Portrait
Date 19-08-2014 22:59:11 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Lever de soleil. Le crayon virevolte sur le papier froissé, plié et replié entre ses mains crispées, une figure charbonnée s’esquisse au bout de sa triste mine, visage claqué et décalqué ; les traits saillants se charbonnent et les rondeurs se gomment, formes corrompues par la pointe acérée. Un sourire se dessine sur ses lèvres de fusain, noires et arrondies ; un éclat bleuté, pointe pastel au creux de son iris attristé tandis que coule l’aquarelle sur ses joues éplorées. Le dessin devient une poupée de chiffon, déformée, défigurée au gré des tracés, silhouette croquée et escroquée de son visage angélique, vulgairement recopiée sur ce papier plissé. La conversation est silencieuse et il fixe son maigre visage crayonné tandis qu’elle fige son regard sur le macadam enneigé. La voiture cahote et la pointe sursaute sur le grain de la feuille, une écorchure de plomb sur sa pommette, une cicatrice noirâtre sur sa bouche, son front. Une flèche ensoleillée darde son visage, un halo se dessine autour de sa face crispée et son profil à contre-jour s’ombrage, se noircit. Le trait s’accentue et ses lignes s’épaississent, se plombent puis s’estompent au bout de son doigt. La pointe de son index est obscure, tachetée de ce métal ténébreux, de ce grain noir, ce visage, cette femme qu’il aime tant.
Une biche sur son épaule ; le tatouage encre sa peau délicate, encre le dessin de ses traits fins ; une biche sur le papier. Une flèche en son flanc, effusion pourpre sur son pelage, couleur écarlate ; ses jambes se dérobent et elle semble s’effondrer, ôtée de son sang et de ses forces. Elle se meurt. Le crayon redessine ses courbes animales et les lignes humaines de la belle deviennent bestiales, son épaule est le territoire d’une nature souffrante. Elle est si fatiguée que son visage n’est plus humain, plus qu’une chose effacée, meurtrie par la fatigue et le désespoir. La voiture ralentit et s’arrête au bord d’un fossé, étouffée par la brume vespérale et les sévères conifères, emprisonnée dans cette prison naturelle. Le brouillard est si blanc, si radieux, une oppression de lumière et de clarté et les bas nuages deviennent des plumes nébuleuses, un édredon ouateux. Une bruine se lève et leurs corps se soustraient, deviennent deux masses inertes, endormies, bercées par le clapotis des gouttelettes sur le capot, douce résonance métallique, tendre écho aquatique, et leurs esprits se délitent dans d’obscures chimères, la réminiscence d’un rêve, le songe d’un souvenir.
Un bâtiment ombragé se dessine à l’horizon, contours abrupts, architecture droite et austère, enclavé à l’orée des cèdres. Un néon gazoline rougeoie entre les branches, pastelle de carmin la route grisâtre, couleur si pâle qu’elle semble se briser sur le livide macadam. Le soleil étreint l’horizon et les rais orangés plongent dans l’océan de bitume ; le ciel se déchire, bandes rougeâtres, roses remplacent l’azur tandis que le crépuscule envahit les bois. Son pendentif s’illumine, une croix d’or et d’argent au creux de sa poitrine. Ses doigts se crispent violemment autour de la croix et le sautoir se tend ; elle mord sa lèvre vermillon et une goutte de sueur coule sur son front, dévale ses joues, son cou, sa poitrine. Soudain, la nuit. Seul le néon écarlate protège la route des ténèbres ; un faisceau incandescent jaillit des phares et écarte l’obscurité ; le ronronnement mécanique s’adoucit et ils s’arrêtent au bord de la pompe. Elle relâche son pendentif et ouvre sa portière, étire ses membres raides, déambule autour de la voiture, laisse errer ses bras sur les sèches branches et les vertes épines. Il fait tourner le stylo entre ses doigts et regarde son dessin imparfait, le dessein d’une vie.
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