Arlequinade
Date 22-08-2015 14:24:27 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Réponse au défi d'Istenozot :
Charles Quintal est un jeune homme timide. La vingtaine bien entamée, il vit dans un petit appartement dont il paie le loyer au moyen de son maigre salaire de chauffeur de bus. Depuis quelques mois, il a retrouvé son amour d’enfance : Colombine. La petite fille aux taches de rousseur est devenue une femme à la silhouette de mannequin. Charles est parvenu à l’inviter un soir au restaurant. Ils ont longuement discuté, évoqué leurs souvenirs d’enfant, leur carrière et leurs amours. Charles fit l’impasse de son traumatisme quant aux quolibets dont il faisait l’objet, à cause de son patronyme et de son léger surpoids. Colombine lui expliqua qu’elle sortait d’une séparation douloureuse avec Pierre Hautain. À la simple évocation du nom de son rival de toujours, Charles fit la grimace. Si Pierre n’avait jamais existé, aujourd’hui il serait marié avec Colombine et la rendrait heureuse, il en est persuadé. Mais il n’est jamais trop tard.
Un matin, Charles trouve dans sa boîte aux lettres un carton d’invitation pour un bal masqué à l’autre bout de la ville samedi soir. En bas, la signature de Colombine et un petit mot « Je t’attends ». Le cœur du jeune homme s’emballe. Il se voit déjà tous deux enlacés, se trémoussant sur un slow langoureux, leurs corps lovés et ses mains sur les reins de Colombine, en attente d’une descente autorisée.
Qui dit bal masqué suppose un déguisement. Il se rue vers la seule boutique spécialisée en la matière. Il demande un costume de Pierrot la Lune, l’amoureux de Colombine selon la tradition. Mais ce dernier est déjà loué. On lui propose celui d’Arlequin. Après une longue réflexion et un essayage, Charles opte pour cette version colorée de l’amoureux.
Nous voici vendredi soir. Son costume sur le dos, le chapeau multicolore arrimé sur la tête et son loup noir sur les yeux, Charles se met en route, le cœur en fête. Quelques mètres devant lui, une vieille dame glisse et chute. Toutes ses courses se répandent sur le trottoir. Toujours bon samaritain, notre Arlequin l’aide à se relever et court après les conserves qui roulent vers la chaussée. La dame semble assez étonnée de l’accoutrement de son sauveur. Elle se met alors à rire bruyamment. Parvenant enfin à reprendre son souffle, elle pose sa main sur celle de Charles en lui disant :
« Excusez-moi mais vous me rappelez mon cher mari défunt. C’est dans ce déguisement qu’il m’a séduite à mes seize ans. Je vous souhaite aussi de trouver l’amour. – Merci Madame, c’est au programme. Au revoir.
Au détour d’une rue, des sirènes de police se mettent à résonner tout autour de Charles. Une camionnette effectue un dérapage digne d’un film de Luc Besson. Des policiers armés en sortent et se jettent sur lui en le plaquant violemment au sol. Les menottes aux poignets, il est embarqué sans explication à part le fameux « Vous avez le droit de garder le silence ».
Au bureau de police, on l’enferme dans une cellule où comatent quelques âmes sur des bancs couverts de graffitis divers. Un homme à la barbe de trois jours, le dévisage avant de se mettre à rire à gorge déployée.
– Qu’est-ce que tu fais ici, toi ? – Je crois que c’est une erreur. – Le bal masqué, c’est pas ici. À moins que tu viennes nous distraire. Tu sais jongler ? Raconter des blagues ? – Je… devais retrouver ma copine.
Un policier l’appelle et l’amène dans une pièce avec un miroir sans tain. Là , il se retrouve avec d’autres gars déguisés. L’un est en diable, un autre en clown et un troisième en vampire. Ils portent tous les trois des masques. Ils doivent se montrer sous toutes les coutures, de face, et de profil. Au final, Charles est libéré. En passant la porte, il croise la vieille dame qui lui explique qu’un homme déguisé lui a volé son sac. C’est la raison pour laquelle la police a arrêté tous les gens déguisés de la ville, la plupart se rendant à la même fête que lui. Il s’avère que le coupable est le clown. Qui l’eut cru ? Le diable et le vampire ne sont pas les méchants cette fois-ci ! C’est d’ailleurs en leur compagnie que Charles continue sa route vers le lieu du bal.
En entrant dans la salle bondée et sombre, notre Arlequin cherche sa Colombine. Il a la mauvaise surprise de la trouver dans les bras de Pierrot la Lune. Charles reconnaît les yeux lubriques de Pierre Hautain ! Il se met à bouillir intérieurement. Il pensait en être définitivement débarrassé. Comment séduire sa belle maintenant ? Il a besoin de chasser la tension accumulée. Charles se poste au beau milieu de la piste de danse et se met à se trémousser au rythme de la musique. Ses mouvements d’abord saccadés et désordonnés font sourire les autres danseurs, son déguisement le rendant encore plus ridicule. Mais peu à peu, ses pas se font plus assurés, son corps évolue presque gracieusement sur la musique endiablée, tel Travolta dans « Saturday night fever ». Les yeux révulsés, Charles est en transe. Il n’est plus un jeune homme timide, ni Arlequin le grotesque, il devient une bête de danse. Il ne remarque pas que les autres se sont écartés de la piste pour le regarder. Ils se mettent à battre la mesure de leurs pieds et de leurs mains. A la fin du morceau, c’est un tonnerre d’applaudissements qui résonne dans la salle des fêtes.
Charles reprend son souffle en saluant l’assistance lorsque ses yeux tombent dans ceux de Colombine qui brillent d’admiration. Elle s’approche de lui, le sourire aux lèvres en demandant :
– Tu me fais danser ? – Tu connais le dicton : Mieux vaut danser avec Arlequin que pleurer dans les bras de Pierrot.
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