Les p'tits bals du samedi soir.
Date 30-06-2012 14:12:09 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Ah les petits bals de quartier, le samedi soir ... Quand, d'une heure à l'autre, le petit prolétaire cessait de sentir le cambouis ou le plâtre et sortait de chez lui en costume et chemise-cravate, avec tout l'assortiment : épingle de cravate, boutons de manchettes, pochette assortie, le tout baignant dans une puissante odeur d'eau de cologne, plus parfum, parce qu'il fallait ce qu'il fallait : 'cuir de Russie ', ' fleur de tabac ', ' ambre pour hommes ' . Le visage, rasé de frais, avait encore des traces de poudre de riz, parce qu'il n'y avait pas de beau rasage sans cette petite touche finale qu'aucun homme n'aurait reconnu mais qu'il n'oubliait jamais. Les cheveux ne risquaient pas les coups de vent : Brillantine Roja ou Fleurville, gomina ou Pento faisaient des coiffures en forme de casques de bakélite. L'homme se sentait beau, donc, il était beau.. Sans télépathie particulière, tous les jeunes gens se retrouvaient au bistro et commençaient la soirée en offrant généreusement des tournées qui n'étaient pas celles de tous les jours. La veille, en bleus et casquette, c'était : - " Robert ! tu nous mets une boutanche de Cramoisay et quatre verres ! " Et les bouteilles de Cramoisay défilaient à bonne cadence. Ou bien : - " Je me boirais bien un p'tit coup de ' Jeanne Sourza '.C'était la plaisanterie à mourir de rire pour commander du beaujolais, vin relativement boudé jusqu'à l'émission ' sur le banc '.. Ces soirs-là , ils avaient tous la grande classe, alors ils commandaient des boissons qu'ils pensaient distinguées : un p'tit mélécasse, un alcool de poire, un Kir-mousseux, une vodka-orange, même ! c'était bien vu .Le coca-cola, que personne n'a jamais eu la bêtise de commander, aurait pu vous faire passer par la fenêtre . Donc, tout le monde était prêt et l'atmosphère virait au zazou : décontraction américaine, avec chewing-gum et coups de pieds dans les lunettes noires incassables qui venaient d'être inventées. Tout ce petit monde descendait vers la salle des fêtes, au coeur de notre cité. Dans la salle des fêtes, le décorum était resté simple, pour ne pas déranger nos habitudes. Il y avait bien la piste qui présentait un petit inconvénient: Prévue pour des spectacles, elle était en pente, avec des espaliers Dame, normalement, elle accueillait des rangées de bancs et était conçue pour cela. Mais on faisait avec... A gauche, en entrant, le guichet pour les tickets d'entrée et un vestiaire. A doite, le bar : empilement de caisses de bières, quelques lessiveuses pleines de glaçons, pour le mousseux et quelques bouteilles de sirops pour les gosses qui venaient avec les parents. Les filles se faisant toujours désirer, les garçons les attendaient en picolant. Un coup d'oeil à l'orchestre. On ne savait jamais de quoi il allait être constitué, les volontaires étant aussi hypothétiques que mauvais musiciens. Il importait d'avoir au minimum un accordéonniste et une batterie. Avec un bon batteur, de préférence : C'était grâce à lui que nous pouvions différencier le genre de danse en cours, grâce au tempo. Les jeunes filles arrivaient par groupes. Les garçons, dos au comptoir, les regardaient passer, en donnant leurs appréciations. Selon une expression courante, elles avaient toutes l'air de voitures volées et maquillées.N'étant pas coutumières du maquillage, ces demoiselles étaient persuadées que c'était la quantité et l'épaisseur des couleurs diverses qui mettaient leur beauté en valeur. Une apre lutte de parfums bon marché se déclenchait contre ceux des garçons.Plus tard, avec la sueur, le mélange deviendra explosif ! Ce qui m'intriguait toujours, c'était le nombre de bretelles qu'une fille pouvait avoir sur ses épaules. Je présumais celles du soutien-gorge, de la chemise, de la combinaison et de la robe légère. Un surnombre me laissait dans une interrogation non résolue à ce jour. Un des grands soucis de la soirée, pour ces dames, était de les remettre en permanence dans un ordre dont je ne saisissais pas l'importance;
Que la fête commence !
Les filles, assises sur les bancs, le long des murs qui descendaient vers la scène, se levaient d'un bond pour les premières danses qui étaient toujours des Marches. Les garçons étaient inutiles: les filles dansaient toujours entre elles. Ce n'était qu'au moment des tangos que quelques unes acceptaient un cavalier. Faut dire qu'ils n'étaient pas légion...Ces petits bals étaient ceux où nous venions faire nos premières armes, sous les golibets de ceux qui n'avaient pas encore osé se lancer. Je me souviens de mon premier paso-doble, avec des chaussures neuves :ma cavalière, pliée de rire, passait son temps à m'aider à me relever. Les valses se faisaient en plusieurs pèriodes. Comme la piste était en pente, les danseurs, en tournant, finissaient toujours par se retrouver agglutinés en masses compactes, s'écrasant sur le devant de la scène, tout en bas. On arrètait la danse, on remontait les allées en croisant ceux qui descendaient en tournant et on reprenait le tempo; La chaleur dégagée par tous les danseurs, dans ce local bas de plafond,devenait lourde. Le mélange des parfums, des eaux de cologne auquels venaient s'ajouter les odeurs ' sui généris ' des danseurs en sueur, nous le supportions par habitude. Je ne crois pas que, de nos jours, nous pourrions le supporter aussi bien..
Vers minuit, la fête battait son plein quand les bandes de jeunes, venant d'autres quartiers, après la séance de cinéma, débarquaient parmi nous. Il était bien entendu qu'ils ne venaient pas danser. Personne ne perdait de temps en préliminaires inutiles ni en déclarations de guerre : les dernières rencontres avaient toujours laissé un passif à liquider d'urgence et on se cognait dessus au rythme de la grosse caisse. Les armistices étaient tolérées ! ceux qui allaient boire n'étaient pas inquiétés, jusqu'à l'instant où ils reposaient leur canette vide. Là , il n'y avait pas de préavis. En définitif, c'était la lassitude qui mettait fin aux hostilités. On constatait que les combattants se faisaient de plus en plus rares, jusqu'à ce que les derniers, en ralentissant, sans conviction, deviennent la risée des anciens combattants devenus spectateurs. Les intrus repartaient par petits groupes. C'était l'heure où les couples d'occasion s'egaillaien,t d'un pas faussement nonchalant, sur des chemins toujours opposés à ceux des domiciles des demoiselles. Les célibataires de la soirée jugeaient inadmissible de quitter le bal alors qu'il restait quelques caisses à vider.
C'était à la lueur d'une petite lampe au dessus du comptoir que la soirée se terminait. Nous connaissant tous depuis la communale, nous ne manquions pas de sujets de conversation. Nous terminions notre samedi soir en parlant, le plus souvent, de notre boulot. Puis nous allions nous coucher. Demain , dimanche, on remettait le costume !
Il y avait, aussi, un programme pour les dimanches.
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