Prisonnier

Date 15-10-2014 12:41:24 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Je ne sais plus depuis combien de temps je suis ici dans cette pièce illuminée uniquement par un néon et une fenêtre. Elle ne possède qu’une unique porte que je ne peux passer seul.

Mes proches viennent heureusement me voir, uniquement aux heures prévues par cet établissement qui est devenu ma résidence obligatoire, mon toit temporaire, tout en espérant que ce temporaire ne devienne pas définitif ! Seul le temps me le dira et ce n’est pas moi qui décide. Mon sort est entre les mains d’universitaires, ceux qui ont potassé des tonnes de bouquins pendant que je vivais une jeunesse insouciante. Je n’ai d’autre choix que de leur faire confiance. Ici, plus personne n’est maître de son destin, la faute aux coups du sort ou d’une volonté délibérée.

L’attente est longue mais dès qu’une présence se faufile auprès de moi, c’est comme si le sablier du temps était retourné et que les grains pouvaient à nouveau s’écouler pour retrouver le rythme d’une vie normale. Mais puis-je encore prétendre à retrouver une quelconque existence normale ? M’accordera-t-on une seconde chance ? Certaines erreurs sont parfois irréparables même avec la meilleure volonté du monde. Pas de télécommande avec la touche « REW » ni de baguette magique à la Harry Potter qu’il suffit d’agiter avec sagesse en prononçant la formule « reparo ». Non ! Il faut garder les pieds sur terre.

J’aimerais tant avoir mes proches plus souvent à mes côtés. Ils me rassurent par leurs voix familières et douces. Ma mère me dit qu’untel est passé par là et s’en est sorti, qu’il faut que je garde espoir, que je m’accroche, qu’elle m’aime. Moi aussi je l’aime même si je ne lui ai jamais dit. Je n’ai jamais été un enfant très démonstratif. Je faisais partie de ceux qui se frottaient énergiquement la joue pour effacer la trace du baiser maternel dès qu’elle tournait le dos. Je suis un peu Julien Clerc dans sa chanson « Cœur de rocker ». Maman me ressasse « Tu vas t’en sortir. Prends patience. Encore une semaine, un mois ou deux. ». Je ne veux plus de délai incertain. De toute façon, le calendrier que j’ai échafaudé dans ma tête n’est pas très précis et m’est d’ailleurs inutile. Peut-être aurais-je dû graver des petits bâtons pour chaque jour passé ici.

Les heures de « parloir » me rappellent aussi ma vie d’avant. L’ironie du sort veut que, jusqu’à ce jour fatidique, je trouvais mon existence morne, insignifiante, terne et j’ai plusieurs fois pensé à y mettre un terme sans en avoir les tripes. Comme elle me semble si belle maintenant et comme je la regrette. On ne connaît réellement notre richesse que le jour où elle disparaît.

Heureusement, il y a les périodes d’inconscience où mes rêves m’emmènent derrière ses murs. Dans mes songes, je suis libre, je cours, j’aime, je bosse et je deviens enfin quelqu’un, un homme dont sa mère est fière. Mais il y a aussi les cauchemars où je m’entends condamné à passer le reste de mes jours dans cette prison. La sentence tombe comme le couperet d’une guillotine en face de la Bastille. Mon réveil est alors encore plus douloureux que les autres jours et je me languis que le soleil se couche pour m’offrir un autre sommeil que je souhaite calme et réparateur.

Que faire maintenant ? À part attendre. J’ai perdu les clés de ma destinée qui se dessine désormais dans un brouillard artistique, fait d’obstacles et de murs qui me semblent infranchissables, comme ceux qui m’entourent et me retiennent prisonnier. Mon lit est devenu mon unique espace personnel. C’est mon territoire, le seul qui me reste à défendre mais avec quelles armes ?

Nombreux autres avant moi ont baissé les bras et se sont rendus. Mais je ne veux pas faire partie de ceux-là. Je n’ai pas envie que le prêtre qui officiera à mes obsèques doivent dire à mes proches : « Le courage lui a manqué et il a préféré nous quitter. ». C’est inconcevable. Malgré les apparences, je suis devenu plus fort. Cette épreuve m’a forgé l’Esprit et l’a affûté comme une épée. Voilà mon arme ! La bataille en vaut-elle la chandelle ? Peu importe ! Je suis prêt à en découdre avec le premier venu. J’ai eu le temps du repos et j’épargne mon énergie pour le jour où le gant sera jeté.

Les autres combattants mettent en place des plans d’évasion à coups de cogitations profondes, observations minutieuses des habitudes de la maison, de matériel bidouillé et de complices. Je n’ai rien de tout cela mais je ne perds pas espoir. C’est tout ce qui me reste et me tient vivant ! L’espoir, celui qui s’est échappé de la boîte de Pandore après que tous les maux de la Terre se soient répandus sur les humains, jouissant d’une existence trop parfaite jusqu’alors. Il est symbolisé par un petit papillon blanc. Je l’imagine chaque jour se posant sur mon épaule à mon réveil. Ses petits coups d’aile apaisent ma douleur et sèchent mes larmes qui ne parviennent plus à couler.

Pour passer le temps, je tente aussi de me rappeler ce qui s’est passé ce jour-là, ce qui m’a amené à arriver ici, dans cet enfer de solitude. Des brides de souvenirs tentent de remonter comme des hauts-le-cœurs, douloureux mais imprécis. C’est mon entourage qui me raconte : une voiture qui fonce, un choc terrible et une fuite.

Fuir n’est pas la solution dans la vie. Il faut apprendre à faire face à ses succès mais aussi ses erreurs, ses fautes, celles qui causent du tort à autrui, jusqu’à la mort de ce dernier parfois. La fuite est un geste vil, lâche, infantile. Celui qui fuit est deux fois plus coupable que celui qui assume devant ses juges. De toute façon, il est trop tard maintenant pour fuir.

Et voilà pourquoi je suis ici, prisonnier, impuissant, enchaîné, inerte à l’extérieur mais bouillonnant à l’intérieur. Des milliers de questions m’assaillent jour et nuit.

Qui viendra me libérer de ces chaînes qui m’étreignent ? Sont-ce les recherches de ce spécialiste allemand sur les traumatismes crâniens ? Est-ce ce nouveau médicament provenant des Etats-Unis ? Ou alors est-ce le temps qui passe et la capacité que possède notre corps de se reconstruire ? Ou encore est-ce uniquement mon Esprit qui pourra me faire à nouveau ouvrir les yeux et adresser la parole à mes proches ?

Je ne sais pas alors j’attends comme un condamné à mort attend la grâce présidentielle. Ma prison, c’est mon corps. Mes murs, mes paupières fermées. Mon espoir, la guérison ! Condamné pour n’avoir commis aucun crime. J’étais un piéton et un chauffard m’a renversé avant de s’enfuir lâchement. Mais le destin a voulu qu’il soit rattrapé et enfermé. Même dans une cellule miteuse, il a plus de libertés que moi. Son corps répond toujours à ses sollicitations. Ses jambes le portent, ses mains peuvent encore caresser, sa voix lui permet d’exprimer sa peur, son amour. Si les progrès de la science avaient été suffisants, il faudrait juste échanger nos deux âmes afin que le coupable connaisse la prison, la vraie ! Que Justice soit faite !




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