Coup de pouce forcé
Date 03-01-2015 19:57:55 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Réponse au défi de Donald :
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Mes oreilles bourdonnaient, mon crâne cognait et tout mon corps était douloureux comme si un troupeau de chèvres était passé sur moi. J’ouvris peu à peu les paupières et découvris un plafond à la couleur verte écaillée, sûrement en raison de l’humidité des lieux. Je n’étais pas dans mon appartement, ni dans aucun lieu que je connaissais. Une odeur étrange assaillit mes narines, un mélange d’épices, de désinfectant et de remugle. Je m’assis et constatai que j’étais allongée sur un lit de camp de fortune qui se trouvait le long du mur d’une cellule éclairée par une minuscule fenêtre à barreaux. Je lançai un « Hello ! » qui résonna et se répercuta sur les parois nues et sales de ma geôle. Un profond sentiment de peur m’envahit et je répétai l’opération en criant de plus en plus fort.
Au bout de quelques minutes, un homme à la taille modeste, portant un long tablier blanc maculé de taches, s’approcha de la porte de ma cellule. Il me sourit et entama un long monologue. Je ne comprenais absolument rien à son charabia débité dans une langue qui m’était inconnue. Les sonorités me semblaient être russes mais je n’en aurais pas mis ma main à couper. Comme je ne réagissais pas à ce que je pensais être des questions, mon interlocuteur repartit d’où il était venu. Je me précipitai contre les barreaux et supplia en français, en anglais et en néerlandais, les trois seules langues que je maîtrisais, qu’il me fasse sortir de là .
Mon geôlier revint quelques minutes plus tard avec un ordinateur portable. Il me montra d’abord un visage numérique qui ressemblait étrangement au mien, tout en baragouinant quelques explications. Ensuite, grâce à Google Map, il posa son doigt sur un petit pays situé au Nord de l’Europe. Je ne pus en lire le nom car l’alphabet m’était aussi inconnu que la langue. Il tapota sur son clavier et le moteur de recherche évoqua le Mochbekistan. Quel était ce pays dont je n’avais strictement jamais entendu parler auparavant ? Il faut dire qu’avec toutes ses petites communautés qui demandent leur indépendance, on finit par ne plus suivre l’actualité.
Mais je ne voyais toujours pas le lien avec moi ! L’homme me passa ensuite un diaporama de photos de famille. Au fil des images, je constatai que, si les hommes n’y étaient pas des canons de beauté, les femmes étaient toutes plus affreuses les unes que les autres. Leurs visages étaient difformes, leurs dos voûtés, même chez les plus jeunes, leurs jambes inégales. Quelle malédiction pouvait bien toucher ces pauvres malheureuses ?
L’homme m’exposa finalement une sorte de projet scientifique. Je vis défiler des formules mathématiques, des schémas chimiques. Il semblait passionné par son sujet. À la fin de son discours, il me pointa du doigt avec un grand sourire. Devais-je comprendre que je faisais partie de son projet ? Mais on ne m’avait rien demandé !
Peu à peu, mes souvenirs remontaient à la surface. Je me rappelai être dans le magasin, je bosse dans un «Lola et Liza » sur Bruxelles. Un client à la dégaine particulière et à l’accent étranger très marqué m’avait demandé une taille particulière qui ne se trouvait plus en rayon. Je lui avais répondu que je devais voir dans la réserve, à l’arrière du magasin. Face aux étagères de stock, je tendis les bras vers une boîte située en hauteur et le choc ! Je supposai qu’ils m’avaient assommée, histoire de me transporter aisément jusque dans ce bled perdu au bout du monde. Mais que voulaient-ils de moi ?
L’homme se mit à taper frénétiquement sur son clavier usé. Lorsqu’il eut terminé, il tourna l’écran de l’ordinateur vers moi. Notre ami Google allait nous servir d’interprète. Toutefois, la traduction n’était pas des plus limpides : « Vous avez tête commune du type. Les femmes de l’ici sont laides, bêtes et impossible cuisine. Nous sommes besoin aide pour changer. Vous être à manger, dormir, argent. Quand fini, libre. OK ? »
Je répondis « Je veux partir » que je tapai dans la barre et demanda de traduire. L’homme écrivit « Pas choix ». Je réfléchis et notai « D’accord. Quel salaire ? ». Il me nota un chiffre ridicule. Je pensai que le niveau de vie devait être bien bas ici. Je n’avais pas trop le choix. Prisonnière dans un pays étranger, loin du mien, sans possibilité de contacter qui que ce soit, je n’avais aucun moyen de pression. Je supposais qu’un avis de recherche serait lancé et qu’on finirait par me retrouver. Si le projet avançait vite, je partirai rapidement. Je ne savais pas ce qui m’attendait mais je serrai la main moite du scientifique, ravi.
La première semaine fut consacrée à des tests d’aptitude, de Qi et sanguins. Ensuite, on me bourra de toutes sortes de vitamines et minéraux et on me préleva de grandes quantités de sang afin de procéder à je ne sais quelles manipulations génétiques. Je ne pouvais pas sortir du laboratoire, qui était situé en sous-sol, mais j’avais l’autorisation d’y circuler librement. On me nourrit avec des plats locaux. Je découvris des saveurs totalement inconnues comme le ragoût de phallus d’ours, des pelmenis, le tout arrosé de kvas, une boisson qui réchauffe même par moins trente ! Les mois passèrent, sans que je ne m’en rende vraiment compte. Est-ce que mes compatriotes s’étaient rendu compte de mon absence ? Lorsque je raconterai tout cela à mes collègues, elles n’allaient pas me croire. Je pourrais enfin concurrencer Béatrice qui part au soleil des tropiques chaque année et ne manque pas de s’en vanter jusqu’aux vacances suivantes. Avec mes bronzages de la mer du Nord, je ne pouvais rivaliser.
J’eus aussi droit à des cours de langue locale, le Youkaguir. Rapidement, je parvins à tenir une conversation ; ce qui me permit de découvrir un peu ce pays et les raisons qui avaient poussé leurs ressortissants à me kidnapper. Ainsi, depuis des générations, les femmes autochtones étaient devenues de plus en plus laides, bêtes, incapables de cuisiner et de s’occuper des enfants. Cet appauvrissement génétique posait de graves problèmes au niveau social. En effet, les hommes étaient obligés de faire face à l’ensemble des tâches ménagères ainsi que ramener de quoi faire bouillir la marmite. Le scientifique au tablier sale s’appelait Toujourginov. Il eut l’idée de prendre une femme-type dans un pays européen et d’intégrer un peu de son ADN à celui des femmes mochbekistanaises. Il avait effectué des recherches et sorti les visage-types de femmes de divers pays d’Europe. Après un rapide vote du Sénat local, il fut décidé de prendre un cobaye issu de la Belgique. Et il s’avéra que mon visage se rapprochait le plus de l’image stéréotypée. C’est ainsi qu’ils prirent l’option de me kidnapper, sans trop demander mon avis. Mais il semble de toute façon que les femmes n’aient pas grand-chose à dire dans ce pays assez machiste.
Un matin, le professeur vint m’annoncer que l’expérience était un franc succès et que je serai libre bientôt. Il m’invita à sortir du laboratoire pour faire un tour en voiture dans les rues de la capitale. J’entrai dans une vieille 4L qui démarra après plusieurs tentatives. Je vis déambuler dans les rues des clones de moi-même. C’était un peu étrange. Toutes ces femmes étaient devenues mes sœurs jumelles, et elles semblaient heureuses. Les hommes n’avaient plus honte de parader au bras de leur épouse qui veillait enfin à leur marmaille.
Je fus conduite devant le Président, un certain Sémwalchev. Ce dernier me remercia chaleureusement et commanda sur-le-champ une statue à mon effigie. Il me nomma citoyenne d’Honneur, ou plutôt « donneur » pour avoir beaucoup donné de ma personne. Un chèque avec un montant dérisoire, au vu de mon investissement personnel, me fut remis. Je décidai de l’investir sur place. Ainsi, je créai ma ligne de prêt-à -porter féminin. Comme toutes les femmes avaient les mêmes goûts que moi, je remportai un succès fulgurant. Le pays changea même de nom et devint le Delphinistan. Si vous souhaitez un jour me rendre visite là -bas, cherchez la seule femme qui sache cuisiner de vraies frites belges !
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