La vie est un manège (chapitre 5)

Date 30-04-2013 20:20:00 | Catégorie : Nouvelles


Chapitre 5 : Désir


Une semaine s'est écoulée depuis mon geste fou. Nous n'en avons plus reparlé.
Plus les jours passent plus nous nous rapprochons. Dès que nous nous retrouvons en présence de l'un de l'autre, instinctivement, nos pas se font l'un vers l'autre. Au moment des pauses nous parlons beaucoup. Le plus souvent, je le questionne sur son travail à la caserne des pompiers de Carlan et lui sur ma recherche d'emploi qui n'aboutit pas. Pour le repas de midi, il se joint à nous, opérateurs de manèges, alors qu'avant il préférait rester dans son bureau avec le chauffage en temps frais et la climatisation en temps chaud.

Ce jour-là, la matinée se déroule sans encombre.
Je suis devant ma salade de pâtes en écoutant pester un de mes collègues qui a dû appeler la sécurité pour un client, qui est devenu insultant et violent. Notre tracas quotidien !
Je n'ai pas envie de participer à la conversation. C'est toujours la même rengaine. Sous prétexte qu'ils ont payé, les clients se croient tout permis. Le manque de respect, de politesse, de courtoisie, les insultes, les engueulades, la violence, on a droit à tout. Même les enfants s'y mettent. Le soutien de la hiérarchie envers son personnel est inexistant. Le plus souvent elle remercie le client de la perturbation causée en lui offrant des entrées gratuites. Pour moi cela est intolérable, révoltant. Mais bon, on ne peut pas refaire le monde.

Du coin de l'œil, j'aperçois la porte du bureau s'ouvrir. Gary sort avec son téléphone à l'oreille. Je l'observe discrètement. Comme d'habitude, dès qu'il est dans mon champ de vision, les battements de mon cœur s'accélèrent, mes poils s'hérissent et en même temps mes joues deviennent brûlantes. Ce phénomène se produit généralement quand j'apprécie énormément une personne. Il raccroche puis s'avance vers notre table. Il dépose une de ses fesses sur le banc. Je me déplace un peu puis le tire pour qu'il s'installe confortablement. Nos mains se frôlent, je sens une décharge de désir s'insinue en moi. Je la mets aussitôt de côté en me levant précipitamment. Des regards interrogateurs se retrouvent sur moi.
- J'ai une crampe, dis-je en exagérant sur le boitement de ma jambe gauche.
Après mon explication erronée, chacun reprend là ou il en est. Sauf Gary, qui suit mes va-et -vient d'un regard à la fois inquiet et attentionné.

Subitement, la majeure partie des personnes présentes se mettent debout. Je lève les yeux vers la pendule et remarque qu'il est bientôt l'heure de la parade.
Je m'immobilise comme une idiote au milieu de la cour et regarde partir mes collègues. En seulement une minute, il n'y a plus personne. Je me réinstalle sur le banc inconfortable et sors mon bouquin.

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Avec l'ouverture du passage vers les abysses, la foule sur les manèges est restreinte. L'ambiance est calme. Je suis installée sur ma chaise, à l'ombre du parasol. Je me regarde dans la vitre de la cabine et m'aperçois que le serre-tête en forme de corne que je porte et de travers. J'arrange ma coiffure et l'accessoire par la même occasion. Des pas dans le gravier se font entendre. Je me lève et me dirige vers mon entrée. J'aperçois une petite tête blonde parvenir jusqu'à moi. J'ouvre mon portillon est là laisse entrer. J'attends quelques minutes que d'autres gamins arrivent mais personne. Je vais pour installer ma seule cliente mais cette dernière est déjà assise et attachée. Je souris face à la perspicacité de l'enfant. Je vérifie tranquillement mes portes et les attaches de la petite puis je mets mon manège en route. Je reste un instant debout, voyant la fillette calme, je me remets sur mon siège et suis le mécanisme des yeux. La sonnerie de fin de l'attraction me fait sortir de mes rêves. La blondinette se débrouille pour s'extirper de sa chaise. Je me dirige vers la sortie et lui ouvre. Elle court en direction de sa mère tout heureuse par ce tour. J'assiste avec émerveillement à cette étreinte puis repars vers ma place.

Au moment de m’asseoir, j'attends qu'on m'appelle. Je cherche d'où peut provenir cette voix. Soudain je me rappelle la personne qui s'occupe de la pêche aux canards à quelques mètres de mon manège. Je vais donc la voir. Elle me demande un seau d'eau que je m'empresse de lui porter. Durant le court chemin, le seau me déséquilibre. Je m'appuie sur la barrière en bois et là je sens un objet froid qui me transperce la main. Sans regarder ma blessure, je m'en vais donner mon eau. Je lève le lourd objet et le pose sur le comptoir.
- Voici ton eau, lancé-je à l'adresse de la femme d'âge mûr.
- Merci, me remercie-t-elle en prenant le seau qu'elle déverse dans la rigole.
Je reprends mon bien puis retourne rapidement à mon poste.

Sans perdre plus de temps, je prends un mouchoir et l'appose sur ma main, en appuyant fortement afin d'arrêter le saignement. Le grincement du portillon me fait relever la tête. Ma collègue arrive de sa pause.
- Super, je peux prendre ma pause ? J'ai un petit souci, lui relaté-je en lui montrant ma main blessée.
- Comment t'ais-tu fais cela ?
- Je te raconte tout en revenant.
- Ok pas de problème.
Je prends mon sac puis m'en vais en direction du poste de secours. À la porte, je tape un coup puis entre sans entendre la réponse. Un dos d'une musculature athlétique, un fessier mit en évidence par un jean serré, entrent dans mon champ de vision.
- Gary, mais que fais-tu là ? Questionné-je surprise.
- Patrice est à la sécu spectacle. Il y a eu une urgence donc j'ai pris sa place, explique-t-il tout en s'avançant vers moi. Qu'est-ce-que je peux faire pour toi ?
Je retire le tissu de ma blessure puis je lui tends la main.

- Bon sang mais qu'est-ce-que tu as encore fait ? Me demande-t-il avec un ton de reproche.
- En amenant un seau d'eau à Véronique, je me suis appuyée la main sur la barrière en bois et une vis, ou un clou, je ne sais pas c'est planté dans ma main. Ce n'est pas de ma faute si tes collègues font mal leur travail, bafouillé-je avec énervement.
Pour simple réponse, il affiche un sourire des plus lumineux.
En seulement quelques minutes, il désinfecte la plaie puis me bande la main.
- Merci, lâché-je en me levant.
- Mais de rien, me répond-t-il en se lavant les mains.

Je me dirige vers la porte. Il me suit de prés. Je pose ma main sur la poignée, il fait de même. Sans le vouloir, mes doigts se mêlent aux siens. Il se rapproche plus près de moi. Il approche son visage du mien. Encore une fois c'est moi qui fais le premier geste en déposant mes lèvres sur les siennes. Il se retire doucement puis plonge son regard intense dans le mien. Il verrouille la porte puis m'embrasse passionnément. Je sens son cœur battre la chamade. Je me laisse aller à ses doux baisers qu'il me donne dans le cou. J'en profite pour retirer la chemise de son jean et lui caresser le dos.
Il me colle gentiment contre la porte. Sa main descend lentement le long de mon corps et s'attarde sur ma cuisse puis revient pour décaler la bretelle de mon haut. Il embrasse mon omoplate, mon épaule puis le haut de ma poitrine. Je déboutonne un à un les boutons de sa tenue puis je la lui enlève. Sans attendre davantage, je lui retire aussi le tee-shirt qu'il porte. Il fait de même avec mon haut. Il replonge ses yeux dans les miens. Cette foi-ci, j'y discerne une flamme de désir, de passion. Je lui dépose un baiser langoureux.
Alors qu'il s'apprête à dégrafer mon soutien-gorge, nous entendons.
« Gary pour Fabien, Gary ».

Un souffle de désespoir s'échappe. Il me dépose au sol, puis prend sa radio et répond à l'appel.
Sans se lâcher du regard, nous écoutons la demande de Fabien. Ensuite il range l'appareil à sa place, s'approche de nouveau de moi et me dit :
- je suis désolé, je dois y aller.
- Je sais.
Nous nous rhabillons rapidement. Avant de sortir, je lui dépose un léger baiser puis m'en vais.
Dans la foule de personnes, je me retourne et je le vois sortir en tout hâte du poste.
Le sourire aux lèvres, je me dirige vers mon manège.

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Du désir, voilà ce que je ressens envers elle. Je sais que je dois la repousser, mais j'ai besoin de la posséder, c'est plus fort que moi. Je sors du poste de secours hâtivement pour me rendre à l'entrée. Une femme enceinte de quelques mois, a fait un malaise, je me dois de l'aider. J'aperçois rapidement l'attroupement autour de la jeune femme. Je demande à Fabien de faire reculer la foule pour que je puisse m'occuper au mieux de la victime. J'ai du mal à me concentrer sur mes gestes. Des flashs se matérialisent dans mon esprit. Sa chevelure brune, ses yeux amande, sa bouche parfaite...

Je secoue la tête pour effacer tout cela. Je me penche sur la femme et lui prends la tension. Patrice, mon collègue arrive pour m'offrir son aide. Il s'aperçoit rapidement que cela fait seulement trois fois que je m'acharne à vouloir prendre le pouls de la jeune femme. Il me prend le stéthoscope des mains et me remplace. Je m'éloigne et vais gentiment m'assoir sur un banc.

Le futile baiser. La douceur de ses lèvres, de ses caresses...
- Tout va-bien ? Me demande-t-on.
Je tourne la tête vers mon collègue, puis vers la femme qui est désormais debout et en meilleure forme.
- Elle va bien. Elle n'avait pas assez mangé, explique-t-il.
Je sens de nouveau son regard oppressant sur moi.
- Quoi, lâché-je quelque peu irrité.
- Au rien, juste que tu n'as pas réussi à aider cette jeune future maman. Ce n'est pas dans tes habitudes. Si tu as un problème tu peux m'en parler...
Mal à l'aise, je me passe la main dans les cheveux. Il reprend son monologue.
- Cela concerne Alisée. J'ai remarqué que vous étiez devenu proche, un peu trop même.
- Nous étions au poste, et avant que Fabien appelle, nous nous embrassions. Et si nous n'avions pas été interrompus, nous serions allés beaucoup plus loin, avoué-je d'une traite.
- Bon sang mais qu'est-ce qui te prend. Tu fais ta crise de la cinquantaine avant l'heure c'est ça ? Me questionne Patrice avec une pointe d'autorité.
J'ouvre la bouche pour pouvoir me justifier mais la referme aussi vite, ne sachant pas quoi répondre.
- Tu as vingt ans de plus qu'elle. Tu as deux enfants, on pourrait la prendre pour ta fille. C'est une erreur...
- Mais qu'est-ce-que tu crois je le sais, coupé-je en me levant précipitamment. J'essaie de mettre de la distance entre elle et moi mais je n'y arrive pas.
- Eh bien force-toi. Cette relation n'ira nulle part. Mets y un terme avant que vous en souffriez.
- Je dois y mettre fin, répète-je en me réinstallant à côté de mon camarade.

Sans un mot, Patrice se lève, pose sa main sur mon épaule pour me réconforter puis, me laisse seul avec mes doutes et mes incertitudes. Ses paroles sont dures mais réalistes. Je dois prendre mon courage à deux mains et le lui dire. Je ne veux pas la faire souffrir.




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