Inoubliable réveillon

Date 03-01-2016 16:44:59 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Réponse au défi d'Istenozot :

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Carine monte dans l’ascenseur de l’immeuble et je me mets à sangloter. Ma voisine de palier me demande ce qui provoque mes pleurs.
– Je suis toute seule pour le réveillon. En plus cela me rappelle toujours le dernier passé avec mon regretté Robert.
– Votre mari ?
– Non, mon petit chien. Il s’est étranglé avec une coquille d’escargot volée sur la table un trente-et-un décembre.
– Oooh, je ne savais pas…. Si vous voulez, vous pouvez passer le réveillon avec nous. S’il y en a pour six, il y en a pour sept.
– Et plus on est de fous, plus on rit !
– Oui ! Vous acceptez ?
– C’est bien gentil, je viens à quelle heure ?
– Disons vingt heures.
– Je me mettrai sur mon trente-et-un ! Normal pour la Saint-Sylvestre, non ?
– Je vois que vous avez retrouvé le sourire. À jeudi alors. Bonne journée Madame Poisson.
– Vous aussi Madame Leboeuf. Et encore merci.

Le trente-et-un à dix-neuf heures, j’appuie avec insistance sur la sonnette de mes chers voisins. C’est Carine qui m’ouvre, les cheveux encore en bataille :

– Madame Poisson, vous êtes tôt !
– Je viens vous aider.
– Ce n’est pas nécessaire.
– Si, j’insiste !

Elle me fait entrer. Le couple est encore en plein préparatifs culinaires. Je propose de mettre la table. Carine m’ouvre le buffet donnant accès à son service en porcelaine et ses verres en cristal. Mais, sur le chemin entre le meuble et la table de la salle à manger, mes mains pleines d’arthrose lâchent les assiettes fleuries. Je suis alors invitée à rester sur le canapé devant des en-cas du même nom, pendant que Jacques joue de l’aspirateur et que Carine part faire le deuil de ses assiettes dans la cuisine.
Les invités arrivent peu après vingt heures. Il y a deux couples : Henri et Vanessa, Jean-Marc et François. Chacun me salue poliment en jetant un coup d’œil au plateau des canapés qui est devenu aussi clairsemé qu’un potager en plein désert. Carine sort alors le champagne en me proposant :

– J’ai du jus de fruits pour vous.
– Non, le champagne me convient très bien. J’ai peu l’occasion d’en boire.

Et je ne m’en prive pas car c’est moi qui termine la bouteille de Moët et Chandon, grand cru 2006. Les derniers canapés engloutis, nous nous installons à table sur laquelle se trouvent des assiettes dépareillées et une soupière remplie de gaspacho, posée juste devant moi. À ce moment, je suis prise d’une crise d’éternuement et ne peux empêcher mon dentier supérieur de s’échapper de ma bouche pour atterrir dans la soupe. Je me confonds en excuses face aux invités plutôt amusés et une Carine effarée. Finalement, je goûte seule à cette spécialité espagnole très réussie par notre hôte pendant que celle-ci réchauffe rapidement une soupe en boîte pour les autres.
L’entrée est un plat d’escargots de Bourgogne. En les voyant, je fonds en larmes.
– Cela me rappelle mon Robert. Il me manque tant ! C’est à cause de ces vilaines bêtes qu’il est mort. Dès que je vois une coquille, j’ai le cœur qui saigne… Je me souviens comment il s’étouffait en me regardant avec ses petits yeux mouillés. Il semblait me dire qu’il m’aimait et regrettait son larcin. Je l’ai tenu dans mes bras jusqu’à son dernier soupir. Puis je l’ai déposé dans son panier près du feu que j’ai laissé allumé jour et nuit. Son petit corps s’est desséché, ainsi il reste toujours près de moi.

Les escargots sont engloutis rapidement avec un sentiment de malaise palpable chez les invités qui se lancent des regards étranges.
Le plat est une raclette avec un joli plateau de charcuterie. À la vue des tripes, je ne peux m’empêcher d’évoquer les détails de ma dernière coloscopie. Etrangement, les invités semblent avoir du mal à terminer leurs assiettes. La mienne vidée, je demande l’emplacement des toilettes.

À mon retour, Carine débarrasse la table et s’exclame :

– Qui veut du fromage ?

Jean-Marc lui répond :

– Je suis grand amateur de Maroilles et de camembert. On les sent jusqu’ici !
– Ah non, il n’y a que du gouda, de l’emmental, du Comté et de la feta. Rien de bien odorant !

Je réponds :

– Je suis désolée mais je crois que j’ai bouché vos toilettes. J’étais constipée depuis quelques jours….

Un air de dégoût, presque de frayeur, se lit sur le visage de mes hôtes.
Personnellement, je fais l’impasse sur le fromage. Lorsque Carine évoque des crêpes flambées au dessert, je lui demande de m’en occuper car c’était ma grande spécialité lorsque je recevais des invités. Elle refuse avec véhémence mais cède devant mon insistance et mes yeux de cockers. Je me souviens avoir craqué une allumette après avoir arrosé abondamment les crêpes de Grand-Marnier et puis… un grand blanc.
En ouvrant les yeux, je vois Jacques occupé à actionner l’extincteur afin d’étouffer le feu qui consume les crêpes et attaque le meuble de cuisine. On m’aide à me relever en disant :

– On va vous reconduire chez vous.
– Vous avez une bonne assurance, j’espère ?
– Ne vous en faites pas pour ça…

En refermant la porte de mon appartement, je ne peux m’empêcher de sourire. Cela leur apprendra à mettre mon amie Martha, la grand-mère de Carine, au home juste pour récupérer son appartement sans devoir payer de loyer. Quand je vais lui raconter cette soirée mémorable à ma prochaine visite, on va bien rigoler ! C’est alors que l’église sonne les douze coups de minuit et que j’entends les voisins se souhaiter la bonne année. Je parie que leur bonne résolution pour 2016 sera de ne plus jamais m’inviter.




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