Coup de gueule sous contrôle

Date 14-12-2014 09:25:26 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Réponse au défi de la semaine :

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Tout bouillonne à l’intérieur de moi pendant que je marche d’un pas pressé dans la Rue des Soucis. Je rumine les paroles de Vanessa, tous ses reproches, ses doléances infantiles. Je suis comme une cocotte minute prête à exploser. Je parviens enfin à ma destination. J’entre rapidement dans l’officine à la façade rouge sang. Sur la vitrine aux verres fumés, on peut lire « Service de médiation ».
J’avance vers le seul comptoir encore libre. Une jeune femme rousse au sourire avenant et apaisant m’invite à la suivre à l’arrière du bâtiment. Je lui emboîte le pas jusqu’à une pièce de la taille d’une cabine d’essayage où trône un grand canapé rouge vif. Une fois assis confortablement dans le fauteuil aux larges accoudoirs, elle me pose un casque intégral sur la tête. Une odeur qui m’est inconnue vient me titiller les narines. Après quelques secondes de flottement, je me retrouve face à Vanessa :
« Chou, j’en ai marre que tu rentres si tard. Je me demande parfois si tu ne vois pas une autre femme. J’aimerais aussi que tu t’habilles de façon plus cool. Pourquoi toujours porter un costume, cela te vieillit. On dirait ton père ! Quant à moi, il va falloir que je rachète des nouveaux vêtements. À force de les laver, ils ont rétréci. Tu me prêtes ta carte bleue ? ». Là, la moutarde me monte au nez, je sens que mes joues s’empourprent au moment où je lui réponds sur un ton incisif :
« Tout d’abord, je n’ai pas de liaison mais il faut que je bosse dur pour TE payer tout ce que TU me réclames à tour de bras. Quant au costard, je me vois mal recevoir les clients de la banque en short et marcel ! Tes vêtements n’ont pas rétréci. Comme tu te goinfres à longueur de journée, tu ne rentres plus dedans, c’est tout. J’ai l’impression de n’être plus qu’une carte bleue ambulante. Si cela continue, je vais vraiment chercher une autre femme qui m’aimera et s’occupera de moi. Tu es devenue une épouse grosse, laide et cupide ! Tu me dégoutes ! » Mes paroles se sont changées en cris et hurlements. Je sens que j’ai besoin de vider mon sac. Vanessa me dévisage sans broncher. Elle reste immobile, comme insensible à mes paroles virulentes.
Une nouvelle odeur vient m’envahir les narines et le casque m’est retiré. La jeune femme me demande :
« Comment vous sentez-vous ?
– Mieux, je vous remercie.
– Souhaitez-vous une autre séance ?
– Non, merci. Cela suffira.
– Suivez-moi pour finaliser votre dossier. »
La jolie rousse me reconduit jusqu’au comptoir. Après quelques clics, des documents sortent de l’imprimante. J’appose une ou deux signatures et sors, le cœur léger. C’est la première fois que je fais appel à un service de ce genre. Ils ont été créés il y a quelques années par notre gouvernement. Nos dirigeants actuels sortent pour la plupart de l’ENA, l’Ecole Nationale de l’Amour. Une fois diplômés, ils doivent passer une année dans un temple indien avant de pouvoir accéder à la fonction publique. La colère et la violence sont sévèrement sanctionnées. C’est pourquoi ils ont créé ces « services de médiation de la colère, du raz-le-bol et du coup de gueule autorisés ».
L’objectif initial était de maintenir une sorte de zen-attitude parmi la population. Le principe semble fonctionner car le taux de divorce est en chute libre, les faits d’agression se raréfient et les mouvements de grève sont devenus exceptionnels. La Paix sociale ! Voilà l’objectif final de nos énarques en toges amples et longs cheveux. Le 16 Rue de la Loi a été repeint en rose et or. Ses couloirs sont parfumés au patchouli et la méditation est imposée avant tout conseil des ministres.
Le lendemain, une lettre arrive à la maison. Elle vient du service fréquenté la veille et est destinée à Vanessa. Ma femme l’ouvre, intriguée, et lit silencieusement. Un sourire nait sur son visage bouffi et ses yeux se mettent à briller en croisant les miens. Nos corps s’approchent et nos lèvres fusionnent furieusement. Le courrier tombe de sa main.

« Madame,

Votre mari est venu consulter notre service de médiation. Suite à un entretien approfondi, il nous a confié qu’il se dévouait corps et âme à son travail afin de vous offrir une vie confortable. Toutefois, il s’inquiète de voir votre santé se dégrader faute de suivre un régime adapté à votre vie sédentaire. Il craint de vous perdre. Il vous est loisible de faire appel à notre service d’accompagnement personnalisé entièrement gratuit si cela s’avérait nécessaire. N’oubliez pas qu’une relation de couple nécessite de l’attention l’un envers l’autre. Montrez-lui l’affection que vous lui portez réellement.

Bien dévoué.

Le service de médiation de la colère, du raz-le-bol et du coup de gueule autorisés. »





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