Un monstre à Bruxelles

Date 17-10-2015 19:21:20 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Réponse au défi de la semaine :

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Je m’appelle Franck et je vis dans un quartier tranquille de Bruxelles. Mon appartement se situe au dernier étage d’un immeuble construit dans les années septante. Les murs se fissurent lentement et la peinture de la façade aurait besoin d’un coup de neuf mais je m’y sens bien. Il est un peu à mon image. J’ai la trentaine bien entamée, voire presque moribonde et ma face aurait, elle aussi, besoin d’un bon ravalement. Et il n’y a pas qu’elle. C’est tout mon corps qui est difforme. Une bosse me courbe le dos, mon crâne a la forme d’un ballon de rugby écrasé, mes yeux ne regardent pas tous les deux dans la même direction. Bref, les gamins du quartier adorent m’affubler de divers surnoms tels que Quasimodo, Ça, Frankenstein, La Chose. Mais le pire quolibet est pour moi celui de « Monstre ». Il fait référence à la cruauté, la bestialité, travers bien répandus dans la race humaine..
J’ai plusieurs voisins. Il y a la petite mamie du rez-de-chaussée. Elle voit très mal et du coup ne me juge pas sur les apparences. Je l’aide souvent à porter ses courses. Au premier étage, c’est Mademoiselle Julie, une jolie blonde au corps longiligne et aux traits un peu grossiers. Elle est polie mais je remarque dans son regard de la méfiance à mon égard. Il lui est déjà arrivé de prendre face à moi son air hautain, de dikkenek comme on dit ici. Au deuxième, c’est Valentin qui réside dans le plus bel appartement du bâtiment. C’est le fils du propriétaire. Il enchaîne les conquêtes féminines. Comme je loge juste au-dessus de lui, je peux profiter des bruits assez caractéristiques émis par ses conquêtes d’un soir. J’aimerais lui demander quelle est sa technique de drague mais nous n’avons tout simplement pas les mêmes atouts physiques. Il se pavane dans tout le quartier avec ses chaussures aux bouts pointus et sa mèche à la Justin Bieber.
Tout aurait pu continuer ainsi, chacun dans sa petite vie et ses habitudes. Mais un événement perturba notre train-train quotidien. Tout commença par des sirènes d’ambulance, suivies par celles de la police. Tous ces hommes en uniforme se sont engouffrés dans l’appartement de Mademoiselle Julie. Celle-ci a été retrouvée morte par le concierge qui rapportait son courrier, tuée d’un coup de couteau de cuisine. De ma fenêtre, j’ai vu un défilé d’agents avec des mallettes comme dans les films policiers que j’affectionne particulièrement : légiste, police scientifique, profiler, etc. Evidemment, tous les habitants de l’immeuble ont été interrogés. Je n’avais rien remarqué ni entendu, ma déposition fut succincte.
Le lendemain matin à 6 heures, on frappe à ma porte. Des policiers avec casques et gilets m’attrapent violemment les bras pour me menotter en annonçant « Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que… », la suite je la connais par cœur. Mais de quoi m’accuse-t-on ? Du délit de sale gueule ? De faire peur chaque jour autre qu’Halloween et sans masque ? Non, le policier moustachu me dit que je suis le tueur de Mademoiselle Julie. Mais pourquoi aurais-je fait cela ? Une fois au commissariat, c’est la question que je pose à l’inspecteur qui me regarde droit dans les yeux, du moins le gauche.

– Facile. Tu as tenté de l’approcher car elle te plaît et tu n’as pas supporté qu’elle te repousse. Ta nature bestiale a alors pris le dessus et tu l’as étranglée avec tes géantes mains.
– Mais enfin, je suis inoffensif. Demandez aux autres habitants de l’immeuble.
– Ce n’est pas ce que certains disent. Il se raconte que des bruits et des cris proviennent de ton appartement. Et tu possèdes une collection impressionnante de films policiers et notamment de thrillers avec des histoires de meurtres. À force de regarder toutes ces histoires violentes, tu n’as pu t’empêcher de passer à l’acte.
– N’importe quoi ! Ce ne sont que des fictions. Ce n’est pas parce que vous regardez des films pornos que vous êtes un Rocco Zifredi en puissance !
– Tu nies ? Mais les traces t’accusent. Avoue !
– Non ! Ce n’est pas moi !

Là, l’agent de police revêt son masque de méchant flic et m’assène une gifle. Voyant que je ne sourcille pas, il m’en ressert une plus violente en criant :

– Avoue que c’est toi qui l’as tuée ! C’est toi le monstre qui s’acharne sur ses victimes.

Une nouvelle baffe s’abat sur ma joue gauche faisant naître une goutte de sang à la commissure de mes lèvres.

– Elle s’est refusée à toi et tu l’as étranglée. Depuis tant d’années que tu espères pénétrer une femme. Tu n’es qu’un monstre, une bête. Comment veux-tu qu’une femme pose les yeux sur toi sans ressentir de dégoût ?

Cette fois, la claque me fait saigner du nez. Les larmes coulent sur mes joues sanguinolentes. Ses mots me blessent plus que ses coups. Il m’accuse juste parce que j’ai la gueule de l’emploi, le physique d’un déséquilibré. Les gifles s’enchaînent mais je ne ressens plus mon visage. Il est engourdi et enflé. Au bout d’une heure de mauvais traitements et après avoir pris mes empreintes de main et de pied, on me conduit dans une cellule lugubre et dégoutante. Je m’allonge en chien de fusil sur le lit de fortune trop petit pour moi.

Le lendemain, un autre agent ouvre la porte de ma cage et m’annonce, le sourire en coin :

– C’est bon, tu peux sortir. Tu es libre.

Encore ensommeillé et hagard, je ne comprends pas tout de suite. Il vient alors me tirer par le bras pour me conduire hors de la cellule. En traversant le couloir, je croise Valentin, les menottes aux poignets. Il baisse le regard, les yeux gonflés par les coups.
Quelques jours plus tard, j’apprends par les journaux que ce sont des traces de chaussures dans l’appartement de Mademoiselle Julie qui m’ont disculpé. Ils ont trouvé qu’il s’agissait de bottes à bouts pointus, la taille et le modèle de celles de Valentin. L’article évoque « Le tombeur invétéré n’a sûrement pas supporté le refus de la demoiselle et aurait lavé son honneur en attrapant le premier couteau venu. ». J’ai été bien malin de récupérer ces vieilles bottes dans le container. J’en ai encore mal aux pieds ! Ces thrillers sont bien utiles pour commettre un crime parfait. Voilà comment je me suis débarrassé d’une dikkenek et d’un Hidalgo bruyant. En espérant que mes prochains voisins soient plus sympas. Sur ce, j’ajoute le prénom de Julie après celui de Justine, Isabelle, Catherine, Serge, Jacques, Donald, Arielle, Lydia, Maurice, Marc, Emma,… tous ceux qui m’ont lancé ce regard dédaigneux et avilissant.





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