De drôles de santons

Date 01-06-2012 09:50:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées



LES SANTONS DE MON ENFANCE



Je vous présente les notables de ma petite cité, à une époque où nous n’avions aucune autre possibilité d’acheter quoi que ce soit sans passer par chez eux.
Bien plus tard, l’un d’eux m’a confié que le commerçant qui ne faisait pas fortune en cinq ans était vraiment un imbécile.




Le boucher Un homme corpulent et sanguin, de taille à déplacer un bahur tous les dimanches matin, chez moi, quand j'allais le chercher. Miraculeusement, le bahut devenait bouteille de blanc moèlleux qu'il sirotait en prenant son temps, s'interrompant parfois pour dire qu'il était pressé. Faisait de fréquents raids au bistrot, en tablier sanglant ( et sans glands ), en compagnie de son copain le mercier. Ils s’interpellaient mutuellement, de loin, et se rejoignaient au comptoir. C'était un très brave homme qui m'a beaucoup marqué, dans ma jeunesse: j'ai écrit quelques textes sur lui et sa boutique.




Le charcutier.Court sur pattes et clopinant, c'était un homme bourru qui avait le coeur sur la main. Il faisait penser à un valet de ferme ayant épousé la chatelaine. Pendant des années, il nous a offert les seuls boudins sans gras qu'il tolérait de fabriquer. Il avait table ouverte durant les longues pèriodes de grèves des années cinquante. Un émouvant brave homme.


Ti-bouc. Il voyait passer Le boucher et le mercier. Ti-bouc était notre coiffeur, sis, près du mercier. Il devait son appellation à sa barbichette, façon ’chèvre de Mr Seguin’. Doué d’ une soif inextinguible, il avait la langue qui collait au palais dès qu’ il voyait quelqu'un qu’ il suspectait d’ aller au tapis ( le bistrot ). Il démarrait alors comme une fusée, abandonnant son client, quel que soit l’opération en cours: coupe de cheveux ou rasage.


Le mercier. Lourdement handicapé par une femme particulièrement laide et acariâtre, il avait trouvé deux dérivatifs : le comptoir et les affichages nocturnes. Comme il était bien établi que les intérêts des commerçants ne pouvaient être les mêmes que ceux de leurs clients, ses affiches n’étaient pas du tout les mêmes que les nôtres. Une de nos distractions nocturnes étaient de le suivre, discrètement, la nuit, et de subtiliser ses affiches fraîchement collées pour les remplacer par les nôtres : nous n’avions même pas besoin de promener notre pot de colle !



Le tenancier du bar-tabac-journaux. Doté d’ une psychologie remarquable, il adhérait à toutes les idéologies de sa clientèle, c’ est dire qu il était censé avoir des idées de gauche . Mais il faisait sa tournée d’affichage la nuit, avec son acolyte le mercier. Lorsqu’ il retrouvait sa vitrine peinte en rouge, au petit matin ( il se levait très tôt, pour les calva des ouvriers ), il ne s’énervait jamais, avait son petit nécessaire de nettoyage et commençait patiemment le décapage qu’ il reprenait, par étapes, au fil du jour. Il ne faisait aucune allusions désobligeante durant la journée.



La boulangère. Bien trop gentille et naïve, pour un purgatoire comme le notre…Elle faisait du Kroum ( crédit ) en oubliant de marquer ! Elle a connu son heure de gloire la fois où, recevant la moitié d’ un billet en paiement, elle avait réfléchi longuement avant d’ en tirer le raisonnement logique que, s’ il y avait des numéros de série sur la moitié de billet, sa valeur restait la même. Devant l’affluence des moitiés de billets, elle est revenue au principe du billet intégral.

Son mitron était aussi un’ Ti-Louis ‘, un autre copain d’ école, qui ne voyageait que de son pétrin à la bouteille. Il s’est pendu très jeune, dans le fournil ,un jour qu’il était à jeun..



L’épicerie des deux sœurs. Supportant joyeusement leur excès de poids, on ignore si elles ont un jour mis le pied en dehors de chez elles. Elles passaient leurs journées derrière leur comptoir et entrouvraient, parfois, discrètement leur porte, le soir, pour le tout aussi discret passage d’ une ombre occasionnelle. Mon copain Ti-Louis, plus amateur de quantité que de qualité, avait parfois, certain matin, une alimentation plus copieuse qu’ à l’ ordinaire.



L’épicerie des taciturnes. Concurrents rancuniers des deux sœurs, le père, la mère et la fille nous le faisaient chèrement payer. Nous n’entendions leur voix qu’ à l’ occasion de l’annonce des tarifs et des’ ensuite ? ’ Leur système de carnets de crédit était si compliqué que peu de clients ont cherché à le comprendre.

Ont inventé une technique de pesage aussi juteuse que révolutionnaire: Ils avançaient les yeux, avec un intérêt démesuré, vers la flèche de la balance .Ce faisant, le client faisait automatiquement la même action, erreur fatale.. Au même instant la main droite, supposée tenir le bord du contenant pesé, avait l’auriculaire qui appuyait discrètement sur le plateau de la balance, avec une intensité inversement proportionnelle à la sympathie que le commerçant éprouvait pour le client . Aucun client ne leur paraissait sympathique..



Le pharmacien. Il avait l’inquiétante habitude de doser ses remèdes les lendemains de cuites, c’ est à dire chaque matin. Par contre, il apparaissait costumé, frais et dispos, le soir, à la nuit tombante. Il nous informait de son départ grâce a ses démarrages foudroyants sur les graviers de la route et abordait l’entrée de la nationale en faisant hurler ses pneus. Parfois, on l’entendait freiner violemment devant la boucherie. Le boucher, et son épouse en manteau de vison, montaient rapidement, comme pour ne pas être aperçu ( tu parles ! ) et ils disparaissaient jusqu’ au petit matin. Le rideau de la fenêtre du pharmacien, parfois, s’écartait discrètement pour un aussi discret regard d’une danseuse nue du ‘ Bahia ‘, du ‘ New Look bar’ où d’ailleurs, qui était venue en stage de formation chez le pharmacien. Durant ces périodes, sa vente de pilules montait en flèche. Dans l’espoir de voir son apprentie…



L’électricien. Avait récupéré un projecteur de DCA et nous faisait, occasionnellement, avec son copain le mécano, une séance son ( l’internationale ) et lumière qui amenait les gendarmes, alertés, dans les parages. Bien cachés, nous savions où. Tout l’art du spectacle résidait dans les déplacements aussi rapides qu’ inattendus du trait de lumière. Les plus passionnés d’ entre nous les rejoignaient en ayant la politesse d’amener quelque chose. C’était bu aussitôt.

L électricien avait disposé quelques étagères de matériel électrique, en fonction de l’espace disponible chez lui. Cela allait du couloir à la cuisinière, avec les articles les plus délicats au pied de son lit.



Le mécano. Il avait dépanné tant de fois mon Solex que je m’abstiendrai de tout commentaire à son sujet. Même si je n’ai pas apprécié, une courte période, d’avoir eu la même copine que lui, à mon insu.



Et puis je voudrais aussi avoir une petite pensée pour le charbonnier dont le vieux cheval partait et s’ arrêtait tout seul, comme s’ il communiquait par transmission de pensée avec son maître qui marchait à côté.

Le vitrier ,qui circulait entre les baraques, avec son châssis de vitres sur le dos et qui s’ annonçait : « Viiii-trier ! «

Le rémouleur, qui marquait des arrêts à trois ou quatre endroits de la cité et dont on annonçait son passage d’ une fenêtre à l’ autre.

La très volumineuse matelassière, qui installait son métier, sur demande, devant le garage du boucher, près de chez moi.

L’acheteur de peaux de lapins qui passait le lundi soir ( évident lendemain du dimanche ) et qui se signalait par son tonitruant : - « Peaux d’ lapins, pôôô..! «

Les marchands de god-fishes ( coquilles saint-Jacques ), de moules, de crevettes grises, avec leurs paniers devant leurs vélos.

Les marchands de produits de toutes natures, tombés du camion…



Tous ces commerces, je les ai vu s’implanter, puis disparaître l’un après l’autre.
C’était le temps où le lait se trouvait sous le pupitre du comptoir, où la crème s’achetait dans un bol qu’on amenait, où le sirop s’achetait au décilitre, les dimanches de gala
Le pain se vendait à la pièce ou au kilo, cest à dire : un pain de deux livres sur la balance , plus un bon morceau pour faire le poids ( le morceau était appelé 'la pesée' ). Le pain de quatre livres était le plus avantageux. Ils faisaient nos quatre-heures en larges tranches, avec de la confiture ou un morceau de sucre, selon le calendrier.
En Normandie, on parlait rarement en kilos, pour l’alimentation. C’était la livre, comme les Anglais. Ce qui faisait qu’un quart de beurre pesait 125 grs. C’est clair ?



Et vous ? vous vous souvenez des petites boutiques de quartier ?











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