Petite anecdote paronymique

Date 23-04-2014 11:20:00 | Catégorie : Nouvelles


Chez nous, la tradition veut que dans les discussions, des mots français assaisonnent nos phrases arabes. Tout le monde, ou presque, tient à ce lègue de la France coloniale, il importe peu que dans cette prouesse, l’ornement ait le cou tordu.
Dans mon village, on ne déroge pas à cette habitude.
Un jour en parlant à bâtons rompus avec un ancien camarade de classe, lors de l’une de ces retrouvailles, comme il en arrive souvent, et qui nous semblent des moments hors du commun, je vins à lui dire que durant ma vie estudiantine j’avais fait beaucoup de plonge. Ce dernier mot était l’ornement dont j’ai usé.
Cet ami ne savait certainement pas que faire la plonge c’est se taper une pile d’assiettes, des fagots de couverts et des batteries d’autres ustensiles crasseux afin de les faire briller.
Il devait surement confondre avec la plongée sous-marine.
Mais alors je ne savais pas qu’il a mal intercepté ce que je lui avais confié.
J’ai oublié cette fameuse discussion et le montage de ma vie m’emmena par l’un de ces caprices du metteur en scène qui écrit le synopsis des nos existences, bosser dans une petite ville bien loin de mon village natal.
Un jour, après le déjeuner, alors que je quittais mon domicile, sans trop savoir où aller, étant vacant l’après-midi, j’entendis appeler mon nom d’un ton de surprise. Je me retournai, et là encore c’était l’une de ces rencontres dont je parlais plus haut. Une tête se penchait par dessus la vitre à moitié baissée d’une superbe voiture ; au volant, cette tête imposante, que je connaissais bien, mais dont le nom m’échappait totalement, m’appelait. Oui, ces cheveux qui fuyaient en vague vers l’arrière, ces cheveux devenus à présent couleur sel et poivre, ce nez fort, peut-être un peu plus que vingt ans auparavant, ces yeux imperceptiblement bridés, et ce sourire malin ; je les connaissais parfaitement, cependant sans le nom qui les promenait.
- Tiens ! Cousin ! quelle surprise ! dis-je en m’efforçant d’y mettre le plus de chaleur possible.
Et c’étaient des accolades à n’en plus finir.
Et des salamalecs ; c’est le cas de le dire !
J’appris alors comment un simple douanier, payé une solde de misère, avait la possibilité de mener une existence de nabab ; grâce bien sûr, à cette révolution de jasmin, venu balayer les corrompus !
- On m’a parlé de toi au village, me dit-il d’un air fin avant de me demander si j’étais disponible l’après-midi de cette journée radieuse là.
Et comme je lui répondis que je chômais, il déclara :
- Parfait, voilà longtemps que je pensais à te faire une surprise, seulement je ne savais pas où tu avais disparu ! tu viens très rarement au village, n’est-ce pas ?
Et sans attendre ma réponse, il démarra tout en abordant un autre sujet.
Bon ! Pensai-je. Encore un parvenu qui voudrait prouver à un ancien camarade qu’il connaît bien la vie !
Maintenant il va m’emmener picoler dans un hôtel sur la côte à une trentaine de kilomètres de là, avec des pauvres filles chassées de la légalité des bordels par des barbus zélés, et tirant, dans cette nouvelle conjoncture, le diable par la queue !
Néanmoins, ce cadeau, n’était somme toute pas mauvais, pour le pauvre diable que j’étais !
Après un quart d’heure la voiture ralentit à proximité d’une petite bâtisse perdue au milieu des arbres de pin sylvestre et de noyers, gratifiée de l’inscription « Club Nautique », puis s’y engagea.
Le portier fit un signe amical à mon ami. Celui-ci rendit le salut et dit en me montrant
- C’est un nouveau membre, un pro qui a fait ses preuves en Europe !
Je ne comprenais rien à ce qui se passait ! Pas de cuite, ni de filles !
Bientôt nous fûmes dans une sorte de grand hangar qui donnait directement sur la mer avec une cafétéria à côté et des barques et vedettes amarrées le long du petit quai.
Il y avait là toute sorte de matériel de plongée sous-marine.
- Je sais que tes conditions ne te permettent pas de pratiquer ton activité préférée ; mais à partir d’aujourd’hui, ça va changer !
C’est sûrement une blague ! Je n’ai jamais moulé mon corps dans ces accoutrements ni fait de la plongée d’ailleurs ! Mais mon ami ne voulait pas me croire ! Il disait que j’étais trop modeste, que dans le village, tout le monde connaissait mes exploits et que certains avaient vu des photos de moi, et même lu des articles !
Comment ai-je pu avoir cette renommé ?
Soudain, la fameuse discussion futile me revint à l’esprit. Certains détails négligés alors me frappèrent. L’air surpris, voire épaté, de cet ami là prirent un sens dans mon esprit ! Mais trop tard !
Ah ! Le téléphone arabe avec sa tendance à l’hyperbole avait fonctionné !
Comment faire, à présent, afin de ne pas passer pour un hâbleur ?




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