Le Mystère de la Chambre Close
Troisième Épisode
Résumé des Chapitres Précédents
Le Baron Armand de Valfort vient consulter Walter Morsirisse, détective privé, au sujet d’une lettre de chantage qu’il a reçue d’une inconnue qui signe : V.S. Cette dernière laisse entendre qu’elle viendra chez-lui le même jour, à minuit, réclamer la somme d’argent exigée. Le Baron invite Morsirisse à diner, ce même jour. L’après-midi précédant l’heure du diner chez le Baron, Morsirisse vient rendre visite à son vieil ami Sanvergogne et lui parle de l’affaire.
L’inquiétude que m’a communiqué Sanvergogne disparait. Il est d’ailleurs inutile que je lui demande la raison de sa curiosité au sujet du Baron. Il sait fort bien que je veux lui poser cette question. Il me répondra quand il le désirera. Sanvergogne est ‘délibéré’ ; il ne dévoile jamais rien impulsivement. Je passe donc, et je lui montre la lettre anonyme que j’ai conservée par devers moi. Il n’y jette qu’un rapide coup d’œil comme s’il était déjà au courant du contenu. Je continue de lui conter les détails de mon entrevue. Sanvergogne m'écoute avec une profonde attention. Je n’omets rien de ce qui s’est passé. Quand j’ai enfin terminé, je lui demande ce qu’il en pense. « Ce que j’en pense, mon Capitaine ? Eh ben, y faut voir… » Les « Y faut voir » de Sanvergogne me font toujours peur parce qu'en général quand il dit « y faut voir » c'est tout vu. Et ce qui est tout vu de lui n'est pas encore aperçu par moi. Cela est gênant. Mais j'en ai l'habitude. Je demeure silencieux. Mon vieux camarade se gratte la tête. « Sûr, mon capitaine, que vous avez raison dans vos déductions. Le Baron n’a reçu qu’une seule lettre. - C’est bien ce que je pense. - Pas besoin de trop penser pour ça, mon Capitaine. S’il en avait reçu d’autres il les aurait apportées avec lui. C’est normal. -Pourquoi m’a-t-il donc avoué…, balbutiai-je, un peu humilié par la simplicité efficace de son raisonnent. - C’est vous qui le lui avez mis en tête et il a trouvé ça costaud, pardi ! Car, comme vous l’avez deviné, s’il n’a reçu qu’une seule lettre il connait la personne qui l’a écrite ! Sinon comment aurait-il été contacté la première fois ? - De vive voix, forcément ! - Il connait donc son maître chanteur, ou sait sur lui quelque chose. Oui, mon Capitaine ! Vous avez raison. » Sanvergogne me donne toujours raison, même pour ce qu’il a découvert tout seul. C’est comme un tic chez lui. Je n’y fais plus attention, mais je le remercie de toute façon. Je l’entends alors ajouter lentement, sur un ton qui lui donne l’air pensif : « A moinsse que… à moinsse que… » Tous ses ‘à moinsse’ annoncent une nouvelle idée dans sa cervelle, et augmentent mon impatience car je sais qu’il va me faire languir. Il s’est en effet mis en tête depuis longtemps que j’arrive capturer ses pensées, et que ce qu’il dit n’est pour moi que la confirmation de ce que mon ‘mystérieux pouvoir’ m’a déjà fait entendre. C’est pour cette raison qu’il ne se presse jamais quand il me parle. Cela est sans doute, un peu de ma faute car il m’arrive souvent en l’écoutant, de deviner ce qu’il n’a pas encore dit, mais cette fois-ci, je sèche. Alors, je lance en l’imitant- pour le taquiner : « A moinsse que quoi ? » Il me regarde étonné, et reprend sa phrase en allant cette fois-ci jusqu’au bout. « A moinsse que ce soit lui qui l’a écrite, c’te lettre ! » Je suis frappé par cette considération qui n’avait pas effleuré mon esprit tant la possibilité qu’elle soit valable semble lointaine. En effet, dans quel but le Baron se serait-il, lui-même, écrit une telle lettre ? Et surtout, pourquoi serait-il venu me demander mon aide pour en retrouver l’auteur, si l’auteur, c’était lui ? Cela n’a pas de sens. Un homme ne se fait pas chanter tout seul, à moins qu’il ne soit fou. Et s’il l’était, nul fou n’est assez fou pour demander à un détective privé de l’aider à se faire mettre en prison. Évidemment, tout est possible, et je demande donc à Sanvergogne si sa supposition est basée sur un détail tangible que je lui aurais communiqué durant ma narration des faits. « Ce serait plutôt, me répond-il, basé sur ce que vous ne m’avez pas dit, mon Capitaine. -Mais, je t’ai tout dit ! - Vous m’avez tout dit de ce que le Baron vous a dit. Mais, est-ce qu’il vous a tout dit, lui ? - Je ne pense pas. - Ben c’est sûr ! Il vous a même menti ! » Je le regarde, si étonné que mon ami ajoute aussitôt : « Ben oui. Il vous a dit qu’il ne connaît personne avec les initiales V.S. -Oui. C’est exact. - Eh ben, il vous a menti ! Car il ne peut nier ne pas avoir pensé que ces initiales pourraient être celles de sa femme : Valfort Simone ? Il ne peut pas dire qu’il ne connait pas son épouse tout de même… Moi, j’y ai pensé tout de suite quand vous avez mentionné son nom, mon Capitaine. » Évidemment, cette idée m’avait aussi effleuré l’esprit, mais elle n’était restée qu’au niveau d’une idée, sans plus. Une hypothèse aussi inadmissible n’a pu que disparaitre dans le subconscient du Baron, sans laisser de trace. Ainsi, totalement privé de la mémoire de cette supposition, il peut très bien avoir été sincère en niant les faits. Je félicite néanmoins Sanvergogne pour l’agilité de son cerveau. « Tu es épatant, lui dis-je. » Peut-être trop épatant, je songe en moi-même. Mon ami n’est pas à l’aise avec ses raisonnements. Je le sens un peu nerveux. Il est très rare que je le voie ainsi. « Sanvergogne, lui dis-je, que penses-tu vraiment de tout cela - Ben, mon Capitaine, y faut voir ! » La sentence est tombée. Cet « Y faut voir » est sans appel. Sanvergogne a deviné quelque chose qu’il essaye de me laisser entrevoir mais qu’il n’est pas encore prêt à me confier. Cela me fait repenser à sa réaction lorsque j’ai prononcé le nom du Baron. Il voulait savoir s’il s’agissait bien d’Armand de Valfort. Pourquoi donc ? Sait-il quelque chose à son sujet ? Le « Y faut voir » semble l’indiquer. Après avoir prononcé ces mots, mon ami demeure muet, et moi, je ne dis rien. Quand « Y faut voir », il ne faut pas lui poser de question. C’est un vieil accord tacite qui existe entre nous. La réponse doit certainement être à ma portée. Sinon, il me faudra faire parler Sanvergogne sans qu’il juge en avoir été forcé. Mais pourquoi est-il donc si réticent ? Sa mine me paraît soudainement confuse. Il a l’air gêné. Je l’ai rarement vu aussi penaud. Maintenant je suis sûr qu’il ne me dira rien. Je suis sûr aussi qu’il doit avoir pour cela une raison… Nous trinquons encore une fois. Je le remercie et je me lève. Sanvergogne se contente de repousser la table de façon à me fournir un peu plus d'espace. Ensuite il va chercher mon imperméable. Il me le présente à la porte. Au passage, Sanvergogne me dit : « Mon Capitaine, méfiez-vous de cette affaire. »
(A suivre)
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