J'ai commencé cette histoire pour un appel à textes, destiné au quotidien du médecin. Elle était initialement découpée en épisodes, exercice imposé, avec un nombre maximal de caractères par épisode, un résumé au début de chacun et une limite pour l'ensemble. Bref, tout ce qui me plait, moi qui adore les contraintes. Après avoir livré ma copie, j'ai eu des propositions de retouches qui me semblaient altérer complètement le côté poétique de cette histoire. Du coup, j'ai arrêté là l'expérience. Mais comme je suis un tantinet têtu, je l'ai remaniée pour en faire une nouvelle lisible en format normal. Je vous la livre donc, en primeur, à vous ô Loriennes et Loriens adorés.
La femme qui fait parler les doudous
I/
Le professeur Glouque analysait ses derniers résultats quand Berthier, le directeur de la communication, entra dans le laboratoire. — Glouque, j’ai absolument besoin de vous ! — Vous avez mal aux neurones, Berthier ? — C’est ce qu’il risque de m’arriver, si vous ne me tirez pas d’affaire.
Le professeur regarda Berthier, telle la mère poule devant son dernier poussin. Il n’avait jamais compris pourquoi un ancien journaliste de télévision avait abandonné le strass et les paillettes des studios du seizième pour rejoindre une institution médicale, même prestigieuse. La sérieuse recherche scientifique n’avait rien de commun avec le monde du divertissement de masse, où tournaient des roues de la fortune, où la vie était plus belle, où motus ne rimait pas souvent avec bouche cousue. Berthier confirmait ce postulat, tellement il paraissait décalé au milieu des praticiens, des experts et des docteurs en sciences. Cigale perdue dans une fourmilière, il essayait d’habiller les blouses blanches des couleurs de l’arc-en-ciel, par des opérations de relations publiques à destination du plus grand nombre. — Racontez-moi ce qui vous amène, au lieu de dramatiser.
Berthier raconta une belle histoire de communicant, où la Science devait impérativement se conjuguer avec la Pédagogie, dans l’intérêt du monde profane, de la Nation et de l’Institution. Fidèle à lui-même, il jongla avec les concepts philosophiques, utilisa un vocabulaire ampoulé et connu seulement de ses pairs, mania les paradoxes sociologiques, enveloppa l’ensemble dans un délire verbeux. D’un naturel patient, le professeur Glouque le laissa gloser cinq minutes, avant de signifier la fin de la scène. — C’est bon, j’ai compris. Je n’aurai qu’une seule question : pourquoi moi ? — Parce que vous êtes la référence sur la sclérose en plaques, un grand ponte de la médecine, un savant reconnu, bien au-delà de nos frontières. — Ne commencez pas à me jouer la fable du corbeau et du renard, je la connais par cœur. Vous êtes mal, parce que personne n’a accepté. Je me trompe ? — Professeur Glouque, vous allez me vexer. Loin de moi cette idée. — Je ne fais qu’émettre une hypothèse, basée sur l’expérience et la connaissance de mes collègues. Vos initiatives farfelues ont fini par décourager les plus aventuriers d'entre nous.
Berthier passa du mode cigale à celui de chien battu. Le professeur Glouque en vint à se demander s’il n’avait pas hérité, dans une lointaine ascendance, de gènes de caméléon. Il admira néanmoins la prestation silencieuse d’un communicant en train de supplier son public de lui accorder un peu d’attention et de chaleur humaine. Un théâtre de no japonais, en version relations publiques. L’expérience amusa le professeur pendant exactement soixante secondes. — Je ne vous demande quand même pas la Lune, professeur Glouque. — Certes. Si je récapitule, vous souhaitez que j’intervienne dans une école primaire, que j’explique à des enfants ce qu’est la sclérose en plaques, tout ça pendant la semaine du Téléthon. Ai-je bien compris ? — Exactement. C’est tout à fait dans vos cordes. Vous êtes grand-père, si je ne me trompe. Vous saurez utiliser des mots simples, intéresser des gamins en culottes courtes. — Le sujet n’est pas folichon, avouez-le. — C’est pour ça que je vous ai choisi. Je n’allais pas le sous-traiter à un banal journaliste scientifique, un gars qui croit comprendre les synapses parce qu’il a lu un livre sur le cerveau. — Ah non ! Il ne manquerait plus que ça. — J’en déduis que vous acceptez, professeur Glouque ? — Ai-je le choix, Berthier ?
II/
Berthier n’avait pas trainé. Pour lui, il ne faisait aucun doute que son projet permettrait à l’Institut de renforcer sa notoriété auprès du grand public, surtout pendant un évènement aussi populaire que le Téléthon. D’ailleurs, il avait sa petite idée sur la manière d’habiller son initiative, de la transformer en véritable opération de communication. Il ne lui restait plus qu’à mettre le tout en musique, avec l’aide des médias appropriés. Pendant ce temps, le professeur Glouque se trouvait coincé par son accord de principe. D’un côté, vulgariser le sujet de la sclérose en plaques, un mal encore méconnu du citoyen lambda, lui semblait le meilleur moyen de sensibiliser les Français sur la nécessité de continuer les recherches, de financer la communauté scientifique par des dons substantiels. Le revers de la médaille consistait dans son auditoire, des écoliers encore innocents, pour qui la vie et la mort ne représentaient pas une réalité immédiate. Il ne savait pas comment leur expliquer ce que lui et ses pairs considéraient encore comme un mystère médical.
Un soir, alors qu’il prenait le thé avec son épouse, il décida de lui livrer son dilemme. — Béatrice, je suis coincé. — Je m’en doutais, Georges, vue ta tête de ces derniers jours. — Désolé. Je ne voulais pas t’embêter avec mes problèmes. — Tu ne m’ennuies pas, sache-le. De quoi s’agit-il ?
Il raconta l’histoire à sa femme. Elle l’écouta sans l’interrompre, lui versa une autre tasse de thé, puis attendit sa conclusion. — Voilà . Tu sais tout, désormais. — Tu crains d’effrayer des enfants avec une maladie incurable aujourd’hui. C’est ça ? — Complètement. Déjà , pour nous, confrontés tous les jours aux dysfonctionnements du corps humain, ce n’est pas simple d’expliquer un tel mal, alors imagine quand il s’agit d’expliquer la sclérose en plaques à des petits bouts de chou. — Et si tu utilisais un témoignage ? — Lequel ? — Celui d’une personne malade. — En quoi cela serait-il moins anxiogène ? — Les enfants comprennent et supportent plus que tu ne l’imagines. Il suffit d’employer les bons mots, et surtout la forme adéquate. — A quoi penses-tu ? — Mets-toi à leur place. — J’ai oublié cette époque. — Nous avons des petits-enfants, souviens-toi. — Et alors ? — Qui les rassure le soir, quand ils croient entendre des monstres sous le lit, sortis tout droit de leur imaginaire fertile. — Leurs parents ? — Et quand ils sont tous seuls ?
Georges cala. Pour lui, les enfants représentaient une espèce méconnue, difficile à étudier au microscope électronique, aléatoire dans ses réactions, bizarre dans son raisonnement, loin des certitudes et de ses connaissances scientifiques. — Je donne ma langue au chat, Béatrice. — Tu brûles, Georges.
Béatrice regarda son mari, imagina les rouages de son esprit brillant se perdre dans des conjectures sur les félins et les enfants, les monstres sous le lit, les frayeurs nocturnes et le doux ronronnement d’un animal domestique. Elle attendit cinq minutes d’une réflexion silencieuse puis mit fin au suspense. — Les doudous, Georges. — Quoi ? — Ce sont les doudous qui rassurent les enfants. Un doudou peut tout expliquer à un enfant. — Mais les doudous sont des objets inanimés. — Pour toi, oui. Pas pour eux.
Béatrice prit la main de son mari puis lui parla de la femme qui fait parler les doudous, une patiente traitée par un neurologue parisien. Confrontée à la maladie, elle l’avait expliquée à ses propres enfants par le biais de leurs doudous, un soir de septembre, dans une géniale inspiration.
III/
Béatrice n’avait pas fait les choses à moitié. Non seulement, elle avait contacté la femme qui fait parler les doudous, mais elle avait aussi organisé une rencontre. Son mari, le professeur Glouque, ne pouvait plus se défiler. Le dimanche après-midi, Béatrice gara sa voiture devant une jolie maison de Saint Germain en Laye, située dans un quartier tranquille. Elle invita son époux à descendre puis sortit à son tour. Elle appuya sur la sonnette et attendit une réponse. — Oh, des visiteurs, répondit une voix flutée. — On n’attend personne, barrit une voix grave. — C’est pour Barbara. — Dis leur qu’elle n’est pas là . — Ce ne serait pas poli, doudou Hippo.
Béatrice sourit, en voyant la mine déconfite de Georges. Elle décida de répondre aux deux voix. — Bonjour, les doudous. C’est Béatrice. Je viens voir Barbara. Elle m’a invité à prendre le thé. Georges, mon mari m’accompagne. — Il est gentil, ce Georges ? — Arrête de poser des questions stupides, doudou Clown. — On ne sait jamais. Le monde est plein de polissons. — Oui, il est un peu bourru, mais plein de gentillesse, répondit Béatrice. — On vous ouvre, alors.
Le portail vibra. Béatrice vit la maison de Barbara. Elle intima à Georges de la suivre. A peine commençait-elle à avancer que la porte d’entrée s’ouvrit à son tour. Une grande femme blonde apparut, un doudou à chaque main. — Bonjour, je suis Barbara. Vous avez fait connaissance avec mes deux doudous ? — Oui, ils sont charmants. N’est-ce pas, Georges ? — Je crois, s’étrangla Georges, visiblement pas encore remis. — Suivez-moi !
Barbara amena ses convives dans un salon meublé de fer et de verre. Elle leur proposa de s’assoir autour d’une table rectangulaire où étaient rassemblées des tasses et des assiettes, avec du thé et des pâtisseries. — Ce sont des gâteaux préparés par mes deux filles, précisa Barbara. — Elles ne sont pas là ? — Non, elles sont en weekend avec leurs grands-parents. Mes doudous me tiennent compagnie. — Je crois que Georges est impressionné par vos doudous, ironisa Béatrice.
Georges regardait les deux doudous comme s’ils étaient des phénomènes de foire. Doudou Hippo, brun et un peu bedonnant, semblait le plus sage. Doudou Clown, habillé de multiples couleurs, avec des yeux tournant dans tous les sens, tenait le rôle du dissipé. Ce qui perturbait Georges, scientifique avant tout, c’était que les deux doudous n’étaient pas du tout inanimés, même posés sur la table. Ils paraissaient vivants. — Tu fais quoi, dans la vie, Georges ? Tu as l’air si sérieux, siffla doudou Clown. — Il a une tête de savant, répliqua doudou Hippo. — C’est ce que je suis, répondit Georges. — Et tu sais quoi ? — J’étudie le cerveau humain. — Et pas celui des doudous ?
Béatrice regarda Barbara. La femme blonde la gratifia d’un sourire entendu. Visiblement, Georges succombait au charme des doudous. Tandis qu’il expliquait les neurosciences à doudou Hippo et doudou Clown, Barbara servit le thé et les petits gâteaux. Les deux doudous écoutaient presque sagement les explications du savant, posant ça et là des questions pertinentes, riant aux termes scientifiques, poussant le professeur à utiliser des exemples, comme jamais il ne l’avait fait. — C’est compliqué, le cerveau humain, ne cessait de dire doudou Hippo. — Moi, je trouve ça marrant, rétorquait à chaque fois doudou Clown en faisant tourner ses yeux dans tous le sens. — C’est surtout passionnant, répondait invariablement Georges. Et je ne vous ai pas tout raconté. — Encore !
IV/
Le professeur Glouque travaillait dans son bureau quand Berthier entra sans frapper. Il semblait encore plus agité qu’à son habitude. — Glouque, êtes vous prêt ? — Prêt à quoi, Berthier ? — A l’émission, pardi ! — De quoi parlez-vous ?
Berthier se lança dans une explication surréaliste, invoqua des principes de communication datant du Président Kennedy et des débuts de la télévision, habilla son argumentaire de noms prestigieux, du moins à ses oreilles, et termina par une phrase sibylline digne d’un vieux prophète chinois. Le professeur ne voulut pas comprendre ce qu’il avait entendu. Il tenta alors de mettre de l’ordre dans le chaos, de donner un sens à l’extravagant. — Vous parlez d’émission télévisée ? — C’est ça ! — Et vous voulez que ma petite leçon aux écoliers soit diffusée sur la première chaine ? — Exactement ! — En direct ? — Vous avez tout saisi, professeur Glouque. Nous allons atteindre le Nirvana télévisuel, amener la science dans les foyers les plus reculés de France et de Navarre, démystifier un mal trop peu connu. La Médecine va faire un bond en avant, en termes de communication. — Ce n’était pas l’accord de départ, Berthier, sinon je n’aurais jamais accepté. — Il faut vivre avec son temps, professeur Glouque. C’est fini, le temps des publications assommantes dans des revues spécialisées, avec pléthore de termes imprononçables. L’information est devenue globale, depuis l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux.
Le professeur sentit la colère monter. Il n’avait jamais vraiment supporté Berthier et sa faconde de journaliste. Se faire traiter de dinosaure, sous prétexte qu’il préférait son calme laboratoire aux étranges petites lucarnes, ne lui faisait pas plaisir. Se retrouver devant le fait accompli, une entorse à ses valeurs morales, lui hérissait le poil. S’il avait eu vingt ans de moins, il aurait probablement passé Berthier par la fenêtre. — Je refuse, Berthier ! — Vous n’avez pas le choix, Glouque ! J’ai déjà convaincu le Doyen. Il adore l’idée de promouvoir l’Institut par une exposition télévisuelle. Vous êtes désormais notre champion à tous, le digne représentant de toute la profession des sondeurs de neurones. Jamais votre corporation ne bénéficiera d’une telle fenêtre sur le monde, dans une tranche horaire de si grande écoute. Vous allez établir des records d’Audimat, Glouque ! — Pourquoi moi, Berthier ? Vous ai-je blessé sans m’en rendre compte ? — Pourquoi les fleurs poussent et le soleil brille, Glouque ?
La logique de Berthier s’avérait imparable. Il avait en tout point raison, le professeur Glouque le savait. Ce qu’il manquait à la sclérose en plaques, une maladie stigmatisée par les ignorants et mal expliquée par les médias, c’était justement une nouvelle approche. La pédagogie déployée par les institutions médicales, relayée dans quelques rares émissions de radio ou de télévision, ressemblait à un long parcours d’obstacles. L’heure n’était plus à faire entrer des paroles carrées dans des oreilles rondes, comme le disait si bien Lao-Tseu. Le professeur accepta le principe de l’émission puis expliqua à Berthier comment il avait initialement prévu d’intervenir. Ce dernier ne sembla étonné. Il trouva même l’idée excellente, novatrice, décalée. Le professeur laissa Berthier partir sur son nuage magique. Désormais, il devait résoudre un problème : convaincre doudou Hippo et doudou Clown de passer en première partie de soirée à la télévision.
V/
Le professeur Glouque revint chez lui déprimé. Béatrice, son épouse, ne mit pas longtemps à comprendre qu’un nouvel évènement le contrariait. Elle décida de prendre les devants. — Georges, tu ne sembles pas dans ton assiette. Raconte-moi ce qui te turlupine. — Berthier a convoqué la télévision. — C’est grave, docteur ? — Je ne sais pas comment les doudous vont le prendre.
Béatrice comprit à quel point son mari s’était entiché de doudou Hippo et doudou Clown. Avant de penser à lui, il s’inquiétait pour eux, comme si l’univers des médias télévisuels allait les engloutir dans une sorte de singularité cosmique. — Il suffit de leur demander, non ? — Ce ne sont que des doudous, tout de même ! — Invitons-les chez nous, avec le producteur. S’ils l’adoptent, le tour est joué.
Béatrice appela Barbara, puis Berthier. Tout le monde accepta de venir goûter samedi chez les Glouque. Berthier arriva le premier, largement en avance sur l’horaire prévu. Fidèle à lui-même, il commença à gloser sur la communication globale, le vingt-et-unième siècle et d’autres thèmes plus obscurs. Le producteur fit son entrée en toute discrétion, comme s’il pressentait un moment historique, une rencontre du troisième type. Il écouta Berthier exposer ses idées forcément magnifiques.
La sonnette d’entrée carillonna de mille notes. Georges se mit à trembler. Béatrice activa le haut parleur avant de répondre. — A qui ai-je l’honneur ? — C’est nous ! — Qui, nous ? — Ben, doudou Clown et doudou Hippo, barrit timidement une voix grave. — Tu nous as invité à goûter, Béatrice, rétorqua une voix flutée. — C’est vrai. J’ai même convié d’autres personnes. — Ils aiment rigoler, j’espère, dit doudou Clown. — Surtout avec des doudous, précisa doudou Hippo. — Tout le monde aime les doudous.
La porte s’ouvrit. Barbara apparut, accompagnée de ses deux compagnons préférés. Elle prit place à la table puis laissa les doudous décontracter l’ambiance. — Georges a l’air un peu coincé, ironisa doudou Clown. — C’est parce qu’il est tétanisé par l’enjeu médiatique, répondit Berthier. — Tu parles bizarrement, toi, barrit doudou Hippo. — Je sais, tout le monde me le dit. — Mais t’es marrant quand même, concéda doudou Clown en faisant rouler ses yeux.
Doudou Hippo sourit de ses grosses dents puis mit les pieds dans le plat. — Tu sais, on va expliquer des trucs compliqués à des écoliers, des histoires de plaques et de nœuds au cerveau, dit-il au producteur. Georges va nous aider. C’est lui, le savant. Si tu veux, on t’invite. Tu as l’air trop sympa. Tu veux bien, dis ? — Je ne sais pas si je vais tout comprendre. Moi, les choses compliquées, ça me donne mal au crâne. — On ne parlera pas comme l’autre, là , rétorqua doudou Clown en tournant la tête vers Berthier. Les enfants sont nos copains. On connait leur langage. Ils aiment bien rigoler avec nous. Des fois, même qu’ils nous disent leurs secrets, le soir blottis dans leur petit lit. — Et je pourrais venir avec d’autres personnes ? — Tes enfants ? — Non, des amis qui aiment bien filmer les doudous. — On va passer à la télévision ? — Si tu m’invites, oui. — Et les enfants sont au courant ? Parce qu’eux, ils risquent de devenir tout timide, précisa doudou Hippo. — On leur dira avant, répondit le producteur. Et puis, quand ils sauront que doudou Hippo et doudou Clown sont là , ils seront rassurés. — Il y aura des gâteaux ? — Plein, avec des jus de toutes les couleurs, comme dans Alice au Pays des Merveilles. — Alors, ils diront oui, affirma doudou Clown.
VI/
Le professeur Glouque regarda l’assistance en culottes courtes, aspira une goulée d’air puis se tourna vers Doudou Hippo. — Tu as l’air bien songeur. — C’est compliqué, un cerveau. — Tu as raison. C’est comme tricoter avec pleins de bouts de laine, de toutes les couleurs. Il faut éviter les nœuds, ne pas mélanger le bleu et le rouge. — C’est joli, le bleu et le rouge mélangés, rétorqua Doudou Clown. — Oui, mais ça fait du marron, répliqua une petite fille au premier rang. Le marron, c’est la terre, le bleu, c’est le ciel, le rouge, ce sont les fleurs. Ce n’est pas la même chose. — Je ne veux pas des fleurs en terre, ajouta un garçon. La terre, c’est pour les pots de fleurs. — Mais moi aussi, je suis marron, barrit Doudou Hippo. Et je ne suis pas un pot de fleurs. — Tu n’es pas une fleur non plus, chanta Doudou Clown. Ou alors une fleur à grosse voix. — C’est pourquoi il est important de faire la différence entre le bleu et le rouge, dit le professeur. Sinon, les gens confondent les pots et les fleurs, le ciel et la terre.
La caméra zooma sur la petite fille. Elle semblait dubitative, en pleine réflexion, comme si une question essentielle lui brulait les lèvres. Doudou Clown s’en aperçut. Il se rapprocha d’elle, fit tourner ses yeux quatre fois et agita ses mains. — Moi, je ne sais pas tricoter, dit-il. Et toi, petite fille, tu sais ? — Ma grand-mère m’a appris, l’année dernière. — C’était difficile ? — Oui, au début. J’ai eu du mal avec les grandes aiguilles. La pelote m’a glissé des mains. — Qu’a dit ta grand-mère ? — J’ai pleuré, alors elle m’a fait un câlin. — Maintenant, je suppose que tu tricotes de jolis pulls pour tes doudous, dit le professeur. — De toutes les couleurs. Des bleus avec des traits mauves. Des jaunes avec des rayures rouges. On dirait l’arc-en-ciel. Mes doudous sont très fiers de les porter. — C’est parce que tu as appris à accorder les bouts de laine. Eh bien, le cerveau, c’est pareil. Quand il est en pleine forme, il peut créer des tricots pour tous les doudous du monde. Quand il est fatigué ou malade, les bouts de laine se mélangent et les doudous sont tout nu.
La petite fille hocha la tête, réfréna une larme puis sourit au professeur. Doudou Hippo émit un barrissement de plaisir. Doudou Clown tourbillonna des yeux. Le reste de la classe se mit à rire de concert. La maîtresse laissa les enfants se détendre, jugeant qu’une heure d’exposé suffisait amplement. Le professeur en profita pour faire un point rapide et discret avec le producteur. Ce dernier lui proposa de conclure sur une note positive, et remettre les enfants dans le champ. — Tu dis que ta grand-mère t’a fait un câlin quand tu as fait tomber la pelote. — Oui. — Georges aussi, il sait faire des câlins, répliqua Doudou Clown. Il soigne les malades quand ils confondent les bouts de laine, les aide à mieux tricoter et ne les gronde jamais. — Il est gentil, Georges, même avec les doudous, barrit Doudou Hippo. En plus, moi, j’ai tout compris au cerveau maintenant. — Moi aussi, je crois, répondit la petite fille. Je l’expliquerai ce soir à mes doudous, et puis à mes parents, et aussi à ma grand-mère.
La maîtresse déclara la leçon terminée et libéra les enfants. Le producteur lança la séquence de fin, remercia tout le monde puis fit signe à ses équipes de remballer le matériel. Georges écouta vaguement Berthier lui expliquer pourquoi l’émission était réussie, comment utiliser les doudous dans de futurs séminaires scientifiques.
|