L'arrivant XIV
Date 25-07-2012 21:20:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| L'arrivant XIV
Je me hâtai de préparer le repas, toute la famille était là , pressée de partir. Je poussais mon cri de maman: " à table" Le repas fini, Rodéric avait déjà disparu. Je m'apprêtais à le chercher quand je le vis remonter l'escalier tout penaud, triste même. "Ben bonhomme, qu'est-ce qui se passe ?" " Gaston est parti, il est plus avec Marcel" "Ah, alors ça c'est pas une mauvaise nouvelle ! " " Papa tu es très, très, très méchant, je t'aime plus, je t'aime plus, plus, et pis t'es pas beau d'abord !!" Et les larmes suivirent immédiatement. " J 'te l'avais dit qu'il fallait pas attendre, voilà ! " "Oh ! mais dis donc je ne suis pas restée inactive, tu ne vas pas t'en prendre à moi quand même !!?" Et voilà la scène de ménage était en route. "Mais pourquoi vous criez comme ça, il est couché sous le manguier. Assise sur les marches, prête à partir, Clhoé avait pris un ton agacé et calme, mais un tantinet moqueur. Je promenai mon regard sous l'ombre de l'immense manguier, je vis une tache noire immobile. Les trois petits étaient déjà près du chien. "Maman il a arraché toute l'herbe et il a fait un trou dans la terre" "Ben il a trop chaud cet' abruti de sac à puces" Le commentaire désabusé, l'ironie de Clhoé ajouté à la mauvaise foi de JF, commençaient à m'irriter sérieusement, surtout lorsque descendant dans le jardin je découvris le "labourage" de Gaston. "Je réparerai ça plus tard quand il sera parti, allez on s'en va, et je veux plus entendre parler de Gaston jusqu'à ce soir, compris ??" Mon ton de colère était clair et suffisant, il fut efficace car la porte de la terrasse fut fermée en peu de temps et les escaliers vite dévalés. Réparer le "jardinage" de Gaston serait vraiment facile grâce à la variété d'herbe qui poussait ici. C'était une herbe épaisse et abondante qui "prenait de bille " comme les fraisiers, cette herbe émet des tolons, des rameaux qui s'allongent au niveau du sol, en se développant ainsi très rapidement ils couvrent et tapissent en très peu de temps la surface à recouvrir. J'en arracherai une longueur suffisante que je poserai sur la terre et dans trois jours il n'y paraîtra plus. Cette végétation tahitienne est complaisante, de bonne composition, il est possible de faire un décor complet en quelques minutes en réparant les accrocs avec ce que l'on peut appeler des "tacons" ou pièces de rapiéçage en français. "C'est toi qui conduis ?" Rodéric était assis à la place de JF comme il aimait tellement le faire à chaque fois que cela lui était possible, il tournait le volant aussi vite qu'il le pouvait. "T'es pas beau papa" "C'est pas grave, mon fils allez, va derrière avec les autres, non ! Rodéric, pas sur les genoux de maman !" Rodéric le visage renfrogné alla se coucher à l'arrière, sur le sol de la suzuki, entre les pieds de ses frères et soeurs. Il boudait. Le bing bang rituel fut plus faible que d'habitude, et nous venions d'arriver sur la route du tour de l'île quand Matthieu nous annonça : "Rodéric s'est endormi" Nous avons traversé Faaa, et nous roulions sur la route en direction du sud. Je ne saurais jamais dire la jubilation qui était la mienne. Je me sentais chez moi, ici, comme nulle part ailleurs. J'étais là dans mon biotope. Les Tipaniers, les gardénias mais aussi de temps à autre, un ou deux ilang- ilangs parfumaient la route et l'air bleu. Les fares coquets entourés de leurs jardins enchanteurs s'étalaient de part et d'autre, tout au long de notre chemin. Quoique la saison des pluies détruisit régulièrement des portions entières de route, quoique souvent la puissance brutale des eaux arrachait des pans entiers de collines, bien qu'il n'était pas rare de voir un fare construit en hauteur en bord de route finir par atterrir purement et simplement sur la chaussée, bien que nombre d'arbres soient régulièrement emportés par le violent ruissellement des eaux de pluies pendant la saison des pluies, malgré tout cela, en dépit de tout ces désagréments plus ou moins catastrophiques, dès le début de la saison sèche, tout était de nouveau en état, la chaussée était entretenue avec soin, envers et malgré toute l'adversité climatique. Par la force des choses, en raison de la violence et de l'abondance des débits d'eau, les monstrueux fossés, de chaque côté, étaient conçus aussi larges et profonds que de vrais ruisseaux. Ces terribles tranchées présentaient un aspect terrifiant car c'était là un véritable danger, et il n'était malheureusement pas rare, au moment des pluies que des enfants soient retrouvés noyés, emportés dans ceux-ci. Ce genre de faits divers étaient des plus bouleversants qui soient sur l'Ile, et malgré tout un des plus récurrents. Nous passâmes devant le centre commercial où se trouvait le Kinésithérapeute qui soignait la colonne vertébrale de Florian, à côté le dentiste des 2 autres petits. A droite des petits chemins frais et humides sous, les grands arbres serpentaient sur la terre noire, des enfants couraient partout, nus ou presque, ils jouaient, ils riaient, sautaient, criaient, ou se jetaient de l'eau, des vahinés bavardaient assises à l'ombre, sur le sol, la fleur à l'oreille. Gauguin les avait-il peintes ? Des fares en quantité, dissimulés dans la végétation montaient à l'assaut de la colline en haut de laquelle des quartiers neufs, des maisons superbes chassaient les pistes et les chemins de goyaviers et de lantanas. Nous roulions, sans vitesse, pour déguster notre bonheur, notre privilège. A notre gauche nous entourait, la montagne verte et bleue, mystérieuse, toute proche et inaccessible, ses versants abruptes étaient tout près, puis s’éloignaient de quelques Kilomètres laissant une plus large plaine entre eux et la route pour se rapprocher de nouveau ... pendant que sur notre droite luisait le lagon, la barrière de corail et là -bas au loin, luisaient les émeraudes, les bleus, les verts, les marines, les lapis lazzulis, et à l'horizon, émergeant de l'eau s'élevait la fascinante silhouette découpée de l'île de Moorea. Et aussi... la douceur des alizés, la lumière sans virulence, la chaleur sans violence... Je regardais ma nichée derrière, silencieux et souriants, tranquilles, ils subissaient comme tous le charme de ce calme élégant de beauté. J'allongeai mes jambes et chantonnai, cheveux dans le vent doux, le nez gourmand, en dégustation de senteurs paradisiaques, tongs à fleurs et paréos, je dégustais mon confort. Nous étions maintenant à Punaauia, devant le musée des îles et de Tahiti il y avait de nombreuses voitures garées. Il y avait dans ce modeste musée, un bassin dans le lagon avec des quantités de poissons et de requins, au bord de ce grand bassin qui faisait office d'aquarium local, se trouvait un charmant restaurant couvert d'une grande toiture de pandanus , c'est ici que nous dînions parfois, devant des groupes de danseurs et danseuses de tamuré. "On remonte un peu la vallée de la Punaruu ?" "Oh oui papa, oui, on y va !" La Punaruu était une des rivières qui descendaient, venant des sommets qui se déchiraient sur le ciel bleu en arrêtes aiguës. Ses eaux descendaient en tourbillonant ou en cascade, du sommet du "Diadème" et de celui mythique de l'Orohéna qui pointe sa cime inaccessible à 2241 mètres, c'est à dire bien haut. La vallée de la Punaruu était aussi un des rares accès possibles vers les sommets et ces chemins escarpés et dangereux étaient devenus la route des porteurs d'oranges qui montaient par des traces impossibles jusqu'au plateaux des orangers sauvages. Ces hommes puissants et agiles redescendaient ensuite avec leur charge de fruits, leur fardeau impressionnant sur l'épaule, les muscles saillants sous la belle peau doré, le visage tendu par l'effort. Ces "tanes" étaient magnifiques et recevaient simplement les honneurs des vahinés conquises, et je les comprenais fort bien. Ce qui ajoutait considérablement à la magie de Tahiti, c'est qu'aucune route digne de ce nom, ne menait sur ses hauteurs. Ces montagnes restaient une énigme, un lieu d'imagination, un lieu inconnu et vierge. Ces hauteurs semblaient s'offrir, mais elles n'étaient que simples apparences, seulement à portée de regard. C'est un univers indéchiffrable fait de pentes abruptes et vierges, de verdures et de failles dissimulées, de cascades cachant des secrets lointains, des vallées impénétrables, découpées sombres et obscures. Outre la route du tour de l’île et quelques sentiers dans quelques vallées, le centre de Tahiti restait un monde secret. C'est ici le lieux des mythes et des croyances occultes. C'est la côte des tupapa'u, il s'en trouve partout dans chaque endroit obscur, énigmatique et j’aimais tant raconter ses légendes à Rodéric ou aux trois petits. Par exemple, celle de la femme enceinte qui marche sur la route, celle des tupapa'u qui se transforment en roche, celle des bruits de chaînes ...; De Papeete jusqu'à la presqu'île appelée aussi Tahiti iti (Tahiti la petite), cette route est le lieu des tupapa'u et des légendes. Autant de légendes que la vue des pentes montagneuses sans chemin, qui est le corps de Tahiti, peuvent évoquer à des esprits créatifs et sprirituels comme ceux des polynésiens. Moi-même les yeux sur ces montagnes, l'imagination en cavale, débridée, je me sentais affolée, illuminée, en proie aux croyances, à la contemplation, à l'exaltation, jusqu'à l'extase. Racontez moi des fables, des délires, je suis preneuse. Le 4X4 se mit à sauter comme un cabri dès que nous quittâmes la route bien lisse et goudronnée pour suivre le chemin de terre noire et de cailloux qui longeait la rivière.. "Maman tu nous racontes une histoire ?" Rodéric était réveillé par les chocs de la route et savait parfaitement où nous étions, il avait reconnu la vallée et la rivière. C'était l'heure de se faire peur. Nous avancions lentement et nous nous enfoncions dans la vallée Insensiblement l'ambiance se transformait, nous changions d'univers, plus sombre, plus froid, plus sévère, de noir et de gris, de vert éteint et humide, plus angoissant aussi, la lumière se faisait rare, les arbres nous recouvraient, un faré perdu seul, dans la pénombre au bord de l'eau était entouré de fleurs. Nous roulâmes un long moment dans ce monde étrange, ténébreux et presque fermé par les hauts troncs, les hauts bambous, des feuilles, le bruit de l'eau et l'isolement. Nous avions quitté la terre. "On pourra pas passer, y'a encore beaucoup d'eau" JF s'était arrêté devant le gué, et regardait le débit de l'eau de la Punaruu qui était encore haut. "papa, papa ... regarde les gens devant ils sont passés !" Les trois petits pointaient du doigt, un autre 4X4 qui s'éloignait devant nous sur l'autre rive. "On y va papa, allez on y va ! tu veux que je descende ?" "Non, c'est Maman, Matthieu et Clhoé, les trois plus lourds qui descendent et qui traversent dans l'eau'" Le 4X4 roulant, ou plutôt naviguant devant nous, nous entrâmes à notre tour dans la rivière. Nous marchions tous les trois dans l'eau, les mains accrochées les uns aux autres, et accrochées à la voiture pour Matthieu et Clhoé. Nous luttions avec difficulté pour avancer sans être arrachés par le courant et je regardai la voiture avec appréhension. La Suzuki commença de passer sans problème quand soudain le fond manqua et le courant trop fort failli l'emporter, elle fit une embardée mais JF continua de la maintenir avec fermeté. "Rodéric ne disait mot, mais je voyais sa peur, et je dus lutter pour ne pas lui montrer la mienne, nous luttâmes un bon moment pour garder la voiture dans sa trajectoire et l'arrivée sur l'autre rive fut une explosion de joie, un sérieux soulagement. Nous avions vaincu le terrible dragon, le vilain tupapa'u, l'esprit de l'eau ! Nous continuâmes sur une bonne centaine de mètres, puis nous nous installâmes avec joie, pour nous reposer Nous étions sous un immense mape, entre ses racines hautes comme des murs, nous étions à l'abri, assis sur de grosses pierres noires, nos pieds dans l'eau, entre des fougères inconnues de moi qui flottaient là et que je découvrais pour la première fois. Les enfants étaient dans cette eau fraîche et pure dans un environnement de plantes abondantes. L'endroit était idyllique, enfin c'est du moins l'aspect qu'il avait, si ce n'est le nuage épais de moustiques qui alertés par je ne sais lequel d'entre eux, soudain nous enveloppa, très rapidement. Cela ne faisait aucun doute, l'un d'eux avait du nous repérer et crier à tous ses congénères de le la vallée : "à l'assaut ! les copains, a table ". Les petites bêtes charmantes nous rentraient dans les yeux, la bouche, les trous de nez... Un enfer ! "Allez on s'en va" "Mais alors pourquoi on est venu ici ?" Grogna Sacha. "Pour voir les moustiques, il parait qu'ici il y en a des très gentils et de très cultivés, maintenant qu'on leur a dit bonjour, on s'en va " "Râté ! wah ! t'es drôle maman !" "Super ! on va retraverser la rivière" Le temps de trouver l'endroit parfait, le temps de s’asseoir et juste le temps de se relever et nous revoici devant la Punaruu à traverser dans l'autre sens.. "J'ai un peu peur " Virginie regardait l'eau sans plaisir. "T'as pas de chance si t'étais aussi grosse que Clhoé tu aurais du lest" "Oh, mais ta gueule simplet, abruti, cancre ...Tu nous ..." "STOP... arrêtez ! c'est pas malin et c'est pas le moment !! Matthieu et Clhoé vous nous gâchez tout !! " Une fois de nouveau devant l'épreuve de la traversée, je pus constater que le risque que nous courrions plutôt que leur faire peur, les excitait plutôt, je les vis descendre tous de voiture excepté Rodéric, bien sûr, et tout le monde tira pour que le véhicule ne dériva pas. Après l'effort; nous étions tous soulagés de retrouver la terre ferme de l'autre côté et nous reprîmes le chemin de Papara avec sur les sièges six derrières dégoulinant d'eau, cinq shorts et un paréo trempés. Bof ! aita pea pea . Le temps d'arriver chez le colonel, nous serions tous secs.
Loriane Lydia Maleville
|
|