Rouge
Date 06-09-2015 15:45:10 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Réponse au défi de la semaine :
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Samedi 19 septembre, 22 h 30
Je suis haletante, les yeux injectés. Mes mains sont collantes, mes vêtements tachés. Je remarque que mes escarpins bordeaux baignent dans une mare de sang. Et dire que tout a commencé par une simple lettre.
Vendredi 4 septembre, 17 h 20
En revenant du bureau, je relève mon courrier. Une enveloppe au logo rouge et gris, celui de ma banque, attire mon attention. J’en arrache le côté et commence la lecture de la lettre qu’elle contient. Mon visage se décompose et perd ses couleurs au fur et à mesure que les mots défilent sous mes yeux. C’est le cœur battant que je compose le numéro renseigné en bas. Un certain Monsieur Mortel me répond et me fixe un rendez-vous pour trouver une solution à mon petit problème de découvert.
Lundi 7 septembre, 17 h 30
Me voici le doigt sur la sonnette indiquant le nom de celui qui m’attend. La porte s’ouvre sur un homme à la silhouette filiforme, au visage d’une pâleur extrême et au costume parfaitement taillé. Il m’invite à le suivre et à m’asseoir dans un fauteuil de skaï rouge.
– Bon, il semble que vous ayez été un peu trop loin dans vos dépenses. – Oui, je ne m’en suis pas rendu compte… avant votre lettre. – Il va falloir trouver une solution… quelle est votre formation ? – Je suis comptable. – Une comptable qui gère très mal ses propres comptes, c’est inquiétant… non ? – Comme dit l’adage : C’est le cordonnier qui est le plus mal chaussé. Je suis très sérieuse dans mon travail. Mais j’ai la manie du jeu et mes dépenses se sont multipliées. Je crois toujours renflouer mes comptes mais je ne fais que m’enfoncer.
Là , les larmes coulent malgré moi sur mes joues roses. L’homme qui me fait face me sourit, découvrant une parfaite dentition d’un blanc éclatant digne d’une publicité pour le meilleur dentifrice du moment.
– Monsieur Mortel… – Appelez-moi Brahim. J’ai peut-être une solution pour vous. Je vous invite samedi soir dans un club privé dont je suis membre. Ils recherchent une femme de ménage. Vous pourriez arrondir vos fins de mois et rembourser ainsi vos dettes. – Oh merci ! – Rien n’est encore fait. Rendez-vous à cette adresse à vingt-deux heures samedi prochain. – J’y serai.
Samedi 12 septembre 21 h 55
Devant la façade, je vérifie le nom du club sur la carte de visite rouge vif remis par mon banquier : « Le vent pire ». Le voici justement qui sort de sa décapotable couleur feu. Il tend sa clé au voiturier avant de me rejoindre d’un pas athlétique. Le videur me dévisage avant de nous ouvrir une des portes battantes. A l’intérieur, l’obscurité règne en maître. Les vibrations émises par les gros haut-parleurs résonnent dans mes oreilles. Des spots rouges illuminent la piste de danse où se trémoussent quelques personnes en transe. Nous nous asseyons au bar où un Bloody Mary m’est offert par un borgne dont l’œil de verre vibre au rythme de la musique. Le cocktail est délicieux. L’alcool me monte un peu à la tête. Mon hôte m’amène dans un bureau au sous-sol. Les murs sont recouverts de tapisseries à dominante carmin. Au milieu de la pièce trône un bureau pourpre. Un homme portant une cape sombre et semblant sortir d’un autre siècle entre dans la pièce. Son visage est émacié et ses yeux sont anormalement enfoncés dans leurs orbites.
– Vladimir, je t’amène une nouvelle recrue. Elle est comptable mais a besoin d’argent. Je lui ai parlé de la place de femme de ménage. – Avez-vous apprécié le Bloody Mary ? – Il était délicieux. Je vous remercie. – Elle semble convenir pour le poste. Sachez, Madame, que si vous travaillez pour nous, vous devrez signer une charte de confidentialité. – Pourquoi ? Vous traitez des affaires louches ? Qu’est-ce qui est arrivé à la femme de ménage précédente ? – Pas de questions ! Acceptez-vous ? – Juste une : vous payez bien ? C’est parce que j’ai des petits soucis financiers… – Je suis au courant. Sachez que nous payons plus qu’un autre employeur. Voici le contrat. – Y a-t-il des mentions particulières ? – Non. – Vous me prenez à l’essai pour quelle période ? – Non, je vous propose un CDI, un contrat à durée infinie. – Vous voulez dire indéterminée… – Non, infinie. Je vous ai dit que nous proposions plus que les autres. Signez en bas. – Je n’ai pas de stylo. – Donnez-moi votre main. Mon futur employeur me pique le bout de l’index avec une aiguille et l’appuie au bas du contrat. Je me souviens juste de son sourire et puis plus rien.
Dimanche 13 septembre
Je me réveille avec un mal de crâne terrible, comme si je m’étais pris un cercueil sur la tête. Je ne sais même pas comment je suis parvenue jusqu’à mon lit. En prenant ma douche, je remarque une trace rougeâtre de forme oblongue sur le haut de mon bras. On dirait que le loup du Petit Chaperon Rouge a voulu me déguster mais ne m’a pas trouvée à son goût. Le téléphone sonne. C’est Monsieur Mortel qui prend de mes nouvelles. Je lui raconte que je n’ai aucun souvenir de la veille. Il m’explique que j’ai un peu trop fêté mon contrat à coup de Bloody Mary et que j’ai perdu connaissance. C’est lui qui m’a ramenée et couchée. En l’imaginant me déshabiller, je rougis. Il me rappelle que je prends mon poste dès samedi prochain. Je lui confirme ma présence.
Du 14 au 18 septembre
Toute la semaine, je me sens très bizarre. Je ne parviens plus à trouver le sommeil mais ne souffre pas de fatigue. Du coup, ma maison n’a jamais été aussi bien entretenue. J’ai même eu l’occasion de refaire les peintures. Le problème majeur est la nourriture. J’ai beau m’empiffrer à longueur de journée, sous les yeux ébahis de ma collègue en surpoids qui suit un régime drastique sans résultats probants, je ne parviens pas à étancher ma soif ni à assouvir ma faim. Ce n’est pas comme cela que je vais renflouer mes comptes !
Samedi 19 septembre 21 h
Je suis à deux doigts de téléphoner à mon nouveau patron, Vladimir Poutoulavé, car je me sens faible. Le miroir me renvoie un visage blanc comme un linge. Il doit avoir senti quelque chose car il m’appelle. Je lui explique à demi-mots mon état. Il me dit qu’il a un remède à cela et m’exhorte à venir à vingt-deux heures. Je prends donc mon courage et mes dernières forces à deux mains et me rends au club. Le videur a l’air très nerveux. Il me laisse passer ou poussant ce qui s’apparente à un grognement. À l’intérieur, je tombe sur une scène pour le moins étrange. Une dizaine de personnes dont Vlad (oui, j’ai décidé de lui donner un diminutif) et Brahim sont en en cercle autour d’une belle vache normande. J’ai deviné son origine à sa robe blanche et brune et les marques autour de ses yeux, formant des sortes de lunettes.
– Ah, la voilà ! Nous sommes au complet. Viens près de nous, me lance Vlad.
Je me positionne à sa droite (c’est bête qu’il ne soit pas Dieu) et il déclare :
– Tu vas pouvoir te rassasier, jeune recrue. Laisse-toi guider par ton instinct.
À ce moment, le DJ lance un morceau de musique techno endiablée dont le niveau sonore doit amplement dépasser les quotas autorisés. C’est alors que je vois les autres se ruer sur l’animal. Je comprends que la musique sert à couvrir ses meuglements. Sans réfléchir et mue par ma terrible faim, je fais comme eux. Pendant une demi-heure, nous nous acharnons sur l’animal pour lui soutirer toute sa substance vitale.
Voilà donc comment je me retrouve les escarpins dans une mare de sang, condamnée pour l’éternité à me repaître de ce liquide rouge et visqueux. Vlad me remet un seau et une serpillère. Je soupire en pensant « Voilà où on en arrive lorsqu’on est dans le rouge ! »
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