L'enquête (défi)
Date 06-03-2016 14:04:31 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Réponse au défi de Kjtiti :
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L’inspecteur Raduflair se frotte la barbichette. L’homme au tarin surdimensionné est chargé d’une affaire de détournements de fonds au sein d’une petite banque locale. Il a convoqué tous les employés afin de trouver le suspect. Le premier est le patron, Monsieur Roger Toutaintéré. Celui-ci s’assied devant le policier. Son costume Armani est mal repassé. Il est rasé de près mais ses cernes trahissent le cumul de nuits blanches. Le responsable pose son regard fatigué sur l’inspecteur. Ce dernier le questionne sur sa vie professionnelle, sa vie privée, la santé de la banque avant de lui demander :
– Avez-vous des soupçons sur l’un de vos employés ? L’enquête piétine et nous n’avons trouvé rien de suspect les concernant ; pas de mouvements bancaires particuliers, d’achats immodérés. Auriez-vous remarqué un quelconque changement de comportement chez l’un d’eux ?
Après un petit moment de réflexion, le patron se lance :
– Ecoutez… maintenant que vous me le demandez, il y a bien Robert qui m’a demandé un congé de trois semaines en juin prochain. Il m’a parlé d’un projet de séjour au soleil. C’est assez étonnant de sa part car il a pour habitude de se rendre dans un appartement familial à la mer du Nord au mois d’août. Et puis il y a Kevin qui vient de s’acheter un nouveau téléphone qui me semble un peu au-dessus de ses moyens. – Et Madame De Sousa ? – Elle a été envoyée par une agence d’interim il y a quelques mois après l’accident de notre précédente femme de ménage. On la voit en fin de journée lorsqu’elle commence son service. Elle termine une heure après la fermeture de la banque. Son travail est impeccable. C’est une portugaise, qui ne comprend pas très bien le français. Elle est en-dehors de tout soupçon.
L’inspecteur reçoit ensuite Monsieur Robert Robert. C’est l’employé avec le plus d’ancienneté. Lorsqu’il s’assied, son ventre proéminent vient toucher le bureau. Il arbore son sourire aux dents parfaites. Il est réputé être un redoutable vendeur de produits bancaires en tous genres, capable de faire passer un prêt au taux usurier pour une aubaine à ne pas rater. Après les questions classiques, l’inspecteur lui demande s’il a des soupçons sur ses collègues.
– Bon, je n’aime pas dire du mal mais le petit nouveau, il est pas net. Le gamin est toujours rivé sur son GSM à écran géant. Et il vient d’en changer y’a pas longtemps. Avec son petit salaire, je ne sais pas comment il a fait. Soit il a pas payé son loyer, il l’a volé, à moins qu’il se soit servi sur les comptes des clients ! – Et votre patron ? – Quoi ? Vous le soupçonnez ? Non, la banque c’est toute sa vie ! Son bébé chéri. – Et vous ? Elles sont magnifiques vos nouvelles dents.
L’homme sourit de plus belle.
– Vous avez remarqué ? Après cinq ans d’économies, j’ai enfin pu me payer un bon ratelier et même des vacances à la Méditerranée ! Marre de voir La Panne et sa mer verte pour ne pas trop dépenser. C’est ma femme qui est heureuse ! – Et la femme de ménage ? Vous savez quelque chose sur elle ? – Pas vraiment. À part qu’elle s’habille comme un sac et qu’elle donne pas envie. Mais bon, elle y peut rien, la pauvre ! Elle casse pas trois pattes à un canard et on ne comprend pas toujours ce qu’elle dit avec son drôle d’accent. C’est ensuite Monsieur Kevin Kivienkiné qui entre dans le bureau. C’est un rouquin dégingandé et boutonneux. Il est invité à s’asseoir pour subir l’interrogatoire classique avant d’être titillé :
– Vous venez d’acquérir un nouveau GSM dernier cri il paraît.
Le jeune homme est tout fier de sortir l’appareil de sa poche et de lui vanter toute la technologie de pointe qu’il contient.
– Bon, je vois que vous êtes un expert en la matière. Mais comment l’avez-vous acquis ? Nous avons les données sur vos revenus et ceux-ci ne vous permettent pas d’effectuer un tel achat sans vous mettre en danger financièrement. – En fait, j’ai fait un crédit pour l’acheter. – Mais votre collègue Robert est en charge des prêts et il ne m’en a pas parlé. – C’est parce que je l’ai fait ailleurs. Les prêts de Robert, c’est trop abusé shérif ! – Euh, je ne suis pas shérif mais inspecteur de police. – Pardon. Je suis fan de séries américaines. Vraiment, faut pas emprunter chez nous ! C’est comme les employés de Mac Do qui vont bouffer à la friture du coin. – Je comprends… Et que savez-vous des autres ? Vous avez des soupçons sur l’un d’eux ? Peut-être avez-vous remarqué des choses suspectes ? – Euh… à part Robert qui n’a plus des dents pourries. Y’a pas de changement. – Et vous faites quoi dans la banque ? – Moi j’suis au guichet. J’aide les vieilles à retirer de l’argent au distributeur, j’ouvre des comptes à vue, j’encode les virements déposés dans la boîte aux lettres. – Pas d’événements particuliers récemment ? – Non, chacun fait son boulot tranquille. J’ai juste une fois enguirlandé Concetta, la femme de ménage. Elle n’avait pas frotté le clavier de mon ordinateur et il était tout plein de poussière collée et puis les toilettes sont faites à la va-vite. Je suis un peu maniaque.
Le jeune homme est remercié. Et finalement, on appelle Madame Concetta De Sousa afin d’être entendue. L’inspecteur voit entrer une femme d’une quarantaine d’année, le dos légèrement courbé, des vêtements mal assortis, des lunettes aux verres épais sur le nez et les cheveux coiffés en chignon mal serré. Il l’invite à s’asseoir.
– Bonjour, Madame. – Bonchour. – Vous êtes d’origine portugaise, c’est cela ? – Ouich. – Depuis quand travaillez-vous à la banque ? – Ch’ai commenché en chuillet deux mille quinche. – Qui vous a recrutée ? – Che comprends pach la quechtionne. – Qui a mis vous là pour le travail ? – Ah ! L’agenche d’interimation. – Vous êtes femme de ménage depuis longtemps ? – Ouich ! Dépuis mech douze anches. – D’accord. Les autres employés, ils sont comment ? – Le patronch, il est toujours nerveuche. Robert, il mange beaucoup troch. Ches poubelles chont toujours pleines. Kevin il est diffichile, il dit que je pas bien travaillèche. – Bon, je vous remercie, Madame,
Tout ce petit monde est libéré et les rapports d’enquête sont rédigés. L’inspecteur Raduflair n’est pas parvenu à trouver le coupable. La maison-mère de la banque décide de fermer l’agence. Le patron est mis à la retraite anticipée, Robert se recycle dans les assurances et Kevin livre désormais des pizzas. Dans un petit appartement mansardé au dernier étage d’un immeuble vétuste, une femme ouvre une lettre. Il s’agit du C4 émanant de l’agence intérimaire qui l’emploie. Elle le jette dans sa grande valise en carton presque prête où se côtoient vieilles robes, gilets déformés et tailleurs sur mesure, bas résille. Sur la table du salon, un ordinateur portable est allumé. Sur l’écran, apparaissent des comptes bancaires luxembourgeois affichant des sommes rondelettes. Déshabillée, elle retire ses grosses lunettes et défait son chignon avant de se glisser sous la douche en chantant « L’étrangère » de Linda De Sousa. Il ne lui reste que quelques heures avant de sauter dans son avion à destination du Portugal.
https://www.youtube.com/watch?v=UsGDfQW-WC4
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