Garde à vue
Date 02-09-2014 13:30:00 | Catégorie : Nouvelles
|
En cette nuit étoilée, je survolais les toits des maisons d’Agadir, juste assez en hauteur pour que personne ne puisse me démasquer. L’air y était pur et je m’amusais à courtiser le peu de nuages à ma disposition. Une sensation d’extrême liberté me portait : Quel bonheur ! J’étais « Peter Pan » sans le costume. Je traversais les terrasses et je baladais mes yeux curieux dans toutes les directions possibles. Je ne voulais rien rater de ce que m’offrait cette veillée. J’observais une bande d’amis se la couler douce, assis à même le sol, s’appuyant à des coussins de couleurs et dégustant un bon verre de thé. Comme seul éclairage : mère lune et ses petites étoiles. Ils emmagasinaient cette fraîcheur pour affronter la chaleur du soleil de la journée de demain. À ma droite au milieu d’un riad, une femme accroupie dans un coin accomplissait le rituel du charbon pour préparer un feu et déposer son tagine afin de satisfaire toute la famille. Je suivais du regard un chat de gouttière en chasse, qui sautait de toit en toit, pour espérer dénicher son dîner. Il m’a aperçu au dessus, l’air troublé. Ses miaulements m’étaient destinés. Tel un super héros, j’avais le pouvoir de dépasser la vitesse du son et traverser les continents en un rien de temps. Je rejoignais le détroit de Gibraltar où tous les nuages s’étaient donnés rendez-vous pour enfanter une pluie diluvienne, j’en étais trempé. La mer était déchainée. Des vagues de plus de trois mètres pénétraient le rocher britannique. Que Dame Nature exprime ses humeurs, moi je me dirigeais tout droit vers le vieux continent. Cap sur Paris, plus précisément les « HLM » du quatre-vingt treize. Je voulais retrouver mon appartement d’enfance, atteindre le front de ma mère et l’embrasser tendrement. Elle me manquait atrocement. Un son fort aigü s’immisça sans autorisation. Brusquement, je dus quitter ma douce mère pour un réveil en sursaut. Les premiers clignotements de mes yeux me ramenèrent à la triste réalité. Ah ! Cette maudite sonnette de porte. J’enfilai mon bas de jogging et bondis de mon lit pour régler cette intrusion fâcheuse dans mon sommeil. Pieds nus, je descendis les escaliers et ouvris la porte avec punch pour dévoiler mon agacement. «- Police nationale ! » « - Quoi ? »
Deux inspecteurs déterminés étaient face à moi. On aurait dit Laurel et Hardy, version « marocain style ». Un agent en uniforme était à l’intérieur d’une Renault blanche « Kangoo » avec le logo de la sûreté nationale rouge et vert du drapeau marocain : plus discret tu meurs ! Toutes les femmes étaient à leur fenêtre pour un show en direct. «- Vous êtes bien Monsieur Adil Tikiri? » « - Oui … » «- Vous êtes bien le gérant de « Micro-informatique » ? » « - Exact! » « - Vous êtes suspect, monsieur ! Pour le vol d’un ordinateur qui a été géo-localisé sur votre lieu de travail. Je vous demande de bien vouloir nous suivre, nous avons de nombreuses questions à vous poser ! Et n’oubliez pas votre pièce d’identité. » Qu’est-ce qui me tombe sur la tête ? C’est quoi cette histoire ? Je pris mon passeport et ma carte d’identité marocaine, périmée depuis des lustres. Zut ! J’oubliai l’essentiel : me chausser ! La police s’impatienta et me le fit comprendre en klaxonnant furieusement. «- Coopérez et je vous éviterai les menottes en plein public. » S’exclama le plus âgé. Je pris place entre les inspecteurs sur le siège arrière de la Kangoo. Une repoussante odeur de sueur émanait de l’un des deux. J’imaginais déjà l’ampleur de l’événement dans le quartier. De l’épicier au boucher, on me créera un casier judiciaire foudroyant : ils m’identifieraient en terroriste, en grand mafieux de drogue de Hachich, ou que sais-je encore ! L’inspecteur, assis à ma droite, contrôla mes papiers. « - Votre carte d’identité marocaine est périmée depuis trois ans ! Ça commence bien ! » L’autre, le petit maigre, avec un ton agité, fit de la surenchère pour m’intimider. «- Passeport Français, tu te crois protégé avec ton consulat, saches que pour nous tu es un sale marocain et tu le resteras ! » Je compris tout de suite que ma double nationalité les dérangeait. À partir de cet instant, le déroulement de la procédure allait être modifié. Les moyens d’intimidation seront adaptés à mon profil. Le conducteur à la moustache n’arrêta pas de me lancer des regards furtifs dans son rétroviseur. Il enclencha le gyrophare et brûla tous les feux. Après de nombreuses secousses et pris en sandwich, nous sommes enfin arrivés devant le commissariat central. La voiture se gara à l’intérieur de l’édifice. J’étais sous l’autorité de la police, propulsé dans une autre dimension : un cauchemar en plein éveil. Un sentiment d’impuissance m’envahissait et me procurait une angoisse terrible. Dès l’entrée du bâtiment colonial de style néo-classique, on m’annonçait la couleur par une recherche corporelle de mauvais goût. Les deux inspecteurs, de leurs vrais noms : Tahar Mustapha et Drissi Farid disséquaient mes moindres faits et gestes en fumant une énième cigarette. Ce commissariat central avait l’allure d’un fumoir. On traversa, ensuite un long couloir qui, au fur et à mesure, rétrécissait pour rejoindre un escalier étroit qui s’enfonçait dans les profondeurs du commissariat. Je commençais à avoir des hauts le cœur, une émanation atroce remontait. Plus je descendais les marches et plus elle s’imprégnait dans mon être, une odeur de pisse de chat, une descente aux enfers ! J’eus l’impression d’être arrivé dans une sorte de bunker. On longea des pièces où la poussière s’était sédentarisée. Puis, on s’arrêta dans le bureau des deux inspecteurs. Tahar sortit de son tiroir une paire de menottes et m’attacha violement à une canalisation. « - C’est ton jour de chance, tu as le privilège d’être notre hôte. En temps normal tu serais à la fosse aux chacals avec les criminels de toutes sortes entassés et accroupis à guetter ton derrière ! » Me signala l’inspecteur Drissi. « - J’exige la présence d’un avocat ! » leur communiquai-je. « - Ha ! Monsieur connaît ses droits ! Tu veux faire le malin, petit immigré, alors je t’envoie au trou et je peux te garantir que ce n’est pas d’un avocat dont tu auras besoin, mais d’un chirurgien ! » Grogna Tahar. Les deux complices décidèrent à leur tour de m’abandonner pour aller prendre leur pause-café. J’étais debout, menotté au milieu de ces bureaux. Je ne comprenais pas l’état insalubre des lieux. On se serait cru au lendemain d’un tsunami. Sur le sol, étaient entassées des machines à écrire de l’ère préhistorique ainsi que des ordinateurs bons pour la décharge publique et des piles de feuilles sur les étagères à n’en plus finir. Une vraie chambre d’étudiant à la veille d’un examen. Et pour couronner le tout, au centre de la pièce : un fauteuil imitation Chesterfield en faux cuir, déchiqueté par je ne sais quelle bestiole qui avait eu le culot de s’aventurer dans ce gourbi. Ma vessie commença à me témoigner les premiers signes d’une envie de me soulager. J’essayai d’apercevoir un agent pour lui faire part de ma requête, mais aucun homme libre en vue. Une altercation entre une prostituée et un conducteur de taxi enflamma le commissariat. Les inspecteurs laissèrent les deux lutteurs extérioriser leur haine et tentèrent de déceler le moindre indice pour coffrer ensuite le plus méritant. La police vécut cette scène de façon banale et après le temps, qu’elle considéra imparti, elle classa l’affaire et passa à une autre. Et le ballet se poursuivit. Enfin, l’autre inspecteur, Tahar pointa son nez sans son acolyte. Il sortit de la poche de son veston vert kaki, un dictaphone et l’enclencha pour le poser délicatement sur le bureau. «- Alors ! Depuis quand possèdes-tu ta boutique « Micro-informatique »? » «- Avant de répondre à votre quizz, monsieur, j’aspire à soulager ma vessie, j’en peux plus ! » «- Sache qu’ici, on n’aspire à rien du tout ! Je te pose des questions et tu réponds ! Pigé ? » « - Le mois prochain, ça fera exactement un an que j’ai ouvert mon établissement. » «- Eh ben voilà , c’est mieux ! Est-ce que tu fais aussi des réparations sur les machines ? » « - Oui, mais je ne vois pas où vous voulez en venir ! » « - Tu avais en ta possession un ordinateur portable de dernière génération qui a été subtilisé il y a deux jours dans une villa appartenant à monsieur Skilli, le maire de la ville. Tu te trouves dans une situation très compliquée. Cette machine comporte des dossiers très confidentiels. Nous nous sommes, bien évidemment, permis de le récupérer. » J’ai pris conscience que l’histoire était beaucoup plus sérieuse qu’elle en avait l’air. J’avais acheté un ordinateur pour le revendre à un voleur, ce qui faisait de moi un receleur. « - Dis-moi où se trouve ton compère si tu ne veux pas moisir quelques années chez nous ! » Ils pensaient que j’étais de mèche avec lui. Je devais faire preuve de lucidité et prendre en considération tous les éléments un par un. J’ai acheté un ordinateur volé à une personne que je n’ai jamais vu auparavant. Ces hommes me font de l’esbroufe ! Ils prêchent le faux pour que je livre des informations que je n’ai pas ! « - Mais, dites-moi, vous n’avez pas visionné les caméras de surveillance de ses dernières quarante-huit heures, vous verrez la transaction et le visage du voleur, moi je n’ai rien à me reprocher, de toute manière j’ai pris la carte d’identité de ce monsieur, j’ai suivi la procédure. » « - Tu crois que je suis incompétent, on est déjà à sa poursuite et il ne tardera pas à être capturé. Toute la police est à ses trousses, le maire est furax ! Et il lui faut des coupables ! » Mon envie de faire pipi revenait de plus belle et là je m’apprêtais à faire sur moi. « - Pour l’amour de Dieu ! Laissez-moi aller au petit coin ! » L’inspecteur Tahar chercha les clefs des menottes dans son veston : rien ! Il passa ensuite dans les poches de son pantalon : rien non plus ! Il repassa par son veston cette fois-ci poche intérieur et extérieur encore rien ! « - Je ne sais pas où j’ai pu mettre ces foutues clés ! » «- Regardez dans les tiroirs de vos bureaux bon sang ! » « - Tu me parles sur un autre ton ! Sale immigré ! » J’allai bientôt lâcher prise ! Et ce qui devait arriver arriva. Mon bas de jogging s’humidifia puis les gouttes ont fini par s’écouler par terre. Jamais on ne m’avait humilié de la sorte, je ne tins plus sur mes jambes. Je déclarais forfait. Il stoppa délicatement le magnétophone, sortit une cigarette de sa veste pour la visser dans son bec. Il fit un demi-tour sur lui-même pour être face à la porte de sortie. Ayant terminé son acte, il quitta sur la pointe des pieds la scène. Il me laissa seul dans les ténèbres. Je me recroquevillais le mieux que je pus, et instinctivement, je pleurais des larmes d’épuisement, des larmes de déshonneur. Je fus dans un état d’hygiène lamentable : un rat en captivité. Désarçonné, surpris et traumatisé à jamais ! Le néon au-dessus de ma tête avait pris un sacré coup de vieux depuis quelques heures, la luminosité qu’il dégageait en était très timide, donnant un jeu d’ombres à tous les objets. Plus personne dans les parages à part deux gardiens assis à cinquante mètres du bureau. Ils écoutaient la radio sur leurs Smartphones. La musique traversait les vitres. Des chants Touaregs du désert mélancoliques et répétitifs assombrissaient le commissariat. Je réussis à m’endormir sur ma chaise, au moins une heure. Mon bras menotté à la canalisation était en compote, j’avais mal partout. N’ayant rien contre moi et après avoir coffré le coupable on me relâchait à 11 h du matin, je récupérai mes affaires personnelles et signai quelques papiers. La période passée en garde à vue me parut longue, comme si les souffrances eurent pour effet d’étendre le temps. Je restai immobile quelques instants, dehors à la lumière naturelle, pour retrouver mes esprits, puis je pris vite un taxi pour déguerpir ! J’étais libre et je puais !
|
|