Une journée particulière

Date 16-03-2014 13:28:01 | Catégorie : Nouvelles



Une journée particulière

7 heures, le réveil sonne. Il est trop tôt ! Pourquoi cette machine me harcèle-t-elle dès le matin ? Debout !

Je m’assieds au bord de mon lit, et quelque chose a changé, mes cuisses sont énormes, velues, mes pieds sont énormes aussi. Je regarde mes mains, elles sont recouvertes de longs poils noirs.

Je me lève d’un bond. Quelque chose me gêne entre les jambes. C’est gros, raide et très sensible.

Je suis devenue un homme !!! Comment est-ce possible ? On ne peut pas changer de sexe pendant la nuit !

Je mets ma robe de chambre et je vais me regarder dans la glace. Je vois un homme grand, assez baraqué, vêtu d’un peignoir rose qui lui donne un air complètement ridicule. Je ressemble à mon père et à mon fils, je dis « je » puisque de toute évidence il s’agit bien de mon reflet. Je me pince, je dois rêver, il m’arrive parfois de faire des cauchemars très réalistes qui me laissent une impression bizarre au réveil.

- Aïe !

De toute évidence je suis bien un homme, je suis devenue aussi douillette en tout cas. Une bonne douche va me remettre les idées en place. Pourtant, en sortant de la salle de bain je suis toujours dans le même état.

Je dois remplacer un professeur dans une école ce matin, je dois absolument y aller j’ai besoin d’argent et je veux qu’on me propose d’autres emplois après celui-là. Comment m’habiller ? Il faut que je me dépêche en plus ! Mes jeans sont trop courts et trop serrés, mes pull sont minis, je suis mal ! Mes chaussures sont trop petites et les bottes à talon ne me semblent pas appropriées.

Vite réfléchissons ! La garde-robe de mon fils, voilà la solution. Il va me tuer quand il va savoir que je lui ai emprunté ses affaires. Remarquez quand il va voir que sa mère s’est transformée en homme ça va lui faire drôle aussi.

J’ai l’air d’un vieux habillé en « djeune ». J’ai mis un « slim » et un sweat-shirt pré usé, bleu délavé. Tant pis, je dois faire cours à des ados, ça va peut-être leur plaire.

Je suis complètement affamée, le petit bout de pain que je mange d’habitude ne va pas me suffire ce matin, il me faut « du lourd ». J’avale une demi-baguette et je sors.

Je saute dans ma voiture rouge décorée de fleurs, un véhicule de « tarlouze » comme diraient certains de mes anciens collègues. Tant pis, il va falloir que j’assume pas mal de « différences » aujourd’hui, et peut-être dans l’avenir. Mais n’y pensons pas. Une chose à la fois. Dans ce genre de situation il ne faut pas réfléchir à toutes les conséquences autrement on s’affole et on reste paralysé et inactif. Ma voiture me paraît minuscule, mes jambes se cognent au volant. Même si je recule le siège à fond. J’ai l’impression d’être recroquevillée dans une voiture de Lilliputien.

- Bonjour Monsieur Ferry, nous attendions une Madame Ferry, il y a une erreur sur nos papiers. Bienvenue dans notre établissement. Je vous montre votre classe. Vous remplacez Madame Jasper pour la journée. Une bien jolie femme. Elle a un enfant malade. C’est la troisième fois depuis Septembre, ses gamins attrapent tout ce qui traîne. Ah ces femmes on ne peut pas compter sur elles ! Me dit-il en riant.
Pour une fois, on ne me dit pas que je suis charmante, et la main de mon interlocuteur ne s’attarde pas dans la mienne d’une façon gluante quand il me salue.

- Son mari ne s’arrête pas pour les garder ?

Je ne devrais pas dire ça, mais je ne peux pas m’en empêcher. Le proviseur semble surpris :

- Son mari travaille aussi chez nous, mais il enseigne à des terminales, il ne peut pas supprimer ses cours.

Je me mords la langue pour ne pas répliquer qu’il n’y a qu’à laisser mourir ces pauvres gosses, comme ça aucune leçon ne sera annulée, mais j’ai besoin de ce job.

Je rentre dans la classe :

- Bonjour.

Ma voix est forte et porte jusqu’au fond de la salle. Le brouhaha cesse immédiatement. J’écris mon nom sur le tableau et commence à faire l’appel.
Les élèves me regardent avec respect, je vois presque de la crainte dans leurs yeux.

D’habitude, on me fixe d’un air goguenard, et on me dit que la prof habituelle est plus sympa, plus jolie, qu’elle explique mieux. Là, rien de tout cela, ils me respectent d’emblée, je n’ai pas de gros efforts à faire, pas de stratégie à mettre en place.

Les heures d’enseignement se passent à merveille.

Après le travail je pars me promener en bord de mer. Quel bonheur de pouvoir aller partout, même sur ce petit chemin entouré par de hautes herbes. Je me sens en sécurité, je n’ai pas peur qu’un pervers m’attende au détour d’un bosquet. Je croise des types à la mine patibulaire, mais ils ne me regardent même pas. J’aurais bien envie de me cacher et d’attendre qu’ils importunent une femme seule. Je me ferais un plaisir de leur mettre mon poing sur la figure, quelle délectation ce serait. Je serais même peut-être capable de tuer. Le gars paierait pour tous les malades que j’ai pu rencontrer dans ma vie de femme.

Un grand gaillard me fait un sourire, c’est un homo en train de draguer. Bon, il ne risque pas de me violer c’est toujours ça.

Cela fait une heure que je marche, et je n’ai entendu aucun sifflement, aucune remarque du style :

- T’es bonne, tu sais ?

Je me sens respectée et prise au sérieux.

A 17 heures j’ai rendez-vous chez le garagiste, c’est pour la révision habituelle. J’ai remarqué une odeur bizarre dans l’habitacle depuis que le mécanicien a changé le radiateur.

- C’est une odeur de liquide de refroidissement, il y a peut-être une fuite quelque part.


- OK, on va vérifier tout ça, je suis désolé, on va voir s’il y a un problème.
L’attitude du garagiste m’épate ! Quelques temps avant, le même genre de mésaventure m’était arrivée avec une autre voiture :

- C’est une odeur de liquide de refroidissement, il y a peut-être une fuite quelque part.

- Impossible on a tout vérifié. Ça ne sent rien le liquide de refroidissement !

Il me prenait pour une idiote, l’odeur de ce fluide ressemble à de l’œuf pourri.


- Le tableau de bord ne s’allume plus, il n’y a plus aucun voyant, quelque chose a dû être mal rebranché.

- On a passé deux heures dessus, il fallait démonter le tableau de bord pour accéder au radiateur, on ne va pas recommencer. De toute façon elle roule, vous n’avez pas besoin de regarder les voyants.

Il me parlait comme à une demeurée, il avait l’air supérieur de celui qui sait et ne peut pas expliquer à un individu qui n’a pas les capacités de compréhension minimales.

- Ça n’est pas normal, il faut que vous les rebranchiez, c’est dangereux. Je ne sais pas si je roule en plein phares ou en feux de croisement. Et cette odeur ! C’est insupportable.

- C’est pas vous qu’avez pété plutôt ? Faut la changer votre voiture elle est pourrie !

J’avais été sciée par sa vulgarité. Comment osait-il me parler sur ce ton ? Ce même homme rigolard et mal élevé, jouait aujourd’hui, les pros consciencieux, j’avais envie de l’écraser comme une punaise.
Une jeune fille en mini-jupe passe sur le trottoir pendant que je suis perdue dans mes réflexions. Un sifflement suraigu me ramène au présent.
- Alors on prend l’air ma poule ?
Cet homme rougeaud de 60 ans siffle une gamine de 13 ans et ose lui manquer de respect devant moi, il me fait même un clin d’œil !

- C’est des « pousse-au-crime » à cet âge-là.
Je vais la massacrer cette immonde crapule.

- C’est ma fille. Vous la prenez pour une pute ?

Tout dans mon attitude est menaçant, le cafard qui se tient devant moi se liquéfie. Il bafouille :

- Je ne savais pas, excusez-moi. Elle est bien jolie en tout cas, félicitations.

La petite n’est pas ma fille mais elle pourrait l’être.

- Vous voudriez que les hommes s’adressent à votre fille comme vous venez de le faire ?


- Je, je n’ai pas de fille.

Il n’est plus rouge, il est violet.

- Je reviens chercher ma voiture demain en fin d’après-midi.

Je tourne les talons sans attendre sa réponse, il est au bord de la crise cardiaque et ne peut plus parler de toute façon.

Cette journée s’est bien passée mais j’ai envie de redevenir une femme. J’ai envie de retrouver ma taille normale, mes robes et mes escarpins. Les jeans serrés sont très inconfortables quand on est un homme. J’en ai marre d’avoir faim tout le temps.

Quelle angoisse de se réveiller ainsi transformée, est-ce que c’est déjà arrivé à d’autres, est-ce que c’est une mutation génétique ?
Je m’aperçois qu’on ne respecte pas les femmes, je le savais déjà, mais les gens semblent habitués à cet état de fait. Je suis fatiguée d’avoir à batailler contre des débiles mentaux pour me faire une place. Tout le monde semble se résigner, même les femmes.

La journée se termine. Je vais me coucher, que va-t-il se passer demain ? Aurais-je retrouvé le sexe de ma naissance ?
Mystère…

Bonne nuit !
FB arielleffe




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