Un Conte de Noel
Date 25-12-2014 02:40:52 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Je n'ai plus que quelques jours à vivre. Peut-être, même, n'ai-je plus que quelques heures avant d'aller me présenter devant mon Créateur. Il me faut me hâter. Avant de quitter ce monde que je déteste, je désire lui faire part des faits qui se sont déroulé le vingt-cinq Décembre 19**. Ces faits, dont l'horreur me priva durant des années du courage d'en contempler le souvenir et encore moins d'en décrire les détails, ces faits réels et terrifiants, je veux m'en décharger aujourd'hui, au moment de ma mort. J'ai prié le prêtre de bien vouloir venir m'assister. Il sera bientôt là , comme convenu. Je lui ferai remettre la petite sculpture, figurine maudite que j'ai conservée toute ma vie passée dans la terreur de laisser mon regard tomber sur son effroyable réalité. La tâche journalière qui consista pour moi, à me préserver de la folie à la vue de cet objet, comme Persée, de la pétrification, devant la Méduse, occupa toute mon existence. Quand d'autres vivaient, j'existais seulement pour ne pas mourir d'effroi…. Frères humains, quand vous aurez lu mon récit, je serai mort, sans regret. J'aurais cet avantage, vous, vous aurez celui de savoir… et j'espère aussi de comprendre ! Voici mon histoire, ou, ce que vous pourrez appeler, plus tard, quand vous serez convaincus de sa véracité, le Réveillon Maudit de François Fougeant.
J'avais, depuis bien des années, rompu le contact avec la société. Tout au sommet de la montagne du Vontour qui surplombe le petit village de Khazak, je vivais seul, dans un chalet. Plaisamment installé dans ce logis niché dans la pierre, mes jours se passaient paisiblement. Je descendais une fois par semaine au village pour y faire mes provisions et prendre des nouvelle du monde que j'avais fui. Ces nouvelles, tintées de ragots et de racontars, je les recueillais au Café Flennesse où je ne manquais jamais de m'arrêter pour y prendre un verre. Je m'asseyais sur le divan, au fond de la salle, bien agréable avec des tables de marbre blanc et de grands miroirs sur les murs qui réfléchissaient tout, y compris leurs propres réflexions. La clientèle était sympathique et le patron, monsieur Moinard, un homme d'une quarantaine d'années, aimable et attentif. J'avais pris des habitudes si ponctuelles que lorsque j'y pénétrais tout le monde me saluait poliment et me laissait passer occuper mon coin favori. C'est dans ce mastroquet de Khazak que débuta mon cauchemar. Un cauchemar précédé par une vision réelle. Une apparition palpable. Son apparition ! Je n'oublierai jamais le jour où je le vis pénétrer dans la salle. Ah ! Oui ! Vous ne savez pas. Je parle de cet inconnu. L'inconnu qui me remit la figurine. Un homme petit et maigre. Il avait un air affreux. On eût dit, à voir la réverbération de ses pupilles dilatées, qu'il avait déjà connu l'enfer et qu'il en était revenu pour nous en faire toucher du doigt. Il était extraordinaire. Il possédait beaucoup de tout et beaucoup de rien : beaucoup de cheveux, pas de front, beaucoup de nez et peu de dents. Il présentait un aspect désastreux qui m'indiquait qu'il devait exister en lui des sentiments et une âme qui le minaient. Il y avait dans ses prunelles, en même temps que l'illumination d'une sagesse ésotérique, l'embrasement de passions mystiques. Cet homme inspirait la faiblesse et imposait le respect. Il vint directement s'asseoir à côté de moi, sur le divan de cuir rouge. Je fumais ma pipe en buvant mon cognac. Il demeura immobile sans un mot, sans un mouvement. Il semblait n'avoir qu'une pensée : penser ! Il n'était pas tard mais, ce soir, étant la Veille de Noël, le café était vide. Monsieur Moinard, donnait des signes d'impatience. Lorsqu'il vit l'inconnu s'installer, il vint aussitôt lui demander ce qu'il désirait. « Je n'ai pas d'argent… répondit celui-ci. » Le patron eut un geste de surprise. Il me jeta un coup d'œil, et, avant qu'il lui signifiât de déguerpir, je m'empressai de dire : « Monsieur est mon invité. » Le vieil homme me sourit et dit : « Merci. Dans ce cas-là , je prendrai une limonade. » Tandis que nous attendions le retour du patron, j'observai le nouvel arrivant avec attention. Sa poitrine se soulevait de façon saccadée, ses narines frissonnaient et ses yeux, derrière un enroulement de boucles épaisses qui lui tombaient en désordre sur le front, étaient farouches et effrayés. Son regard enflammé éclairait son visage de l'intérieur, y donnant au sang qui lui brûlait les joues, une luminescence rubigineuse. Quand monsieur Moinard lui apporta sa consommation, il le remercia et il se mit à moire à petites lampées. Comme je n'avais personne avec qui réveillonner, je n'étais, au fond, pas mécontent que le destin m'eût envoyé un compagnon, ne fût-ce que pour un instant. « Vous allez me faire le plaisir d'accepter un petit cadeau en échange de la bonté dont vous avez fait preuve envers moi, me dit l'inconnu. -Pas du tout, répondis-je, sans même savoir de quoi il s'agissait.» L'homme demeura un moment silencieux. Craignant de l'avoir froissé, je me présentais : « Je m'appelle François Fougeant. Je suis poète. - Desmond Dumond. Voyageur. » La situation « financière » dans laquelle Desmond Dumond paraissait se trouver m'indiquait que ses voyages ne devaient pas être des vacances. Je n'y accordai aucune attention. Cet homme n'était rien pour moi. Cette personne qui se trouvait par hasard, être mon voisin et mon invité n'était personne. Dans un moment, il aurait disparu. « Vous habitez dans le Vontour ? me demanda-t-il, soudainement. - Oui. - Vous fuyez la société ? - Je suis misanthrope. - Ah ! » Il avait prononcé ce « Ah ! » comme si cette interjection eût été un rempart, apparu subitement sur son chemin et qu'il lui fallait trouver un moyen de le franchir ou de le contourner. Je pensai devoir m'expliquer avec lui, ou du moins, lui présenter ma philosophie, lorsqu'un homme entra. Je le reconnus immédiatement. Il travaillait à la droguerie qui se trouve sur la Place de Khazak. C'était un des employés. Il s'appelait Pourrichon. Du moins, c'est comme ça que je l'avais entendu appelé. Il devait avoir une trentaine d'années. Il était de taille moyenne et tout en lui était moyen. Ses cheveux noirs commençaient à se dégarnir sur le devant, son visage aux traits réguliers, à se rider, ses dents régulières, à jaunir, sa gorge à se sécher car je commençais à le voir un peu plus souvent au café. Il alla directement au comptoir et commanda un « p'tit blanc ». Je l'observais sans y faire attention. Je sentis, par contre, que Desmond, lui, avait réagi avec plus d'instinct que moi. J'aurais pu jurer avoir entendu un grognement félin sortir de sa poitrine. Pourrichon commanda un deuxième p'tit blanc, puis un troisième. Au quatrième, il remarqua monsieur Desmond Dumond. Il négligea son verre pour l'observer un long moment. Il s'approcha enfin de nous. Il me fit un signe de tête, une sorte de signe de reconnaissance. Puis il se tourna vers mon voisin. « On n'a pas besoin de métèques comme toi, ici ! Vas-y, dégage ! » J'étais stupéfié. Comme je l'ai déjà dit, le vagabond nommé Desmond Dumond ne représentait rien, pour moi. Ce fut donc, seulement la grossièreté de Pourrichon qui m'indigna en premier lieu. Le fait qu'il eût traité le pauvre clochard de métèque et qu'il lui eût demandé de « dégager » ne me frappa pas particulièrement. J'en avais tant entendu dans ma vie ! N'avais-je pas abandonné le monde pour ne plus en entendre ? Pour ne plus en voir ? « Pourrichon, je crois que vous avez un peu trop bu ! lui lançai-je. - Ne vous mêlez pas de ça, m'sieur Fougeant ! » Je me croyais poète. Hélas. J'ignorais le sens de ce mot ! Jusqu'à ce jour, je m'étais battu avec ma plume, fier de cette force qui n'était donnée qu'à moi. Ignorant ! Fou ! Faux ! Je ne répondis pas. Je n'étais pas un poète, j'étais un lâche ! « Tu comprends pas le français !? Sale métèque ! Fous le camp ! » Ce n'est qu'en cet instant que j'eus le courage de poser mon regard sur Desmond. Ce que je vis me confondit encore plus que la conduite du droguiste. Desmond avait levé les mains à environ trente centimètres de son visage. Le pouce et l'index en angle droit, les autres, repliés, il avait formé un rectangle avec ces doigts. A travers ce rectangle, il se contentait d'observer Pourrichon, comme le font souvent les metteurs en scène de cinéma lors d'une prise de vue. « Tu t'fous d' ma gueule ! Barre-toi ! Fumier ! Mais barre-toi, j' t'ai dit ! » Pourrichon saisit Desmond par les poignets et le tira à lui avec une telle force que le pauvre homme fut catapulté jusqu'au centre de la salle où il s'effondra sur le sol. Moinard, qui avait dû s'absenter dans cet intervalle - à vrai dire, j'avais complètement oublié sa présence - s'immobilisa en voyant son client sur le sol. Il en devint muet. En cette veille de Noël, nous étions tous muets. Conscients ! Mais muets. Pourrichon en profita pour donner deux grands coups de pieds dans le corps allongé, presque inerte. Je bondis. Moinard fit de même. Il donna une poussée à Pourrichon qui alla buter contre le comptoir. Je relevai Desmond. Il était blessé au front et je craignais qu'il n'eût des contusions. Je réfléchissais à ce qu'il y avait de mieux à faire dans cette situation. Moinard lança à Pourrichon : « Vous n'avez pas honte de vous comporter ainsi, comme un cochon, la veille de Noël !? Allez-vous-en ! Et ne remettez plus les pieds ici ! » Pourrichon ne désirait pas du tout se battre avec Moinard qui était costaud. Il avait déjà satisfait sa cruauté. Il jeta un regard de défi au patron. Il m'ignora. Et lorsqu'il se tourna une dernière fois vers sa victime, il vit que Desmond le regardait encore à travers la petite fenêtre que formaient ses doigts. Ce dernier semblait vouloir s'assurer que Pourrichon cadrât dans je ne sais quoi, ou, qu'il pût entrer dans un coin dont il savait, lui seul, les dimensions. Il me fit soudain penser à un entrepreneur de pompes funèbres, prenant les mesures d'un cadavre pour lui construire un cercueil. Je vis briller en Pourrichon une velléité nouvelle de lui sauter dessus. Il enrageait de voir cette loque le narguer en lui faisant cette espèce de pied-de-nez bizarre. Mais, comme je l'ai dit, Moinard était très costaud. Bien plus costaud que lui. En dépit de sa colère qui ne s'était pas apaisée, il paya et s'en alla, fier et menaçant. Moinard était un brave homme mais il avait pour principe de ne jamais prendre parti avec ses clients. Après avoir mis Pourrichon à la porte, il nous annonça qu'il désirait fermer, vu que c'était Noël et que sa famille l'attendait pour le Réveillon. Je payai au comptoir les consommations et, prenant le bras de Desmond, je lui dis : « Je vais vous accompagner. - Où ? me répondit-il. » J'aurais voulu lui dire : « Chez-moi ! » mais je lui dis : « Chez-vous ! ». Je voulais demeurer seul. J'étais trop agité. Mes années de solitudes m'avaient fait prendre des habitudes que la présence de cet inconnu dérangeait. J'irais prendre de ses nouvelles le lendemain. Desmond me regarda. Il y avait comme un léger sourire sur ses lèvres livides. Il dit : « Vous trouverez la figurine, chez-vous ! Pendue à votre Arbre. - Mais ! Je vous assure que je ne puis accepter. » Je pensai alors, que, pour m'apporter la figurine et l'accrocher à mon Arbre, il fallait d'abord qu'il aille la chercher où qu'elle se trouvât. Il ne l'avait évidemment pas sur lui puisqu'il n'avait jamais fait que me la promettre sans jamais me la présenter. Je n'insistai donc plus. Cela pourrait me donner l'occasion de le raccompagner dans ma voiture. Il parut ravi de mon acceptation. « Où dois-je vous déposer ? lui demandai-je. - Adieu ! me dit-il simplement. » Je jure que j'insistai de toutes mes forces ! J'en arrivai même à lui proposer ce que je m'étais interdit de lui proposer : « venir chez moi ! » Il refusa. Il repoussa toutes les offres que je lui fis. Il ne faisait que me répéter : « La figurine !… N'oubliez pas…! » Desmond disparut dans le soir qui tombait.
Mon Arbre de Noël était installé dans mon fumoir. Dès mon retour, je m'y dirigeai sans même prendre la peine de me débarrasser de mon chapeau. Je voulais m'assurer que j'avais eu raison de compter sur la réapparition de Desmond pour m'apporter le cadeau qu'il tenait tant à m'offrir. J'allumai. Mon Arbre vide réfléchit alors une lumière d'or de toutes ses aiguilles ! C'était la lumière d'un objet pendue près du sommet. La figurine !! Elle se balançait, pendue à la dernière branche. Malgré l'étonnement qui me paralysait, je m'avançai vers cette chose si petite que je ne pouvais en distinguer les détails. Ce n'est qu'en arrivant à quelques centimètres de l'Arbre que toute l'horreur de l'enfer dans lequel j'avais pénétré, me frappa. Je pourrais vous décrire les élancements féroces qui me défoncèrent la poitrine quand je m'aperçus que je m'étais trompé ou, l'étourdissement qui me fit me retenir au mur quand j'observai ce qui se trouvait sous mes yeux dilatés, ou la panique qui me fit m'élancer d'un côté, puis de l'autre, en la même seconde, ce qui eut pour effet de me faire demeurer sur place, devant la figurine maudite ! Je pourrais vous exprimer la peur, la peur la plus profonde, la plus vraie, la plus puissante, la plus mortelle qui me saisit à la gorge lorsque je réalisai le pouvoir de cet homme qui s'était fait battre sous mes yeux sans dire un mot ! Je pourrais vous faire ressentir le remord qui cogna ma poitrine, en le peignant de tous les nuances de noir qui n'existent que dans mon imagination ! Je pourrais vous faire partager mon désespoir en vous le transmettant à travers des mots dont la force pourrait vous atteindre à des milliers de kilomètres ! Je pourrais… Bah ! Je pourrais m'ouvrir les veines ou me trancher la gorge que je n'oublierai jamais ce que je vis briller dans l'Arbre de Noël ! La petite figurine d'environ dix centimètres, rattachée à petit cordon doré au moyen d'un petit clou enfoncé dans son crâne, et qui pendait à la branche la plus haute de mon Arbre, était celle de Pourrichon !! Elle se balançait dans un balancement qui allait en augmentant, imprimé par les mouvement de Pourrichon qui se débattait car, mes Frères ! Oui, mes Frères ! La figurine, c'était Pourrichon !! Pourrichon réduit aux dimension d'une souris qui se tortillait, éternellement pendu à l'Arbre de Noël….
Les forces me manquent ! J'entends déjà les pas du curé… Anna ma servante va le faire passer…. Je vais lui remettre ces quelques lignes et… Ah ! Le voici !… « Mon Père !… Vous êtes venu ! Je peux enfin partir ! - Non ! Mon fils ! Repentez-vous ! Repentez-vous ! - Avez-vous vu la figurine ? - Oui. - Pouvez-vous la sauver ? - Oui ! Oui ! Mais repentez-vous ! Repentez-vous ! - Mais de quoi !? - Il n'est plus temps ! Repentez-vous ! Repentez-vous ! - Ciel ! J'ai tout fait ! J'ai tout essayé ! Pourrichon ne peut pas disparaître !… Il pendra à la branche de sapin, jusqu'à la fin des temps, à moins que vous ne puissiez le sauver ! A moins que Dieu ne veuille le sauver ! Vous l'avez vu, n'est-ce pas ? Vous l'avez trouvé, dites ? On vous a conduit à lui ? On a obéi à mes ordres ? - Oui ! Oui ! Mais… - Mais ! - C'est à dire que … - Quoi ? Que se passe-t-il !? Je veux mourir en paix ! Parlez ! Je vous en conjure ! - Eh bien… - Eh bien !? Je brûle !! Je brûle !! Les flammes me dévorent déjà ! - … - Parlez ! Au nom de Dieu ! Je suis en feu !… - Eh bien… Mon cher enfant, repentez-vous ! La figurine… c'est vous !! - Ah !!! - Repentez-vous ! - Trop tard…
FIN
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