ambitions et manipulations

Date 27-12-2014 11:14:14 | Catégorie : Nouvelles


Ambitions et manipulations




Me voilà dans une situation que j’ai pleinement méritée. La main droite sur le coran, je prête serment devant une audience curieuse et bondée.
Le juge, un homme proche de la retraite, examine mon allure. Sa robe noire impeccable l’oppresse, ses sourcils se renfrognent et sa gestuelle le trompe. Le président a l’air embarrassé.
A l’extérieur, une foule hostile scindée en deux par la police nerveuse, atteste de son mécontentement. D’un côté, les partisans de l’accusé, venus en masse, expriment leur soutien indéfectible, tandis que de l’autre, les sympathisants des familles abusées, en plus petit nombre, tentent de faire entendre leurs voix.

La ville d’Agadir ne semble pas faite pour ce type de rendez-vous. Ses habitants, d’origine berbère, ne sont pas habitués à faire la une de la presse.

L’air est humide dans ce tribunal, chacun essaye à sa manière de se soulager de cette accablante chaleur.
Je m’appuie sur la barre pour m’asseoir, mon front perle et mes jambes sont prêtes à lâcher. Le regard volontairement piqué au sol, je n’ose parcourir les visages familiers et par-dessus tout, rencontrer le coup d’œil pesant du maître.
Mes premières syllabes peinent à jaillir. Le stress envahit mon gosier et un silence fragile plane dans ce tribunal. Ma déposition risque de lui être fatale.


Tout a commencé,

dans une petite banlieue du nom de Drarga, non loin de la ville d’Agadir. Je m’y rendais sous l’invitation de mon ancien ami musicien Mourad, reconverti en apiculteur.
Il me reçut pour le déjeuner dans sa nouvelle demeure, une sorte de crémaillère à la marocaine : une table ronde de doigts habiles autour d’un bon tajine aux pruneaux.
Je trouvais ce lieu magnifique et dépaysant, une sorte de petit village résidentiel entouré d’arganiers, un peu loin de la ville certes, mais le calme réparateur en valait la distance. Seules les mélodies des chardonnerets dansant, autour d’un carnaval de couleurs de bougainvilliers, nous accompagnaient dans nos discussions nostalgiques.
Avant d’entamer le tajine qui terminait sa cuisson sur le « kanoune », le voisin de Mourad, Farid se joignit au festin. Cet homme, d’une cinquantaine d’années, arborait une timidité pudique.
Les présentations faites, je constatais que Farid parlait un français sans accent.
Tout au long du repas, cet individu m’intriguait. Il s’exprimait lentement et ses mots percutaient mon esprit.
Jamais de ma vie je n’eus à faire à ce genre d’aura, son énergie enveloppait toute la pièce.

Afin d’assouvir ma curiosité, je bombardais de questions Mourad. J’appris qu’il exerça à Montpellier en tant que chercheur sur différentes études, liées à la psychologie du cerveau humain, plus précisément : la stimulation cérébrale.
Mais la baraka du scientifique dériva. Du jour au lendemain, sans être averti, on l’évinça du projet après plusieurs années de bons et loyaux services, à mi-parcours d’une découverte de grande importance. Quelques semaines plus tard, son titre de séjour expira.
Il dut regagner son pays et s’enferma dans un mutisme pendant plusieurs années.

Aujourd’hui, il écrivait des livres sous « X ». Il était la plume de l’ombre d’un docteur en psychanalyse, une vedette des plateaux télé. D’un commun accord, il bénéficiait d’un virement par « Western Union » chaque trimestre. Ces transferts lui permettaient de gagner sa vie et de soigner sa mère souffrante, qui devait continuellement faire de la dialyse.
Etant fils unique et ses parents d’un âge avancé, Farid se consacra à eux, sans pour autant fonder sa propre famille. Une existence languissante où il restait cloîtrer dans cette maison familiale ayant pour seule sortie, les cinq prières à la mosquée et l’épicier du coin pour se ravitailler.

Il aura fallu une grande ténacité à Mourad, son voisin, pour que l’homme se confie enfin au cours des trajets à la mosquée. Ils fréquentèrent le même lycée durant leur jeunesse, un lien qui a su garder son importance pour que sa langue se délie.
Maintenant, il leur arrivait tous les deux de se retrouver autour d’un thé à la menthe au café du coin ; je m’invitais dès que mon emploi du temps me le permettait. Je buvais ses paroles comme un homme égaré depuis plusieurs jours dans le désert, sauvé par une oasis tombée du ciel.
Sa spiritualité me transcendait, ses références riches et multiples passaient du bouddhisme à l’ésotérisme en empruntant de nombreuses sagesses islamiques. Farid positionnait sa pensée dans un concept concentré et bien dosé : l’homme expérimentait une nouvelle voie stimulante pour être en paix avec son âme et nous étions aux premiers rangs.
J’estimais que ce serait un gâchis de ne pas faire profiter son savoir à un plus large public. Etant le cadet de ce trio et le dernier venu, je devais être persuasif. J’attendais le moment opportun pour soumettre ma suggestion. Farid, de nature distant et Mourad méfiant, la partie s’annonçait laborieuse.

Avec du temps et une patience d’érudit, Farid se prêta à ma requête, alors que Mourad, à mon grand étonnement trouvait le principe intéressant. Je poussais l’idée de le filmer pour le dévoiler au reste du monde.



Au Tribunal, après trente minutes d’interrogations,

Tout le monde semble à bout, pour ma part, je n’arrive pas à me détacher du bruit incessant des ventilateurs, qui ne brassent plus que de l’air chaud. Ma bouche est pâteuse, les questions me fatiguent.
L’avocat des victimes suit le plan sans surprise, mais le rival, assis au bout, le visage raide, analyse le moindre de mes dires en les inscrivant sur son calepin. J’appréhende son intervention.
Soudainement, une détonation se fait entendre ! En réalité, c’est un ballon gonflable venant de nulle part qui vient d’exploser puis, instantanément de l’autre côté de la salle, un homme se lève brusquement de sa chaise, pointe son doigt dans ma direction et crie à en perdre ses cordes vocales :

« - Et toi là-bas, tu n’es qu’un sale traître ! Oui un sale traître ! L’ange de la mort ne tardera pas à frapper à ta porte ! »
Après ce coup de théâtre, un brouhaha de salle se manifeste, comme pour extirper la panique due à cette succession d’événements improbables.
Le président, sidéré, muni de son marteau, se déchaîne sur le tas pour rétablir l’ordre. Des gardiens craintifs surgissent et neutralisent le perturbateur.
Le juge décide de nous accorder une pause d’une quinzaine de minutes pour apaiser ce climat tendu.
Seul, à l’extérieur, dans un coin en retrait, la peur au corps, je m’embrase les poumons et ressasse nos débuts approximatifs.


Notre première vidéo fut épouvantable,

le son et l’image, une débâcle, la prestation du professeur, une calamité. Le fait de le filmer créa en lui une panique et il perdit tous ses moyens.
Le lendemain, on se remit à la tâche. Je pris l’initiative de mettre en valeur Farid : une tunique blanche bien repassée, sa barbe grisonnante, taillée en pointe, il avait l’allure d’un fakir. Je me rendis à la droguerie pour acheter deux projecteurs puissants, inspirés par des petites astuces, piquées la veille sur des tutoriels, qui me donneraient un meilleur rendu à l’image.
Farid se posa quelques minutes pour se concentrer en effectuant des exercices de respiration empruntés au yoga. Le professeur affichait une meilleure mine.
Le Smartphone en position caméra au centre, les projecteurs tapant sur le professeur, une lumière spirituelle se dégagea. Son discours reprenait forme avec vigueur, le choix de ses mots saisissants vous transportait. Les paroles d’amour et de paix apportaient une quiétude qui vous transcendait. Ses mains accompagnaient son propos pour effectuer une danse envoutante, l’auditeur ne pouvait qu’être sous l’effet d’une hypnose.

Jamais, je n’aurais cru que la vidéo faite avec des moyens plus que rudimentaires, mon Smartphone intercalé entre deux bouquins, posé sur un grand tabouret (mon trépied d’infortune) et deux projecteurs de jardins, aurait eu un tel impact sur « You tube » :

L’exhortation mise en ligne sur le net, atteignit, en l’espace de quelques heures, le nombre de mille vues. Le lendemain, on en était à dix-mille et pour finir la semaine à quatre-vingt-quinze-mille vues.
Les commentaires affluaient de tous les horizons. Les fidèles internautes proclamèrent le professeur Farid, « Maitre Fah ».

Très rapidement, par cette dynamique, j’aperçu le potentiel qu’on pouvait en tirer. Mourad, quant à lui, un peu plus distant, suggéra d’éviter toute précipitation.
Maitre Fah semblait être animé par une volonté de diffusion plus importante, et de ce fait, il me rejoignait. Du reste, les demandes incessantes d’hommes et de femmes voulant approcher le maître pour recevoir de vive voix ses enseignements, abondaient. La nécessité de lever des fonds afin de créer une structure comportant un lieu de rencontre s’imposait à nous.

Je détenais un petit snack en ville près de la gare routière. Ces derniers temps, le chiffre d’affaire dégringolait par mon manque de présence et d’implication. Je pris les devants et le mis en gérance pour me focaliser sur ce nouveau projet palpitant.
Nous formions une bonne paire, je m’investissais sur toute la logistique et le maître s’immergeait sans aucune contrainte à la création d’une nouvelle œuvre.

Telle une abeille qui butine, il piochait les nectars de toutes ses lectures et références pour nous pondre le manuel qui devrait accompagner tous les disciples par la suite, au titre évocateur «Secrets dévoilés».
En possession d’une somme conséquente, envoyée par nos fidèles donateurs via le site internet, nous nous sommes mis à la recherche d’un terrain pour la création du centre.

Suite aux recommandations du professeur pour ne pas trop attirer l’œil, nous nous retirions dans un petit village en hauteur, non loin des fameuses cascades d’Imouzzer. Une idée ingénieuse de Mourad l’apiculteur : une exploitation agricole en pisé avec des petites chèvres, des ruches et du thym à profusion, un lieu idéal, rempli de charme pour les retraites spirituelles.
L’accès semblait difficile mais maître Fa y tenait. Nous nous y installions avec nos familles. Une petite confrérie naquit.
L’expérience était formidable et jouissive, j’ouvrais une nouvelle page dans ma vie.
On dû faire des travaux d’aménagement : une adorable maisonnette pour le maître, une salle de conférence, une petite mosquée et quelques bungalows pour accueillir nos disciples qui contribuaient à l’essor de la pensée de Maître Fa.
Je me procurai des caméras et du matériel de haute définition pour faire un petit studio d’enregistrement, afin de diffuser sur tous les réseaux sociaux des vidéos professant les sagesses du maître.
D’emblée, ces transmissions à grande échelle donnaient des résultats. Le Cheikh captait la faille spirituelle des occidentaux en offrant une voie adaptée à leurs manques : un islam du cœur vidé de toutes pratiques contraignantes. Le maître soufflait son secret aux âmes sincères en étant un pont entre la réalité divine et notre propre réalité.
De nouveaux individus se réclamaient de la doctrine du guide spirituel et les places au centre venaient à manquer. La ferme mitoyenne fut achetée pour agrandir notre domaine, fraîchement nommé « le centre de l’élévation ».
L’argent coulait à flot, grâce notamment au livre du maître devenu un best-seller. En tant qu’administrateur, je réinvestissais les sommes pour l’essor du centre, dans le but de faire fructifier l’argent pour optimiser notre confrérie, qui tambour battant, prenait l’allure d’un petit empire.
Je pris la liberté de me verser un salaire mensuel et j’ouvris un compte bancaire personnel pour notre guide. J’estimais que nous méritions cet argent vu notre implication totale à la cause.

Les disciples, quant à eux, développaient une fascination grandissante. Maître Fa créa un cercle restreint qu’il nommera par la suite « les compagnons du secret ».
Il affichait une certaine fierté d’être adulé des occidentaux, une sorte de pied de nez à son passé.
Pas à pas, un protocole s’installa auprès du guide spirituel. Sandrine sa chère fervente disciple, organisait son emploi du temps et bien d’autres choses. Etant moi-même le co-fondateur de la confrérie, je devais passer par son agenda.

Mais un nouveau venu dans la cour du roi m’intriguait. Un homme, passé la quarantaine, d’origine sahraouie, s’installa à proximité de la demeure du guide. On bâtit, sans me consulter, une pièce indépendante, privée de toute lumière extérieure : une sorte de tanière. Personne, à part le maître, n’avait le droit de roder autour.
Ce sahraoui, tel un vampire, ne se montrait que la nuit. Quand je le croisais, mon corps se pétrifiait. Ongles longs, cheveux ébouriffés et l’hygiène déplorable, il avait l’allure d’un toxico.
Cet indigent laissait, chaque soir, à Sandrine une liste de course spécifique : des rats, des poulets, des pattes de paon et j’en passe. Il procédait à des offrandes sacrificielles.

Un matin, saisi par ma curiosité dévorante, j’allais m’entretenir auprès du guide au sujet du sahraoui. Sa réaction me propulsa dans mes retranchements. Je décelai un trait du caractère du Cheikh insoupçonnable à mes yeux : une attitude méprisante à vous glacer le cœur. Après cet inconvenu, il me sembla que la confiance du guide à mon égard chavirait. Je pris cette altercation pour une sorte de contrainte, dû à la fatigue de ces derniers mois.
Conscient que son public était en attente de sensations fortes pour légitimer son adoration, il s’échappait du maître invraisemblablement sous pression, de fougueuses colères en cercles restreints. Il lui arrivait même de se donner, secrètement, à des séances de cannabis pour évacuer le stress. Mais face au second cercle et au reste des fidèles, il restait ce sage absolu qui le distinguait.
J’aurais dû quitter le bateau lors de la première alerte, quand Mourad se confia à moi, un soir d’été avant un énième arrivage de fidèles.

« - Karim, je peux te faire une confidence ? »
« - Quelle question ! »
« - Frère, je crois que je ne vais pas tarder à quitter cette aventure. Je ne m’y retrouve plus depuis ces changements. Ça a pris des proportions hallucinantes. »
« - Hors de question de leur laisser tout ce qu’on a accompli ! Mourad. »
« - C’est bien ce que je pensais, toi, c’est la réussite qui t’aveugle ! »
« - Je ne te permets pas! »
« - Le maître m’écœure et tu es en partie responsable. C’est bien toi qui l’as sorti de sa solitude, et là, il se prend pour un prophète illuminé avec son sorcier sahraoui ! »
« - Je ne te suis plus là ! »
« - C’est ça ! Et ces deux mères qui ont quitté la confrérie, en se plaignant que le guide s’enferme avec leurs enfants quelques heures, pour soi-disant, méditer sur leur saine pureté !
« - Ce sont des ragots ! De la pure jalousie, c’est parce que le maître les a exclus du premier cercle ! »
« - Moi je me casse, un point c’est tout. Je préfère revenir à mes abeilles et méditer auprès d’elles !
« - Tu es fou, tu vas perdre la bénédiction du maître pour ton salut. »
« - Karim, réveilles-toi bon sang ! Sache que je ne crois qu’à un Dieu et ne l’associe à personne ! Et, Farid n’est qu’un gourou qui m’a subtilisé trois ans de ma vie ! Basta frère, je lève les voiles avec ma famille ! »

Mourad tourna ses talons et me laissa, piqué au sol, encerclé par ses paroles. Le lendemain, il s’absenta avec toute sa famille en prétextant que son père était mourant. Depuis ce jour, il disparut dans la nature et ne donna plus signe de vie.
Il n’aura pas fallu beaucoup de temps pour que les cloches du changement sonnent à nouveau. J’allais vivre les moments les plus humiliants de ma vie.
Sandrine, me prit un matin en aparté, pour m’informer des dernières directives de maître Fa :

« - Karim avant toute chose, je tiens, au nom de toute la confrérie, à te féliciter pour tous les efforts que tu as effectué jusqu’à présent. Le guide spirituel ne cesse de te faire des éloges, en comité restreint, sur ta capacité de travail et la polyvalence de tes efforts. »
« -Merci, Sandrine, mais je ne vois pas où tu veux en venir. »
Son air grave et sa posture ne s’harmonisait pas à ses premiers jets vocaux de flatteries. Je m’attendais à une future zone de turbulences, un revirement de ton. La suite me donnera raison.
« - Comme tu peux le constater, la confrérie ne cesse de se développer. Nous pensons qu’il faut se professionnaliser davantage, notamment dans le domaine clef de la trésorerie. »
« - Vous voulez m’évincer c’est ça ? »
« - Pas du tout, nous estimons, à juste titre, qu’un comptable hautement qualifié serait nécessaire. Karim, chacun a ses limites. Favorisons l’intérêt général de notre confrérie. »

La situation ne pouvait être plus claire, le pouvoir changeait de main. On me poussait gentiment au couloir. Les clefs du coffre me furent retirées, en faveur d’un petit technocrate en costume, quittant sa vieille Europe : Alejandro, la trentaine, ancien loup de la finance. Ce coincé à la recherche d’exotisme, se prit brusquement d’amour infini pour le guide spirituel.

Je guettais ses faits et gestes à la loupe, en espérant une erreur pour satisfaire mon ego. Mais ce bougre s’y prenait comme un tueur à gage. Il ciblait ses proies pour les viser à la tête, oui ! À la tête du client.
Dorénavant, chaque offrande disposait d’un barème spécifique : les professions libérales, un montant propre, les cadres et les chefs d’entreprise, un autre tarif, les proches du pouvoir, des faveurs exceptionnelles.

Tout ce petit monde en file indienne, déposait à Alejandro les enveloppes qui lui correspondaient avant de se blottir dans les bras du maître pour recevoir la baraka. Quant aux derniers, ceux qui clôturaient la file, les pauvres gens vidaient leurs poches de pièces dans les boites en fer du centre de l’élévation en se contentant de recevoir les bénédictions à distance.
Ce système fonctionnait à merveille. En l’espace de quelques mois, les résultats se ressentaient dans l’allure fière de sa démarche. En guise de récompense, Alejandro eu le droit à de réguliers apartés avec le guide.

Par contre, mon salaire baissa significativement. Une insulte à ma personne ! Ils convoitaient mon orgueil pour que je claque la porte. Je n’en dormais plus. Inconsolable par ma femme, je vivais ce putsch comme une trahison.
Je commençais à prendre des distances avec la confrérie. Mon temps libre me permettait d’observer ce qui se tramait dans « le centre de l’élévation ». Plus on me dénigrait, plus mon sens critique se développait. Je réagissais à mes agressions en remettant tout en cause.
En poussant la réflexion, j’éprouvais une forte sensation de dégoût vis-à-vis de ma propre personne. Je culpabilisais, tel le docteur Frankenstein devant sa création. Indéniablement, je fus l’inspirateur et l’initiateur de cette confrérie qui se métamorphosait gentiment en secte.
Avec recul, je réalisais le poids des mots de Mourad. L’appât du gain m’aveugla.

En passant par les cuisines, je fus une nouvelle fois surpris. Le sahraoui y rodait et je le pris en flagrant délit. Muni d’une petite bouteille, soigneusement camouflée à l’intérieur de sa manche, il déversa furtivement dans chaque marmite une préparation maison.
J’en conclus, qu’il droguait les fidèles, afin d’être sous hallucinations devant le maître Fa. Ces excitants créaient aussi des effets secondaires sur leur sommeil : de l’insomnie pour mieux les lobotomiser.
Tout s’emboitait dans ma tête. Je saisissais mieux l’attachement du gourou auprès du charlatan. Je me devais par n’importe quel moyen de déconstruire ce système machiavélique.
Quant à ma femme, son instinct maternel reprit le dessus. Rachida souhaitait revenir à son ancienne vie pour scolariser nos enfants dans un cycle normal. Je me résolu à quitter le centre. Personne ne me retenu.



Retour au tribunal …..

Ma pause terminée, je regagne ma place de témoin à la barre. J’appartiens désormais à la défense. L’avocat se lève délicatement, son calepin à la main. Il rode autour de sa proie. Le calme est absolu.
« - Dites-moi Karim, vous étiez à la genèse du concept. »
« - Oui. »
« - C’est en quelque sorte votre bébé, ce « centre de l’élévation », n’est- ce pas ? »
« - Je ne vois pas où vous voulez en venir. »
« - Répondez par oui ou par non, ça me suffira. »
« - Heu … oui. »
«- Avant votre rencontre avec Farid Boutler, vous possédiez un snack, qui, d’après mes sources, semblait au bord de la faillite. N’oubliez pas de répondre par oui ou par non. »
« - Objection, votre honneur ! Ceci n’est pas le sujet. » S’interposa l’avocat de la partie civile.
« - Objection rejetée, continuez maître, allez au bout de votre raisonnement. Mais soyez plus clair dans vos questions. »
Tel un soldat romain, il me flagelle de questions qui me touchent au plus profond de mon être. Blasphémé en plein public, j’ai l’impression de vivre mon jugement dernier. Je suffoque, j’en perds ma respiration. D’après ce jaseur, je suis dominé par mon ambition aveugle de réussite et corrompu par ma jalousie.
Du témoin, je deviens coupable et maître fa passe subtilement pour la victime.
Il est évident que derrière le rideau de cette tragique comédie, le guide spirituel en bon marionnettiste articule son petit monde, encore une fois. Impassible, chapelet à la main, il déguste ma chute aux enfers.
La défense a réussi a créé un sérieux doute après cet assaut. L’avocat dénonce mes témoignages bancals. Il exige des précisions. Le président se retire pour prendre des décisions. Après trois jours éprouvants, maître Fa part sans être juger. Pour la justice, il est présumé innocent. Il reste libre sous contrôle judiciaire. Aucune date n’est fixée pour le prochain procès.
Les plaignants sont abattus…
À l’extérieur du palais de justice, les provocations ne font que s’enflammer. La police arrive en renfort pour calmer les esprits.
Je dois vite déguerpir de cette zone où la chasse à l’homme va être terrible.
A l’extérieur, je serai la cible de ses fidèles, traqué jusqu’à la mort…

A vouloir jouer les héros en me portant volontaire comme témoin, je suis tombé dans mes propres filets. J’ai été le bouc émissaire de cette sombre histoire.
Effectivement, la jalousie m’a dévoré. J’ai appris à mes dépens que les actes n’avaient de valeur qu’avec des intentions sincères.












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