Réveillez-vous ! (réponse au défi d'Arielleffe)
Date 23-02-2017 15:21:38 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Deux silhouettes se faufilent dans un cimetière du nord de la France au milieu de la nuit. À la lumière de la pleine lune, la plus grande installe des bougies, formant un cercle autour de lui. Il dessine un pentacle et y inscrit de mystérieux symboles en son centre. Des incantations se mettent alors à résonner, lancinantes, invitant à la transe. L'ombre longiligne semble onduler au rythme de son chant guttural. Cette cérémonie dure depuis plus d’une heure lorsque du mouvement se crée au niveau des tombes. Les pierres sont poussées, des corps décharnés s’extraient, laborieusement, de leur tombeau. Une sorte d’armée d’un autre monde se dirige vers l’être qui les appelle. Lorsqu’ils sont tous face à lui, ils se figent et le silence reprend ses droits.
– Voilà , Missié. Ils sont prêts. – Je vous remercie Désiré. Je pensais que vous n’étiez qu’un vieux fou mais vous êtes un grand sorcier. Vous avez mérité votre récompense.
L'homme, veste de tweed et pantalon en velours, qui vient de s'exprimer, s’avance vers le groupe de revenants.
– Chers amis, je vous ai réveillés cette nuit car j’ai besoin de certains d’entre vous. Ceux qui ont travaillé dans le secteur textile peuvent-ils se mettre devant ?
Une cinquantaine de corps putrides s'avancent en première ligne.
– Parfait ! Les autres, vous pouvez retourner vous coucher. Je suis désolé de vous avoir dérangés.
Des grognements s’élèvent à l’arrière de la foule qui se réduit à ceux interpellés par l’homme.
– Comme vous ne le savez sûrement pas, l’industrie textile a repris depuis peu dans la région. Les Chinois ont perdu le marché et les entreprises nous sollicitent à nouveau. Je ne parviens pas à trouver de la main d’œuvre qualifiée car le métier s’est perdu. C’est pourquoi je fais appel à vous. J’ai besoin de votre savoir-faire pour former des jeunes dans mon usine de Roubaix. – On a travaillé toute notre vie et vous venez nous déranger. Laissez-nous nous reposer ! – Vous étiez délégué syndical, vous ? – Oui, comment avez-vous deviné ? – Une intuition ! Mais vous avez déjà eu des décennies de repos. Ce ne serait que pour quelques semaines, ce n’est pas la mort ! – Vous ne pensez pas que vos apprentis vont s’enfuir en voyant nos gueules de déterrés ? – Je vous paierai un petit relooking : fausses dents, perruques, vêtements et masques pour les cas désespérés. Ils n’y verront que du feu. – Et où logerons-nous ? – Un bus viendra vous chercher ici le matin et vous redéposera chaque soir. – Non ! Ces tombes sont trop inconfortables. – Alors, je connais une morgue désaffectée. Cela vous rappellera des souvenirs. – Et que gagnerons-nous ? – Toute mon estime et la fierté du devoir accompli. – On l'a accompli depuis longtemps, notre devoir ! – J'érigerai une plaque commémorative en votre honneur et je la placerai à l'entrée de mon usine. – Ça nous fait un bel os de jambe ! Attendez, nous devons discuter.
Le petit groupe d'ombres squelettiques forme un cercle dans un coin du cimetière. Quelques minutes suffisent pour qu'ils se mettent d'accord.
– La mort dans l’âme, nous acceptons votre proposition. Non, je plaisante. – Je suis mort de rire. – De toute façon, on s'ennuie. C'est long l'éternité, surtout vers la fin ! On commence quand ? – Demain matin. Un bus viendra vous chercher à sept heures. – On enfilera nos vêtements du dimanche. Même si c'est tous les jours dimanche pour nous !
C'est ainsi que des ouvriers à l'allure dégingandée se sont mis à former des jeunes aux métiers du textile. Au début, ils étaient un peu rouillés mais, comme pour le vélo, une fois en selle, ils retrouvèrent vite leurs réflexes. Quelques semaines suffirent pour transmettre leur savoir et leur savoir-faire. Comme promis, le directeur fit graver une plaque avec comme inscription :
"La société Textirita remercie de tout cœur ses ouvriers qui ont consacré leur vie et une partie de leur mort à faire vivre et revivre l'industrie textile. Nous leur devons une reconnaissance éternelle."
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