Les Quatre vents du Diable
Date 26-05-2014 17:18:21 | Catégorie : Nouvelles confirmées
| Figurez-vous qu’il vient de m’arriver une aventure si inattendue, si sainte, si diabolique, si grandiose, enfin, si aveuglante de clarté pour des yeux comme les miens qui jusqu’à présent n’avaient jamais su lire dans la pierre, dans l’espace, ni dans le temps, qu’elle m’a conduit à un tel état d’agitation que je prévois d’avance que je ne pourrez pas fermer l’œil de la nuit ; alors, je veux vous écrire pour vous conter ce qui vient de m’arriver. Goethe est le poète que j’admire le plus au monde. (A l’exception, peut-être, de Victor Hugo qui a écrit des poèmes qui sont des joyaux sertis de mots dont la valeur n'est pas due à leur rareté ni à leur richesse mais, au contraire, à leur abondance et leur humilité : il utilise des mots courants, des mots usés, de véritables « mots d’occasions » qu’il retaille, restaure, polit, assortit et assemble - ou monte en solitaire - avec un génie qui ne cesse de m’enchanter.) Me rappelant que Notre Dame de Strasbourg fut la muse élancée au tendre corps de gré rose qui inspira à Goethe le traité « De l’Architecture allemande », je voulus la connaître et, aujourd’hui, la voix du poète allemand me guida vers la Cathédrale. J’arrivai donc sur la place aux pavés moyenâgeux où, voici trois siècles, on alla creuser un sillon jusqu’au coeur de la terre pour y semer les fondations et les fondements de l’Église et où maintenant l’on peut y admirer l’édifice consacré par le génie de l’homme s’élever jusqu’aux nuages tandis qu’à l’intérieur de la basilique, une invisible présence attirée du ciel par la flèche dont Victor Hugo a dit que c’est « le véritable triomphe de cette cathédrale », enveloppe les fidèles d’une odeur auxiliatrice qui les fait prier avec plus de foi. N’avais-je pas fait trois pas que je me sentis, soudain, soulevé par un coup de vent d’une force extraordinaire et projeté en avant à une distance d’au moins vingt mètres où je fus pris, alors, dans un tourbillon qui me fit voltiger, les bras soulevés jusqu’au niveau des épaules par la force de rotation, comme un Derviche faisant une pirouette. Lorsque j’eus achevé ce numéro ridicule qui, fort heureusement, n’attira pas l’attention du rare public qui se trouvait sur la place à cette heure-là , un autre coup de vent vint me bousculer pour m’envoyer valser dans une direction qui devait être celle du sud car le soleil m’aveugla et je perdis l’équilibre ; je serais tombé sur le sol si un deuxième vent, venant en sens contraire, ne m’avait pas soutenu juste assez pour me pousser vers le troisième vent qui arrivait perpendiculairement de l’ouest et qui se débarrassa de moi comme d’une feuille morte que le quatrième vent, celui-là soufflant de l’est, emporta. Lorsque j’échappai enfin aux quatre vents dont je pouvais encore entendre les rires sur la place, je me trouvais devant la façade principale de la cathédrale. J’étais si furieux contre ces éléments qui m’avaient tourné le sang et fait tourner la tête, que j’attribuai leur conduite envers moi à une sorte de cabale ayant affaire avec Satan et me mis à maudire ces « vents du diable », or, je ne croyais pas si bien dire. On raconte, en effet, que lorsque fut annoncée la construction de la cathédrale, le diable, averti par le Vent, son serviteur, ou, si vous me permettez cette plaisanterie, « ayant eu vent » qu’on y avait érigé une statue en son honneur, somma ce dernier de l’y transporter pour vérifier de ses propres yeux la véracité de cette nouvelle qui avait tant flatté son orgueil qu’il voulut y être conduit sur le champ.. Le messager, devenu monture, « se mit en quatre » (vous vois-je sourire ?) pour son maître et le diable apparut dans l’édifice « en un coup de vent ». Hélas, point de statue ! Dans son dépit, le diable tapa si fort du pied qu'on dit qu’il fut « aspiré par un vitrail ». La place, affirme-t-on, est demeurée soumise « aux quatre vents » qui attendent toujours le retour de leur cavalier. (A suivre)
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