
La Bag Noz
Date 28-07-2013 02:00:00 | Catégorie : Poèmes
| La Bag Noz
Il y a bien des chagrins que la mer accompagne D'Audierne à Saint-Malo, de Paimpol à Quimper Des parages de Sein, dans toute la Bretagne Et de bien grands malheurs pour ceux du Finistère.
Là , au bout de l'Europe et le nez vers le large Comme un fier promontoire est le pays d'Ar-Mor Où du noble vaisseau jusqu'à la moindre barge L'on ne peut éviter souvent un triste sort.
L'océan déchaîné mange des équipages C'est un pays de veuves, tout de coiffes dressé Tout au fond de la mer, naufrage après naufrage Des corps de matelots sont ensemble tassés.
Souvent dans ces parages la mer est bien cruelle Prélevant chaque année son compte de marins Les Koz à la veillée bien souvent parlent d'elle Et leurs tristes histoires jusqu'au fond vous étreint.
Leurs récits sont parfois qualifiés d'incroyables Quand ils content à voix haute qu'ils ont vu la Bag Noz Avec son équipage ô combien pitoyable Et l'on voudrait alors les faire taire, mais nul n'ose.
A bord de la Bag Noz sont des âmes errantes Peuplant le bâtiment des cales à la mâture Celles des matelots en quête permanente D'un sacrement chrétien et d'une sépulture.
Le Recteur les bénit, bien sûr, lors des naufrages Mais leur corps à jamais s'engloutit dans les eaux Leur âme est pour toujours éloignée des rivages Nulle tombe n'existe pour abriter leurs os.
Elles errent ainsi sur ce vaisseau fantôme Que l'on voit disparaître, puis revenir d'un coup S'estomper à nouveau ne laissant nul atome Encore une vague ombre... et puis plus rien du tout.
Et c'est lors des tempêtes que souvent on la croise Les marins de Bretagne en savent la raison Qui prédit un malheur dedans les eaux d'Iroise Des marins engloutis sans aucune oraison.
Sur la partie arrière se tient l'homme de barre On dirait un vieillard, hirsute, déchiqueté Ceux qui l'on vu de près assurément sont rares Car il vire de bord lorsqu'il est approché.
Un soir un capitaine dont la mère éplorée Pleurait encore son homme, humble pêcheur de Sein Souhaita que l'esprit, l'âme du marinier Rejoigne le Bon Dieu pour s'endormir enfin.
La pluie et le brouillard, les vagues déferlantes Ne l'empêchèrent point de monter sur le pont Devant l'homme de barre, les âmes délirantes Il se dressa d'un bond et soudain leur fit front.
"Requiescat in pace, âmes des défunts Dont les corps n'ont pas pu être mis dans la terre Vous qui avez souffert une aussi triste fin Dont les noms ne figurent dans aucun presbytère !"
On dit que la Bag Noz disparut à l'instant Où le marin breton eut prononcé des mots Elle est partie - sans doute - dans un repli du temps Entraînant avec elle et l'homme et son canot.
Nul ne la revit plus dans ce coin d'Atlantique Est-ce que les âmes en peine ont trouvé le repos Ou bien navigue-t-elle encore en Antarctique Ce grand vide glacé que craint le matelot ?
Mais encore aujourd'hui des marins disparaissent Où vont donc leurs esprits quand sombrent leurs esquifs ? Mais l'océan qui gronde et qui gémit sans cesse Entre chaque marée le raconte aux récifs.
Nous ne saurons jamais la fin de leur voyage Cela est leur secret, bien au-delà du temps Mais le soir, en Bretagne, écoutez leur message Que conte sur la lande la morne voix du vent.
Quand le soleil se couche sur une mer étale Délayant ses rayons sur un fond de ciel rose Les hommes et l'Atlantique, en osmose totale Portent ensemble un hommage à ceux de la Bag Noz.
Marins, quand vous serez dedans la mer d'Iroise Et que vous franchirez la Baie des Trépassés Sortez le boujaron au poste d'équipage Buvez à la mémoire de ceux qui sont passés.
En hommage à Eric TABARLY; A-t-il croisé la Bag-Noz ?
nb : - Bag Noz = littéralement : barque de nuit. - Les Koz = les vieux, les anciens.
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