Léo "Mme Paugame et M. Gallardo"
Date 05-03-2015 13:34:18 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| "J’ai appris depuis longtemps qu’il ne suffit pas d’aimer les enfants pour escompter s’en faire respecter. Mais voilà , à l’époque, je pense que personne ne l’avait dit à Mme Paugame et à M. Gallardo. Ou alors, peut-être avaient-ils séché un ou deux cours de pédagogie. Mme Paugame était mon professeur d’allemand et M. Gallardo, mon professeur d’anglais. Lui, était assurément un anglais, totalement égaré au sein du collège de Bretteville-sur-laize. Une espèce d’extraterrestre en quelque sorte. Il était une pile électrique. Il parlait tout le temps, presque exclusivement en anglais et gesticulait dans tous les sens. Sans cesse, il paraissait hystérique alors que sa lourde écriture venait impitoyablement écraser ses craies sur le tableau outrageusement barbouillé. En fait, M. Gallardo ne parlait pas, il hurlait. Il conquérait tout l’espace, s’imaginait partout, mais en vrai, n’était nulle part. Il est des gens comme ça, tellement trop gesticulants, qu’ils finissent par nous paraître totalement absents, inhabités, insaisissables. M. Gallardo s’adressait à tous, mais rarement à un élève en particulier. Je crois que nous le terrifions et je ne fus pas le seul à m’en apercevoir. Pauvre M. Gallardo. Ce que nous aimions par-dessus-tout, c’était nous servir de nos stylos comme de véritables petites sarbacanes. Au début, nous disséquions nos gommes pour en faire d’infimes, mais de vifs projectiles. Reçus sur la joue à pleine vitesse, ces minuscules boulets faisaient l’effet d’une sacrée piqûre. Le plaisir était intense lorsqu’ils venaient à cogner vigoureusement et par surprise, soit les fayots de la classe, ou alors, une nunuche écervelée, ou même, la pire des têtes à claques. Mais pour un temps, le plus amusant fut bientôt de viser le professeur sans même qu’il puisse le sentir et donc, s’en apercevoir. Pourtant malgré le challenge, ce jeu devint rapidement quelque peu ennuyant. En effet, il était bien impossible de déterminer avec certitude qui était le meilleur tireur. Il fallut assez vite agrémenter ce jeu de quelques variantes. Je ne sais lequel de nous trouva l’idée d’imbiber nos petits bouts de gomme d’encre indélébile, mais je lui aurai volontiers à l’époque desservi un prix ou une distinction pour avoir inventé la plus belle distraction de l’année. Nous adorions les pantalons clairs de M. Gallardo. Notre cible était vive et agile, mais surtout délicieusement aveugle et de surplus, probablement sourde. Nous avions tant de mal à retenir nos rires et nos larmes lorsque l’un d’entre nous réussissait à viser son postérieur. - « What’s going on ?! » s’écriait-il, totalement désemparé. J’étais tellement bête que je pensais que j’allais finir par mourir étouffé dans mon hilarité. - « What’s the english for…dans ton cul !? Do you know !? » Voilà donc ce que je n’osais pas dire et qui me traversait l’esprit. Pourtant, parfois, une part de moi n’était pas vraiment fière, mais je la faisais taire promptement car à chacun de mes tirs réussis, j’avais le sentiment d’exister plus encore dans le regard des caïds populaires de ma classe. J’existais enfin. Je n’étais pas encore aimé, mais on me regardait. J’étais un clown, j’étais quelqu’un. Certains admiraient mon pseudo courage et ma dissidence maintenant affirmée à l’égard de tous les adultes.
Qu’il était beau l’exposé sur Londres que M. Gallardo avait réalisé et affiché rien que pour nous dans le fond de sa classe ! Qu’il allait être amusant de l’anéantir ! Cet exposé comportait une carte de l’Angleterre nantie d’un point rouge pour localiser Londres. On pouvait y admirer de grands portraits de la reine Elisabeth, mais aussi de Charles et de Diana bien sûr. Bref, tout ceci était un formidable nouveau terrain de jeu composé d’un panel exceptionnel et très diversifié de nouvelles cibles, un peu comme un pain bénit tombé du ciel ! Terminé à présent les morceaux de gomme, place désormais aux majestueuses boulettes collantes de papier mâché, réservées spécialement pour ces monarques que nous méprisions tant. Dans un premier temps, nous utilisâmes nos sarbacanes munies de minuscules boulettes, puis nous décidâmes de les abandonner. Les résultats n’étaient pas assez probants. Ainsi, nous tranchâmes de ne plus utiliser nos stylos évidés pour l’occasion, pour élaborer des boulettes de plus en plus grosses, qu’il était alors possible de catapulter directement du creux de sa main. Nous allâmes jusqu’à mâcher des copies doubles, grand format, toute entière. C’était véritablement infâme. Je me souviens encore du goût du papier qui se mêlait à ma salive. J’avais parfois une forte convulsion au niveau de l’estomac qui me provoquait un haut-le-cœur. Pourtant, le jeu en valait naturellement la chandelle. Quel plaisir de voir l’Angleterre sous nos bombes gluantes et dégoulinantes de salives. Quel bonheur aussi pour celui qui réussissait à atteindre Londres sans même se retourner de sa chaise. Mais surtout quelle béatitude de déshonorer de la sorte la famille royale. Il ne fallut que quelques heures d’anglais pour massacrer le labeur de notre professeur, qui sur les faits, ne s’aperçut de rien.
Un jour, je ne me souviens plus qui d’Eric ou de Jérôme m’envoya l’une de ces énormes boulettes en plein sur la joue droite, mais je me souviens parfaitement à quel point il est difficile de réprimer un horrible fou rire alors qu’en même temps, il est impératif de refouler une redoutable envie de vomir. La boulette m’avait impactée de plein fouet et M. Gallardo ne pouvait heureusement voir que mon profil gauche. J’étais resté stoïque, presque impassible, complètement écœuré. Je sentais la bave dégouliner dans mon cou. Pourtant, cela n’avait aucune importance. Je venais d’emporter deux camarades, spécialistes de bévues en tout genre.
•••
Madame Paugame n’était pas une jolie femme. Avec ses cheveux bouclés, sans doute à peine arrangés, et ses petites lunettes rondes, elle avait un petit quelque chose de ma tante Marilyn. Madame Paugame était une vieille fille et nous l’avions appris. Avec ses vêtements très classiques et démodés aux couleurs terreuses, elle laissait percevoir un manque certain de confiance en elle. Et pourtant, elle avait un défaut bien plus impardonnable encore ; elle était habitée d’une insondable gentillesse. En effet, Madame Paugame paraissait s’être échappée d’un dessin animé fantastique ou d’un conte extraordinaire. Elle semblait débarquée d’un pays merveilleux, assurément très lointain. Lorsqu’elle apparaissait dans sa classe, telle une fée (pour le coup disgracieuse et rudimentaire) pourrait surgir d’une forêt enchanteresse et magique, la bienheureuse s’adressait aux préadolescents comme s’ils étaient de délicieux petits bambins complaisants et courtois. Hélas, Madame Paugame ne savait pas parler aux petits oiseaux, ni aux petites souris d’ailleurs, et encore moins aux biches à peine effarouchées. Elle enseignait l’allemand, cette langue dépourvue de douceur et de poésie. Ainsi, la bonne fée ou peut-être la méchante marraine de Madame Paugame, (probablement sa conseillère d’orientation au collège) qui sans doute lui avait recommandée de se tourner vers l’enseignement, lui avait alors ce jour là promulguée de biens mauvais conseils, ou pire, jetée un terrible sortilège. Je peux vous dire qu’elle a morflé. Dans sa classe, on pouvait compter sept ou huit élèves assis au premier rang qui espéraient entendre la voix doucereuse de l’infortunée. Pour la plupart des autres, les cours d’allemand était en quelque sorte le prolongement de la récréation. Le vacarme était insoutenable et retentissait dans tout le couloir. Aujourd’hui encore, je me demande comment une telle situation a pu perdurer aussi longtemps sans que jamais personne n’intervienne. Ses collègues ne sont jamais venus la secourir. Pour notre plus grand bonheur, l’indifférence était générale. Nous sautions sur les tables, jetions même des chaises et parfois, déchirions nos cahiers et nos livres. Dans cette folle ambiance et cette toute puissance, je n’étais jamais le dernier. Je ressemblais de plus en plus aux autres préadolescents. C’était encore la grande époque des montres à quartz aux sonneries stridentes. Avec mes camarades, nous les réglions pour qu’elles sonnent toutes en même temps, et pour ne pas nous les faire confisquer, nous les scotchions au-dessous de nos tables. Quand Madame Paugame finissait malgré tout par en dénicher une, l’élève inquiété lançait sa montre à un autre élève, qui en faisait autant, et ainsi de suite jusqu’à ce que la pauvre femme renonce et se remette à parler aux élèves du premier rang, dans une langue qui m’était totalement incompréhensible. Parfois dans ce brouhaha, pour nous distraire plus encore, nous allumions des cigarettes dans le fond de la classe et les laissions se consumer seules, suspendues elles aussi au-dessous de nos tables. Le pire dans cette histoire c’est que Madame Paugame semblait avoir pour moi une tendresse particulière. Elle tentait continuellement de me raccrocher à ses cours avec douceur et empathie. J’étais odieux. Je faisais semblant d’écouter et de participer lorsque je présentais les contrôles approcher. Etait-elle assez naïve pour y croire à chaque fois, ou se disait-elle tout simplement que la paix si difficilement acquise, l’était finalement, irrémédiablement ? Je ne l’ai jamais vraiment su, mais quand j’y repense aujourd’hui, j’éprouve encore un sentiment de honte.
Un jour, alors que le dernier trimestre n’était plus loin de toucher à sa fin, nous avions eu à la cantine des petites portions individuelles de fromage à tartiner. J’avais conservé la mienne dans ma poche avec l’idée d’en faire une imbécillité bien plus épatante ou valeureuse que celles habituellement consenties. A coup sûr, j’allais frapper fort pour paraître le plus idiot ou le plus fou du collège. C’était en quelque sorte le prix à payer pour pouvoir sortir du harcèlement la tête presque haute. Sans doute avais-je déjà saisis qu’il existe des personnes que nul ne se risque jamais à approcher. Il s’agit des fous. En effet, ces derniers dérangent, font peur, mais restent inabordables. En général, ils sont tenus à distance, mais tout de même amusent par leur étrangeté. L’idéal surtout, c’est que le monde entier semble se désintéresser de leurs souffrances. Ainsi, au summum de ma tyrannie et de ma toute puissance, j’avais choisi ce nouveau rôle. Le cours venait à peine de commencer lorsque je me décidai tout à coup à déballer le morceau de fromage. D’un geste assuré, alors qu’évidemment Madame Paugame avait le dos tourné, le petite portion de laitage vint s’éclater bruyamment au beau milieu du tableau noir. Les rires emportèrent toute la classe. Madame Paugame resta figée quelques instants, puis quitta la pièce promptement. Elle nous laissa ainsi seuls, avec notre stupéfaction. Sous nos yeux, sans doute venait-elle de craquer ? Le tumulte reprit alors de plus belle, quand soudain, le professeur réapparut accompagné par le proviseur. Le silence s’imposa aussitôt alors que je devins brusquement blême. Mon regard croisa celui de mon professeur. Je cru lire quelque chose de ce genre. - « Non Léo, je t’en prie, ne me dis pas que c’est toi ! » Mais soudain, le proviseur par des mots fermes et déterminés m’enferma plus encore dans ma détresse. « Nous allons vous laisser cinq minutes entre vous, le temps que vous puissiez identifier le coupable et qu’il puisse par lui-même se dénoncer. Celui qui a fait ça ne doit pas manquer de courage. Si personne ne venait à se dénoncer, il va de soi, qu’une punition collective tout à fait exceptionnelle serait alors prononcée. A tout de suite. ». La porte se referma et bien sûr, aucune solidarité ne fut envisageable. J’étais pris. J’allais devoir avouer mon crime et surtout tenter de ne pas perdre la face devant mes camarades. Le proviseur et Madame Paugame entrèrent à nouveau. - « Alors ? » interrogea-t-il ? - « C’est moi. » murmurai-je. Madame Paugame, comme prostrée et gênée, recroquevilla ses bras sur sa petite poitrine, et soudain abaissa son regard avec tristesse et culpabilité. Je traversai la classe, lâché par mes camarades, héros d’un formidable gâchis. Dans son bureau, le proviseur s’énervait. - « Pourquoi ? » La réponse résonnait en moi. - « Parce que les enfants sont monstrueux Monsieur le proviseur et que depuis toujours les adultes que je croise dans ma vie sont inconsistants. Parce que je déteste ma vie monsieur le Proviseur et que je suis malheureux. Parce que je suis une victime Monsieur le proviseur et que je me sens seul, seul à en crever. Parce que je me déteste Monsieur le proviseur, et que par-dessus-tout, je voudrais mourir, Monsieur le proviseur… » Mais aucun mot ne pu sortir de ma bouche. Je fondis en larmes, tel un enfant qui n’avait pas encore treize ans."
|
|