Editorial

Date 21-06-2014 18:53:15 | Catégorie : Nouvelles confirmées



Debout au milieu de mon salon, je contemple mon œuvre, protégée sous le verre d’un cadre Ikea, un éditorial écrit de ma main et publié dans mon magazine préféré, « Le Bourlingueur Belge ».

Tout a commencé par un concours lancé par cette revue nationale et pour lequel il fallait relater notre plus beau voyage. Personnellement, je n’ai jamais quitté ma Belgique natale autrement qu’en rêve ou par le truchement de mon écran, qu’il soit de télévision ou d’ordinateur. Ce défi me titilla l’imaginaire. Si Tintin avait vécu des aventures au Tibet, en Amérique et même sur la lune sans avoir aucune existence réelle, je pouvais bien m’inventer un voyage, celui qui aurait fait rêver toute ménagère de plus de cinquante ans ou tout chômeur de longue durée. Moi, Désiré, scribouillard pendant ses loisirs et agent d’entretien pour assurer le paiement du loyer, je décidai de saisir ma chance.

J’avais l’impression de n’avoir aucune limite, le monde entier ne demandait qu’à être décrit sous ma plume inspirée par Google et ses vues satellites, ses images partagées, volontairement ou non, et ses visites des rues par caméra embarquée, par les récits de randonneurs aguerris chouchoutant leur blog regorgeant de selfies devant des décors de rêve ou encore d’anecdotes de voyageurs du dimanche glanées sur des fils de discussion. Je décidai d’emmener mon lecteur en Australie, sur le sable brûlant du bush, à travers Sidney, Melbourne, Canberra, Brisbane et Adelaïde, sur les plages de sable fin de Gold Coast, dans le Outback et jusque dans la fourrure de la poche d’un kangourou. Je travaillai mon texte jusqu’à ce qu’il soit conforme à mes désirs, avant de l’envoyer à la rédaction, avec le secret espoir d’une sélection.

Les jours passèrent jusqu’à la réception d’une lettre à l’entête du magazine. Mon cœur battait la chamade pendant que je décachetais l’enveloppe. Une lecture rapide m’informa, à ma plus grande joie, que j’avais décroché la timbale. Tant que l’on ne me demandait pas de montrer mes photos de vacances ! Au pire, j’aurais répondu qu’un kookabourra me l’a arraché des mains et détruit avec son bec imposant.

Quelle joie de découvrir mon nom trôner en-dessous de ma création. Je fus même gratifié par les félicitations de la rédactrice en chef, une certaine Madame Fétavalize. Elle fut tellement emballée qu’elle m’a sollicité pour un autre récit de voyage. Là, je décidai de poser mon sac à dos imaginaire au Brésil. En pleine coupe du monde de football, il me fut facile d’emballer mon lecteur, avide de découvrir le contexte dans lequel évoluent les stars du ballon rond. Deux nuit blanches à peaufiner ma supercherie et j’obtins ma seconde publication.

Enthousiasmée par mon style hors du commun, plus littéraire que journalistique, Madame Fétavalize me proposa d’écrire l’éditorial de juillet. Quel honneur ! Quelle reconnaissance ! À coups de figures de style, de pirouettes littéraires, de mots pêchés dans des dictionnaires spécialisés, je pondis un texte à faire pâlir d’envie Jules Verne. Et mon éditorial parut !

C’est lui qui trône maintenant au-dessus de mon canapé usé de la présence trop fréquente de mes fesses sur son tissu rouge vif. Voici mon tableau de maître, l’œuvre d’une vie. Mais ce sera malheureusement ma dernière production pour « Le Bourlingueur Belge ». En effet, j’ai évoqué ma rencontre avec des Papous au cœur de la forêt amazonienne, alors que ces derniers vivent en Nouvelle-Guinée. C’est un lecteur fidèle qui a relevé mon erreur et l’a signalée à la rédaction. Cette dernière découvrit ma supercherie et comprit rapidement que mon passeport était vierge de tout visa. Cela m’apprendra à avoir séché les cours de géographie !





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