Nuit blanche
Date 03-02-2015 10:53:20 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Clothilde a décidé d’écrire ses mémoires, elle en a des choses à raconter ! Avec tous les empêcheurs de tourner en rond qu’elle a supprimés, elle pense qu’elle mérite un peu de reconnaissance publique. Evidemment elle a bien conscience que ses agissements ne sont pas forcément appréciés de la justice. Elle ne comprend pas trop pourquoi, mais comme toujours il vaut mieux être prudente. Elle décide de prendre le pseudonyme d’Aileen, c’est une héroïne cinématographique qu’elle aime bien, une justicière comme elle. Mais l’inspiration ne vient pas. D’habitude la nuit est propice, mais pas ce soir.
Comment faire ? Clothilde a entendu parler de certaines substances qui dopent la créativité, elle en a récupéré dans les poches de cet idiot de voisin qui se prenait pour un musicien d’exception. Il lui cassait les oreilles nuit et jour avec ses compositions débiles. Avec ou sans drogue, il était toujours aussi nul. Où a-t-elle rangé ça ? Ah oui ! Sous une latte du parquet de son salon, sous le tapis. C’est là qu’elle cache ce qu’elle prend à ses victimes. Enfin « victimes », c’est vite dit, ce sont plutôt les gens dont elle a débarrassé la société ! Dans un sachet en plastique, il y a un petit carré de buvard vert, c’est un double face il paraît. Clothilde ne sait pas vraiment de quoi il s’agit, elle le laisse se désintégrer sur sa langue, et l’avale.
Rien ne se passe, Clothilde s’énerve. Il faut sûrement attendre un peu. Elle est détendue, et se sent bien, c’est toujours ça. Elle s’assoit à sa table, devant sa feuille blanche, le stylo en main. Tout à coup un oiseau cogne à la fenêtre, il veut rentrer, il lui explique qu’il a froid et qu’il ne supporte plus d’être exclu. Clothilde comprend le langage des oiseaux, elle est l’une des leurs, elle fait partie intégrante de la nature et de toutes les espèces animales. Le merle et la jeune femme se comprennent et échangent des impressions sur l’existence. On devrait écouter ces volatiles plus souvent, ils voient le monde de haut, ce sont de vrais philosophes.
- Ça nous change de tous ces abrutis si terre à terre que leur nez semble écorché par la bêtise crasse qu’il renifle sans cesse comme des crottes de chien laissées sur le trottoir !
Clothilde peut désormais sentir les arbres respirer, sa vue est devenue perçante, elle distingue les feuilles qui entourent les insectes, et les absorbent dans leur texture. Elle suit l’oiseau des yeux, il a repris sa route vers l’horizon. Le soleil apparait en même temps que la lune, c’est une nuit exceptionnelle. Une lutte sans merci a lieu entre les deux astres. C’est un spectacle magnifique mais qui peut s’avérer dangereux. Clothilde a une mission à accomplir, elle ordonne au soleil de se calmer, il aura tout le temps de briller quand son heure sera venue. Elle se sent comme la reine de l’univers, son pouvoir est extraordinaire, elle a droit de vie et de mort sur tous les êtres, elle va enfin pouvoir faire respecter sa loi. Elle met la main dans sa poche et quand elle touche le tissu de son jean, elle a un goût sucré dans la bouche, elle peut gouter avec le toucher ! Non seulement ses sens sont exacerbés mais en plus de nouvelles possibilités sont apparues. Le sol respire sous ses pieds. C’est la Terre toute entière qu’elle peut ressentir. Des arcs-en- ciel sortent de ses yeux, c’est très joli mais très encombrant, elle doit se frotter les yeux pour arriver à voir où elle met les pieds. La lune est ronde et brillante, elle lui montre le chemin. Clothilde sort dans le parc qui se trouve près de chez elle. Soudain, elle entend un arbre crier. Un clochard est endormi à son pied, il a gravé son nom sur l’écorce avec un canif émoussé. Clothilde entend la plainte déchirante du pauvre bouleau. Elle se penche vers le SDF et l’étouffe avec un des sacs poubelles qu’il traîne avec lui :
- Tu pollues ma nature ! Tu mérites la mort !
Elle continue son chemin et décide de cueillir des mûres, il y en a partout et elles disent :
- Cueille-nous, nous sommes délicieuses !
Clothilde n’a qu’à les effleurer pour sentir leur goût exquis.
Sur le sentier, un jeune homme qui n’a rien à faire dans un jardin public la nuit, jette un mégot, le bruit qu’il fait en tombant est assourdissant, les petits brins d’herbe crient de douleur en recevant le morceau de filtre sur la tête. Heureusement Clothilde a toujours sa sarbacane et ses fléchettes empoisonnées cachées dans la doublure de son sac Kelly. Elle a délicatement découpé le tissus aux couleurs d’Hermès, et fabriqué une petite poche secrète. Le garçon porte la main à son cou, et s’effondre. La jeune femme récupère son projectile, la police conclura à une crise cardiaque.
Un peu plus loin, la terre étouffe, de la peinture a été déversée sur le chemin. Clothilde suit les traces colorées et arrive près de la grille du parc. Elle aperçoit une femme qui s’éloigne et jette le pot vide derrière un massif. Une autre fléchette bien placée lui règle son compte.
En revenant sur ses pas, elle voit que des branches de bosquets ont été cassées. Dans un coin, un couple vide le coffre de sa voiture, ils sortent des vieux meubles, qu’ils décident de laisser là . Leur compte est vite réglé, encore deux nuisibles de moins !
Après toutes ces péripéties, Clothilde décide de rentrer chez elle, sa mission est accomplie, et ses mémoires vont être rallongées de quelques pages. Le problème c’est qu’elle n’a encore rien écrit. Comment rendre ses histoires de meurtres attrayantes ? Clothilde sait qu’elle œuvre pour le bien-être de l’humanité, mais quelques esprits tordus pourraient y voir des assassinats. Sur le chemin du retour, elle ne se lasse pas d’admirer les jolies couleurs qui l’entourent, les arcs-en-ciel sortent toujours de ses yeux, et lui font voir un monde encore plus merveilleux. Qui pourra avoir l’esprit assez ouvert pour comprendre sa vision des choses ? Qui peut avoir un regard neuf et non corrompu par le mal ?
- Les enfants ! Je vais écrire des contes pour enfants !
Cette solution est une évidence. Clothilde s’installe à sa table, elle prend son stylo qui s’est transformé en abeille, et écrit à l’encre de miel doré :
Il était une fois …
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