passé naviguer avec le seul soleil pour repère était fort risqué et ils firent preuve d'une surprenante science de leur environnement liquide. Ils étaient "adeptes de sports extrêmes" par obligation, pour raison de survie. Partis de Chine il y a plus de 5000 ans, ils peuplèrent d'abord l'archipel Indonésien, les Philippines, la Malaisie, avant de repartir en vagues successives peupler les îles du pacifique nord jusqu'à Hawaï, et du pacifique sud, jusqu'à l'île de Pâques. C'était un bien long périple, une migration fabuleuse qu'ils firent sans beaucoup de connaissances scientifiques et sans, presque, d' instruments de navigation. Cette haute prouesse de ces populations n'avait pu que favoriser les mythes et les mille légendes qui les accompagnaient et qui donnaient sens aux épreuves, aux peurs et mystères traversés. Je regardais au dessus de l 'horizon, le soleil clair, Je me perdais dans la contemplation du ciel qui couvrait tendrement l'éblouissant lapis lazuli de ce tapis formé par les flots de l'océan, je me perdais dans le ciel d'un bleu clair, d'un tendre bleu layette et qui portait au zénith, une silhouette transparente de lune. Celle-ci glissait lentement dans l'azur et attendait la venue prochaine de sa prestigieuse compagne nocturne, la croix du sud, ce brillant amas d'étoiles de l'hémisphère sud, cette merveilleuse constellation appelée aussi "boite à bijoux" et qui trônait en majesté dans le ciel d'étoiles polynésien. Je faisais partie du ciel, des montagnes, des alizés, des flots, de l'étendue d'eau ... je voyais dans la masse d'eau du lagon, des tourbillons liquides former des petites dépressions et s'enrouler autour d'un mystérieux creux central, l'eau tournait lentement dans le sens contraire des aiguilles d'un montre, je regardais fascinée, nous étions bien dans l'hémisphère sud. "...laisse; elle t'entend pas attends qu'elle redescende parmi nous" Depuis mon univers de rêve, j'avais vu de très loin, JF garer la voiture au bout de la file de voiture, le bateau s'amusait lentement des petits vagues de l'anse qui l’abritait "Oui qu'est-ce qu'il y a ? ". "Maman faut monter sur le bateau, tu étais encore dans la lune !!" "euh ... oui, bon d'accord, allez on monte" Le bateau trépignait déjà et le quai s'éloignait, j'avais dû rêvasser un bon moment Nous étions sur le pont. Régine, son mari, les amis de Mathias et Clotilde, les copains de classe des trois petits, tous étaient sur le pont, tous rentraient à la maison. Le week-end était fini, demain la semaine reprenait, avec le travail et les mille occupations, les vacances d'été étaient proches, et pour moi je devais préparer l'arrivée de la mère de JF et de Marthe sa marraine, une vieille cousine acariâtre, querelleuse et pis que "tatie Danielle". Je me mis à côté de JF qui accoudé au bastingage paraissait plus détendu et même semblait sourire. Moorea s'éloignait quand Tahiti, sa grande soeur s'approchait. Sur la grande île la montagne du diadème était pure et claire et faisait face à son concurrent, le mont Rotui qui parait Moorea de sa haute silhouette verte. "Tu a l'air d'être content, qu'est-ce qui t'amuse comme ça ?" "C'est la quantité d'eau, la distance qui nous éloigne de cet emmerdeur de chien, voilà maintenant il est à Moorea, ça commençait à devenir infernal, si tous les chiens de Tahiti sont comme ça, je commence à comprendre pourquoi les Tahitiens les bouffent !!!"
Loriane Lydia Maleville
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