Un amour de "cassos"
Date 18-04-2013 06:51:36 | Catégorie : Nouvelles
| Un amour de « cassos » Nous sommes mardi matin et c’est permanence. Cela signifie affluence et effervescence pour le service social du CPAS. Lucie traverse la salle d’attente d’un pas pressé afin de ne pas se faire agressée par l’odeur affreuse qui a envahi la pièce : un mélange de pieds en transpiration, d’urine séchée et d’aisselles n’ayant plus la notion de « rasoir » et « savon » depuis longtemps. Elle prend place à son petit bureau surchargé de dossiers ficelés pour en éviter une fatale dislocation, de feuilles en tous genres, de pense-bêtes, de stylos fonctionnant ou pas ; le tout faisant une ronde autour d’un ordinateur à l’aspect vétuste et qui aurait mérité depuis longtemps un recyclage en bonne et due forme. Une sonnerie de téléphone retentit. Ce dernier se trouve en-dessous d’une boîte de mouchoirs parfumés à la lavande. Quelqu’un pour elle ! Avec des pieds de plomb, Lucie se dirige vers la salle d’attente et appelle le « client ». Un jeune homme se lève silencieux et la suit dans des dédales de couloirs jusqu’à un petit local. Ce dernier comporte uniquement une table et trois chaises. Il est invité à prendre place et l’interrogatoire habituel débute : identité, adresse, situation familiale et financière. L’homme au fort accent hispanique déclare s’appeler Rodrigo Rodriguez et vivre dans la rue depuis plusieurs semaines. Pendant qu’il lui narre son périple, Lucie détaille son interlocuteur. D’abord ses mains : rugueuses comme celles d’un bûcheron. Sous le noir de la crasse, elle devine une teinte cuivrée, marque d’une naissance sous des cieux plus ensoleillés que sa Belgique natale. Une barbe de plusieurs jours cache les traits fins de son visage soulignés par des yeux d’un noir intense, comme celui de sa crinière grasse. Un « Vous pouffez m’aidez ? » la sort de sa rêverie. « Pardon. Oh, oui. Je vais téléphoner aux maisons d’accueil pour vous trouver une place. » Lucie fait chauffer le téléphone mais sans succès. Finalement, elle lui fait signer un document pour un éventuel revenu et lui propose, non sans ressentir un certain malaise, de revenir dans quelques jours pour savoir si une place s’est libérée. « Ch’est pas graffe, Mamoiselle. Ch’attendrai. Au reffoir. » L’espagnol lui adresse un petit sourire triste auquel elle répond par une mine de résignation. En partant, il lui tend sa main crasseuse qu’elle serre sans hésitation en plongeant une dernière fois dans son regard ténébreux. Pendant le reste de la journée, Lucie est distraite, l’image du bel Hidalgo restant logée dans un coin de son cerveau. Elle remet à son chef les dossiers de la semaine précédente au lieu de ceux en cours, elle renverse son café sur des attestations importantes et oublie la visite à domicile de la petite mémé au bout de la rue. 17 heures, la libération. Lucie rentre chez elle à pied car elle n’habite qu’à cinq cent mètres. Elle est bien la seule à ne pas connaître la galère des parkings insuffisants dont ses collègues se plaignent quotidiennement. Enfin, ses pénates. Seul son chat mité lui miaule un « bienvenue » auquel elle répond par une caresse. C’est un chat qu’elle a trouvé, affamé, dans la rue il y a deux mois et qu’elle a baptisé Rodrigo ! Ca sonnait bien pour un chat. Elle s’affale dans son canapé trop mollasse à son goût et s’apprête à appuyer sur le bouton de sa télécommande quand sa sonnette retentit. Elle ouvre et découvre Mr Rodriguez. Il la regarde silencieusement avec un air de chien battu. Lucie avait bien recueilli un chat, elle n’était plus à un compagnon près …
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