Léo "Valérie"

Date 26-04-2015 14:24:38 | Catégorie : Nouvelles confirmées


"Bientôt, je me suis retrouvé à toutes les soirées étudiantes. Il y avait toujours quelque chose à fêter, un contrôle certificatif de passé, un anniversaire ou tout autre prétexte. J’avais même à présent un surnom : « L’économique ».
En effet, il ne me fallait qu’une ou deux bières pour me soûler éperdument. Cela n’avait pas que des avantages. En effet, lorsque je revenais à moi, les autres étaient souvent déjà bien loin.
Ces nuits-là, j’étais un clown, mais le jour, un vide immense.
Il ne restait presque plus rien de cet élève brillant que Melle Rosarie s’était évertuée à faire renaître. En définitive, je réalisais que je ne pouvais devenir que ce que l’on espérait pour moi. J’étais à l’époque si creux et si poreux, que j’aurai pu suivre n’importe qui, faire n’importe quoi et devenir je ne sais qui.
Dorénavant, je n’attendais plus que les jeudis ou les samedis soirs. Parfois les deux. Je m’alcoolisais à outrance et fumais tout ce que l’on pouvait me proposer.
Après les bars, avec quelques compères, nous écumions les boîtes de nuit et bientôt, les « raves parties ».
Ivre, mon corps s’abandonnait aux martèlements des musiques électroniques underground. J’étais sans repère et mon bonheur ne se résumait plus qu’à ces moments artificiels et éphémères.

Valérie était une jeune fille joyeuse, quelque peu fêtarde, mais suffisamment sérieuse. Doucement elle su me ramener vers des chemins moins chaotiques. Je me souviens parfaitement de la première fois où nous nous sommes embrassés. Une boîte de nuit, puis un slow. Elle fut ma première véritable idylle, mon premier amour et bientôt, mon premier chagrin.
C’était le mois de mars 1995. Un mois guerrier où toutes les forces de la nature semblaient s’opposer ou même s’affronter. Tantôt d’un bleu azur et subitement presque noir, le ciel était confus, incroyablement beau. L’air était vif et la Bretagne sublime. Je comprenais à présent que cette terre soutenait d’impénétrables paradoxes. Ses paysages détenaient un mystère qui leur permettait à la fois de refléter des humeurs sombres et réjouies. Irrémédiablement, la Bretagne n’offrait que ce que le cœur était prêt à recevoir. J’y perdis mon innocence.
Nous nous sommes aimés passionnément jusqu’à la fin du mois de juin.
L’heure du dernier conseil de classe de cette année scolaire était arrivée. Mes résultats étaient toujours légèrement en dessous de la moyenne. Ceux de Valérie aussi. Nous n’étions pas si inquiets, au pire, nous redoublerions ensemble. Nous avions pris un mauvais départ, mais à présent, éveillés par nos erreurs, nous serions plus forts et soudés à l’avenir. Nous aurions pu nous contenter de ça.
Mais voilà, le sort en décida tout autrement.
Sur mon bulletin de notes, l’appréciation du responsable de la formation fut la suivante :
« Résultats très insuffisants. Le conseil de classe s’oppose à votre passage en deuxième année et à votre redoublement ».
Ainsi, l’école d’horticulture « Saint-Ilan » était prestigieuse. J’étais viré. Valérie aussi. J’eus le sentiment d’être puni pour le simple fait d’avoir osé rêver trop grand. Je n’étais pas l’un d’entre eux et ils m’avaient démasqué. Ils avaient raison, je n’étais pas de la même caste.
Mes professeurs s’étaient aperçus que je ne possédais pas cette culture bourgeoise et élitiste.
Valérie semblait ne pas comprendre ce que tout cela signifiait vraiment. Moi, je savais déjà que j’allais devoir rendre mon logement, partir, et tenter d’oublier la Bretagne. J’étais bien incapable d’aller lui parler. J’étais trop lâche, trop puéril aussi.

Ce dernier soir, une fête fut donnée au bar du bord de mer. La plupart des étudiants allaient célébrer leur passage en deuxième année de B.T.S. Je n’avais pas voulu y aller, mais je m’étais laissé convaincre qu’il était important de se retrouver une dernière fois, tous ensemble. Lorsque je suis entré dans le bar, j’espérais que Valérie ne soit pas là. Tout aurait été plus simple, plus facile. Mais voilà, je la vis assise au fond de la pièce en train de pleurer aux côtés de Gwenaëlle. Furtivement mon regard l’effleura. Son maquillage coulait sous ses yeux. Ses cheveux étaient détachés. Elle était encore belle.
De temps en temps, je pressentais ses yeux en colère se posaient sur moi. Je m’étais assis à l’entrée. Quelques camarades tentaient de me consoler.
— Tu es encore jeune, tu peux tenter de te réinscrire dans un nouveau lycée. Rien n’est vraiment perdu.
Je ne les écoutais pas. J’en regarder d’autres triompher, se congratuler et s’amuser. Je me sentais minable. Moins que rien.
Je décidai alors de partir. En me levant, mon regard s’accrocha à celui de Valérie. Des sanglots m’étranglèrent au moment où je voulu lui adresser un dernier sourire. J’allais franchir la porte quand tout à coup elle se leva et s’arrêta à quelques mètres de moi. Elle se mit à hurler :
— Mais putain Léo, je t’aime ! Tu ne le vois pas ! Je t’en supplie ne pars pas !
Après ce cri déchirant, le silence fit place. Les autres filles avaient des larmes dans les yeux. Je n’ai pas réussi à dire quoi que ce soit.
En pleurs, je l’ai regardée quelques instants. Gwenaëlle soutenait son amie par le bras et tentait de la retenir. Honteusement j’ai tourné le dos.
Puis brusquement, dans un violent sanglot, Valérie s’évida d’un dernier hurlement de douleur.
— Je t’aime Léo !
Elle s’effondra dans les bras de ses amis. Je partis.
Ce soir-là, le ciel était gris et la Bretagne me sembla terne.
J’ai longé la plage jusqu’à la vielle cabine téléphonique. J’ai mis quelques francs et j’ai appelé ma mère.
— Je suis viré. Ils ne veulent pas que je redouble.
J’ai éclaté en sanglot.
— Je rentre demain…
Hélène sembla comprendre que j’étais dévasté. Elle trouva même des mots doux et tenta de me consoler.
•••
Quelques mois auparavant, j’avais obtenu la partie théorique du Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur. Les parents de la copine de Kamel travaillaient dans un centre de loisirs dans le Loiret. C’était à Courtenay, au Château du Grand Vaulxfins.
Par cet intermédiaire, j’avais obtenu un contrat de travail pour trois semaines en juillet en tant qu’animateur auprès d’enfants. Pour quelqu’un d’aussi réservé que moi, je dois avouer que ce choix pouvait sembler totalement incongru. J’étais pétrifié, mais à la fois très enthousiaste. Quelque chose en moi me disait que je possédais des aptitudes particulières pour travailler auprès d’enfants. Contrairement aux adultes, ces derniers ne me faisaient aucunement peur. J’appréciais leur monde innocent et par-dessus-tout l’incrédulité des plus petits, dépouillés de tous jugements.
Durant cette colonie, j’ai vécu trois semaines de pur bonheur. Même si très souvent, du fond de mon cœur, mes pensées s’arrimaient encore tristement à la Bretagne, l’action, le bruit et le travail, me laissaient finalement assez peu de temps pour que je puisse m’apitoyer. Je me disais que lorsque l’on aime travailler auprès d’enfants, on peut dire bien volontiers que c’est un métier qui procure de grands bonheurs. Ou même un seul, fatiguant.
Aussi, celui qui exercerait un tel métier sans aucune passion, subirait, je crois, la pire des tortures.
Le centre de loisirs fut pour moi une source d’allégresse.
J’étais parfois dans les sous-bois, le chef des pirates, ou même, parmi les gamins, le plus grands des cowboys. Tantôt j’étais Zorro ou un animateur poney hors pair et bientôt le disque-jockey de la boum. Bref, dès que possible, j’étais un clown ou, un tout autre personnage expressif ou excessif, toujours très éloigné de ma nature profonde, effacée. Les enfants me bouleversaient.
Ils vivaient en plein bonheur et ne semblaient pas s’en rendre compte, ou même en profiter. Tout cela semblait bien normal.
Du haut de mes vingt ans je comprenais que le bonheur n’était rien d’autre qu’un concept impalpable. Tout le monde semblait passer son temps à le chercher ou à l’attendre, mais aux moments où enfin il daignait se présenter, personne ne paraissait savoir le reconnaître, l’appréhender, ou même encore, le goûter. En fait, je trouvais qu’il y avait toujours dans le bonheur quelque chose ayant trait au passé, comme s’il n’était possible de le saisir pleinement, qu’au seul moment où clandestinement, il décidait de filer…
Alors, j’observais les enfants à la fois fragiles et ardents. Je les enviais parfois aussi. Personne ne pouvait me comprendre.
Des parents nous confiaient ce qu’ils avaient de plus précieux au monde. C’était une grande émotion, j’en connaissais le poids et toute la fragilité. Responsable, j’étais aussi quelquefois très angoissé. Parfois aussi, je laissais bien malgré moi ma propre histoire me rattraper. J’étais face à eux. Comment était-il possible de ne pas pouvoir les aimer ? Comment certains parents ne peuvent-ils pas aimer leurs propres enfants ? Certaines phrases que j’avais entendues ici ou là me revenaient en mémoire :
« Ce gars-là avait été battu lorsqu’il était gamin et c’est pour cela qu’il a recommencé sur les siens. On devrait tous les enfermer ou même les tuer ! »
Et ce violeur, lui aussi avait été violé alors qu’il n’était encore qu’un gamin… Ils ont ça dans le sang ces vermines. C’est évident, les gosses battus et violés ne savent pas faire autrement que de reproduire ce qu’ils ont souffert ! »
Que pouvait bien charrier mon sang ? Ces phrases me hantaient. Je les trouvais monstrueuses. Elles me détruisaient de l’intérieur. Je restais muet et prostré, souvent au bord de mes mots, cherchant à inventer une autre issue qui me permettrait peut-être d’échapper à cette cruelle fatalité qui m’était promise.

Ainsi, bien que de telles idées de violences ou de cruautés ne me soient jamais venues, je craignais toutefois, qu’à mon insu, de tels vices rôdent au fond de moi. Je cultivais la peur qu’un jour, sans même que je ne m’en aperçoive, ces démons se réveillent brutalement et nous dévorent, moi, et les enfants.
C’était grotesque, mais je savais que mes parents étaient d’authentiques monstres. Ainsi, qui pouvait réellement prédire ce qu’allait devenir la créature qu’ils avaient enfantée ? Qu’adviendrait-il de moi? La crainte s’immisçait continuellement dans ma tête.
Bien plus tard je compris que toutes les personnes qui maltraitent, abusent ou martyrisent des enfants ont elles-mêmes un jour subies de telles violences.
C’est aussi beaucoup plus tard que j’ai compris une chose essentielle pour moi : une personne qui a été battue, violée, torturée, détruite ou dégradée, peut aussi se tracer un autre chemin et tout faire pour que son histoire ne se répète jamais.
Bien sûr, je comprenais que cette possibilité d’envisager un autre chemin n’était pas l’apanage d’un choix. Il s’agissait simplement d’une chance ou des conséquences charitables de jolies rencontres. Epaulé, rassuré, peut-être pourrai-je un jour renier mon héritage maudit, mais aussi, me dégager de ce carcan ?
Je rêvais à présent, un jour, de devenir père. Et peut-être, un bon père."...




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