Devine qui vient dîner ?

Date 11-05-2014 09:02:01 | Catégorie : Nouvelles


Clotilde est ravie, le Pape vient dîner chez elle. Chez elle ! Rendez-vous compte ! Hermine et Marie-Caroline vont être vertes. La maison est impeccable, Maria a disposé des fleurs fraîches dans les vases. Des crucifix et des images pieuses ont été sortis des placards. Le Saint Père doit comprendre qu’il est chez de véritables catholiques pratiquants. Augustin aurait été si heureux de voir ça. Hélas, il n’a pas vécu assez longtemps pour connaître cet événement exceptionnel, il est mort après avoir bu son café pur Colombie. Le goût était un peu amer, Clotilde avait un peu forcé sur la dose de cyanure. Mais, bon, ne revenons pas sur le passé, son mari lui a sûrement pardonné ce moment d’énervement - laisser ses chaussures boueuses dans l’entrée, ce ne sont pas des choses à faire. Il avait été prévenu pourtant, Clotilde aime l’ordre et la propreté. Maria le sait, elle est Portugaise, et les Portugaises sont des bonnes exceptionnelles, c’est connu. Clotilde a fait un don conséquent à l’église pour être pardonnée, et ça a dû plaire à Dieu, puisqu’il lui envoie son représentant sur terre. Quel bonheur ! Quelle fierté !

La table est mise. Une grande nappe blanche est couverte de quatorze jolies assiettes en porcelaine de Limoges, un cadeau de mariage, se dit Clotilde en essuyant une larme. Les verres en cristal de Bohème sont alignés, et les couverts en argent brillent d’avoir été astiqués.

On sonne à la porte, les premiers invités arrivent, Clotilde leur a demandé d’être présents assez tôt pour ne pas faire attendre Sa Sainteté. Elle n’a convié que des hommes, elle veut être la seule représentante de la gente féminine. Le Pape François sera en blanc, elle ne pourrait pas supporter de n’être pas un peu la vedette de la soirée. Elle sera la seule femme, voilà son signe distinctif, Maria ne compte pas, c’est la domestique. Elle porte un tailleur rose pâle, et des chaussures sobres mais élégantes, ni trop hautes, ni trop basses. Ses cheveux blonds sont coupés au carré.

Clotilde n’a invité que des amis riches, capables de faire des dons à l’église. Pierre, André et Jacques arrivent en premier. Pierre tient une chaîne de magasins d’articles de pêche, avec son frère André. Jacques possède plusieurs bateaux avec son frère Jean.

- Jean ne va pas tarder, il a reçu un coup de fil urgent, un problème de filets trop pleins, on ne sait plus quoi faire des poissons. Pierre, il va falloir que tu nous vendes du matériel encore plus solide !

- Je peux t’en vendre autant que tu veux, j’ai acheté une nouvelle usine en Chine.
Philippe a une entreprise de transport, ses camions sillonnent les routes de l’Europe entière. Thomas fabrique des meubles, Matthieu est inspecteur des impôts, Thaddée est éleveur de bovins. Simon, l’autre Jacques, Barthélémy et Judas vivent de leurs rentes. Clotilde regarde le pauvre Barthélémy avec pitié, il marche avec une canne, il est né avec une jambe atrophiée. Ils portent tous des prénoms d’apôtres, elle n’a choisi que des amis catholiques pratiquants. Le pauvre Judas n’a pas eu de chance, quelle mouche a piqué ses parents, pour l’appeler ainsi ?

La vedette de la soirée arrive à 20 heures pile. Il est vêtu de sa robe blanche la plus simple. Il a un sourire apaisant.

- Bonsoir, chère Madame. Merci de me recevoir chez vous, c’est très gentil de votre part.

- Mais tout le plaisir est pour moi votre Sainteté.
Clotilde est rose de plaisir en faisant sa révérence et en embrassant l’anneau papal.
- Votre jardin est magnifique, les oiseaux y trouvent refuge, deux colombes sont venues se poser sur mon épaule, pendant que je marchais vers votre maison.

- Très Saint Père, quand on a choisi un nom comme le vôtre, il n’est pas étonnant que les oiseaux soient attirés.

- C’est très juste. Saint François d’Assise avait un don pour s’occuper des animaux. Il aimait tout le monde.

L’homme qui se tient au milieu de la pièce est calme et bienveillant, pourtant son regard est perçant, Clotilde a l’impression qu’il lit dans les pensées.

- Auriez-vous une bassine remplie d’eau, chère Hôtesse. J’ai bien peur d’avoir sali mes chaussures, regardez, elles sont pleines de boue.
Clotilde rejoint Maria à la cuisine, et lui demande une bassine d’une voix blanche. Sait-Il quelque chose ?

- Je pense que chacun d’entre nous devrait me laisser laver ses chaussures, dit le pape en se baissant.
Personne n’ose protester. François retire les chaussures des convives une par une, et les débarrasse de toute saleté.
- Quelle belle assemblée vous avez réunie très chère Clotilde, je vous en remercie. Pourtant je sais que l’un d’entre vous va me trahir.
Judas se demande s’il ne s’agit pas d’une plaisanterie. Ce pape est-il un comédien engagé par Clotilde, une sorte de sosie, qui ne serait venu là que pour le ridiculiser, lui, Judas, dont le prénom est si difficile à porter. Il quitte la pièce sans dire au revoir, il ne participera pas à ce dîner ridicule.

Soudain, Maria arrive affolée.

- Madame, j’ai un gros problème.
Clotilde est très ennuyée, elle sort de la pièce en lançant des regards furieux à sa bonne, qu’elle n’ose pas réprimander devant le chef de l’Eglise. Elle essaie de conserver un sourire faux sur son visage lisse.
- Que se passe-t-il enfin ? Apprenez à gérer les problèmes ma fille, ce n’est vraiment pas le moment.
Maria fond en larmes.

- Madame, les plaques électriques ne fonctionnent plus, rien n’est cuit. Il n’y a que du pain à manger. C’est une catastrophe, que va penser le pape ?
François a suivi les deux femmes dans la cuisine.

- Ne vous inquiétez pas mon enfant. Il y a du pain, nous avons largement de quoi nous régaler. Apportez nous ces baguettes croustillantes, ça ira très bien.
Clotilde est furieuse, mais elle ne veut rien montrer.

- Mais enfin cher Saint Père, Maria peut téléphoner au traiteur, en quelques minutes il peut nous apporter un repas complet.
D’un ton doucereux, elle s’adresse à la jeune bonne.
- Maria appelez le traiteur et commandez lui …

- Maria n’en faites rien, coupe l’homme d’Eglise. Nous mangerons du pain, comme le Christ avant nous.

Clotilde voit le pape rompre le pain, et le partager entre tous les convives.
- On se croirait à la messe, mes chers amis, plaisante le pape, c’est un signe que nous envoie Dieu.
Clotilde fait signe à Maria d’amener le vin, comme ça le tableau sera complet. Quand les verres sont pleins. La maîtresse de maison se lève, et demande à François si elle peut prendre une photo.
Chacun prend la pose, Maria est retournée en cuisine, le pape est au milieu des douze invités. Clotilde appuie sur le bouton de l’appareil photo numérique. Quelques secondes plus tard, les treize hommes tombent raides morts, la tête dans leur assiette.

- Ce pape d’opérette m’a gâché mon dîner, il se prend pour qui : « nous allons manger du pain comme le Christ », et puis quoi encore ! Que vont dire mes amies ? En plus je n’ai pas aimé son allusion aux chaussures boueuses. Que vais-je faire des corps ? Maria ! Maria !
Clotilde entre dans la cuisine, Maria est morte, elle avait voulu goûter le vin.

- Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ?


FB arielleffe



Cet article provient de L'ORée des Rêves votre site pour lire écrire publier poèmes nouvelles en ligne
http://www.loree-des-reves.com

L'url pour cet article est :
http://www.loree-des-reves.com/modules/xnews/article.php?storyid=4210