Léo "Voleur"
Date 17-03-2015 22:37:53 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| "Il me fallut attendre le mois de mai 1989 pour que je déshonore et humilie pleinement et définitivement mes parents. Alors que nous étions en train de faire les courses en famille dans une grande surface, ma sœur et moi-même demandâmes la permission de ne pas suivre mes parents, afin de flâner dans le rayon culturel pourvu de disques, de magazines et de livres, mais aussi de toute sorte d’accessoires ayant trait à la musique. Cette permission obtenue, je n’avais plus qu’une seule idée en tête. Voler. A présent, cet agissement, tel un jeu exaltant, était devenu pour moi tout à fait naturel, un peu comme une mauvaise habitude que l’on prend et dont on ne sait assurément plus se libérer. Il me paraissait finalement assez simple d’obtenir ces tas d’objets que mes parents se refusaient presque continuellement à m’acheter. Pourtant, en cette fin d’après-midi, alors qu’avec ma sœur, nous venions tout juste de rejoindre mes parents avant qu’ils ne passent à la caisse, un vigile vînt me cueillir comme une fleur. Sous les yeux décontenancés de mon père, je dus sortir des poches de ma veste en jeans, les deux lots de cassettes vierges que je venais de dérober. J’étais rouge de honte et mes parents semblaient comme assommés. Je les vis comme s’évaporer sur place, évanescents, comme étrangers à l’instant qu’ils étaient en train d’endurer. Le vigile me demanda de le suivre afin de nous rendre dans un bureau de la grande surface, à l’étage. Il exigea aussi que mon père m’accompagne. Ma mère et ma sœur s’en retournèrent à la voiture, probablement pour ranger les courses et échapper à l’humiliation. A la vue de tout le monde, Yves, alors que je m’apprêtais à me diriger vers l’escalier, m’assena un majestueux coup de pied dans le derrière. La douleur m’assaillit, mais en vrai, cela m’était égal. Il aurait pu décider de me tuer que je lui aurai donné ma bénédiction. En effet, j’avais à présent de la peine pour mes parents et plus encore, des remords. Ils sont encore d’honnêtes gens. Dans le bureau, en présence du directeur du magasin, du vigile et donc, de mon père, j’avais fondu en larmes. Yves, sali, regardait le sol et ne parla quasiment pas. Le directeur proposa de ne pas appeler les gendarmes à condition que mon père rembourse les objets de mon délit. Sans doute avait-il remarqué au premier coup d’œil que je n’avais pas l’étoffe d’un voyou et qu’en jaugeant mon père, il en avait déduit que j’étais plutôt un enfant de bonne famille, modeste, qui venait simplement de faire une très grosse bêtise. Je revois encore mon père se saisir hâtivement de son portefeuille et enfin empoigner d’une main tremblante les quarante-quatre francs et les quelques centimes que l’on venait de lui réclamer. Il sembla s’en débarrasser comme pour laver sa honte et son embarras, mais surtout pour tenter de fuir au plus vite cette situation des plus dégradantes. Lors du retour à la maison, dans la voiture, le mutisme de mes parents me fut pesant. Ils étaient effondrés. Le soir même je fus puni de télévision, et ensuite, plus jamais je n’entendis reparler de cet événement. Au sein de cette famille, la honte n’engendrait que le silence et le silence, lui, n’enfantait que l’éloignement, puis petit à petit, la distance. Le dialogue n’était pas de nos usages. Je dus cette nuit-là rester seul dans mon lit, ne pouvant rien expliquer de mon chagrin. Il m’était même alors impossible de m’excuser. Je n’avais plus qu’à risquer de m’endormir en incarnant bien malgré moi ce fils indigne, que mes parents, au fil de toutes ces années, avaient si bien, inconsciemment peut-être, si fermement façonné. J’eus craint qu’ils ne m’aimaient plus. J’appris la semaine suivante que j’allais quitter le collège pour un pensionnat dans le département voisin de l’Orne. Cet été là , je crus mourir de chagrin. Pourtant, en septembre, je me retrouvai à étudier l’horticulture au sein de la Maison Familiale Rurale de Cerisy-Belle-Etoile. Quatre mois plus tard, je fus aussi convoqué à la Gendarmerie de Thury-Harcourt pour recevoir un puissant blâme. J’avais la chance de n’avoir que quatorze ans, il n’y eut aucune suite à cette affaire. Jamais plus je ne me risqua à voler quelque chose. Si personne jusqu’alors n’avait su entendre ma détresse, ce rappel à la loi, venait lui, de réussir à me faire terriblement peur.
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J’avais le cœur serré. A mes pieds se tenait ma valise. A l’intérieur se trouvait mon linge pour la semaine, soigneusement rangé, mais aussi, tout l’espoir que ma mère avait rassemblé pour qu’enfin je puisse saisir une chance qui me permettrait peut-être de réussir ma vie. Aussi, j’avais à la main un nouveau cartable, débordant de fournitures scolaires neuves. Je détestais ces odeurs. Pourtant, c’était un beau matin de septembre très lumineux et encore chaud, qui probablement devait inspirer la joie ou la douceur de vivre. Ce matin là , j’avais eu mal au ventre et à présent, je retenais mes larmes. Faisant face à un très beau château, mon père se tenait à mes côtés. Nous étions entourés par les nouveaux élèves et leurs parents. Alors qu’il m’était impossible de me concentrer, Yves écoutait le discours de bienvenue du directeur de la Maison Familiale. Je m’apprêtais à entrer en troisième professionnelle. Le directeur, était un grand personnage. Il était surtout très mince. Il avait une allure sportive et dégageait à la fois une certaine sévérité, mais aussi un immuable flegme. Quelque chose dans son regard laissait imaginer que cet homme soutenait de grandes valeurs, un peu comme s’il portait en lui l’humanité toute entière. Pendant ce temps, j’observais les autres élèves autour de moi. A quelques exceptions prés, il était aisé d’arriver à la conclusion que la plupart d’entre-nous était issue d’un milieu rural, souvent modeste, et plus encore, agricole. Même si ces origines étaient un peu moins perceptibles sur quelques-uns de mes congénères (grâce notamment à des vêtements de marques ou autres accessoires), certains parents, eux, ne pouvaient aucunement les dissimuler. J’étais à la fois inquiet, mais aussi, intérieurement, secrètement intrigué et amusé. A dire vrai, certains de mes camarades n’avaient vraiment pas l’air très dégourdi. D’autres, qui semblaient être de gros durs laissaient encore apparaître malgré eux, sur leurs visages des traits juvéniles liés à une certaine inquiétude, mais aussi, paradoxalement, quelques traits plus épais et définitifs. L’un d’entre eux venait assurément d’une classe sociale bien supérieure. Son père avait une certaine allure, mais aussi une puissante voiture noire. Aussi, quelques jeunes filles n’avaient pas l’air farouche, tandis que d’autres paraissaient bien plus timide. Il y avait aussi parmi tous ces jeunes gens, un garçon plus calme et réservé, mais aussi, une fille bien plus rigolote que les autres, qui bientôt, allaient devenir mes meilleurs acolytes. Moi, égaré dans cette foule, sans doute, n’avais-je vraiment l’air de rien. Une fois l’exposé du directeur terminé, mon père s’en alla sans même m’adresser un au-revoir chaleureux. Yves était incapable de ces choses-là . Il me laissa là , au milieu de nulle part, infiniment désespéré. Pourtant, il ne me fallut que quelques temps pour trouver quelques marques et vivre dans ce pensionnat d’intenses moments de bonheur, mais aussi, plus aléatoirement, de travail. Archange devint mon camarade de chambrée. Il était bien plus posé que la plupart des autres garçons de l’internat et c’est tout naturellement qu’assez vite nous sommes devenus de véritables amis. Le soir nous recherchions je crois, l’un comme l’autre une certaine sérénité. Les autres chambres pouvaient parfois compter jusqu’à six garçons, et là , l’ambiance ne reflétait pas toujours la même quiétude. Christelle, elle, avait une incroyable joie de vivre. Nous ne nous sommes pourtant pas parlé tout de suite. Je me souviens d’un vendredi après-midi, alors que nous nous affairions à nos services exigés par le règlement, et donc à faire briller notre Maison Familiale, qu’un feu de broussailles se déclara dans le sous-bois du parc. Christelle était en train de nettoyer les grands carreaux de la porte d’entrée. Nous n’étions encore que des gamins, imitant grossièrement et de manière moqueuse, les grandes personnes. Alors que je passai par là , nous entendîmes soudain d’autres camarades qui travaillaient à l’extérieur, rapporter que le feu était en train de se propager. Ces élèves frétillaient comme peuvent parfois le faire les fourmis lorsque l’on vient de déranger la fourmilière. Sans doute Christelle et moi étions-nous au paroxysme de l’âge bête. La situation nous amusait énormément. A la vue de ce spectacle, niaisement, nous éclatâmes de rire. C’est alors qu’elle proposa de son air le plus sérieux, mais aussi le plus espiègle, à un élève qui passait par là : - « Veux-tu un verre d’eau ? » Ce dernier s’arrêta quelques secondes mais ne comprit rien à la plaisanterie de la jeune fille malicieuse. Il haussa les épaules et repartit, sans doute pour combattre le modeste incendie. Christelle et moi nous regardâmes quelques instants et à nouveau, sans retenue, éclatâmes de rire sans pouvoir nous arrêter. Nous étions en larmes, bien incapables de reprendre nos travaux. D’ailleurs, je n’ai plus aucun souvenir de ce que je pouvais bien faire, mais je me souviens bien que madame Collado, une monitrice, ne fut pas tout à fait satisfaite de l’avancement du nettoyage des vitres. Cette complicité naissante allait nous embarquer pendant plus de trois ans, jusqu’à l’obtention de notre Brevet Professionnel."...
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