La luciole

Date 10-11-2015 10:40:00 | Catégorie : Nouvelles


Elle vivait la nuit comme les lucioles. Elle préférait vivre dans la pénombre qu’elle éclairait de sa lumière tantôt verte et tantôt jaune. Ses ailes ne lui permettaient pas de voler comme toutes les lucioles femelles. Seuls les mâles savaient voler. Mais elle, son rôle était d’éclairer.
Elle préférait l’ombre à la lumière car dans l’ombre il est possible de voir le jour au loin. Elle aimait ce rôle d’observatrice et ne voulait en changer pour rien au monde. Elle observait les autres qui s’agitaient dans la lueur, qui couraient tout le temps après la réussite mais elle préférait rester leur guide quand la nuit viendrait. Bien sûr en général le rythme se ralentissait dans la nuit et la foule était moins dense mais il fallait bien éclairer malgré tout ceux qui se hasardaient à parcourir les campagnes, les terrains vagues, les sentiers de montagne et le rôle des lucioles était primordial pour montrer le chemin. Enfin c’était en tout cas ce qu’elle pensait et elle se pensait donc indispensable à la vie des nocturnes.
Elle restait terrée dans un coin pendant le jour et en profitait pour dormir. Et dès que venait la nuit elle sortait de sa cachette pour entrer en scène. Et elle attendait.
Son premier visiteur arriva sur le chemin énergiquement et il faillit l’écraser.
- Aïe ! Cria la luciole. Faites donc attention où vous mettez les pieds, vous auriez pu me réduire en bouillie avec vos grands pieds que vous ne savez pas diriger !
- Qui ose ainsi me parler ? demanda l’homme. Qui va là ? Je ne vous vois pas et si vous êtes assez courageuse pour me redire en face ce que vous venez de hurler, j’en serais bien étonné !
- Bien sûr que vous ne me voyez pas puisque nous sommes en pleine nuit mais si vous saviez utiliser vos yeux correctement et marcher précautionneusement, vous auriez vu que ma lumière était là pour vous éclairer. Mais vous semblez bien borné et je doute que vous puissiez changer ! Baissez donc les yeux au lieu de vous croire le meilleur de la terre ! Soyez un peu moins prétentieux et tout ira mieux ! lui répondit vivement la luciole outrée.
- Baisser les yeux ? Et pourquoi faire ? Si je les baisse je vais me ridiculiser et je risque fort de rentrer dans un poteau puisque ici il n’y a pas de lumière pour éclairer le chemin ! rétorqua le passant furieux.
- Alors si vous ne voulez pas baisser un peu la tête et arrêter de défier le monde, je ne peux absolument rien pour vous. Passez donc votre chemin et tout ira bien.
L’homme haussant les épaules continua sa route et la luciole poussa un soupir de soulagement. Elle continua à émettre ses lumières tantôt vertes et tantôt jaunes et attendit.
Arriva sur le chemin une dame qui marchait à pas feutrés et qui semblait fort hésitante. Elle marchait tantôt à droite, tantôt à gauche de sorte qu’elle donnait un peu l’impression de tituber mais il n’en était rien. Elle était simplement indécise. Elle paraissait perdue dans le noir et soupirait d’inquiétude. Alors la luciole désirant l’aider augmenta la lumière de son corps pour être mieux vue. Mais l’inconcevable se produisit : au lieu de suivre la lumière et de s’en servir comme guide, la dame prit peur devant cette apparition et, bouleversée, elle rebroussa chemin.
La luciole n’en revenait pas de cette attitude qu’elle jugeait timorée et se demanda finalement si elle servait à quelque chose puisque tantôt on ne baissait pas les yeux pour la voir comme le premier passant, tantôt on la fuyait comme cette dame apeurée.
- Cette nuit commence mal, pensa-t-elle. Je crois que je ne vais pas beaucoup aider !
Et malgré tout elle soigna à nouveau ses couleurs pour en raviver la lumière et une nouvelle fois, elle attendit.
Cette fois-ci un couple accompagné d’un petit garçon se profila à l’horizon. Elle ajusta les plis de sa robe de lumière pour les accueillir. Leurs ombres grandissaient en avançant et tout à coup ils s’arrêtèrent tous les trois à deux pas d’elle. Elle les entendit chuchoter :
- Quelle nuit noire, dit la mère, on ne voit rien du tout ! Tu ne crois pas qu’on s’est trompé de chemin ? Je ne reconnais rien du tout et il n’y a aucune indication pour nous aider.
- Non, non, je suis sûr que nous sommes sur la bonne voie mais il est vrai qu’il fait vraiment très sombre ici et il manque des réverbères pour nous guider ! répondit le père.
Le petit garçon, qui n’était pas plus haut que trois pommes et qui aimait encore les contes de fées, essayait de scruter autour de lui de ses yeux émerveillés. Il regardait partout, à droite, à gauche en haut et en bas et c’est alors qu’il la découvrit, tout près de lui. Il lâcha la main de sa mère et se pencha vers la lumière tantôt verte et tantôt jaune et son visage s’éclaira. Ses parents étonnés le regardaient totalement médusés. La lumière autour de l’enfant grandissait, l’entourant d’un joli halo et la route s’éclaira tout à coup tant et si bien qu’on y voyait comme en plein jour ! L’enfant riait aux éclats, saluant la luciole qui n’en finissait pas de s’éclairer tellement elle était heureuse d’enfin être vue et utile. Les parents subjugués par cet étrange phénomène regardèrent la luciole et lui sourirent. Ils avaient retrouvé leur âme d’enfant et, comme leur petit garçon, ils comprirent que les fées existent pour peu qu’on veuille bien y croire. Ils savaient bien que la luciole n’était pas une fée mais un petit coléoptère éclairant la nuit mais pour ne pas décevoir leur enfant tellement heureux, ils se remirent l’espace d’un instant à croire aux fées, à la magie et à l’irréel.
La luciole éclairait tant et si bien que des gens accoururent de partout pour voir cet étrange phénomène. La route était couverte de monde et on y voyait comme pendant une nuit de pleine lune alors qu’elle était dans l’ombre du soleil.
La circulation fut intense cette nuit-là et dura jusqu’au petit matin. La luciole avait fait son travail et avait rencontré son destin. Le jour se leva et au même moment elle s’enfonça dans sa cachette pour enfin pouvoir dormir.
Cette histoire prouve qu’en chacun de nous il existe encore une part de rêve, que la vie n’est pas que réelle et qu’il faut comprendre que, pour quitter ses peurs ou sa prétention, le regard naïf que nous avions pendant notre enfance nous permet de voir l’invisible et de comprendre avec le cœur.



Danièle Berry, 18 août 2012



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