L'inauguration

Date 29-04-2014 10:28:25 | Catégorie : Nouvelles confirmées



Ce fut une bien belle cérémonie.....
La foule, sélectionnée dans les rues de la ville par des détachements de policiers et amenée manu militari sur la place où la joyeuse célébration allait avoir lieu, était parquée depuis bientôt deux heures, sous une pluie battante.
Les privilégiés de cette fête, maintenus par une barrière de protection gardée par quelques chiens policiers afin de prévenir l'infiltration d'éléments non invités, s'efforçaient à garder un sourire que quelques spécialistes de la rigolade, qui circulaient gravement parmi eux, veillaient à ce qu'il soit conforme aux directives qui avaient été données.
Face à eux, sur un haut mur lépreux, une grande pièce de tissu noir, dégoulinant d'eau, attendait l'émouvant instant où, une fois arrachée, elle dévoilerait ce qu'elle dissimule.
Le nouveau ministre du bonheur, à l'abri dans sa roll-royce personnelle ( les nouvelles mesures d'austérité ne prévoyaient que l'achat et l'entretien de leurs véhicules personnels ), attendait patiemment l'arrivée de la veuve de son prédécesseur, entourée de ses enfants.
En attendant, Monsieur le Ministre dégustait lentement une énorme pizza que ses deux blondes secrétaires, peut-être un peu trop court-vêtues pour la saison, lui glissaient dans la bouche , par petites bouchées.
L'animation de cette cérémonie avait été prévue. Un groupe de spécialistes de la rigolade s'était spontanément présenté pour égayer la foule :
Une jeune femme Belge, en sari traditionnel, tenait un stand de frites, contre la barrière de protection. Optimiste comme tous ceux de son pays, elle avait omis de prévoir une bâche qui abriterait son stand , ce qui faisait qu'elle était très affairée à tenter de sauvegarder hors d'eau son pot de mayonnaise dont elle avait égaré le couvercle.
Une viking blonde ( ce jour-là... ), essayait de présenter un numéro qui, d'ordinaire, par temps sec, lui valait beaucoup de succès; Avec des baguettes à bouts feutrés, elle prétendait jouer ' Ma Normandie ' sur les tablettes de chocolat qu'un jeune éphèbe , en string mini, lui présentait complaisamment., poitrine gonflée.
Un jeune homme, costume austère et serviette de cuir à la main, faisait de son mieux, pour entraîner, sur l'air de musique de la Viking , quelques récalcitrants à suivre son pas de danse quelque peu hésitant. Les palmes qu'il avait aux pieds semblaient rebuter les moins tièdes. S'ils avaient mieux regardé, ils auraient vu que ce n'étaient pas des palmes.
Un étonnant Breton, apparemment de fraîche date, le visage rouge à force de souffler sans succès dans un biniou, arrêtait fréquemment, trop fréquemment, sans doute , ses vains efforts pour téter goulûment des bouteilles de vin d'Anjou qu'il faisait surgir de ses poches ou d'une vaste musette .
L'erreur fut de laisser faire un vieux monsieur qui, arrivé avec une main glissée dans son gilet, en sortit un paquet de pétards de 14 juillet. Il ne faut pas laisser des allumettes à une catégorie de personnes, passé un certain âge.
A l'instant même où le premier claquement de pétard retentit, les CRS chargèrent la foule.
Après quelques instants de panique, au milieu des cris, des injures et des coups de matraques, on eut juste le temps de confisquer les coussins péteurs que le vieux monsieur tenait absolument à aller offrir au nouveau ministre.
Sur l’entrefaite, la veuve du ministre précédant arrivait avec ses deux adolescents en tenue de tennis.
Un silence respectueux s'établit aussitôt. Tout le monde se souvenait dans quelles tragiques conditions son époux avait quitté ce monde: faisant honneur à sa nouvelle fonction, un terrible fou-rire l'avait terrassé à l'occasion de la prise de fonction du nouveau président. Le voyant si pathétique , sous la pluie, dans son petit costume qui devenait de plus en plus étriqué au fur et à mesure qu'il se gonflait d'eau, le ministre de la rigolade, à force de se contenir, avait finalement fini par éclater, littéralement.....
La veuve, toute habillée de noir, ( mais du chic, hein ! ) était soutenue par son nouvel amant. Une mode s'était instaurée, dans le nouveau gouvernement, et il était de bon ton, très djeun', de s'afficher, avec une ostensible discretion, en compagnie de jeunes personnes, de tous sexes, et dieu sait à quel point les variétés pullulent, à notre époque.
Le ministre en fonction bondit hors de son véhicule, de la sauce tomate sur sa cravate, et les privilégiés installés au plus près de la voiture eurent le temps d'entrevoir quelques tronçons de chair blanches perdus dans des dentelles.
A la vitesse d'un curé faisant sa messe de Noël avant de passer à table. le ministre entreprit un discours sans relations avec l’événement en cours. Quelques fines oreilles comprirent qu'il était question du prix du lait payé aux paysans. Rien d'étonnant quand on sait que le précédent ministère du ministre était celui de la justice.
La dame en noir, plus soupesée que soutenue par son secrétaire, fila à fond de train, elle était venue pour cela, au pied du torchon noir qui, de toutes façons, allait bientôt tomber tout seul si on ne prenait pas les devants.
C'est à cet instant même que notre hypothétique Breton réussit à obtenir une note éraillée de son biniou, rythmée par un son de cote d'éphèbe , obtenu par une Viking surexcitée.
Si on ajoute qu'au même instant, le bruit du couvercle à mayonnaise, que la Belge en sari, avait enfin retrouvé, ajouta sa guillerette note métallique à cet émouvant et solennel instant, vous aurez un aperçu de la grandeur du moment.
Le tissu noir tomba tout seul, comme prévu, sur la veuve qui aussitôt s'enfuit, à l'aveuglette, pendant que ses enfants échangeaient quelques balles.
Le silence qui tomba brusquement sur l'assistance fut vraiment impressionnant...
Bouche bée, les spectateurs regardaient le mur, maintenant libéré de son linceul.
Le symbolisme de la statue dévoilée était puissant. Elle concrétisait bien ce que le nouveau ministère était censé représenter : La joie, la festivité, l'abondance et les couleurs d'une vie heureuse.
Et quoi de mieux que le clown de Mac Donald, pour les représenter ?





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