Le naufragé et le cocotier

Date 09-07-2013 08:30:00 | Catégorie : Nouvelles


Estéban est le seul survivant du naufrage. Grâce à ses talents de nageur, il a atteint cette île. Après avoir repris son souffle et ses esprits, il observe les alentours. Le spectacle qui s’offre à lui est digne d’une carte postale : une plage de sable fin, léchée par une mer bleu azur, bordée par une forêt luxuriante sous un soleil de plomb. Un paradis pour touriste, un enfer promis pour naufragé. Le jeune homme fouille ses poches et retrouve son smartphone. Il fonctionne mais, sans réseau, impossible de lancer un SOS par SMS. Par dépit, il prend une photo souvenir. Une machette lui aurait été plus utile pour s’enfoncer dans la jungle à la recherche de nourriture. Il tombe rapidement sur un cocotier aux fruits bien charnus. Mais ces derniers pendent à plus de quinze mètres du sol et notre Estéban est meilleur nageur que grimpeur. Il se met à enlacer le tronc rugueux et, par des mouvements de vas-et-viens du bassin, tente de le secouer. Mais ses efforts ne portent pas les fruits espérés. Il maugrée contre l’arbre en continuant son chemin. Le soir tombe et le jeune homme choisit de rejoindre la plage, qui semble le lieu le moins hostile, sous la lueur pâle de la lune. Il pose quelques feuilles géantes au sol afin de s’en faire une couche de fortune et s’endort, le ventre vide.
Au réveil, il sent son estomac se nouer et réclamer quelque pitance. Il repart donc dans sa quête pour survivre. Il trouve un point d’eau fraîche et en profite pour étancher sa soif et faire un brin de toilette. Il passe des heures à sillonner l’île sans trouver le moindre aliment. Il repasse devant le cocotier, fouille le sol du regard à la recherche d’une noix qui se serait détachée. Il entend des bruissements. Il lève la tête et aperçoit un singe dans le feuillage. Il tourne un fruit et le décroche sans aucun effort. Estéban l’interpelle :
« Hé ! Donne m’en une, mon frère ! »
Le primate observe quelques instants cet animal au pelage étrange avant de s’éloigner avec son butin sous le bras. Le naufragé rage, peste, injurie le singe déjà bien loin en train de déguster l'eau désaltérante de la coco bien mûre.
Les jours passent et notre homme, à la silhouette de plus en plus chétive, se rend chaque jour au pied du cocotier avec toujours le même espoir déçu. Il est à bout de forces et s’en prend vertement à l’arbre :
« Tu vois que je meurs de faim et tu gardes jalousement tes fruits pour les singes. N’as-tu pas pitié ? «
Face au stoïcisme du végétal, il entame une série d’injures. A ce moment, une noix bien mûre se détache de sa branche et entame sa descente silencieuse. Elle prend de la vitesse et part briser le crâne du naufragé qui s’écroule.
« Et même pas un merci ! pense le cocotier. »




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