Rencontre troublante

Date 11-10-2013 05:30:00 | Catégorie : Nouvelles confirmées


Il a croisé son regard la semaine dernière et cette vision l’a troublé. De manière discrète, il l’a épiée. Elle prend un café chaque jour à la terrasse du café « La Paix » avant de se rendre au siège social de la banque Fortis.

Elle ne doit pas avoir plus de vingt-cinq ans. Lui en a cinquante mais, les cheveux à peine grisonnants, il en paraît dix de moins, selon les femmes qui se sont intéressées tant soit peu à sa personne. Il n’a jamais connu autre chose que des relations sans lendemain depuis son départ. Ils avaient la vingtaine tous les deux et faisaient de grands projets. Il était jeune architecte et, elle, artiste peintre. Elle s’appelait Isabelle. Il aimait la façon dont elle lui susurrait à l’oreille : « Tu es mon Roméo, Carlo. ». Rapidement et, en raison de son talent, il avait gravi les échelons dans la société qui l’employait. Il était moins présent à la maison. Isabelle partait souvent à l’étranger afin d’exposer ses œuvres dans diverses galeries d’art. Les projets communs devenaient de plus en plus difficiles à construire. L’expression « loin des yeux, loin du cœur » n’est pas dénuée de sens. De « couple », ils sont passés à « cohabitants » jusqu’au jour où Isabelle prit ses valises et quitta définitivement le domicile, sans laisser ni mot ni adresse.

Aujourd’hui, il est décidé à aborder la jeune femme. Elle se trouve à la table habituelle. Doucement, il s’approche.

« Puis-je me joindre à vous ? Il me reste dix minutes avant de prendre mon métro. »

Un peu étonnée par sa demande, elle accepte. Carlo découvre son regard noisette avec des pigments verts. Il cache son trouble en commençant à parler de la pluie et du beau temps, pour embrayer sur la passion qu’il voue à son métier. Cette conversation le fait revenir trente ans en arrière. S’étant livré, il en attend de même de la part de la jeune fille.

« Et vous ? Que faites-vous ?
- Je suis responsable du service recouvrement dans une banque.
- Ce n’est pas un métier courant.
- Ma mère aurait voulu quelque chose de plus … créatif.
- Il faut avoir de l’imagination pour convaincre les gens de rembourser !"

Et elle se met à rire par petits gloussements, ce bruit lui semble si familier.

« Et votre père, que voulait-il pour vous ?
- Je ne sais pas. Je n’ai qu’un beau-père et je ne connais pas mon vrai père. Ma mère a toujours gardé jalousement le secret.
- Vous n’avez pas cherché à savoir ?
- Non. Je me dis que si elle l’a quitté, c’est qu’elle avait une bonne raison.
- Peut-être. Puis-je vous offrir une part de tarte aux fraises ? C’est le gâteau du jour.
- Non, merci. Je suis allergique aux fraises. Si j’en consomme, j’ai des plaques rouges sur le visage et …
- Vous vous grattez pendant plusieurs jours !
- C’est juste.
- J’ai le même problème. C’est une allergie courante malheureusement. Je vais devoir vous laisser sinon je vais rater ma rame. J’étais très heureux de faire votre connaissance, Mademoiselle. Comment vous prénommez-vous ?
- Carla.
- Très joli. Au plaisir ! »

Elle lui tend une main qu’il serre. Le sourire de la jeune femme est rayonnant et les pigments verts de ses yeux semblent se mettre à briller. Il est quelque peu troublé, baisse le regard et lui adresse un sourire gêné avant de se précipiter vers la bouche de métro.

Assis sur la dernière banquette libre. Il sort de son portefeuille une vieille photo jaunie d’Isabelle. En remontant la manche de sa chemise immaculée, il observe la tache de naissance qu’il porte sur son poignet droit, la même que Carla. Il n’aurait jamais cru Isabelle capable de lui cacher un si lourd secret. Une larme coule lentement sur sa joue … et une pensée lui traverse l’esprit : « Je suis … père ! ».




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