Ce livre dont je ne suis pas le héros
Date 04-10-2015 04:17:51 | Catégorie : Nouvelles
| Ce livre dont vous êtes le héros, décliné en version mi S.F mi absurde. S'adresse avant tout à un public adolescent, à moins qu'il s'agisse d'un simple manuel, une fois de plus, pour tenter de comprendre les sautes d'humeur de sa melancholia. 1. Un vaste paysage blême émerge des ténèbres, comme éclairé par la lune ou par une bougie, un espace sauvagement désert, usé par le temps, inhabitable. Un lieu d'un autre monde, dans la nuit délirante, où, tout d'abord, dans le noir absolu, il a du mal à comprendre ce qui se passe. Ici il a décidé d'enrôler fastueusement et à l'excès toutes les hideuses images de son historique, là -bas son équipe s'interroge, un long et méticuleux balayage horizontale comme verticale, sur les divers moyens de réussir un suicide parfait. Sans faire chier le monde et en partant sans douleur. C'est aussi le témoin d'une fin de soirée qui s'est terminée dans la trahison, le chaos, les bandes sonores, la musique bruyante, les hurlements. Le vent et les rires de la cité tentaculaire au loin se mêlent à présent et forment une sorte de chant funèbre mugissant. Un court instant, en laissant reposer son imagination sur les écumes noircies d'une mystérieuse image, et en descendant lentement, une bouteille de porto blanc additionné de vodka, la caméra de son téléphone sophistiquée fait un zoom, les cris de ce sépulcre à ciel ouvert ne s'affaiblissant jamais. Soudain, la bouteille tournoie dans l'air, avant de se briser, laissant le personnage chanceler et poursuivre le voyage, avec, au bout, l'étape la plus médiocre : la mort. Les ordinateurs de son équipe chauffent, et parviennent, au prix d'une immédiateté certes puissante mais chahuteuse, à le localiser ; une fenêtre pop-up assez triviale, en surgissant, indique qu'il porte une chemise bleu, criblé -il semble- de sang. Aucune connaissance complexe sur le sujet n'est pré-requise pour entrer dans son équipe. Les impressions du groupe, en majorité des gothiques en mal d'esthétisme noir, sont recueillis sur un forum dédié pour l'occasion : « Toujours à la limite, on sent la menace des ténèbres ultimes ; tout paraît soudainement disparaître ! » Et plus loin : « Notre héros du jour va-t-il enfin passer à l'acte ? » Il paraît que la jeunesse anticipe l'usure du temps ; pourtant bien qu'il soit jeune et en bonne santé, ce personnage de roman gothique ignore tout de l'avenir, et plus particulièrement des souffrances à venir. Peut-être est-ce le cas aussi pour les jeunes gothiques qui méprisent leur environnement affectif pour se consacrer exclusivement à ce projet participatif. Au cours du chapitre précédent, le cisaillement des veines efficace, Emilien Barrici, un lecteur et auteur assidu, s'est volontairement égorgé, sans toutefois rompre avec la vie. Seul dans sa chambre d'hôpital où pèse un lourd silence, de nombreux neurones en moins, il ne peut guère bouger d'une oreille, étant réduit à un état végétatif. Sa soeur, une sadique, sous prétexte qu'elle vient lui rendre visite, aime tâter avec vitalité les zébrures qu'il s'est infligé sur ses poignets, avant de vraiment déconner pour de bon. Pourtant, et ils le savent tous inconsciemment, leur mal-être est bidon, ils n'en sont pas directement responsables mais la société occidentale, qui s'est profondément embourgeoisé, cultive une savante invention, que les gourous de la psychanalyse se sont attribué : La belle et noble Dépression, son côté populaire et commerciale permettant de vendre toute une bimbeloterie de produits dérivés.
2. Elle était étendue sur mon lit. Elle riait parfois, grignotait un sandwich, buvait du thé que j'avais fait infuser pour elle. Elle me racontait que le mur de la Neuvième Porte était de marbre blanc, et bas et massif ; encore ce mur, encore cette Neuvième Porte... ça commençait sérieusement à me lasser. J'avais hâte d'allumer l'ordinateur, de jeter techniquement les bases du prochain chapitre en ligne, et je lui fis remarquer qu'il était tard. Le zapping à la télé n'était qu'une compilation où de fréquentes et violentes rafales d'armes à feu ripostaient, des ennemis coriaces sans doute. Elle n'avait rien répondu, elle avait simplement bougé son cul pour partir, sous les applaudissements à présent d'un public télévisé. Ensemble, nous avions exécuté tous les actes sexuels imaginables et ça ne motivait plus Popole de la faire grimper aux rideaux, la bouffe n'avait aucun goût, les gens étaient tellement prévisibles, et j'en passe, bref j'étais véritablement un blasé de la vie. On me croyait perdu à jamais, mais j'avais trouvé une ressource fantastique sur internet : je jouais avec les copains de mon âge à étaler des adjectifs sombres pour épater la galerie et proposer chaque jour de nouvelles tortures au personnage principal. Une question s'était un jour imposée à mon esprit : « Et si il existait vraiment ? » Je savais qu'il y avait des déséquilibrés assez cons pour reproduire ce qu'on avait décrit auparavant, mais jusqu'à là , je me souciais peu du sort de notre héros. On avait communément décidé et programmé sa mort en 2010, le coût de l'hébergement de notre site était devenu un fardeau dont personne ne voulait se charger. Ce soir-là j'éludais encore l'épineux problème, et commençai à taper frénétiquement sur le clavier. qui étaient jusque là de mornes et sombres regards en furent transformés. Je planchais sur un passage sanguinolent quand soudain des coups de Klaxons retentirent sous ma fenêtre ; j'allais me réfugier dans l'autre pièce qui ne donnait pas sur la rue, lorsque j'entendis la sonnette de ma porte d'entrée. Stéphanie revenait-elle me faire chier ? D'avance harassé par son verbiage inconséquent, je fis mime de dormir, en éteignant les lumières éclairées, et en restant immobile. Quelques secondes plus tard, le manège recommença, à un point que la sonnette était devenue stridente et continue. Je partis d'un bond vers la porte, furax et au dernier moment en regardant dans le judas, je vis que ce n'était pas Stéphanie... L'Horreur Absolue se tenait droit sur mon paillasson !
|
|