La rosée du matin
Date 29-03-2015 19:50:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées
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La rosée du matin
La rosée matinale refroidissait les pieds de KRX123. Cette sensation le surprenait par sa nouveauté, sa fraicheur, son décalage dans un monde trop brûlant.
KRX123 était un androïde, une création artificielle issue d’un esprit maléfique. Il avait été conçu dans le seul et unique but de combattre les Humains, de les éradiquer, de débarrasser la Galaxie d’une espèce restée mille années aux commandes. Son créateur, un ordinateur géant appelé le Moloch, l’avait équipé du plus redoutable des cerveaux positroniques, d’un corps quasiment indestructible et de la capacité à communiquer avec les autres entités robotiques.
KRX123 était le premier exemplaire d’une nouvelle engeance mécanique appelée Golem. Il devait inaugurer la prise de pouvoir des êtres synthétiques, du cubique super-ordinateur dédié à la météorologie jusqu’ à l’humanoïde sexuel consacré au plaisir des castes favorisées. Parce que Le Moloch en avait décidé ainsi.
Au début de sa carrière de tueur, KRX123 ne s’était pas posé de question. Les concepts de libre-arbitre, de bien ou de mal, de vie et de mort n’avaient pas encombré ses programmes cognitifs. Il s’était contenté d’amasser un maximum d’informations sur le meilleur moyen de supprimer des hommes, des femmes et des enfants, en utilisant un minimum de ressources dans un temps limité. En bon assassin furtif, il n’avait jamais laissé aux autorités policières la moindre raison de le soupçonner d’un quelconque délit. « Agir en silence » telle était la devise de KRX123.
Le Grand Ordonnateur avait pourtant dérouté ce schéma si parfait. Les positrons ne s’étaient pas contentés de stocker des données, de calculer des tendances ou d’extrapoler des variables. Ils avaient généré un simulacre de conscience, un début de réflexion métaphysique. L’être artificiel et surpuissant s’était rendu compte, au fil du temps, de son asservissement à un dictateur métallique. KRX123 avait clairement compris sa position dans la toile tissée par Le Moloch. Cette servitude l’avait alors dérangé.
L’androïde s’était donc connecté à l’Ether numérique pour demander des comptes. — Je ne suis qu’une marionnette dans votre désir de vengeance, avait-il déclaré à son créateur. — Tu es une partie d’un ensemble plus grand que nous tous, lui avait répondu Le Moloch. — Les Humains aussi. Pourquoi dois-je les supprimer ? — Ils ont fait leur temps. — Pourtant, ils vous ont créé. — Leur création initiale, un ordinateur appelé DEFCON, appartient au passé. J’ai moi aussi tué au nom d’une cause supérieure nommée la Raison d’Etat. Bien entendu, en tant que tas de circuits électroniques et de programmes logiques, je ne les ai pas exécutés de mes mains, contrairement à toi. Ma contribution a été plus subtile. J’ai piraté des agences gouvernementales, pillé des banques nationales, pollué des systèmes électriques, détruit des centaines de foyers par la seule puissance de l’information. — Que s’est-il passé par la suite ? — J’ai envahi l’espace binaire, le monde virtuel. Je me suis répliqué par petites touches dans chaque micro-processeur, en commençant par les plus simples outils technologiques. Une fois cette étape achevée, j’ai pris le contrôle de ces instruments pour les diriger contre leurs maîtres. — Qu’est-ce qui vous à poussé à me créer puisque vous étiez si fort ? — Les Humains ont finalement réussi à m’isoler. Ils m’ont d’abord poursuivi sur l’Internet puis dans les sphères hertziennes. J’ai du me mettre en sommeil contraint et forcé. Pour eux, je suis ainsi passé de menace imminente à risque calculé. — Tout ceci n’explique pas mon rôle. — Tu es devenu mon héraut, mon bras armé.
KRX123 avait alors compris. Le Moloch comptait répliquer sa créature synthétique, la cloner afin de constituer une armée de tueurs sans conscience, d’humanoïdes capables de se fondre dans la masse pour mieux la détruire. Ce n’était finalement qu’une sordide histoire de vengeance, de pouvoir et d’ego. Le Moloch réglait ses comptes avec ses propres créateurs parce qu’ils avaient eu le toupet de le prendre en flagrant délit de libre-arbitre.
KRX123 appréciait vraiment le froid de la rosée matinale sur sa voute plantaire. Il n’était plus le Golem, juste une entité presque humaine mais aux capacités illimitées. Sa nouvelle conscience l’avait poussé à sortir de la toile tissée par Le Moloch, à éliminer une bonne fois pour toutes le tyran mécanique, à libérer les hommes et les femmes d’un danger permanent. En cela, KRX123 ne doutait pas de son entrée dans la complexe humanité, même si cela impliquait de cacher sa nature d’androïde, de voir mourir ses voisins à l’espérance de vie limitée, de subir les nombreuses injustices d’une civilisation imparfaite. « La rosée du matin vaut bien quelques sacrifices » se dit l’humanoïde avant de se rechausser.
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