La maison en coquillages 10

Date 07-02-2012 18:19:03 | Catégorie : Nouvelles confirmées



La maison en coquillages 10

"oh! oui, moi aussi, j'ai faim, surenchérit Anita
"Et moi aussi" ajouta Linette.
Les garçons devant elles filaient à toute vitesse, ils glissaient dans les caniveaux, où l'eau s'était prise en glace, ils faisaient également de longues glissades sur la chaussée où le verglas se formait dans les parties irrégulières et enfoncées qui par endroit était légèrement creusée et retenait l'eau de pluie.
Quand ils se retrouvaient sur le derrière ils se relevaient prestement en jurant, sous les quolibets des trois petites ravies de voir les petits "casses-pieds" se casser la figure.
Le temps était gris et froid, les petites mains cachées dans les poches ou les moufles et les nez étaient bien sûr, rouges.
Ceux des garçons étaient de plus, coulants, et c'est sans vergogne qu'ils se mouchaient d'un grand revers de manches. Les deux petits cochons avaient toujours les manches décorées de traces comme celles des escargots.
L'arrivée dans la rue se fit en courant et chacun se précipita à la maison.
Dans le petit logement le poste de radio parlait tout seul.
La maman de Linette était assise dans la salle à manger et lisait "Nous-deux", près d'elle, "Intimité" et "Confidences" étaient posés sur la table en attente d'être lus.
Lorsqu'elle aura terminé de les lire, elle les donnera à Mme Hervé et elles auront de longues conversations sur le devenir des héros et héroïnes des romans et des roman photos de leur magazines préférés.
"vous avez fini l'histoire de l'infirmière Jeannette ?
vous croyez qu'elle va se marier avec le médecin ?"
S'inquiétait maman.
" c'est pas possible, elle est quand même pas du même milieu et elle doit être enceinte ...vous croyez pas ?"
Décidément se disait Linette, tout le monde parle toujours du milieu, ça doit être important.
Mais elle ne se demandait pas si elle avait le milieu qu' il faut pour épouser un médecin.
Sa vie d'adulte était loin, si loin ailleurs !
"Linette dépêche toi, vas chercher les journaux, chez Mme Moreira, elle les a garder pour ton père."
Le père de Linette était facteur et lorsque le froid le mordait trop, il mettait sous ses vêtements des journaux qui le protégeaient selon maman, mieux du froid que n'importe quel pull, et c'était surtout bien moins cher, c'était à leur portée ça au moins ! ajoutait-elle satisfaite.
Pour marcher sur le verglas aussi, elle avait un bon système : pour ne pas tomber et éviter les mauvaises chutes, elle entourait ses chaussures de chiffons et c'était parait-il très efficace, pas trop joli ! mais efficace selon maman.
Plus efficace et moins cher que les semelles en crêpe.
"Après mets la table" cria maman;
Sur la cuisinière Linette voyait la grande marmite de fer blanc.
Elle souleva le couvercle et découvrit, deux gros naseaux qui montaient et descendaient secoués par le bouillon qui cuisait.
La tête de veau nageait avec deux carottes, et les 3 poireaux achetés ce matin. Linette n'avait plus faim, elle était encore dégoutée.
La tête de veau mal cuisinée, les couennes avec des poils, la langue, les tripes, le cœur, l'éternelle soupe de pain, midi et soir, les tranches de tétines, et même le mou au vin rouge, lui soulevaient le cœur.
Elle avait si faim et tant de dégout pour cette "cuisine", qu'elle avait pleuré à l'école devant la directrice pour rester à la cantine.
Longtemps avant, alors qu'elle était encore plus petite, à l'école maternelle, la maman de Linette l'avait oubliée à l'école et elle eut la chance que la directrice de l'établissement la mette à table à la cantine en attendant l'apparition des ses parents.
Mais lorsque le papa de Linette vint la chercher, la gamine, alors âgée de 4 ans, prit la directrice pour rempart et hurla de toutes ses forces pour ne pas quitter cette assiette succulente et échapper ainsi à la cuisine maternelle.
Elle avait avec, force cris et pleurs, profitait de l'aubaine pour devenir demi-pensionnaire.
Linette avait gardé de cet instant un souvenir précis, et se montrait même capable de raconter la scène, de la décrire avec précision et sans erreur.
Pour l'immédiat, il allait falloir faire face à cette malheureuse tête de veau à l'état naturel, sans sauce, sans fioriture, sans préparation, si ce n'était qu'elle avait cuit plus d'une heure durant, avec ses deux carottes et ses trois poireaux.
Le repas était simple : avant rien, après rien, le menu était réduit à la plus grande simplicité :
"une tête de veau, c'est bon" disait maman.
"y'a des gosses qui bouffent pas, alors mange et tais-toi "
Quel est l'imbécile qui dit ça pensait Linette ?
L'argument était connu, pouvait paraître convainquant mais n'améliorait pas le goût de la tête de veau au naturel.
La table mise, devant son assiette à engloutir, Linette écoutait avec application la radio.
Elle se concentrait sur les" informations " comme disait papa qui les écoutait chaque soir religieusement.
D'ailleurs parler pendant les "zinformations" était un acte grave qui pouvait déclencher un cataclysme.
Pour avaler la tête de veau Linette s'évadait dans les informations.
Elle écoutait les descriptions des inondations en Hollande, ce pays là-haut sur la carte que les digues protégeaient de la mer, et la mer à qui ont avait volé son territoire, avait cassé les digues et noyait des villes entières.
La petite fille pensait avec émotion à tous ces gens noyés.
Pendant que sa bouche ingérait la tête caoutchouteuse, son esprit naviguait loin, aussi loin que possible et ouvrait lui aussi les vannes.
"tu penses à ce que tu fais Linette ?"
"Linette !!!"
hurlait sa mère.
Elle est toujours dans la lune cette gosse se plaignait maman qui ne comprenait pas cette fuite.
"on n'est pas assez bien pour toi ? "
"tu te prends pour la reine d'Angleterre ? "
ajoutait toujours papa, avec beaucoup de colère.
Mais Linette n'entendait pas toujours, elle avait son coin à elle pour aller bien, elle avait son médicament à elle.
Lorsque c'était trop difficile, elle allait s'assoir sur la lune.
Lorsque sa peine était trop grande, trop forte, elle fermait les yeux, elle allait s'assoir sur la lune et regardait la mappemonde, oui, elle regardait la terre, en bas toute petite, si petite, qu'elle ne voyait pas les continents, elle ne voyait pas la France, ne voyait pas Paris, ne se voyait pas.
Elle ne se voyait pas parce qu'elle était si petite, avec toutes les étoiles autour, donc si elle était si petite et qu'on ne la voyait pas c'est que sa peine ne comptait pas; non ! sa peine ne comptait pas du tout.
Et si elle ne se voyait pas, c'est qu'elle n'existait peut-être pas. Peut-être qu'elle imaginait tout.
Qui peut le dire ?
Alors si elle imaginait tout, elle pouvait décider qu'elle n'avait pas peur, pas de peine, pas mal, pas froid ... que sa maman et son papa l'aimait fort, très fort...
Oui ? qui peut le dire ?

Lydia Maleville





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