Léo (Extrait n°10)
Date 30-01-2015 22:50:37 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| "Roger avait d’abord eu deux filles avec ma grand-mère biologique que je n’ai jamais connue. La première Bleuette, et la seconde, Marie. Bleuette, malgré son improbable prénom décrocha un rôle assez important dans ma vie. Je ne sais plus le jour exact où elle est réapparue, mais petit à petit, elle s’est rapprochée de mes parents adoptifs. Assez régulièrement elle venait à la maison et me couvrait, ainsi que Flora et Kamel, de nombreux cadeaux. C’était sa façon à elle de nous aimer, sans tendresse ou fioriture. Sans jamais me prendre dans ses bras, ou même m’embrasser, malgré tout, elle est devenue « Tata Bleuette ». Pourtant, je crois souvent l’avoir aimée comme elle m’a toujours aimé, sans tendresse ou fioriture…
A l’époque, Bleuette était fluette. Elle était fringante et sentait aussi bon que ses parfums qu’elle s’achetait dans des boutiques à Paris. Aujourd’hui encore, elle garde un joli visage, malgré des traits assez masculins hérités de Roger, que l’on peut aisément reconnaître. Bleuette est une femme cultivée. Elle lit beaucoup. Elle sait l’Histoire, la littérature et la musique classique aussi. Mes parents, eux, n’en savent presque rien.
Après toutes ces années passées, elle reste une femme infiniment endurcie. Je l’ai toujours connue vivre seule, sans homme, ni femme d’ailleurs. Bleuette n’a jamais eu d’enfant. Avant de prendre sa retraite, elle exerçait en tant qu’aide soignante en région parisienne. Lorsque Bleuette parle de son enfance, elle n’évoque que de la souffrance. Ainsi, elle raconte le froid et des pleurs, mais aussi sa petite sœur dont elle devait constamment s’occuper seule, alors que souvent leur mère disparaissait dès l’apparition de la nuit. Elle se souvient aussi de ses grosses chaussures trop petites et percées qui lui meurtrissaient affreusement les pieds.
Parfois encore, Bleuette évoque sa mère qui était alcoolique, absente et mal-aimante. Lorsqu’elle parle de Roger, son père, on perçoit rapidement l’homme rigide, coléreux et froid qu’elle semblait craindre plus qu’elle ne pouvait l’aimer. Pour son première enfant, Roger voulait un fils. A la place, il eut une immense déception ; Bleuette. Celle-ci dut alors grandir rudement, sans amour.
Quelques fois devant moi, Bleuette a pu furtivement évoquer sa sœur, donc ma mère, Marie. Sans laisser croire que je prêtais une attention particulière à ses paroles, je retenais précieusement chacun de ses mots.
- « Elle était toujours malade. C’était son cœur. Lorsqu’elle était petite, tout le monde a cru qu’elle allait mourir. Après, elle ne faisait que se plaindre continuellement pour attirer l’attention. D’ailleurs, Papa n’avait d’yeux que pour elle et il lui achetait de jolies robes. Je me faisais toujours engueuler à sa place. En plus, c’était une menteuse et une fainéante ! Seule avec mon père, j’ai du aider à construire la maison à Hautefeuille ! »
Il est évident que ces deux sœurs n’ont pas eu une enfance heureuse, loin de là , mais au lieu de se rapprocher, la misère les a déchirées.
Bleuette me disait ne plus parler à Marie depuis que cette dernière m’avait abandonné. Aussi, elle s’était fâchée avec son père.
Je me souviens qu’une autre fois, Bleuette m’avait dit : - « Lorsque tu n’étais qu’un tout petit bébé, Marie était venue avec toi dormir cher Roger. Tu avais quarante de fièvre et tu faisais des convulsions. J’ai bien cru que tu n’allais pas survivre. Ta mère ne s’est même pas levée, je l’ai fait à sa place. Je me suis occupée de toi toute la nuit. Je t’ai veillé.»
Bien plus tard, j’ai cru saisir qu’une partie des tourments de mon histoire avaient sans doute commencée à prendre racine dans la jalousie cruelle que s’était jurées ces deux sœurs.
Bleuette m’a aussi parfois rapporté d’attrayantes informations au sujet de mon véritable père, Philippe. Elle n’était pas vraiment précautionneuse.
- « Ah ça, pour collectionner les salauds et les tarés, elle n’était pas malade. Et ton père, ce pauvre type, ce bon à rien, cet alcoolique, je me demande bien ce qu’elle pouvait y trouver ? » Ainsi, j’étais renseigné, sans ne jamais rien questionner. De toute façon, je n’ai jamais osé demander quoi que ce soit à Bleuette concernant mon histoire. Lorsqu’elle en lâchait quelques bribes, elle terminait toujours sa phrase en me disant : - « Il y a des choses que tu finiras par savoir, plus tard… »."
|
|