L'arrivant XII
Date 20-07-2012 19:50:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| L'arrivant XII
La mère de Stéphane fut très rassurée par mon appel.C'est une maman bien inquiète qui avait décrochée immédiatement, comme si elle se trouvait derrière son téléphone. Elle avait été surprise du silence si peu habituel de son fils, elle avait attendu avec angoisse, car elle avait besoin de lui pour transporter sa production de paréos peints et ce fils affectueux et calme ne lui faisait jamais défaut. Comme beaucoup de femmes de Tahiti, elle peignait des tissus. Les nombreuses personnes qui comme elles s'adonnaient à la peinture sur cotonnade, soie ou tapa, avaient cette charmante habitude daller étendre sur l'herbe leurs créations. Les champs sont peu nombreux sous les tropiques aussi c'est parfois sur l'herbe des cimetières, là sous le beau soleil, qu'elles étendaient une foule de paeros peints et décorés de toutes les couleurs que l'arc en ciel nous offrait. C'était là, un spectacle que j'appréciais particulièrement. Mon amie cousait aussi et me confectionnait à la demande des robes tahitiennes personnalisées, superbes et ornées, peintes de fleurs, d'oiseaux ... d'une foule de motifs qu'elle me laissait choisir. "Tu manges avec nous Stéphane, ta maman montera te chercher plus tard., elle doit m'apporter ma robe, elle l'a finie . Allez venez à table !" "Clhéo apporte une assiette pour Stéphane, s'il te plait" "Ah! oui, pourquoi moi ? c'est le copain de Matthieu " Et bien évidemment le repas entier se passa sur ce mode de belle entente entre nos deux adolescents, ce qui ne sembla pas le moins du monde embarrasser ou surprendre notre invité. Était-il lui même aussi gracieux avec sa propre sœur ? "papa ! papa ! papa..; ! " La soirée était déjà bien avancée, Rodéric, qui s’était assis devant la télé pendant que ses frères et sœurs débarrassaient la table, venait de sortir de sa torpeur, et courait vers son père en criant de joie comme à son habitude. JF rentrait alors que Stéphane et sa maman repartaient, aussitôt les trois petits lui sautèrent dessus pour raconter les exploits de Marcel le vaillant, leredoutable chien de garde. "mais qu'est-ce qu'ils ont les chiens ? ils deviennent fous ! bon ! heureusement Gaston est parti et c'est déjà bien" "Tu as mangé ?" " Oui on nous a fait livrer des repas, nous avions une panne grave sur les Gambiers, un vrai casse-tête, toujours ces problèmes de fading lourds à gérer ! Nos ondes sont bouffées par la masse de l'océan et la propagation est variable, nous avons travaillé comme des forçats, mais en contre-partie demain je suis libre" " C'est super ! on peut en profiter pour aller faire une cueillette d'avocats et de goyaves, j'irais bien chercher aussi des pamplemousses" " Je viens aussi, j'ai pas cours demain " "Ben et nous ?" Les trois petits faisaient la grimace, c'est pas juste, c'est vraiment pas juste ! "Oh ! les trois Caliméros au lit, demain il y a école" " Si on part à midi ça suffit et on les prendra à l'école en passant" "Oui, maman, oui maman, oui mam..." "Ça va, ça va !! on passera vous chercher à l'école " Toute la famille enfant, bien fatiguée se coucha rapidement et surtout réjouie, demain était un beau projet, les balades en forêt et montagne sont toujours de grands plaisirs. Après une nuit plus calme que la précédente, nous fûmes réveillés au point du jour par une sirène de bateau. Une corne de brume résonnait dans la nuit à peine blanchie. C'était la Bounty qui disait au revoir à Papeete . Le navire partait pour Moorea, elle irait mouillé dans la majestueuse baie de Cook, dans cet endroit chargé d'histoire elle régnera en vedette incontestée, le temps du tournage. Elle recevra de nombreuses visites dans ce célèbre lieu de villégiature. Pour le moment elle traverserait dans le petit matin les 18 Kms qui nous séparaient de l'île soeur. Au deuxième coup de corne les enfants étaient déjà sur la terrasse pour regarder partir le bateau. Il n'allait pas bien loin et en fin de semaine, nous le retrouverons "aux vacances" . Le temps me sembla un peu long, la mâtinée s'éternisait et enfin vînt l'heure du déjeuner, à l'heure où les enfants sortaient de la cantine du lycée et de l'école j'attendais JF devant le collège. J'attendais sur le parking, assise sous l'immense Hévéa qui envahissait tout l'espace. Ses branches trop longues, trop lourdes, se courbaient et faisaient un toit sur les voitures. La haie de végétation était si épaisse que les bruits de la rue toute proche était assourdis. J'entendis dans mon dos, le gravier crisser tout doucement, et soudain deux petites mains se posèrent sur mes yeux, et une petite voix d'amour : "C'est qui maman ? ... devine ! "Oh ! la la ! c'est difficile, attends, c'est un petit garçon ? " Vouuuuiiiis" "Euh, attends je cherche , c'est ... euh ! c'est MON petit garçon ? ?" Je me retournais et j'avais déjà mon petit bonhomme en béton dans les bras. JF avait pris la suzuki, la VW ne passerait pas dans les sentiers que nous allions emprunter. Clhoé et Matthieu encadraient les trois petits . "Ah ! je vois que tout le monde était libre !" Ma remarque moqueuse ne reçut aucune réponse. Nous roulâmes peu de temps sur la route qui faisait le tour de l'île, et à la limite de Pirae et d'Arue nous quittâmes la route pour emprunter un chemin qui montait directement en montagne. Nous grimpâmes, grimpâmes une pente raide et sinueuse, qui disparaissait par moment sous la terre rouge. les secousses étaient nombreuses et brutales, par instant la voiture se redressait, se cabrait de façon dangereuse, et il fallait bien se tenir pour ne pas être éjecté. Les goyaviers abondants et envahissants nous giflaient au passage, nous baissions souvent la tête et les enfants derrière criaient et riaient comme des fous. J'eus un instant de fou-rire en imaginant le spectacle que notre petite voiture rouge, secouée et hurlante pouvait offrir à un être céleste nous regardant. Nous devions offrir, de loin un spectacle farfelu et grotesque voir inquiétant. "J'ai envie de faire pipi" "Moi aussi" Moi aussi" JF sourit, ne répondit pas et arrêta la voiture sur une plateforme, nous étions arrivés aussi loin que possible pour un véhicule., la voiture ne passera pas plus loin. Nous avions dépassé le chemin qui mène au seul club Hippique de Polynésie, et nous laissions sur la pente la forêt artificielle, la plantation de pins, espèce locale, dont la régularité semblait étrange et pour moi dérangeante. Je descendis de voiture, la plantation, maintenant plus bas disparaissait à nos yeux. J'inspirai fortement et je fis un mouvement d'assouplissement bien nécessaire pour chasser les courbatures que les cahots de la route ne manqueraient pas de provoquer. Je tirai sur mes bras et je me courbai aussi bas que possible pour toucher mes pieds avec les mains. "Pourquoi tu fais toujours ça maman ? tu veux être plus petite ? Je pris la main de mon petit et je lui expliquai les raisons de mon exercice. Il me lâcha la main, JF distribuait des sacs de plastique et chacun partit faire la cueillette des goyaves, des avocats, des papayes, des fruits en fonction de sa rencontre. Nous étions près du belvédère, sur un replat, haut sur la montagne, et ... à nos pieds le somptueux et mythique Pacifique, royaume immense des maoris et de leurs légendes infinies, dans ce mirifique bleu liquide était la source des rêves éternels, des dieux et déesses. Je me tournai vers ce décor prodigieux. Droite, sur mes pieds, je respirai très fort, j'avalai toute l'atmosphère, je fermai à demi les yeux, je laissai entrer entre mes deux paupières, juste une simple, longue rayure de lumière, je voyais le panorama de l'intérieur. Je pris un bain de bleu, je m'immergeai dans le bleu du ciel, puis plus loin devant, le bleu du lagon, et, au fond là-bas, le bleu profond du Pacifique. Je perdis conscience de mon corps, je naviguais, dans l'azur, dans l'odeur généreuse des lantanas, dans celle si troublante des goyaves chauffées au soleil, je faisais couler en moi l'arôme divin des gardénias sauvages, et des orchidées, je m'enivrais de leurs effluves, j'en entourais mon corps, mon visage, l'air doux et sensuel des alizés odorants caressait ma peau me faisait félicité, me transportait, j'étais frissons et envols, j'exultais je me sentais euphorique en extase. Concentrée sur mon plaisir, sur ma gourmandise sans fin, j'allumais de bleu, la terre noire ici, rouge là, je glissais sous les cocotiers, ces bandits ébouriffés et curieux, qui se penchaient sur la sombre roche volcanique, pour écouter les notes claires de l'eau fraîche qui quittait de sauts en sauts, les plateaux inaccessibles de cette montagne mystérieuse, l'eau qui disait au revoir aux orangers sauvages, aux fougères et s'enfuyait en cascade de rire clair et heureux vers l'océan. "Tu atterris quand ?" "Ouh, Ouh ! tu reviens avec nous ?" Je souriais béate et bienheureuse à JF et aux enfants, je restais silencieuse, je ne pensais pas, je ressentais. " Mais, attendez que je revienne ". "Maman c'est pas possible, tu n'as que deux goyaves ? Clhoé me regardait d'un air suspicieux, mais qu'avait donc fait cette maman, pendant tout ce temps ? "Chloé, tu sais pourquoi, il y a tant d'orangers sauvages qui poussent sur le plateaux des orangers, dans cette montagne inaccessible aux humains ?" "J'sais pas ! ben ! j'sais pas qui les a plantés " "Ce sont les cochons, les cochons sauvages, ils bouffent des oranges et vont laisser leurs excréments remplis de pépins dans les endroits les plus reculés de l'île, et hop ! il pousse un bel oranger" " Oh ! ça me dégoûte, berk !" "C'est la nature, biquette " "Quand même c'est dégoûtant !" J'avançais sur le tout petit sentier entre les arbustes, Rodéric était à mes côtés, et soudain une douleur terrible me brûla les pieds, puis immédiatement les jambes, Rodéric à côté de moi se mit à pousser des cris de douleurs pointus et effrayants. L'enfer était sous nos pieds, nous avions tous les deux mis nos pas dans une fourmilière. je soulevai très vite mon petit tout en piétinant, en sautant sur place, pour me débarrasser de ces diables, je frottai, frottai, ses jambes, les miennes, les monstres rouges et minuscules provoquaient des douleurs insensées au regard de leur petitesse, nos ennemis étaient microscopiques mais faisaient la preuve d'un pouvoir de nuisance inouÏ, ils étaient de terribles agresseurs. Mon bout d'homme pleurait, des larmes grosses tombaient en cascade, je le câlinais et je le berçais dans mes bras en lui chantonnant ma chanson idiote "câlin, le chien, câlin le chien ..." JF, les deux grands, les trois petits, tous étaient venus nous secourir. "Pauvre Rodéric, tu veux que papa t'offre un jus de pamplemousse , on monte au belvédère ? "ou ... ou ... ouii ... papa ... je ... je ... je veux ... bien" Comment parler en sanglotant aussi fort ? Toute la famille appréciait la solution et peu de temps après tous étaient assis devant ce panorama de rêve, autour d'un table en bois, se faisant servir un jus de pamplemousse de Tahiti. . Les pamplemousses de Tahiti ne ressemblent pas à leurs cousins européens ou de Jaffa, ils sont bien plus gros, énormes, verts et si délicieux que je n'en ai encore jamais trouvé une espèce qui puisse prétendre rivaliser avec ce fruit délicieux. Rafraîchis et chargés de nos fruits, nous sommes redescendus en empruntant un autre chemin, autre trace, bien cahoteuse et accidentée, une sente crée probablement par les chinois et qui menait à des manguiers et des avocatiers que nous n'avions pas encore repérés auparavant. Cette trace serpentait entre les choux chinois, plantés sur des champs pentus comme des pistes noires de ski. à croire que pour les cultiver, les chinois devaient s'encorder solidement. Nous étions bloqués, arrivés au pied d'un arbre gigantesque qui fermait tout accès, c'était sans issue et nous ne trouvions plus de passage, nous avons dû pour résoudre pour redescendre, à emprunter le lit d'un torrent, heureusement à sec en cette saison, ce fond de cours d'eau nous mena après une très longue descente particulièrement agitée vers des cabanes de bois dissimulées dans la végétation. En cahotant, nous progressions lentement sur des roches énormes, nous sautions, penchions, les roues restaient quelquefois en déséquilibre sans toucher le sol, les cris des enfants, les hurlements de rire ont fini de faire oublier à Rodéric la méchante attaque des "sales bêtes qui piquent". Une fois sur la route "normale", de retour dans la civilisation, la routine parut sans sel aux trois petits "Papa c'est pas rigolo, allez ! roule plus vite, roule sur l'herbe " Jf ne répondait pas, il conduisait comme à l'habitude sans précipitation excessive. Nous fumes assez vite près de la maison, la journée se terminait, nous venions de tourner pour emprunter la voie, disons le chemin qui menait chez nous, nous étions devant le portail d'entrée,. Je réfléchissais au menu du soir, quand je fus brusquement distraite de ma réflexion par un cri et un très gros juron de colère que JF venait de laisser échapper. Il regardait le bout de l'allée devant la maison .. "Ah non !! merde !! c'est pas vrai !" Mais l'agaçante agitation des enfants n'avait rien à voir avec sa colère. Dans le jardin, au pied de l'escalier de la terrasse. Marcel à ses côtés, toujours noir et frisé, Gaston était là.
Loriane Lydia Maleville
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