Chroniques d'un Enfant des Ages Obscurs, Chapitre Un a Cinq, Pages 36 Ã 39
Date 15-06-2014 12:09:33 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| [left]J’en ai profité pour m’y projeter : confortablement installé dans le gros fauteuil de cuir craquelé qui m’a suivi partout depuis une cinquantaine d’années, je m’y perçois vêtu de ma robe de chambre bleu-nuit rehaussée d’étoffe vermeille. Un titre de Sheldon Siegel entre les mains, je m’y délecte de chaque mot que mes yeux parcourent avec avidité. Je m’y plonge avec bonheur dans les aventures de ses personnages en proie avec l’injustice et la cruauté. De temps en temps, mon regard s’attarde sur mon environnement immédiat : la lampe de chevet déposée sur au sommet de la table basse, entre un ouvrage de Linwood Barclay et un autre de Robin Hood. Parfois, je me repose un instant et contemple les objets dont les lieux sont parsemés. Contrairement aux nombreuses pièces de l’appartement, ma chambre est le seul endroit où n’est pas disposée de bibliothèque ou d’étagère murale. Il y aurait bien entendu la place d’en mettre. Et Dieu sait que j’aurai besoin de davantage d’espace pour les milliers de livres qui y sont éparpillés. Mais j’ai décidé que, si ce n’est ceux destinés à me délasser après mes intenses heures de recherches, ils ne l’investiraient en aucune manière. Mentalement, je m’y représenté examiner le sol situé à environ deux mètres du fauteuil. C’est là que s’y observe un élément dont je suis le seul à connaître l’existence. Et encore une fois, il en rapport avec les Montferrand ; il s’agit du même blason que l’on retrouve sur le montant des lits que j’ai gardé en souvenir de leur Patriarche. C’est Elisandre qui l’a sculpté dans le parquet trois semaines après notre arrivée 42 rue des Anciennes Loges. Je lui en ai fait la demande, et il s’est aussitôt exécuté. De fait, il a reproduit l’Hydre à sept tètes dont je lui ai montré le tracé. Elle se trouvait – et se trouve - sur le haut de l’un des dizaines de feuillets où je rédige actuellement cette Chronique. Cet animal mythique est sculpté sur le sol. Replié sur lui même, ses ailes membraneuses s’y replient. Ses faces reptiliennes s’y déploient. Ses crocs et ses griffes ciselées comme des rasoirs y étincellent. Ses yeux n’y sont plus que deux fentes émettant une mince lueur écarlate. Ses écailles y luisent et y étincellent. Et des éclairs s’en échappent, puis l’auréolent. Je dois dire qu’Elisandre a tellement bien accompli son ouvrage qu’on croirait cette Hydre presque vivante. Il faut savoir que cette emblème existe dans la Famille Montferrand depuis le Moyen-âge ; à l’époque où son plus lointain ancêtre a participé à la Première Croisade aux cotés de Godefroy de Bouillon et de Hugues de Payns. Je ne me suis jamais penché sur ce qui me lie à eux. Je sais toutefois que le Clan Montferrand a un passé complexe, nébuleux, et qu’il cache de terribles Secrets. Qui n’en dissimule pas au sein de notre Fratrie ? Mais j’ai déjà bien assez à faire avec ma propre histoire, sans que j’aie à me préoccuper de celle de mes cousins. Pourtant j’ai gardé vivante cette Tradition me rattachant à eux.
Une fraction de seconde, je m’y suis imaginé plongeant mon regard au-delà de cette effigie. Me souvenant de l’atmosphère ambiante lorsque je suis dans ce fauteuil, je me suis rappelé que j’ai toujours du mal à en percer la pénombre. La table basse bordant mon lit m’empêche évidemment d’y discerner quoi que ce soit. La faible luminescence émise par les reflets du bas-relief dessiné ne parvient pas à éloigner les ombres environnantes. Mais il m’est aisé de deviner les objets éparpillés ça et là  : contre la paroi d’en face, un coffre et une armoire destinés à mes vêtements journaliers ; un lavabo pour mes ablutions ; devant eux, un tapis aux figures filandreuses et multicolores ramené de Chine il y a vingt-cinq ans. Au centre du parapet perpendiculaire à mon lit, resplendit un miroir dont les moulures alambiquées reproduisent des dizaines de salamandres. Sur le mur du fond, est encastrée une fenêtre beaucoup plus étroite que la baie vitrée de mon bureau. Celle-ci laisse apparaître des façades d’immeubles. Et surtout, à l’angle de la cloison est campé ce que je considère être un véritable joyau. Ce piédestal, ou « Reliquaire », d’un mètre de diamètre et de deux mètres cinquante de haut à appartenu à Guilhem Van Haguen. Or, parmi les Frères et les Sœurs de notre Communauté, ce dernier est mieux connu sous le pseudonyme d’Yliath le Nécromant. Alchimiste de renom, il a vécu au milieu du XVIIIème siècle. C’était un proche de Martinez de Pasqually, l’un des plus mystérieux personnages de son temps. Lequel aurait été son Mentor. Mais on ne sait pas grand-chose de lui, si ce n’est qu’il aurait gravité autour de plusieurs Loges Franc-maçonnes dans les années 1760. Il aurait vécu à Toulouse, y aurait fondé une Secte, « les Vrais Chevaliers Maçons Élus », en compagnie de son Guide. Il aurait aidé Martinez de Pasqually à étendre l’influence de sa Société Secrète à Bordeaux, Avignon, Marseille ou Libourne. Bien sûr, j’ai tenté de retrouver des traces d’Yliath le Nécromant et de son Mentor. Le problème, avec des individus tels que le comte de Saint-Germain, Martinez de Pasqually ou Guilhem Van Haguen, c’est qu’il existe très peu d’écrits les concernant. La plupart sont contradictoires et nébuleux. Beaucoup d’hypothèses courent à leur sujet, mais rares sont les faits concrets et vérifiables à disposition des chercheurs qui voudraient se pencher sur leur existence. Généralement, ils apparaissent subitement quelque part au milieu du XVIIIème siècle. Ils n’ont aucune nationalité, aucune date de naissance ou de décès, aucun parent. Il n’y a aucune représentation d’eux. Les seuls dont les biographes ont partiellement réussi à reconstituer les parcours, ce sont Cagliostro et le comte de Saint-Germain. Il faut avouer que dans le milieu des Alchimistes, des Occultistes et des Esotéristes ayant pullulé un peu partout en Europe durant la seconde moitié du XVIIIème siècle, il s’agit là de cas particuliers. En tout état de cause, c’est effectivement Yliath le Nécromant qui a conçu ce piédestal. Et selon mes informations, il s’en serait servi pour se plonger au cœur des Arcanes rattachées au Grand Œuvre ; le Grand Œuvre étant l’antique formulation d’une infime fraction désignant ce que nous nommons aujourd’hui par le terme « Art ». J’utiliserai donc souvent le terme « Grand Œuvre », et non « Art » en ce qui concerne les recherches Ésotériques de nos ancêtres. Il l’aurait confectionné à partir de textes soi-disant acheminés d’Orient en France alors qu’il n’avait pas encore atteint la trentaine. Puis, il l’aurait utilisé afin de produire une « Pierre Philosophale ». A-t-il réussi, comment, où ? Nul ne l’a jamais su ; et j’ai beau eu cherché dans toutes les Bibliothèques du monde ; j’ai beau eu lancé l’ensemble de mes informateurs à la recherche d’indices évoquant l’emploi de ce Reliquaire, il n’en n’est rien ressorti. En désespoir de cause, je me suis enquis de ceux qui en avaient hérité après qu’il se soit soudainement évanoui dans la nature début 1780. Et les derniers signes indiquant que quelqu’un l’a détenu, je les ai découverts à Foix : un certain François d’Esquart l’y aurait acheté et brièvement utilisé en 1827, avant de brutalement disparaître à son tour du jour au lendemain. Puis, plus rien au sujet de ce Reliquaire jusqu'à ce que j’en réentende parler il y a un an parce que mis aux enchères à l’Hôtel Drouot, que je mette près d’un million d’euros sur la table, et qu’il devienne ma propriété.
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