L'arrivant XXI

Date 08-08-2012 19:20:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Le pont était presque désert, JF regardait Gaston avec colère.
"Gueule pas comme ça chérrrri, tu vas tomber malade"
La grosse Tahitienne dans sa robe fleurie, riait sans retenue, l'accent se promenait sur chaque mot, les R" roulaient et roulaient, les mots modulaient, ils montaient, redescendaient avec lenteur, en traînant, comme une houle tranquille, comme les vagues d'un l'océan calme.
JF ne répondit rien, mais très mal disposé il la fusilla du regard, puis je le vis se précipiter dans l'escalier pour descendre à la voiture.
Un choc faillit me déséquilibrer, nous venions d'accoster sans douceur. Le bateau était à quai.
Les enfants me suivirent dans l'escalier, en m'approchant de la voiture coincée entre la grande porte et les autres véhicules, je vis la portière arrière ouverte et les pieds de JF qui dépassaient.
"Qu'est-ce que tu fais? tu cherches quelque chose ? "
"Ne montez pas !! "
"Mais tu vois pas qu'on est les premiers à sortir ? qu'est-ce que tu cherches ?"
" ..."
" JF mais réponds, qu'est-ce que tu cherches ?"
Le visage tout rouge de JF réapparu, il avait la tête au fond de la voiture, il était presque allongé à plat ventre"
"Je veux comprendre, je veux savoir par où il est sorti !! faut que je comprenne !!"
" Mais papa, c'est E.T qui est venu lui ouvrir la porte"
Rodéric le dos appuyé à la voiture d'à côté était presque assis sur le dos de Gaston qui planté sur ses quatre pattes attendait. Il était descendu du pont tout seul, tranquille, il nous suivait, tout comme si c'était habituel, comme si il devait en être ainsi pour toujours.
" Rodéric, j'ai pas besoin d'entendre tes idioties"
" c'est pas des idioties, c'est vrai, c'est Florian qui me l'a dit"
"Rodéric, la ferme !"
Le temps était à l'orage, les autres enfants avaient compris et restaient plantés là, en silence, attendant que le calme revienne et de recevoir le signal pour s’asseoir..
Les moteurs du bateau se secouèrent en faisant entendre encore quelques grondements sourds et puis de secousses en secousses finirent par se taire tout à fait.
La grosse porte avant descendait en couinant et en grinçant, dans un bruit de métal, qui disait l'âge avancé du bateau.
Je commençai à m'impatienter de nous voir tous debout, les passagers des voitures derrière nous étaient pratiquement tous assis à leur volant.
" Moi, ce que je ne comprends pas, c'est le besoin que tu as de t'en prendre à nous , allez les enfants montez "
La scène de ménage était prête.
"A quoi ça sert que tu te mettes dans un état pareil ?"
C'est le démarrage de la voiture qui me répondit, je vis JF regarder dans le rétro, un coup d’œil pour vérifier que tout le monde était assis, y compris Gaston, et il enclencha la première.
Le minuscule parking, était rempli des habituels pick-up, les familles de tahitiens retrouvaient les leurs et s’accueillaient à grands coup de "nana", souriants et détendus.
Nous étions les premiers à sortir du bateau et JF en rage, conduisait comme si il avait une troupe de fantômes à notre poursuite. Ce mystère qui le dépassait le mettait hors de lui, était-ce de la peur dû à l'incompréhension, où plutôt l'impression de ne plus rien contrôler ?
Ce chien qui lui imposait sa présence le mettait devant l'incompréhensible, avec trop d'étrangeté.
Le petit quai de débarquement traversé, nous tournâmes tout de suite à droite pour remonter vers le nord de l’Île. La route était ombragée, de Miro et de Aito.
A Moorea comme à Tahiti, l'équipement routier était des plus simples: une seule route digne de ce nom faisait le tour de l’Île.
Le massif montagneux qui formait tout le centre de l'île n'était sillonné que par un nombre très restreint de petites routes, qui avaient toujours une unique destination.
C'était le cas de la route qui montait au belvédère, le point de vue vedette qui trônait royalement entre les deux merveilleuses baies, celle de CooK puis juste après, un tout petit peu plus à l'est, celle de Opunohu.
C'était un rituel de monter là-haut à notre arrivée et je m'inquiétai de ce que l' humeur vengeresse de JF ne chamboulât nos traditions familiales.
"On monte au belvédère comme d'habitude"
Je n'avais pas questionné, j'avais précisé.
"Non, on emmène d'abord le copain d'E.T, et après on verra"
"Non, on monte au Belvédère, d'abord"
JF, me regarda de côté, la guerre était déclarée, mon ton était sec, c'était un ordre, mon visage était fermé, j'étais très en colère et je savais que cela se voyait très bien.
Nous avons roulé encore un long Kilomètre en silence, puis le calme revint.
"Bon, d'accord on monte, mais dès qu'on arrive au bungalow, je l'emmène, je m'occupe de lui, seul"
JF avait le ton de celui qui va faire une exécution. Je souris intérieurement mais ne le montrai pas.
Les enfants ressentirent que la pression s'était relâchée et commencèrent à s'agiter.
JF, pour satisfaire à la coutume familiale, arrêta la voiture sur le bord de la route, bordée de potos, et de Miconias, cette peste végétale qui rampait partout, étalant ces énormes feuilles vernissées, drues et sombres .
Tous nos petits s'égaillèrent comme des oiseaux qui s’envolent et vinrent sur le petit surplomb regarder le lagon.
Je veux être peintre dans ma prochaine vie, j'avais demandé à être musicienne mais en voyant ce lagon là sous nos pieds, quelques mètres en contrebas, le bonheur me montait à la gorge et je priais pour recevoir le don du peintre, moi si malhabile !
Le ciel bleu, il n'y a pas de mot nouveau, mais c'est ainsi, bleu, bleu le ciel, bleu le lagon, mais un lagon de tous les bleus et tous les vers, émeraudes de la création. Une onde transparente suspendant sur sa limpidité les jolies et gracieuses pirogues effilées, nous offrant ses poissons, les raies, les coraux qui se balancent souples et délicats avec leur longs bras graciles volant, dansant dans le flot, .balançant sur la barrière leur mauve, orange, rose, rouge, jaune... en un bal de couleurs extravagantes, exubérantes, le chef œuvre d'une création sublime.
Don précieux, un tel enchantement vous ensorcelle, et vous pénètre pour toujours. Aujourd'hui encore et jusqu' à ma mort je garderai en moi ces visions divines.
Cette perfection ne se touche qu'avec les yeux et nourrit l'âme, maudits soient, que soient damnés à jamais ceux qui la corrompent.
Les jeunes yeux de nos petits se nourrissaient aussi de ces regards éblouissants, nous étions silencieux, comme à la prière.
Puis la voiture nous appela peut-être, mais nous reviendrons ici, et nous reprîmes notre route, le lagon sur notre droite, les farés, les jardins, les cocoteraies sur notre gauche.
Après Vaiaré, nous traversions la commune de Teavaro, et plus loin le lac de Temae, la petite commune de Manurepa, puis dans le fond de la baie de Cook, dans le petit village de Paopao, nous montâmes par la route du Belvédère.
Nous laissâmes sur notre gauche le Marae Tetiroa avec ses grosses pierres noires, chargées de souvenirs, d'histoires terribles et de légendes, sous les grands arbres. Puis après les deux gros arbres JF gara la voiture tout en haut , sur le point de vue du belvédère.
A cet endroit, un autre choc attend là, le nouvel arrivant.
Les yeux s'arrêtent sur la surprenante beauté de ces deux baies, ouvertes sur le pacifique immense, la magnificence stupéfiante des paysages offerts s'allient à la grandeur de l'épopée historique, qui amena les plus grands découvreurs de terres en ces lieux fameux.
Ici nous suivons la trace de la saga de ces explorateurs, courageux navigateurs qui d'aventures en aventures ont fait notre monde. Nous rencontrons les traces de Bougainville, de Fernandes de Queîros, de Wallis, de Cook, et tant d'autres venus ici faire l'histoire de la découverte de ces archipels, de leur entrée dans la connaissance de notre monde.
Quand les exploits humains rejoignent les exploits de la création, nous restons silencieux encore à les contempler.
La courbe du soleil, allait sur sa fin, nous redescendîmes, doucement, JF était calme, la beauté a cet effet apaisant et tranquillisant qui nous faisait soudain souriants et repus de plaisir.
Nous avons rejoint rapidement la côte, nous avons traversé Pihaena, nous sommes remonté vers le nord, laissant la baie de Opunohu et nous sommes arrivés à Papetoai, dans notre lieu de résidence, au climat de France.
Les bungalows ici étaient des condos, des condominiums immobilier, formule peut usitée en France métroplitaine, mais cette formule présentait ici beaucoup d'avantage.
JF sortit les quelques petits sacs de la voiture, les enfants étaient déjà dans la piscine où ils retrouveraient des copains, je rentrai à peine dans le bungalow, que je le vis repartir immédiatement avec Gaston, cette fois nous devions définitivement dire au revoir au copain de E.T. Nous ne reverrons plus cette énigmatique boule de poils noirs et frisés.
Le gendarme et l'Océan sauront efficacement et durablement le garder. Je ne voulais pas m'arrêter sur ce départ qui tout à coup me peina.
Je disposai sur la table de la terrasse, devant la grande pièce, le repas préparé à la maison, le poulet frit au coco avec les féis, bananes à cuire, le dessert nous iront le prendre au bar de la piscine là où les enfants criaient si bien que je les entendais depuis la chambre où je déposais nos affaires.
La nuit était venue, le repas avalé, et Gaston avait rejoint son nouveau domicile sans parait-il rechigner, mais fallait-il vraiment croire JF ?
Le mystère de ce chien le mettait visiblement très mal à l'aise.
Face à la grande plage de sable merveilleusement blanc, si blanc qu'il luisait dans la nuit, le grand faré de palmes du restaurant ronronnait de bruits feutrés et brillait de douce lumière.
Le calme était roi ce soir.
Le sable de la plage était encore chaud, la vague venait douce à mes pieds, face à moi dans l'ombre bleue, les silhouettes basses des deux grands motus sur la barrière.
Je m'allongeai pour regarder le ciel tahitien percé de la croix du sud, d'une lune couchée sur le dos et et de tant et tant d'étoiles !!
Mon Dieu, mon dieu ! mais quelle immensité ! infinie, inouie ! mais ceux qui parlent de Dieu rêvent c'est pas possible.
Si il existe un Dieu dans cet univers infini, dans cette multitude, il ne sait même pas que nous sommes là dans notre coin, sur notre si minuscule planète, dans ce petit système solaire, à la périphérie de notre minuscule galaxie, il ne nous a même pas vu, c'est sûr !!! si, vraiment il existe quelque chose, quelqu'un il va nous marcher dessus, nous épousseter sans le voir !!
"Maman, Maman, tu nous racontes l'histoire de Moorea ?
Les enfants arrivaient avec leurs grosses glaces qui leur coulaient sur les doigts.
" Oh non, maman !! t'exagères !"
D'un grand coup de langue rapide et goulue, j'avais lapé un morceau de la glace de Florian.
Les enfants s'assirent tous autour de moi.
Sacha avaient terminé son dessert et me regardait, les yeux dans le vague en suçant son pouce.
Je m' adossais confortablement au siège de plage derrière moi, Rodéric assis entre mes jambes, pendant que JF et les deux grands se balançaient dans le hamac au dessus de nos têtes...
Mon auditoire était attentif, d'une voix basse, faite pour faire rêver je commençai.
"Alors voilà c'est l'histoire vraie de Moorea , dans des temps reculés, il y a très très longtemps..."
"C'était quand j'étais tout pet ..."
"Tais toi Rodéric, tais toi et écoute"
"Non c'était longtemps, longtemps avant que tu naisses"
"Ah, c'était quand j'étais microbe ?"
JF et moi, ne pûmes retenir un franc éclat de rire"
"Oui, longtemps avant bonhomme, mais tais toi "
Voilà, il y avait donc, un homme qui s'appelait Temaiatea, lui et sa femme habitaient à Tupuai-Manu une île qui s'appelle maintenant Maiao.
Au bout de quelques années, la femme tomba enceinte, mais quand elle accoucha ce n'était pas un bébé mais un oeuf qui sortit de son corps.
L’époux prit alors l’œuf et le porta dans une petite grotte du rivage nommée Vaionini et là il le déposa pour le laisser se développer.
Mais voilà qu'une nuit, la femme en dormant eut une vision dans son sommeil. Elle rêva qu’elle avait mis au monde un fils mais son fils était tout jaune.
Alors elle se réveilla et raconta son rêve à son mari. Aussitôt celui-ci partit à la grotte et c'est là qu'il vit que l’œuf était ouvert et qu'il en était sorti un bébé lézard. un bébé lézard tout jaune.
Temaiatea décida alors d'appeler ce fils Moo-rea, parce que "te Moo" veut dire Lézard en Maori et "réaréa" veut dire jaune
Les deux époux se sont occupé de leur enfant, qui est devenu grand, grand, très grand. Mais quand il fut énorme; la femme dit à son mari :
" j'ai peur, Moo-rea est beaucoup trop gros, un jour il va nous manger, il faut partir et l'abandonner "
Mais le mari disait,
"c'est quand même notre enfant "
Pourtant quelque temps plus tard, la peur le prit aussi et ils se sauvèrent tous les deux, ils prirent la pirogue, la sortit en silence, et naviguèrent vers Tahiti,
Moorea, qui était tout seul commença à avoir faim, il comprit qu'il avait été abandonné et il décida de s'en aller.
Le coeur triste, il partit tout seul à la mer et nagea, nagea, il nagea, très longtemps.
IL a du se battre contre les flots, il s'est battu contre tous les courants. Il s'est battu contre le courant "Teara-veri", un courant plein de petits vagues, puis après il se battit contre "Tefara" un autre courant, très dangereux et un courant épineux, il s'en sortit encore, puis il rencontra le courant "Tepua", qui est puissant et fait des grosses écumes.
Il se battit, se battit encore et encore et comme il était très courageux il gagna.
Mais quand il arriva sur Aimeho, il n'avait plus de force, il avait faim, il était faible et il se jeta sur la plage et là, il mourut.
Des pêcheurs le trouvèrent et crièrent Moo-rea, Moo-rea et depuis Aimeho, s'appelle Moorea.
"J'aime bien cette histoire"
Je devinai le mouvement régulier des deux grands qui se balançaient toujours au dessus de ma tête.
"Ça vous a plu les enfants ?
"hum ...hummmm... oui"
"Maman, ils dorment; les trois petits dorment "

Loriane Lydia Maleville.

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