Léo "D'Allemagne"
Date 29-03-2015 20:50:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| "Je n’arrive pas encore à m’expliquer comment cela s’est produit, mais j’ai finalement obtenu mon brevet des collèges avec une moyenne légèrement supérieure à dix sur vingt. Alors que les notes que j’avais fâcheusement accumulées en classe de quatrième comptaient pour cet examen, on peut quasiment dire que le fait d’obtenir ce premier diplôme tenait clairement du miracle. Alors, tout naturellement, comme happé par un processus, je me suis retrouvé les deux années suivantes à préparer un brevet d’études professionnelles agricoles, option horticulture. J’avais retrouvé le goût d’apprendre malgré un manque certain d’intérêt pour les matières techniques. Je me rappelle très bien qu’à la Maison Familiale, dans une salle un peu à l’écart, il y avait au dessus du téléphone à pièces, un organigramme des formations professionnelles. Au sommet se trouvait le Brevet de Technicien Supérieur. Chaque semaine, avec mes cinq francs, je téléphonais à ma mère et pendant que nous parlions, j’observais machinalement ce schéma. Secrètement, un jour, je me suis juré que je parviendrais à atteindre le haut de cette pyramide. C’était un projet naturellement improbable, surtout qu’après, je n’y mettais plus rien. Pour cette première véritable année de formation professionnelle, je dus changer de terrain de stage. C’est alors que je me suis retrouvé à Bagnoles de l’Orne, dans une très jolie petite commune touristique, célèbre pour sa station thermale. Mes parents avaient décidé de m’installer dans un studio, en collocation, avec une jeune fille de vingt ans qui préparait le même diplôme que moi. En quelque sorte, elle avait accepté, avec l’accord de ses parents, de me chaperonner. Je venais tout juste d’avoir quinze ans, mais très franchement, le physique de la jeune fille n’eut jamais la faculté de captiver mes sens. Nous dûmes bien au contraire, toute une année, nous supporter l’un l’autre, aussi bien dans ce petit espace de vie, qu’au sein de l’entreprise où, ensemble, nous effectuions notre stage. Ainsi, je ne rentrais plus chez mes parents que certains weekends. C’était un peu comme une émancipation précoce qui semblait leur convenir autant qu’à moi. Petit à petit, je perdais de vue mon frère, mais aussi, redoutablement, quelque peu l’attache qui me liait si fortement à ma sœur. Son brevet professionnel en poche, Kamel avait quitté la Maison Familiale de Vimoutiers pour intégrer celle d’Argentan, afin d’y préparer un bac professionnel. Flora quant à elle réussissait sa scolarité. Elle était à présent dans un lycée à Caen, en internat de semaine. Mon maître de stage, monsieur Serge était un homme d’apparence assez rude, un peu comme son métier d’ailleurs. Il devait avoir à peu près quarante-cinq ans, et sa nouvelle compagne, peut-être dix de moins. Les deux m’étaient très sympathiques. Monsieur Serge dirigeait sa petite entreprise familiale avec cœur et humanité. Il n’était pas un homme ingrat. Le travail y était parfois très dur, mais à chaque fois qu’une période de stage se terminée, il me donnait parfois jusqu’à cent francs. De temps en temps, lors des périodes intenses de travail, je l’accompagnais tôt le matin pour aller vendre les fleurs sur les marchés. Je me souviens particulièrement de la Toussaint et des caisses de chrysanthèmes si pesantes, mais aussi de la fête des mères et de ses imposants bégonias aux lourds pots de terre cuite. En arrivant sur le marché ma première mission était de relever discrètement les prix que pratiquaient les horticulteurs concurrents et de les rapporter à M. Serge. En fonction de ses renseignements précieux, il fixait ses propres prix. Je me souviens de son humeur plaisante après une dure journée lucrative sur un marché. Son bonheur était simple. Il travaillait beaucoup et rudement, mais savait se satisfaire, sans jamais se plaindre, de ce qu’il empochait modestement. M. Serge avait presque réussi à me faire aimer son métier. D’autres semaines, de retour en cours, j’apprenais la botanique. Ainsi, les plantes les plus quelconques, nous donnaient au final bien des tourments. Par exemple, l’Hortensia communément inoffensif, se mutait en un « Hydrangea macropylla de la famille des Hydrangeacea », alors que l’anodin Calcéolaire, se métamorphosait en un « Calceolaria herbeohybrida de la famille des Scrophulariaceae ». Etait-ce parce que cet exercice ne nécessitait aucune réflexion, que sur-le-champ, je me suis mis à apprendre par cœur un nombre considérable de ces noms barbares ? Je ne m’en souviens plus exactement, mais ce qui est certain, c’est que je sus très vite orthographier et mémoriser toutes les plantes les plus courantes. Enfin, j’allais exceller dans un domaine.
Cette année scolaire se termina par un voyage d’étude en Allemagne. A l’arrivée, nous fûmes éparpillés dans des familles pour le weekend. J’eus la chance d’être accueilli par des gens agréables, mais aussi, visiblement très aisés. Le jeune Andréas ne parlait pas un mot de français, et moi, je ne me souvenais plus de ce qu’avait tenté de m’enseigner la pauvre madame Paugame durant deux longues années. Je crois que nous étions aussi mal à l’aise l’un que l’autre. Ceci ne m’empêcha pas de comprendre très vite qu’un vent de liberté soufflait dans cette maison. Andréas avait déjà une moto et pouvait sortir autant qu’il le voulait sans visiblement avoir à en rendre compte à qui que ce soit. A seize ans, il fréquentait déjà les pubs, mais aussi les discothèques. Ce weekend en Allemagne fut prodigieux. En effet, l’un des jeunes allemands avait réussi à obtenir la maison de ses parents pour toute une après-midi. Je n’ai jamais su s’il avait eu le consentement de ces derniers, mais il donna alors rendez-vous à chacun des binômes franco-allemands, avec une seule idée en tête, faire boire à outrance les petits français fraichement débarqués, afin de se mesurer à eux dans une sorte de compétition imbécile. Durant la fête géante qui se déroula dans le jardin démesuré, la bière coula à flots pendant des heures, au point qu’un jeune français perdit connaissance et que nous finîmes par appeler les pompiers. De mon côté, alors que je me savais déjà plutôt intolérant à l’alcool, discrètement, je n’avais cessé d’irriguer les géraniums plantés dans de gros pots en grés. J’avais su garder les idées claires. Le soir même, Andréas décida de me faire découvrir l’une des plus grandes boîtes de nuit de son pays. Sur place nous retrouvâmes ses amis, mais aussi les miens. Cette nuit-là , comme dans un rêve, je m’étourdis d’alcool et de musique électronique. Je pouvais lire la satisfaction sur le visage de mon correspondant, qui, visiblement, se réjouissait de mon contentement. Quelques semaines plus tard, en France, Andréas vînt à son tour passer un weekend chez mes parents. Le pauvre n’eut décidemment pas de veine. Ce weekend-là , par l’intermédiaire du comité des fêtes de notre village, mes parents nous offrir une croisière sur la Loire, à la découverte des châteaux. J’avais bien remarqué qu’Andréas avait semblé s’ennuyer cruellement lors de ce périple, mais j’en eus le cœur tout à fait net lorsque de retour à la Maison Familiale, ses copains lui demandèrent ce qu’il avait pensé de son weekend. La réponse du jeune allemand ne se fit pas attendre, et sans trop l’espérer, je réussis bien malgré moi à extirper, puis comprendre un mot parmi tant d’autres. « Scheiße ». Les jeunes allemands éclatèrent de rire, alors que je me sentis rougir. J’appris cependant un peu plus tard, que mon sort n’était pas le plus incommodant. En effet, pour remercier son correspondant français de lui avoir offert un weekend miteux à la campagne, un jeune allemand avait tout juste avant de quitter sa famille française, déféqué sur le paillasson à l’entrée de la demeure."...
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