Léo "Marie"
Date 22-07-2015 17:07:40 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Paris, le 05 septembre 2007. « Bonjour Léo. Je reprends mon courage à deux mains. Je voulais te reparler de l’incident dans la douche. Je suis désolée de t’avoir laissé seul. J’étais partie chercher des affaires dans l’autre chambre. Je ne sais pas ce qui s’est réellement passé. Est-ce toi qui as touché le robinet ou alors, l’avais-je mal réglé ? Ce n’était pas volontaire comme on a bien voulu te le faire croire. Je ne cherche pas à mettre en doute tes souvenirs. Avant de revenir te porter tes affaires, j’ai été retardée. Je me suis disputée avec une dame. Quand je suis revenue dans la chambre, tu étais tout rouge. Tu faisais une drôle de tête et pourtant, tu ne pleurais pas. Quand j’ai pris la pomme de la douche, je me suis brûlée et j’ai compris que l’eau était très chaude. Alors que les deux portes des deux chambres étaient ouvertes, tu n’as pas appelé et tu n’as pas crié. Je me souviens t’avoir disputé parce que tu ne m’as pas appelé. J’ai appris ensuite par mon avocate que quelqu’un avait témoigné que je t’avais brûlé volontairement. Ce n’était pas vrai et je ne n’arrivais pas à croire que quelqu’un puisse vouloir me nuire à ce point. Pour ce qui est du radiateur, ce n’était pas moi. Pourtant, je me suis accusée. Je m’étais absentée. Quand je suis revenu, tu étais nu et il te maintenait assis dessus. Je t’ai retiré et je lui ai donné une grande claque. Ensuite, je t’ai soigné comme j’ai pu. Il m’a frappée. J’ai reçu un coup de poing dans le visage et j’ai saigné du nez. Lorsque tu nous as vu nous battre, tu as crié très fort. J’avais si peur. Je ne faisais pas le poids contre lui. J’étais enceinte de ton frère. J’avais si peur de te laisser seul avec lui. Une fois, je me suis sauvée avec toi. Je ne savais pas où aller. Nous nous sommes réfugiés à la poste. Nous sommes rentrés car tu avais froid. Il s’était calmé. Je n’avais pas le droit de dire ce qui se passait à la maison, il menaçait de nous tuer. Lorsque ton frère est né, il est devenu de plus en plus méchant avec toi. J’avais très peur. Une fois il a tiré sur nous. La balle est partie par la lucarne de la chambre. Ça a fait beaucoup de bruit et pourtant, les riverains n’ont pas prévenu la police. Un jour, je t’ai laissé à la D.A.S.S pour une adoption. Je pensais qu’il allait nous tuer. Il fallait que je prépare mon divorce. J’avais un délai pour te reprendre. Il était toujours à la maison. Le jour où je suis venue te rechercher, tu n’étais plus là -bas. Tu venais juste de partir. J’avais voulu te laisser une chance d’avoir une bonne famille. Je pensais que les gens qui adoptaient des enfants étaient gentils. J’avais si peur. Même quand je partais quelques secondes, je savais qu’il te faisait du mal. Ensuite, je me suis débrouillée pour qu’il quitte la maison. Je suis restée avec ton frère. Beaucoup de temps s’est écoulé. J’ai pris un avocat pour te reprendre avec moi. Mais voilà , il y avait Bleuette et mon père qui entretemps avaient eux-aussi pris un avocat. Le juge m’a entendu, et ils ont eu l’interdiction de te revoir. Je craignais qu’ils te prennent et de ne plus te revoir. Ensuite, je suis revenue sur ma décision. Je devais faire appel. Un certains temps s’est écoulé. J’ai reçu une visite de Bleuette. Elle m’a dit que tu étais très bien dans ta nouvelle famille et que je ne devais pas te reprendre pour ne pas te perturber. Elle m’a dit aussi que tu avais retrouvé un équilibre. J’ai alors promis de ne rien faire qui pourrait te rendre malheureux. Je n’ai jamais oublié que j’avais un autre petit garçon qui s’appelait Léo, ni les dates de son anniversaire. J’ai pensé à toi à chaque noël où je ne te voyais pas grandir avec Lionel. Il a toujours su qu’il avait un grand frère et qu’une partie de moi est partie avec toi. Je n’ai que des regrets et tant de peine au fond de mon cœur. Je n’avais plus de contact avec ma famille. Je t’avais perdu. Un jour mon père m’a recontactée. Il m’a dit qu’il ne te voyait plus. Il voulait me revoir. J’ai accepté car je ne pensais qu’à te retrouver. Il savait où tu étais, mais il ne m’a jamais rien dit. Lorsqu’il est mort, j’ai fouillé partout dans sa maison. Une nuit, j’ai trouvé une petite valise bleue en métal. Il y avait tes coordonnées. Je savais à présent où tu vivais, mais je n’ai pas osé te contacter de peur de te faire du mal. J’ai revu Bleuette à l’enterrement de Roger. Elle m’a dit que tu avais une famille et que tu étais heureux. Elle n’a pu s’empêcher de me dire qu’elle irait à la noce de ton mariage au mois de mai et que tu aimais aussi beaucoup ta maman. Elle a aussi ajouté que les deux autres enfants (Flora et Kamel) étaient partis loin, mais que toi, tu n’avais jamais réussi à la quitter vraiment. Elle m’a rendu la petite croix que je lui avais laissée pour toi, me disant de toute façon que tu ne croyais plus en rien. Cela m’a fait si mal. Elle a ajouté que tu ne ressemblais pas du tout à ton frère et encore moins à ton père. Je lui avais montré une photo de ton frère. Je savais que vous vous ressembliez quand vous étiez tout petit. Après elle m’a révélé que tu avais fais comme une dépression alors que tu avais dix-sept ans car tu voulais revoir ton frère. Quand je lui ai fait part de son décès elle m’a répondu qu’au moins, à présent, l’histoire était classée et que nous n’aurions plus de problèmes de ce côté-là . Je ne souhaite pas que tu blâmes ma sœur. Je pense qu’elle a fait beaucoup pour toi et qu’elle t’a donné ce que moi, je n’ai su te donner. Il m’arrive encore de croiser dans la rue ou le métro l’homme qui nous a fait tant de mal. Il me fait toujours aussi peur. Je suis désolée de ne pas avoir su nous défendre tous les deux. Je crois qu’il te menaçait quand j’avais le dos tourné. Tu ne disais jamais rien. J’évitais le plus possible de te laisser seul avec lui. Je n’ai pas tout vu, mais le peu que j’ai aperçu m’a fait beaucoup de mal. Je suis contente que tu sois heureux à présent. Je ne veux pas te perturber ou mettre ton équilibre et ta famille en danger, à cause de moi. Je t’ai abandonné et je n’ai donc rien à revendiquer ou espérer quant à notre avenir. Tu as raison d’aimer ta femme et tes deux filles. Je ne t’ai pas mis au monde pour te faire du mal. Je ne savais pas que la vie pouvait-être aussi dure. Je suis désolée d’avoir été défaillante. Je voudrais que toutes ces plaies se referment. Excuse-moi pour les ratures. Je n’ai pas fait de brouillon. Excuse-moi aussi pour l’attente, tout n’est peut-être pas dans cette lettre, mais c’est très dur pour moi d’écrire tout ça. Marie. » ••• Je crois qu’après avoir lu ces deux lettres je n’ai plus vraiment cherché à dissocier la vérité des mensonges. Je n’ai pas pleuré. Je ne me suis pas effondré non plus. J’avais la chance d’être en vie et finalement, assez solide encore. Je compris que ma mère était inévitablement une femme psychologiquement fragile. Mais au fond, n’avait-elle pas suffisamment souffert ? Aussi, n’avait-elle pas suffisamment payé ? Sans doute n’avait-elle pu semer, puis récolter, que ce que le sort mal intentionné, n’avait pu lui céder entre les mains. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’ai décidé d’essayer de pardonner. Je crois que Sophie n’a jamais pu réellement comprendre et accepter ma décision. — Après tout ce que tu as souffert et ce que tu souffres encore, comment peux-tu lui trouver des excuses. C’est vrai qu’elle a enduré beaucoup de choses, mais toi, pour autant, tu n’as jamais fait de mal à quiconque, et surtout pas à tes enfants, me répétait-elle sans cesse. Je voudrais te comprendre mais je n’y parviens pas. Cette force qui demeure en toi est certainement infinie, mais elle dépasse tout ce que je peux concevoir… Tout en écoutant son cœur de maman si admirable, je n’ai su pourtant m’empêcher d’obéir au mien, qui lui, me disait qu’il me serait plus facile d’avancer encore si j’arrivais à me délester de ma rancœur et de toute mon animosité. Je savais, qu’aussi étrangère pourrait bien lui paraître ma décision, ma femme, comme toujours, me soutiendrait. Je crois qu’elle craignait avant tout que le remous de tous ces événements ne vienne à me faire vaciller. Alors, j’ai accepté de rencontrer ma mère une quinzaine de jours seulement après la réception de la deuxième lettre. Ce fut une belle journée que nous offrit la fin du mois de septembre. J’avais donné rendez-vous à Marie et à son compagnon Daniel, sur le parking de l’église de Lyons-la-Forêt. Lorsque je suis arrivais sur place, ils étaient déjà là . Mes mains étaient terriblement moites. Ma mère est descendue la première de la voiture. Je vis alors une femme assez forte et son visage rond, dissimulé par de grosses lunettes. Je suis descendu à mon tour pour la rejoindre. Elle ressemblait à Roger, mais aussi à Bleuette. Elle ne su faire autrement que de me prendre dans ses bras. Je sentis son émotion, si grande. Elle éclata en sanglot, ne pouvant s’empêcher d’exclamer tantôt son bonheur et tantôt ses regrets. Je me souviens que cette étreinte me sembla durer une éternité. Je n’ai pour ma part rien ressenti de joyeux ou de triste. Marie, de son côté, semblait me retrouver comme si le temps ne s’était pas écoulé. J’étais encore son enfant, mais en moi, pourtant, tout mon être semblait l’avoir oubliée. Lorsque nous sommes arrivés à la maison, Marie s’est empressée d’étreindre ses deux petites filles, mais aussi ma femme. Elle était émue. Je ne m’étais pas préparé à ce moment. Je crois que son bonheur m’insupporta et que Sophie se sentit comme menacée, prête à bondir. Daniel resta en retrait. Il était un petit homme, gris, qui sentait fort le tabac. Bien sûr, je n’avais pas révélé à mes filles de seulement quatre ans la véritable identité des personnes que nous recevions ce jour-là . Je pensais qu’il était bien trop tôt, et qu’un jour, naturellement, les questions arriveraient. A la fin du repas Marie sortit de son sac à main quelques objets. — Je t’ai mis tout ça de côté, j’ai toujours pensé qu’un jour, je pourrais te les donner. Elle me tendit une photo. Je vis le petit garçon et en un clin d’œil le reconnus. Il s’agissait d’une photo de moi. J’avais peut-être huit ou neuf ans. Comment se l’était-elle procurée ? Sans doute en fouillant dans les affaires de mon grand-père. Pourtant, je ne reconnaissais rien de mon costume, ou même de l’endroit. — Ah, lui dis-je, c’est drôle, je ne me souviens absolument pas du jour où a été prise cette photo et encore moins du lieu. Marie sembla embarrassée, puis brusquement répliqua. — Ce n’est pas toi Léo sur la photo. C’est Lionel, ton frère. Tout un pan de mon âme s’écroula sur le champ. Même mon cœur, physiquement me fit mal. Comment cela était-il possible ? Nous n’avions pourtant pas le même père. Des larmes vinrent alors s’agglutiner et peser fortement contre mes paupières inférieures, mais jamais ne roulèrent sur mes joues. Je les avais écrasées. J’étais en vie et lui ne l’était plus. Pourquoi l’étais-je encore ? Je me sentis coupable, comme fautif d’exister encore. — Je voulais aussi te donner la petite médaille de son baptême. Un jour, je ne serai plus là , et… la voix de Marie s’étouffa. — Merci, avais-je timidement murmuré. J’ai pris la médaille entre mes doigts et, telle une enclume, je ressentis tout son poids. J’aurai voulu avoir la force de la refuser, mais je ne pu le faire. Marie s’empressa d’ajouter. — Je t’ai aussi rapporté quelques articles de presse. Ils concernent ton père. — Ah, ok, avais-je alors bredouillé. Je vais les mettre de côté, je préfère les lire un peu plus tard. Quelqu’un souhaite-t-il un autre café, m’étais-je alors empressé d’ajouter ? Je ne me souviens plus vraiment la manière dont s’est déroulé le reste de l’après-midi. Je n’avais plus qu’une obsession, lire ces deux articles qui reposaient sous mon regard empressé. Enfin je détenais entre mes mains quelque chose de mon père.
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