Demain j'ai pas école (défi du 12/03)

Date 12-03-2017 11:32:39 | Catégorie : Nouvelles confirmées


J’observe mon cartable, compagnon de travail, complice de bonbons et de billes cachés. Je savais que mes parents n’y mettaient jamais leur nez, confiants dans mon désir de toujours étudier à l’avance et de remettre mes devoirs à temps. Je ne leur ai jamais avoué avoir plusieurs fois recopié la feuille de mon ami Jean dans les toilettes. Et si j’avais un peu oublié le contrôle de maths, c’est sur la feuille de Pierre que je louchais lorsque Monsieur Pi, comme on l’appelait, me tournait le dos.

Demain j’ai pas école.

Cette vilaine pneumonie m’a gardé loin du tableau noir poussiéreux pendant plusieurs semaines, des vacances forcées. Mais j’aurais pourtant préféré taper la balle pelée dans la cour de récré au lieu de garder le lit, au bord de l’asphyxie. Ce fut étrange de voir mes cours complétés par mes camarades : les pattes de mouches de Gaston alternant avec l’écriture très ronde de Paul. Difficile de se remettre en selle, il m’a fallu doubler cette année-là. Du coup, mon statut d’aîné de la classe me conféra une certaine aura de respect, d’autant plus que je mesurais une tête de plus que les autres. Un adolescent en puissance face à des enfants qui aspirent la puberté.

Demain j’ai pas école.

J’ai usé mes fonds de culotte sur les bancs puis sur les chaises scolaires et mes coudes de chemise sur des pupitres puis des tables. Les années passant, mon intérêt grandit pour les matières que l’on m’inculquait. Et quel plaisir de pouvoir les choisir, les approfondir. J’ai côtoyé des passionnés qui m’ont transmis leur fougue.

Demain j’ai pas école.

Et puis un jour il faut pouvoir transmettre son savoir, enseigner à d’autres. Là, j’ai pu constater qu’il existait plusieurs types d’élèves : ceux qui bossent et récoltent les fruits de leur travail, ceux qui dosent leurs efforts pour juste continuer leur chemin vers l’année suivante et ceux qui travaillent mais n’ont pas les capacités suffisantes et échouent. J’ai toujours eu beaucoup de peine de ne pouvoir apporter plus d’aide à ses derniers.

Demain j’ai pas école.

D’abord en années, je finis par compter en décennies. Je rencontrai la génération créée par mes premiers élèves. D’un commun accord, je ne racontai jamais les bêtises perpétrées par leurs parents. Et pourtant je m’en souviens comme si c’était hier car ma mémoire est intacte. Chaque visage croisé dans mes classes est inscrit dans mes cellules grises. Je suis capable de ressortir le nom, le prénom et ceux des camarades de la personne croisée en rue ou au supermarché.

Demain j’ai pas école.

Je viens de souffler mes bougies d’anniversaire. Il y a mes deux enfants et leurs petits, dont les yeux dévorent le gâteau avant qu’il soit découpé. Une absence me déchire chaque année à cette occasion, celle de mon épouse, emportée par une crise cardiaque. Je me suis réfugié dans le travail pour combler ce vide, ce manque. Comme cela ne suffisait plus, je me suis cherché une activité de loisirs. En fouillant sur le net (oui, je suis resté à la page !), j’ai découvert un groupe de passionnés d’écriture. Mes premiers textes étaient insipides et brouillons mais une bonne âme a pris le temps de me conseiller et me corriger. De relation virtuelle, nous sommes passés à une relation réelle. « Petitemimi32 » s’appelle en réalité Mireille et elle est venue illuminer ma vie. Je vois son sourire derrière la fumée des bougies éteintes.

Demain j’ai pas école.

Ce matin, je ne prends pas mon indéfectible cartable car il y a un pot de départ, le mien. Quelques bulles bon marché, des chips et des olives, le discours du directeur qui salue mon investissement à toute épreuve et ma camaraderie. Je reçois en cadeau un bon d’achat dans une agence de voyage. C’est parfait ! J’ai promis à Mireille que nous irons ensemble trouver l’inspiration pour notre roman dans des contrées lointaines. Bon, trois cents euros c’est insuffisant mais c’est déjà un début. Des embrassades, des poignées de main vigoureuses et d’autres mollasses, quelques larmes et chacun reprend sa place. Mais la mienne n’est désormais plus ici.

Demain j’ai plus école, je suis un nouveau pensionné de l’enseignement. Finis seulement deux mois de vacances ! C’est à perpète pour moi !




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